Hommage à Juan Peña "El Lebrijano"

22 août 1941, Lebrija / 13 juillet 2016, Sevilla

jeudi 14 juillet 2016 par Claude Worms

Après Camarón et Enrique Morente, nous venons de perdre avec Juan Peña Fernández "El Lebrijano" l’un des grands rénovateurs de l’esthétique du cante, l’un des artistes majeurs de l’ère des festivals andalous des années 1970 - 1980. Mais El Lebrijano fut aussi, comme eux, un créateur exceptionnel - de l’"oratorio flamenco" à l’interprétation flamenca de textes de Gabriel García Márquez, en passant par le dialogue avec la musique arabo-andalouse.

Photo : Fernando Ruso

Nous ne reviendrons pas ici sur la dynastie artistique des Peñas de Lebrija et Utrera, que nous avons souvent évoquée, et à laquelle appartient Juan Peña Fernández "El Lebrijano". Guitariste et chanteur dès son enfance, comme son frère Pedro, il opte définitivement pour le cante à la suite de son triomphe au concours de Mairena del Alcor en 1964. Après quelques engagements dans des tablaos de Séville (El Guajiro) et Madrid (El Duende) et un bref passage par la compagnie d’Antonio Gadès, il devient rapidement l’un des artistes les plus programmés par les festivals andalous des années 1970.

Curieusement, lors de sa première séance d’enregistrement avec Antonio Arenas pour l’"Archivo del cante flamenco" de José Manuel Caballero Bonald (6 LPs Vergara, 1968), il grave quatre cantes qu’il ne fréquentera plus guère par la suite : polo et soleá apolà, mirabrás, et surtout jaberas (dans une version ancienne, proche du folklore) et cartagenera d’Antonio Chacón.

Le programme de ses deux albums suivants est concentré sur les formes "a compás", qui restetont son répertoire de prédilection jusqu’à la fin de sa carrière : soleares, bulerías por soleá, bamberas, fandangos por soleá, alegrías et cantiñas, bulerías, siguiriyas, tientos et tangos - à quoi il convient d’ajouter le corpus des martinetes et des tonás. Héritage familial sans doute, mais singulièrement élargi par l’influence des ses deux grands maîtres, Pastora Pavón "Niña de los Peines" (qui est aussi sa marraine) et Antonio Mairena. Malgré un parti pris de stricte orthodoxie, il y fait déjà preuve d’un phrasé très personnel, par le placement des césures et de vertigineux décalages rythmiques (écoutez par exemple le quatrième cante de la série des tangos). Ce swing incomparable a sans doute ravi Paco de Lucía. Tout au long de sa carrière, El Lebrijano sera d’ailleurs accompagné, au disque et / ou sur scène, par des musiciens exceptionnels : de Niño Ricardo à Paco Jarana, en passant par Paco de Lucía, Pedro Peña, Melchor de Marchena, Juan Habichuela, Manolo Sanlúcar, Pedro Bacán, Enrique de Melchor, Paco Cepero, Antonio Moya...

Polo y Soleá apolá
Mirabrás
Jaberas
Cartagenera

"Archivo del cante flamenco" / guitare : Antonio Arenas / 1968

Tientos
Tangos

Tientos : "De Sevilla a Cádiz" / guitare : Niño Ricardo et Paco de Lucía / 1969

Tangos : "El Lebrijano con Paco de Lucía" / guitare : Paco de Lucía / 1970

Les années 1970 sont marquées par une floraison discographique miraculeuse :
dix albums, tous de haut niveau, entre 1969 et 1978. El Lebrijano y privilégie les chants familiaux - nous lui devons aussi l’entrée de sa mère, María "La Perrata", en studio (cf : ci-dessous, discographie). Le titre du disque enregistré en 1974, "Arte de mi tierra", est de ce point de vue emblématique. Si le cantaor impose ainsi au "grand public" un répertoire resté jusqu’alors confidentiel, c’est qu’il sait le rendre accessible sans l’édulcorer. Outre sa maîtrise du compás, dont il joue avec une virtuosité éblouissante, il sculpte les lignes mélodiques par des attaques de notes d’une précision et d’un tranchant imparables, une ornementation aussi originale que parcimonieuse, et surtout les reliefs dynamiques que lui permettent un soutient et une puissance vocales sans pareil. Un art musical radieux, même dans les formes les plus dramatiques, une présence scénique à l’avenant... et quelques hits, dont une version de la Tarara por bulería devenue un classique du genre : on comprend l’enthousiasme du public, aficionados et néophytes confondus, des festivals de Ronda et de Mairena del Alcor - pour écouter d’autres extraits de ces festivals de 1975 :
En vivo desde los festivales de Ronda y Mairena del Alcor - 1975

Pregón
Bulerías
Cantiñas del Pinini
Soleares de Juaniquín
Siguiriyas de Tomás el Nitri

Pregón : "Senderos del cante" / chant : María "La Perrata" / guitare : Pedro Peña / 1971

Bulerías : "El Lebrijano" / guitare : Pedro Peña et Manolo Sanlúcar / 1973

Cantiñas del Pinini, Soleares de Juaniquín et Siguiriyas de Tomás el Nitri : "Arte de mi tierra" / guitare : Pedro Peña et Manolo Sanlúcar / 1974

Bulerías
Siguiriyas
Soleares

Festival de Ronda / guitare : Juan Habichuela / 1975 - archives Michèle et Claude Delmas

Bulerías por soleá
Tientos y tangos

Festival de Mairena del Alcor / guitare : Paco Cepero / 1975 - archives Michèle et Claude Delmas

Au début des années 1980, El Lebrijano est donc en pleine possession d’une esthétique du cante et d’un style vocal auxquels il restera définitivement fidèle : "Cante se escribe con L" (Belter, 1978)... "¡y punto !" Il l’applique désormais à des projets discographiques ambitieux, des sortes de "concept albums" ou d’ "oratorios flamencos", qui font souvent postérieurement l’objet de réalisations scéniques. Il lui faut pour cela un compositeur capable de concevoir des partitions d’envergure, qu’il trouve en Manolo Sanlúcar. Il est révélateur que l’ébauche de ces projets, encore modeste, soit née de la première collaboration entre les deux artistes ("La palabra de Dios a un gitano", 1972). Le titre annonce la thématique des suivants : la chronique des persécutions subies par les gitans ("Persecución", 1976), interprétée à la lumière des évangiles ("Ven y sígueme", 1982), ou encore un jeu de symboliques en miroir entre la Passion du Christ et celle des gitans ("Lágrimas de cera", 1999). Seul échappe à ce fil d’Ariane une oeuvre de circonstance, ("¡Tierra !", 1989), conçue pour le cinq-centième anniversaire de la "découverte" des Amériques. On en retiendra surtout "Persecución" (avec une tentative de création d’un nouveau cante, la "galera", resté sans réelle postérité, comme d’ailleurs la "canastera" de Camarón) et "Ven y sígueme", qui mêlent "palos" traditionnels et compositions originales dans une belle mise en scène sonore.

"Mi condena" (cante de galeras)

"Persecución" / guitare : Pedro Peña et Enrique de Melchor / 1976

"En el mercado" (bulerías)
"Los niños" (tangos)
"La sal de la tierra" (jaleos)

"Ven y sígueme" / chant : Rocío Jurado / guitare : Manolo Sanlúcar / 1982

Le dialogue musical entre le flamenco et la musique arabo-andalouse aura été le dernier grand projet de Juan. Quoi que l’on pense de son intérêt musical, il l’aura mené pendant trente ans avec constance et dévouement : quatre albums, dont le dernier qu’il ait enregistré, "Dos orillas", en 2014 - pour les trois précédents : "Encuentros" (1985), "Casablanca" (1998) et "Puertas abiertas" (2005).

Le reste de la discographie des années 2000 présente une sorte de bilan, chaque album puisant à la fois dans la veine traditionnelle, les expérimentations orchestrales des "oratorios flamencos", et la collaboration occasionnelle avec des musiciens maghrébins.

Le dernier concert auquel nous avons assisté pendant le Festival Flamenco de Nîmes de janvier 2015 fut un très émouvant triptyque, deux parties de flamenco arabo-andalou encadrant deux longues leçons de cante por soleá et por siguiriya. Ce soir-là, nous ne nous doutions pas que nous disions adieu à Juan "El Lebrijano".

Claude Worms

"Pensamientos"
"El anillo (Jibuli)"

"Encuentros" / guitare : Paco Cepero / Orquesta andalusí de Tánger / 1985

Discographie (non exhaustive...)

De Sevilla a Cádiz : Columbia, 1969 (avec Niño Ricardo et Paco de Lucía)

El Lebrijano con Paco de Lucía : Polydor, 1970 (avec Paco de Lucía)

Senderos del cante : Polydor 23, 1971 (avec María "La Perrata" et Pedro Peña)

De casta le viene : Philips, 1971 (avec María "La Perrata" et Pedro Peña)

La palabra de Dios a un gitano : Philips, 1972 (avec María "La Perrata", Pedro Peña et Manolo Sanlúcar)

El Lebrijano : Philips, 1973 (avec Pedro Peña et Manolo Sanlúcar)

Arte de mi tierra : Philips, 1974 (avec Pedro Peña et Manolo Sanlúcar)

Cali : Philips, 1976 (avec Pedro Peña et Enrique de Melchor)

Persecución : Philips, 1976 (avec Pedro Peña et Enrique de Melchor)

Cante se escribe con L : Belter, 1978 (avec Enrique de Melchor et Pedro Bacán)

Flamenco en el Teatro Real : RCA, 1981 (avec Enrique de Melchor et Josele Heredia)

Ven y sígueme : RCA, 1982 (avec Rocío Jurado et Manolo Sanlúcar)

Encuentros : Ariola, 1985 (avec Paco Cepero et la Orquesta andalusí de Tánger)

¡Tierra ! : Ariola, 1989

En directo : Fonomusic, 1997 (avec Enrique de Melchor, Pedro Bacán et Pedro María Peña)

Casablanca : EMI Odeón, 1998 (avec la Orquesta arábigo andaluza)

Lágrimas de cera : EMI Odeón, 1999

Sueños en el aire : Senador, 2001

Yo me llamo Juan : Senador, 2003 (avec Paco Jarana)

Puertas abiertas : Senador, 2005 (avec Fayçal)

Cuando El Lebrijano canta se moja el agua : Rosevil, 2008 (avec David Peña "Dorantes")

"Dos orillas. En directo desde el Teatro Central, Sevilla" : Asesoramientos Artísticos, 2014 (avec Redouane Kourrich)


Polo y Soleá apolá
Mirabrás
Jaberas
Cartagenera
Tientos
Tangos
Pregón
Bulerías
Cantiñas del Pinini
Soleares de Juaniquín
Siguiriyas de Tomás el Nitri
Bulerías
Siguiriyas
Soleares
Bulerías por soleá
Tientos y tangos
"Mi condena" (cante de galeras)
"En el mercado" (bulerías)
"Los niños" (tangos)
"La sal de la tierra" (jaleos)
"Pensamientos"
"El anillo (Jibuli)"




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