La Granaína

samedi 1er décembre 2007 par Claude Worms

Le cante por Granaína

La Granaína fait partie du groupe des Fandangos, et a suivi un processus évolutif similaire à celui des Malagueñas et des Cantes de Minas (Taranta, Cartagenera, Minera...). Elle est issue des Fandangos populaires de Grenade, accompagnés traditionnellement sur un rythme de Verdial, en rasgueados ininterrompus et sur un tempo enlevé ("Fandangos corridos"). A la fin du XIXème siècle, des cantaores ont commencé à enrichir et à orner les mélodies populaires, ce qui impliqua un ralentissement du tempo, sans que le rythme en soit modifié : les plus connus sont África Vásquez "La Peza"(on lui attribue la letra : "Viva Graná que es mi tierra" ; cf : ci-dessous), Paco el del Gas, et Frasquito Yerbabuena(1883 / 1944), dont nous avons conservé le cante (cf : galerie sonore).

Antonio Chacón (1869 / 1929) eut sur la genèse des Granaínas actuelles une influence déterminante, plus encore que pour les Malagueñas,

Tarantas, Cartageneras, et Mineras : en association avec le guitariste Ramón Montoya, c’ est lui qui imposa le cante récitatif, et qui créa le binôme Granaína / Media Granaína, qui ne sera plus modifié. Paradoxalement, la Granaína est le cante le moins prolixe des deux variantes, alors que la Media Granaína conclusive est plus ornée et virtuose (cf : galerie sonore). Certains spécialistes émettent l’ hypothèse (hasardeuse mais vraisemblable) d’ une inversion accidentelle des étiquettes des premiers 78 tours : l’ erreur de dénomination aurait ensuite été reproduite indéfiniment.

Antonio Chacón nous a légué cinq enregistrements de ses créations : deux avec Ramón Montoya (Gramófono / 1925), et trois avec Perico el del Lunar (Odeón / 1928). Il fut devancé par Antonio Pozo "El Mochuelo", qui grava la Granaína dès 1920. Les enregistrements se multiplient ensuite à la fin des années 1920 et au cours des années 1930 : Cayetano Muriel "Niño de Cabra", Tomás Pavón, Juan Mojama, Manuel Centeno, Luisa Requejo, Pepe Marchena, Pena hijo, Jacinto Almadén, Niño de Alcalá, Angelillo...

Trois variantes entrées dans le répertoire traditionnel datent de la même époque :

_ La Granaína-Malagueña de Aurelio Sellés (1887 / 1974), utilisée en introduction à la Malagueña del Mellizo (cf : galerie sonore)

_ La Granaína-Malagueña de José Cepero (1888 / 1960), qui fait partie du répertoire habituel des cantaores de Jerez, en général associée, là encore, à la Malagueña del Mellizo (cf : galerie sonore)

_ La Media-Granaína de Manuel Vallejo (1891 / 1960), très spectaculaire, qui remplace souvent celle de Chacón dans les interprétations contemporaines (cf : galerie sonore ; Mercedes Hidalgo).

Depuis, le cante por Granaína a peu évolué. Citons cependant deux recréations intéressantes dues à Gabriel Moreno ("Alhambra sonora" Hispavox LP 18-1312 / 1973), et à Enrique Morente ("Un veneno pá que yo muera" Hispavox LP 18-1251 / 1971).

Structure du cante et mode flamenco "por Granaína"

La Granaína est accompagnée en mode flamenco de Si :

Si / La / Sol / FA# / Mi / Ré ou Ré# / Do / Si.

La cadence flamenca sur les quatre derniers degrés est : Emin(9) - D(7) - C(7 / 7M) - B(7 / b9).

Les tonalités majeure et mineure relative sont respectivement : Sol Majeur et Mi mineur.

Le mode flamenco de Si est, avec les modes flamencos de Mi et de La (respectivement "por arriba" et "por medio"), le seul attesté dès la fin du XIXème siècle. On le trouve à quatre reprises dans la méthode de Rafael Marín publiée en 1902 (deux Granaínas, un Tango - sous-titré "de los Tientos "-, et un exemple d’ accompagnement du cante por Granaína - en 3/4, comme pour un Verdial). Il a ensuite été considérablement développé par les guitaristes du premier tiers du XXème siècle, comme alternative aux modes "por arriba" et "por medio", pour accompagner des cantaores dont le registre était particulièrement élevé. C’ est le cas notamment de Ramón Montoya pour Antonio Chacón.

On notera cependant que le mode flamenco de Si n’ est pas à l’ époque exclusif de la Granaína : Montoya l’ utilise aussi pour accompagner la Malagueña et la Cartagenera. A l’ inverse, il peut avoir recours à d’ autres modes si le registre du cantaor l’ exige : il accompagne ainsi les Granaínas-Malagueñas de José Cepero et Aurelio Sellés en mode flamenco de Fa#, ou "por Taranta" (cf : galerie sonore). Ces deux cantes sont d’ ailleurs actuellement accompagnés "por arriba"... L’ habitude d’ associer étroitement le mode flamenco de Si à la Granaína ne s’ est imposée qu’ avec les enregistrements de solos composés sur ce mode, tous intitulés "Granaína"
( pour Montoya : deux au début des années 1920, pour Pathé ; une en 1928, pour Gramófono ; une en 1936, pour la Boîte à Musique).

Comme tous les Fandangos, la Granaína est bimodale : après des intermèdes ("paseos") de guitare en mode flamenco de Si, le cante module brusquement vers la tonalité majeure relative, Sol Majeur : l’ accord du troisième degré du mode flamenco, D7, est utilisé comme dominante de l’ accord de tonique de la tonalité majeure : G. Le cante passe ensuite par les accords de tonique, dominante, et sous-dominante de la tonalité majeure : G ; D7 ; C(7). Pour le mélisme conclusif, ce dernier accord reprend sa fonction d’ accord du deuxième degré du mode flamenco, pour une cadence II - I, C(7) - B(7 / b9).
Il arrive fréquemment que l’ accord de sous-dominante de Sol Majeur soit remplacé par son relatif mineur, Amin : cadence intermédiaire V -I, soit E(7) / G# - Amin (cf : ci-dessous).

La copla comprend quatre vers (exceptionnellement cinq). Deux (ou un) sont répétés pour obtenir un développement mélodique sur six périodes (exemple : Carmen Linares / Pepe Habichuela) :

a) Engarzá en oro y marfil

b) Tú llevas una cruz al cuello

c) Engarzá en oro y marfil

d) Déjame que muera en ella

e) Y crucificarme allí

f) Llevas una cruz al cuello.

Schéma harmonique de l’ accompagnement (accords cadenciels du cante en gras ; accords de passage entre parenthèses) :

a) D - (D7) - G

b) (G7) - C

c) D - (D7) - G

d) (E7/G#) - Amin

e) D - (D7) - G

f) (G7) - C - (C7/Bb) - B

La transcription de Ramón Montoya reproduit l’ introduction et la coda

d’ un cante d’ Antonio Chacón (cf : galerie sonore). Elle illustre les traits caractéristiques du toque por Granaína de l’ époque :

_ Accord conclusif sur le premier degré en première position (B7)

_ Arpèges sur les accords des deux premiers degrés en deuxième et troisième positions, avec la première et / ou la troisième corde à vide (B#11 ; Bb6/F# ; C).

_ Début de la coda par une cadence intermédiaire V - I sur le troisième degré (D7 - G).

_ Conclusion des deux falsetas sur la cadence flamenca complète : Emin - D(7) - C - B(7).

La seconde partition est un exemple significatif du toque por Granaína contemporain, par un jeune et excellent guitariste de Grenade, Jorge Gómez (cf : galerie sonore).

_ Introduction : l’ accord de D79 présente, sur les trois premières cordes, les degrés IV, III, et II du mode (notes MI, Ré, et Do). Avec le mouvement descendant des basses, il remplace la cadence flamenca IV - III - II - I. L’ accord du premier degré, Bb9, donne une dissonance de seconde mineure, Do / Si, sur les cordes de Sol et de Si).

_ Trémolo : brèves modulations vers la tonalité relative mineure, Mi mineur (cadence intermédiaire V - I : Bb9 - Emin) ; substitution du troisième degré par son relatif mineur (Amin pour C), et cadence intermédiaire V - I (Eb9/G# - Amin) ; cadences intermédiaires V - I, ou myxolydienne, sur le premier degré (F#/A# - Bb9 ; F#min7 - B7) ; accord du premier degré en septième position, avec les deux premières cordes à vide (Bb9#11).

_ Coda : longue arabesque mélodique sur l’ accord du deuxième degré (C), qui simule le mélisme conclusif du cante. Le gissando Fa# / Si sur la sixième corde est le trait distinctif traditionnel du toque por Granaína, depuis Ramón Montoya.

Letras

Fandango de Frasquito Yerbabuena  :

Porque me gusta el oír

Quiero vivir en Graná

Porque me gusta el oír

La campana de la Vela

Cuando me voy a dormir. (bis)

Granaína de África Vásquez "La Peza"  :

Viva el puente del Genil

Viva Graná que es mi tierra

Y viva el puente del Genil

La Virgen de las Angustias

La Alhambra y el Albaïcin. (bis)

Granaínas de Chacón  :

I

Serrana que te olvidara

Me mandastes a decir

Serrana que te olvidara

Y cuando llegó el parte a mi

Ya de tí no me acordaba. (bis)

II

La que vive en la Carrera

La Virgen de las Angustias

La que vive en la Carrera

Esa señora lo sabe

Si yo te quiero de veras. (bis)

III

Fue porque no me dio gana

Rosa si no te cogí

Fue porque no me dio gana

Al pie de un rosal dormí

Y rosa tuve por cama

De cabecera un jazmín.

Discographie

Enregistrements historiques :

El Cojo de Málaga : Sonifolk 20162 (Fandangos de Frasquito Yerbabuena)

Antonio Chacón, "1913 - 1927, la cumbre de un maestro" : Sonifolk 20093

Manuel Vallejo, "Copa Pavón y LLave de oro del cante" : Sonifolk 20174

José Cepero, "El poeta del cante" : Sonifolk 20142

Aurelio Sellés, "Aurelio de Cádiz" : Pasarela CDP/3 656

Enregistrements récents :

Enrique Morente, "cante flamenco" : Hispavox 7243 8 37657 (Fandangos de Frasquito Yerbabuena)

Antonio Fernández, "Cristal suelto" : Big Bang / Karonte BB 457 CD

Carmen Linares, "Su cante" : Hispavox 7243 8 53402

Mayte Martín, "Muy fragíl" : On the rocks CJC 005

Enrique Morente, "Homenaje a Don Antonio Chacón" : Hispavox 7243 8 37653

Naranjito de Triana, "De amor y lucha" : Flamenco Darte CD 02669

Claude Worms

Illustrations :

Logo : Antonio Chacón et Ramón Montoya

Par ordre d’ apparition dans l’ article :

Antonio Chacón

Cayetano Muriel "Niño de Cabra"

Ramón Montoya

Enrique Morente et Pepe Habichuela (jaquette du LP "Homenaje a Don Antonio Chacón")

Carmen Linares

Mayte Martín


Partitions

Montoya / page 1
Montoya / page 2
Montoya / page 3
J.Gómez / page 1
J.Gómez / page 2
J.Gómez / page 3
J.Gómez / page 4
J.Gómez / page 5
J.Gómez / page 6

Galerie sonore

Jorge Gómez : Granaína (inédit)

Cojo de Málaga / Miguel Borrull : Fandango de Frasquito Yerbabuena

Antonio Chacón / Ramón Montoya : Granaína y Medie Granaína

Aurelio Sellés / Ramón Montoya : Granaína-Malagueña

José Cepero / Ramón Montoya : Granaína-Malagueña

Mercedes Hidalgo / Miguel Ochando : Granaína y Media Granaína de Manuel Vallejo


Jorge Gómez : Granaína
Cojo de Málaga
Antonio Chacón
Aurelio Sellés
José Cepero
Mercedes Hidalgo




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