Juan Carmona : Soleá

"Lagrimas"

dimanche 30 décembre 2007 par Claude Worms

Extrait du CD "Antes..." : Nomades Kultur 1998

LA PARTITION

Le "palo"

Voir, dans la même rubrique, notre article : "Andrés Serrita : Soleá"

Les falsetas

La première falseta correspond à l’ introduction de la composition de Juan Carmona. Les deux premiers compás sont construits sur une cadence flamenca classique, IV - III - II - I (Amin - G - F - E). Mais l’ harmonisation de la cadence intermédiaire V - I sur le quatrième degré (E7 - Amin) est particulièrement inventive : dissonance de seconde mineure sur l’ accord de passage (E7sus4/D) ; et superposition des accords des deux premiers degrés (E et F) à l’ accord de Amin, avec une dissonance de neuvième mineure sur les deux cordes graves (Mi / Fa). L’ accord de Amin est présenté en second renversement (quinte à la basses : Mi), et il est enrichi par des notes constitutives des accords des deux premiers degrés (Fa, fondamentale de F ; Si, quinte de E= accord de Amin9b6/E). En somme, un condensé de bimodalité : cadence V - I tonale (E7 - Amin), sous tendue par des notes de la cadence modale fondamentale II - I (F - E). On notera aussi l’ étendue de la tessiture, qui est une constante des trois falsetas.

Le troisième compás est caractéristique de la guitare flamenca de l’ époque (Paco de Lucía et Enrique Melchor en particulier), avec la substitution

systématique du deuxième degré par son relatif mineur : accord de Dmin(7) substitué à l’ accord de F (successivement en demi-barré 5, puis 10). Notez, sur le demi barré 10, la note mélodique Do#, qui entraîne à nouveau une sensation de bimodalité, entre le mode flamenco de Mi et la tonalité homonyme majeure, Mi Majeur. Cette sensation est accentuée par la demi-cadence suspensive sur l’ accord de B7/C, réduit à la quarte augmentée Do / Fa# : demi-cadence tonale pour le chiffrage et la note supérieure (B7) ; demi-cadence modale pour la note inférieure, Do (tierce de F).

La quatrième compás commence par une mélodie classique en attaque butée du pouce, sur un demi barré 7, mais conclut par un contraste de registre intéressant (cadence G - F - E sur les deux cordes aiguës).

Le cinquième compás est un catalogue exhaustif de toutes les colorations "jazzy" des accords fondamentaux du mode flamenco "por arriba", que l’ on trouve à la même époque dans les compositions de Rafael Riqueni et Gerardo Nuñez. Il ne saurait être question ici d’ influences, mais plutôt du style harmonique commun de la "génération 1960" (Gerardo est né en 1961, Rafael en 1962, et Juan en 1963...). La séquence matrice du compás est II - III - II - III - II - I (F - G - F - G - F - E), avec deux substitutions du deuxième dégré par son relatif mineur (Dmin7 - G - Dmin - G - F - E). le troisième degré est présenté par des cadences intermédiaires IV - I, puis V - I, celle-ci inversée : C7 - G, puis G - D7/F# (ce qui permet un mouvement descendant de basses chromatiques vers le deuxième et le premier degrés : notes Sol, Fa#, Fa bécarre, Mi). Enfin, la plupart de ces accords sont enrichis à la manière de l’ harmonie du jazz, avec des septièmes majeures et des quintes diminuées ou augmentées (G7#5 ; C7M ; F7b5).

Le compás en rasgueados conclusif est une réinterprétation, selon ces procédés harmoniques, de la séquence traditionnelle F - C - Dmin - F7 - E, qui devient : Dmin7 - C7M - Dmin - F7 - E (voir aussi le style de Pepe Habichuela).

Pour ne pas alourdir inconsidérément cet article, nous ferons l’ économie de l’ analyse détaillée des deux autres falsetas, pour lesquelles nous retrouverions les mêmes procédés. Deux remarques cependant :

Le remate qui conclut le trémolo (deuxième falseta), est identique à celui qui conclut la troisième falseta. Il s’ agit là encore d’ un trait stylistique commun au "toque por arriba" des guitaristes de la "génération 1960". L’ arpège sur les trois cordes aiguës, en troisième position (F7M) permet une série de dissonances de secondes mineures : Mi / fa ; Mi bémol / Mi bécarre ;
Si / Do (l’ effet sonore n’ est perceptible que si vous tenez la position de main gauche initiale jusqu’ à la liaison Si / Mi bémol sur la deuxième corde).

Le premier compás de la troisième falseta est une variation sur une idée de Paco de Lucía : l’ enchaînement de l’ accord de F (première position) à l’ accord de Dmin7 (barré 5), par un glissando Fa / La sur la corde de Ré. Juan répond ici au glissando Fa / La par un deuxième glissando Si / Mi sur la chanterelle (E, demi barré 4 / Dmin, demi barré 10), et compose à partir de cette symétrie un mouvement mélodique sur un ambitus très large, de près de trois octaves.

Le CD

Après un premier LP paru en 1984 ("Flor de mina", F.M. 24461), Juan Carmona avait enregistré cette même année le matériel d’ un deuxième disque, qui ne fut pas utilisé à l’ époque. Les bandes, retravaillées et remixées, seront finalement éditées quatorze ans plus tard sous le titre "Antes... : inédit 1084 / 1998, qui devint ainsi le troisième album officiel de Juan, après "Borboreo" (1996).

Les parties de guitare originales ont été conservées, fournissant la "matière première" de remixages, soit des instruments et cantes des sessions de 1984

(seconde guitare, basse, flûte, et cante pour les Tangos) ; soit de nouveaux apports enregistrés spécialement pour l’ édition de 1998 (palmas, percussions, laúd, et cante pour la Soleá). La couleur sonore de "Antes..." se situe ainsi dans la lignée de celle de "Borboreo". La Taranta des sessions de 1984 a d’ ailleurs été écartée, et remplacée par la Bulería "Calle Ponce", l’ un des thèmes les plus populaires de "Borboreo".

Le style de Juan Carmona, est à l’ époque très proche de l’ esthétique développée par Paco de Lucía à partir de "Almoraima" (1976), "Castro Marín" (1981), et "Sólo quiero caminar" (1981), donc de ses recherches rythmiques. C’ est ce dont témoigne le programme de l’ enregistrement, constitué, outre la Soleá "Lagrimas" et la Bulería "Calle Ponce", d’ une seconde Bulería, de deux Rumbas, d’ une Colombiana, d’ un Tango, et d’ une Rondeña ("Pañales de algodon"), construite sur le modèle de "Cueva del Gato", de Paco de Lucía (une introduction ad libitum, suivie d’ une partie a compás ternaire de Jaleo).

Après un disque de transition qui revient sur les répertoires de "Borboreo" et de "Antes..." ("Caminos nuevos", 2000), Juan Carmona allait commencer une nouvelle phase de sa carrière, avec deux très belles oeuvres de compositeur, plus que de guitariste : "Orillas", un dialogue avec la musique arabo-andalouse, (2002) ; et un concerto pour guitare et orchestre, "Sinfonía flamenca" (2006).

Juan Carmona

Nomades Kultur

Claude Worms

Discographie :

Guitare solo :

"Flor de mina" : LP F.M. (1984)

"Borboreo" : CD Chant du Monde / Harmonia Mundi (1996)

"Antes..." : CD Nomades Kultur (1998)

"Caminos nuevos" : CD Chant du Monde / Harmonia Mundi (2000)

"Orillas" : CD Chant du Monde / Harmonia Mundi (2002)

"Sinfonía flamenca" ; CD Chant du Monde / Harmonia Mundi (2006)

Accompagnement :

"Entre dos barrios", avec José Mendez : L’ Empreinte Digitale / Harmonia Mundi (1997)

"Falla Lorca", avec Françoise Atlan : L’ Empreinte Digitale / Nocturne (1997)


Partitions

Soleá / page 1
Soleá / page 2
Soleá / page 3
Soleá / page 4
Soleá / page 5

"Borboreo", transcriptions de Jean-Marc Piat : Nomades Kultur (2007)

Galerie sonore

Soleá de Juan Carmona : falseta n° 1

Soleá de Juan Carmona : falseta n° 2

Soleá de Juan Carmona : falseta n° 3

NB : Extraits de moins d’ une minute. Nous prions les artistes ou les labels qui ne souhaiteraient pas que les fichiers Mp3 soient inclus dans cet article, de nous contacter le plus rapidement possible. Nous les retirerons immédiatement.


Soleá / Falseta n° 1
Soleá / Falseta n° 2
Soleá / Falseta n° 3




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