Paco Roji Doña & Ramón Soler Díaz : "La Cañeta de Málaga, José Salazar, La Pirula"

samedi 4 janvier 2014 par Claude Worms

Un livre (472 pages) + 2 CDs (La Cañeta de Málaga / José Salazar) : Edition de Paco Roji Doña et Ramón Soler Díaz, Málaga, 2013.

Nous devons aux travaux de Paco Roji Doña sur les tablaos de Málaga et de la Costa del Sol une plus juste appréciation du rôle de Málaga dans l’ histoire du flamenco. La richesse du répertoire des "cantes abandolaos" et des Malagueñas a en effet trop souvent éclipsé le foisonnement local des "cantes festeros" (Tangos et Bulerías essentiellement) créés ou modifiés par les artistes gitans des quartiers d’ El Perchel (calle La Puente) et de La Cruz Verde (calle Los Negros) depuis la fin du XIX siècle, tels Alfonso Pérez "El Porrilla", Antonio Fernández Cortés "El Montiño", Joaquín Vargas Soto "Cojo de Málaga"et sa fille Paca Vargas Gómez Sebastián "El Pena", Dolores Campos Heredia "La Pirula", Miguel de los Reyes, Enriqueta de la Santissima Trinidad de los Reyes Porras "Repompa de Málaga", Rafaela de los Reyes Porras "La Repompilla", Ángel Lavat Campos "Pepito Vargas", Gabriel Campos Torres "El Tiriri", Teresa Sánchez Campos "La Cañeta"... - on notera que les patronymes soulignent le rôle déterminant des dynasties artistiques Vargas, Reyes Porras et Campos, unies par de nombreux liens familiaux dans l’ élaboration et la transmission de ce répertoire.

Après une biographie du bailaor José Losada "Carrete" en collaboration avec Francis Marmol ("Carrete. Al compás de la vida" -), puis un ouvrage sur La Repompa, en collaboration avec Ramón Soler Díaz et Paco Fernández ("La Repompa de Málaga. 75 aniversario, 1937 - 2012" - edición de Paco Roji et Ramón Soler Díaz, Málaga, 2012. Le livre est accompagné d’ un CD reproduisant la discographie intégrale de La Repompa, rééditée avec celle d’ Antonio "El Chaqueta" en 1998 par El Flamenco Vive), Paco Roji poursuit la saga avec ce troisième volume : "La Cañeta de Málaga. José Salazar. La Pirula".

La Pirula

Comme la monographie consacrée à La Repompa, l’ ouvrage est divisé en deux grandes parties : après une série de chapitres strictement biographiques (Paco Roji), Ramón Soler Díaz se livre à une analyse exhaustive de la discographie de La Cañeta et de José Salazar (La Pirula n’ a malheureusement jamais enregistré).

En archiviste patient et méticuleux, Paco Roji a exhumé un trésor d’ affiches, de coupures de presse, de photographies... qui nous valent des biographies aussi complètes que possible, et une iconographie aussi abondante que rare. Avec l’ aide des témoignages directs de La Cañeta, de José Salazar et de membres de la famille et d’ amis, artistes ou non, il a reconstitué très précisément la carrière des trois protagonistes : au fil des chapitres, le lecteur apprendra beaucoup sur les vicissitudes du métier, l’ apprentissage et la transmission des cantes, les conditions d’ enregistrement et de travail dans les tablaos (essentiellement madrilènes, avec leurs succursales d’ été sur la Costa del Sol et la Costa Brava)... dans les années 1960-1970.

On ne présente plus Ramón Soler Díaz, coauteur avec Luis Soler Guevara d’ un des grands classiques de la "flamencologie", "Los cantes de Antonio Mairena" (Ediciones Tartessos, Séville, 2004). Sa connaissance encyclopédique de la discographie flamenca et des dynasties "cantaoras" lui permet de reconstituer rigoureusement la généalogie, la transmission et l’ évolution des cantes du corpus traditionnel. Après des études indispensables sur le répertoire d’ Antonio "El Chaqueta" et de La Repompa, il réalise ici le même type d’ analyses musicologique et littéraire pour les disques de José Salazar et de La Cañeta : confrontation des différentes versions qu’ ils ont enregistrées avec celles d’ autres artistes, textes des "letras" et recherche de leurs sources écrites... On appréciera aussi la reproduction de la plupart des jaquettes originales, tâche d’ autant plus ardue que la plupart des enregistrements, destinés surtout à la promotion des tablaos et de leurs artistes, ont été peu et mal diffusés. On lira ainsi avec intérêt les hypothèses sur une chaîne de transmission de El Cojo de Málaga à la Repompa, via La Pirula : Ramón Soler Ruíz note par exemple que le "remate por Bulería" "¿Que quiere el pollo ?...", enrgistré en 1923 par El Cojo, puis disparu totalement de la discographie flamenca, resurgit miraculeusement dans une Bulería de La Repompa gravée en 1959 (cf : "Galerie sonore"). De même, on trouve dans la discographie de Miguel de los Reyes et de La Repompa le même "cante por Bulería" issu d’ une célèbre Bulería por Soleá de María La Moreno ("Dinero, dinero, dinero..."), avec des inflexions ascendantes au début de chaque tercio identiques aux versions d’ El Cojo et d’ Antonio "El Chaqueta" (cf : "Galerie sonore"). L’ auteur revient également sur l’ influence des groupes de Zambras du Sacromonte sur les Tangos de Málaga, et la connexion Málaga - Campo de Gibraltar pour les Bulerías (via El Cojo et Antonio "El Chaqueta"), que nous avons déjà eu l’ occasion d’ évoquer dans plusieurs articles. On notera enfin de nombreuses similitudes entre les répertoires "festeros" de La Pirula, La Repompa et La Cañeta d’ une part, et ceux de cantaores "étrangers" d’ autre part ; et non des moindres : Antonio Mairena, Porrina de Badajoz, La Paquera, Fosforito, Camarón, El Lebrijano... Dans le réseau inextricable des influences croisées, il serait illusoire de prétendre déterminer une quelconque antériorité indiscutable , mais il est évident que la veine "festera" de Málaga
s’ est diffusée bien-au delà des cercles locaux.

José Salazar avec Ramón Soler Díaz et Luis Soler Guevara

Si ce livre est indispensable pour son contenu, il l’ est aussi pour les deux CDs qui lui sont joints, dévolus à José Salazar et à La Cañeta.

Né à Los Santos de Maimona, village proche de Zafra (au sud de Badajoz) le 15 juin 1936, José Salazar a été élevé à Séville, puis à Huelva, avant de s’ installer définitivement à Málaga, où il a épousé La Cañeta. Il reçut ses premières influences de El Bizco Amate (Fandangos), et de spécialistes des Fandangos de Huelva, tels El Muela, Paco Toronjo et Pepe Azuaga. Il se considère lui-même comme un disciple de Niño de Barbate, Antonio Rengel par la transmission de sa soeur Cintia Rengel, et Paco Isidro pour les Fandangos de Huelva, les "Cantes abandolaos" et les "Cantes de Mina" ; et d’ Antonio Mairena pour Les Siguiriyas, Martinetes, Soleares et Cantiñas. Sa carrière professionnelle fut définitivement lancée par les deux prix qu’ il obtint au premier Concurso Nacional de Cante Jondo de Cordoue (1956) : deuxième prix pour le groupe Soleares, Polos, Cañas y Peteneras ; accessit pour le groupe Malagueñas, Verdiales, Rondeñas et Fandangos de Huelva. Nous ne le connaissions que par quelques cantes enregistrés dans diverses anthologies, dont le Taranto, les Fandangos de Huelva, les Fandangos de Lucena, et les Verdiales de l’ "Antología del Cante Flamenco y Cante Gitano" dirigée par Antonio Mairena (enregistrée en 1958 et 1959, d’ abord éditée en Espagne en huit EPs Columbia en 1959 et 1960, puis aux USA et en Grande-Bretagne en un coffret de trois LPs Columbia, puis Decca, en 1964, puis 1968).

Le CD de la présente édition regroupe quinze cantes, tirés de disques édités entre 1959 et 1984, et d’ enregistrements publics réalisés en 1977 et 1981 : quatre Fandangos, trois Siguiriyas, deux Soleares, une Alboreá, une Caña, une Mariana, un Fandangos de Huelva, une Minera et Levantica et une Bulería. Nous y avons découvert un véritable maître, dont le chant sobre et intense nous semble plus proche de celui d’ Antonio "El Chaqueta" (et de même niveau) que de celui d’ Antonio Mairena, avec qui plus est de nombreux traits personnels, notamment dans les Siguiriyas, les Soleares et les Fandangos. Si les Bulerías ne sont pas son genre de prédilection, on ne manquera cependant pas non plus la très longue et très virtuose série qu’ il enregistra en 1969 avec Pepe Habichuela et Atanasio Duque : cantes de La Pirula, suivis d’ un Villancico "por Bulería" dans le style de Manolo Caracol, et d’ éblouissants Fandangos de Lucena et Rondeñas "por Bulería" (plage 7 du CD).

La Cañeta de Málaga

La Cañeta est née au 43 de la rue La Puente, dans le quartier d’ El Perchel (Málaga), le 5 décembre 1936. Elle a peu connu sa mère La Pirula, rarement chez elle du fait de ses nombreux engagements, et décédée prématurément à 33 ans (en 1948). Elle a donc appris ses chants d’ autres sources, notamment de la soeur aînée de La Repompa, Paca Reyes. Elle est surtout renommée pour ses Bulerías et ses Tangos, il est vrai inimitables - sans doute parce que c’ était ce qu’ on attendait d’ elle dans les tablaos, et que les spectacles en compagnie de son mari étaient conçus selon une stricte séparation des rôles : à José Salazar les "chants sérieux", et à La Cañeta les "chants festifs". Mais le CD démontre éloquemment qu’ elle vaut beaucoup mieux que cette réputation purement "festera".

Sept cantes sont extraits de disques édités entre 1959 et 1984 : trois Rumbas, trois Bulerías et un Tango, auxquels s’ ajoutent des Cantiñas enregistrées en public en 1981. Mais on découvre une tout autre Cañeta dans les huit cantes enregistrés en 2011, spécialement pour ce livre, dans d’ excellentes conditions,
avec le superbe et très respectueux accompagnement des guitaristes Chaparro et Juani Santiago : des Tangos et des Bulerías de La Pirula, phrasés avec une exceptionnelle dextérité, une Rumba, mais aussi des cantes del Piyayo " à l’ ancienne (tempo très enlevé), et des Soleares, Taranto et Taranta, Fandangos et Siguiriyas. Ces quatre dernières séries sont de toute beauté, et particulièrement émouvantes, comme si La Cañeta voulait ressusciter la voix que son mari José Salazar a malheureusement perdue, tout en restant elle-même (écoutez les phrasés des Soleares - "Galerie sonore"). Ce n’ est sans doute pas un hasard si La Cañeta reprend la Siguiriya de Francisco La Perla ("Yo no tengo una puerta a donde llamar..."), que chantait si remarquablement son mari.

Les festivals de flamenco hexagonaux s’ honoreraient grandement à programmer un récital en bonne et due forme de La Cañeta de Málaga...

Claude Worms

Galerie sonore

José Salazar : "Seguiriyas gitanas" / Paco la Luz / estilo de Los Puertos version Niño de Barbate / Enrique el Mellizo (guitare : Juan Peña "El Lebrijano") - extrait du EP "Los duendes del flamenco. Por los flamencos de "El Duende" - COF F - 209, 1962.

José Salazar : Siguiriyas - Manuel Torres / Francisco La Perla / Manuel Molina (guitare : Curro de Jerez)

La Cañeta de Málaga : Soleares (guitare : Chaparro) - extrait de l’ enregistrement réalisé en 2011 pour la publication du livre.

La Cañeta de Málaga : Tangos (guitare : Juani Santiago) - Peña Juan Breva, Málaga, 8 juin 2008.

El Cojo de Málaga : "Juerga gitana" (guitare : Miguel Borrull padre), 1923.

Miguel de los Reyes : Bulerías - extrait du EP "Miguel de los Reyes y su conjunto", 1961.

La Repompa : Bulerías (guitare : Paco Aguilera), 1959 - extrait du CD RCA / El Flamenco Vive 74321 59927, 1998


"Seguiriyas gitanas" / José Salazar
Soleares / La Cañeta
Siguiriyas / José Salazar
Tangos / La Cañeta
"Juerga gitana" / El Cojo de Málaga
Bulerías / Miguel de los Reyes
Bulerías / La Repompa




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