XXII Festival de Jerez - du 23 février au 10 mars 2018 (1ère partie)

mercredi 14 mars 2018 par Claude Worms

Antonio Molina "El Choro" : "Gelem" / Sara Calero : "Petisa Loca" / Daniel Doña Compañía de Danza Española : "Sin pausa" / David Carpio : "Con la voz en la tierra"

Théâtre Villamarta – 8 mars

Antonio Molina "El Choro" : "Gelem"

Danse : Antonio Molina "El Choro"

Chant : Jesús Corbacho, Pepe de Pura, Jonathan Reyes

Guitare : Juan Campallo, Manuel de la Luz

Percussions : Paco Vega

Artiste invité (chant) : Pedro el Granaíno

Direction et chorégraphie : Antonio Molina "El Choro"

Direction artistique : Manuel Liñan

Musique originale : Juan Campallo, Manuel de La Luz

Répertoire des cantes : Jesús Corbacho

Collaboration pour la chorégraphie de la farruca : Valeriano Paños

Lumières : Olga García

Son : Félix Vázquez

Production : Fundación Cristina Heeren

Nous avons pris un plaisir sans réserve à ce spectacle : le baile de toujours, sans prétextes symboliques ou narratifs superflus, mais servi avec classe et originalité par huit artistes de grand talent.

Antonio Molina "El Choro" nous expliqua lors de la présentation de "Gelem" qu’il avait conçu son programme pour s’affranchir des préjugés pesant encore sur la danse "gitane" : certains palos leur seraient interdits par superstition (la petenera qui porte malheur) ou parce que jugés trop "payos" (la farruca et la guajira, entre autres). Pour notre part, nous persistons à ne pas voir clairement ce que l’adjectif "gitan" - qu’il s’applique au chant, à la guitare ou à la danse - pourrait clairement signifier en termes musicaux ou chorégraphiques (en l’attente d’hypothétiques définitions un tant soit peu précises de ce concept esthétique). Les spécificités stylistiques en partie responsables de la saveur du flamenco classique nous semblent plutôt liées à des traditions locales (de quartier essentiellement) et / ou familiales. Ajoutons à ce préambule que la farruca est depuis longtemps une marque déposée par Los Pelaos, un clan gitan s’il en fut : l’un de ses patriarches, Faíco, est crédité d’en avoir codifié la première chorégraphie à Madrid avec le guitariste Ramón Montoya (c’est aussi le cas de son proche cousin le garrotín, réputé lui aussi absolument payo…). Mais peu importe la validité théorique de l’objectif, pourvu qu’elle stimule la créativité de l’artiste, ce qui en l’occurrence est évidemment le cas.

En prélude et postlude du spectacle, Pedro el Granaíno nous offrit deux belles versions a cappella de l’hymne international des tsiganes, le fameux "Gelem", dont des extraits ponctuèrent également le programme en autant de "flash-backs" (nous reprenons ici les termes de la fiche technique).
El Choro entra ensuite dans le vif du sujet avec une farruca en duos avec chacun des deux guitaristes (Juan Campallo et Manuel de La Luz) alternativement, puis en trio – pas de chant, selon la tradition remontant au duo Faíco - Montoya. Il y démontra d’emblée les qualités d’un baile inspiré de l’école des Farrucos, exempt cependant des excès tapageurs et des roublardises tape-à-l’œil dans lesquels tombent trop souvent les héritiers du fondateur de la lignée, mais avec un art de la nuance et une élégance légère qui ne doivent rien au modèle… mais sans doute un peu aux conseils avisés de Valeriano Paños et de Manuel Liñán – c’est aussi une qualité que de savoir bien s’entourer et d’avoir l’humilité d’écouter les conseils des maîtres qu’on sollicite.

El Choro pratique donc avec bonheur l’alternance rapide entre le "pellizco" ("frisson", faute de trouver une traduction plus pertinente) des remates et la sobriété sereine des "marcajes" ("marquages" du chant par les mouvements des bras et des poignets, le rythme des voltes et de la déambulation sur scène etc.). Sans jamais insister, car il préfère l’épigramme à la narration : Paco de Lucía définissait volontiers une bonne falseta comme "un chiste" ("un trait d’esprit") ; El Choro caractériserait sans doute un pas ou posture réussis dans les mêmes termes. Ajoutons ce qui ne s’apprend pas, la densité du geste et la présence sur scène, évidentes dès les premiers "desplantes" : nous aurons ainsi la définition d’un style qui nous a enchanté toute la soirée, et sur lequel nous ne reviendrons donc pas.

Mais El Choro sait aussi se faire oublier pour laisser une large place à ses partenaires. Sans doute aime-t-il le cante et le toque autant que la danse, ce qui nous valut d’assister également à un excellent concert de chant, de guitare et de percussions (Paco Vega). Les guitaristes disposèrent chacun d’une longue introduction ayant valeur de quasi pièce soliste : por petenera pour Juan Campallo ; por guajira pour Manuel de La Luz. Surtout, les voix très différentes et complémentaires de Pepe de Pura, Jonathan Reyes et Jesús Corbacho offraient une riche palette de timbres et de tessitures remarquablement mise en valeur par le choix judicieux du répertoire et quelques arrangements à deux et trois voix pour certains estribillos… signés Jesús Corbacho. Il suffit d’ailleurs à ce dernier des quelques secondes d’un cante por guajira a cappella pour nous donner un aperçu impressionnant - et surtout d’une belle musicalité - de sa maîtrise du legato, des sauts de registre, du parlé-chanté… etc. Nous ne comprenons toujours pas par quelle aberration du goût un tel musicien ne fait pas encore la carrière soliste qu’il mérite.
Pour faire court, nous nous contenterons donc de dresser la liste des séries de cantes successives, toutes également délectables quels qu’en furent les interprètes : granaína et fandangos de Huelva / peteneras / guajiras / soleares (Joaquín el de La Paula, Juaniquí, La Andonda) / bulerías al golpe (le "Libre como el aire…" d’El Lebrijano, extrait de son oratorio flamenco "Persecución").

Il nous reste à remercier la Fondation Cristina Heeren d’avoir produit ce superbe projet.

Claude Worms

Photos : Javier Fergo / Festival de Jerez


Sala Compañia – 8 mars 2018

Sara Calero : "Petisa loca"

Direction artistique : Sara Calero

Direction musicale : Gema Caballero

Danse : Sara Calero

Chant : Gema Caballero

Guitare : José Almarcha

Musique électronique : The Lab (José Corredera et Miguel Lázaro)

Scénographie : Fernando Calero

Lumières : Gloria Montesinos

Son : Kike Cabañas

Costumes : Macongas

"En toda mi carrera tan solo he bailado una coreografía hecha por una mujer, "Danza y Tronío" de Mariemma y data de 1984.

Los papeles femeninos teatrales que he representado en compañías siempre han compartido aspectos como la delicadeza, la fragilidad o la vulnerabilidad. Necesitados siempre del contrapunto masculino protector que da sentido a la naturaleza femenina.

Se me ocurre una excepción, aunque nunca la he representado : Carmen, cuya fuerza emana de su capacidad de seducción y su incomparable sensualidad, irresistible para el género masculino.Hoy confieso dos deseos :

el primero :

Que más mujeres se animen a crear y dirigir profesionalmente. Que en su etapa de formación se presenten a certámenes, ya sea coreografiando para ellas o para ellos, y con ello contribuyan a que los papeles pensados para la mujer tengan un espectro más amplio de matices.

el segundo :

El cuerpo es el medio con el que todo ser humano se relaciona con el mundo. Para una bailarina o bailaora es además su única herramienta expresiva. Que el cuerpo desnudo de una mujer sobre el escenario nunca resulte : escandaloso, provocador, efectista, sexual...

La danza española y el flamenco, son las únicas disciplinas artísticas que aún reaccionan con estupor ante una imagen tan hermosa." (Sara Calero)

Lue en voix off par Sara Calero avant le spectacle, cette déclaration soulignait l’opportunité, délibérée ou fortuite, de la programmation de "Petisa loca" ce 8 mars, "Día Internacional de la Mujer" marqué par des grèves et des manifestations massives dans toute l’Espagne - certains de nos lectrices et lecteurs auront sans doute eu le bonheur de le voir en mars 2017 dans le cadre du Festival Flamenco de Toulouse.

Au cours de sa conférence de presse, la chorégraphe nous apprit que "petisa", en espagnol argentin, signifie "petite femme", et que c’était ainsi que son grand-père l’appelait – la famille avait fui l’Espagne franquiste et s’était établie en Argentine. Effectivement, d’un point de vue littéraire et musical, le spectacle commence en Espagne et se termine en Argentine : de la mise en musique d’un poème de Pablo Neruda ("Explico algunas cosas" - lire le texte dans la critique publiée par Maguy Naïmi sur notre page Facebook) écrit à Madrid où le diplomate était en poste au moment du soulèvement militaire, au "Loca, me llaman la loca" popularisé par Sara Montiel ; du climat sombre et pesant composé par The Lab pour le poème au rythme de tango argentin de la chanson.

C’est dire également que les fils conducteurs de "Petisa loca" tressent un écheveau inextricable entre l’ Histoire, l’histoire familiale, et l’histoire personnelle – sur le fond d’un thème commun, la libération. Le judicieux choix des letras chantées par Gema Caballero assure l’intelligibilité du projet. Rendre intelligible et sensible un tel argument par les seuls moyens chorégraphiques et musicaux d’un trio traditionnel danse / chant / guitare tenait de la gageure, même si l’on y ajoute quelques détours électro. D’autant que le décors était lui aussi minimaliste : un lampadaire "vintage", un coffre aux souvenirs d’où la danseuse tirera divers costumes (Macongas) et accessoires, et quelques chaises - les lumières (Gloria Montesinos) et la scénographie (Fernando Calero) en tirent le meilleur parti pour mettre en situation les dialogues et trios entre Sara Calero, Gema Caballero et José Almarcha.

La bailaora fait feu de tout bois pour incarner les heurts et malheurs de son destin personnel et les aléas de ses relations familiales - de la désolation à la rage, de l’humour caustique à la simple joie de vivre, de la provocation iconoclaste à la séduction etc. : tous les styles du baile flamenco proprement dit, naturellement (de l’école sévillane pour les alegrías au "balanceo" du Sacromonte pour les tangos), mais aussi l’escuela bolera, le ballet classique espagnol, la danse contemporaine, la danse "africaine" etc. Ses changements d’humeur instantanés donnent lieu à des montages serrés de techniques et de codes empruntés à tous ces langages gestuels, pensés et exécutés avec une telle précision et une telle maîtrise de l’espace scénique qu’ils semblent couler de source avec le plus grand naturel sans jamais tourner à la démonstration.

C’est le cas notamment pour les transcriptions, en partitions gestuelles d’une variété et d’une intelligence musicale admirables, de trois solos de guitare – un exercice toujours délicat pour les bailaor(a)es, surtout si l’on souhaite s’affranchir des structures convenues de type "escobillas" et ne pas tomber dans la virtuosité exhibitionniste. Dès la partie ad lib. de la rondeña originale de José Almarcha, la délicatesse et le parfait timing des voltes sur le trémolo, comme la prolongation de la résonance des accords en points d’orgue de la guitare par de légères frappes de pied diminuendo et rallentando, annonçaient des moments de grâce mémorables… mais aussi d’humour (les échanges complices entre coups d’éventail et traits de guitare dans l’introduction ad lib. des alegrías, par exemple) dont la chorégraphie du zapateado "Percusión flamenca" de Paco de Lucía dressa enfin un complet inventaire.

On admira la même créativité pour les chorégraphie sur les cantes, Sara Calero s’inspirant à la fois de l’ethos de chaque forme, des profils mélodiques des compositions traditionnelles, de la signification des letras et des interprétations de Gema Caballero, toutes remarquables. La cantaora est non seulement une technicienne, mais surtout une musicienne accomplies, capable de passer sans transition de la plus exquise délicatesse ornementale à des déferlements de puissance rythmique, et de tournures personnelles à un strict respect des canons traditionnels – nous regrettons cependant que sa voix ait parfois été diluée dans des nappes sonores électro envahissantes (peut-être un simple problème de balance). Nous en retiendrons essentiellement trois pièces :

_ d’abord un montage particulièrement inventif que nous nommerons "Suite granaína" : granaína / tangos de Graná / soleares dans le style d’Agustín el Gitano / fandango del Albaicín.

_ ensuite deux succulents tableaux évoquant les antécédents caribéens, et au-delà africains, de certains palos : un va-et-vient guajiras / tanguillos avec maracas et postures carnavalesques pour la danse (chaque changement de palo étant annoncé par un vigoureux appel de trompette) ; une suite garrotín / cantes del Piyayo / tangos de Triana, transformation progressive de postures "africaines" en postures "flamencas" à l’appui.

On retrouva enfin ce subtil mélange des genres pour la chanson finale ("Loca"). L’interprétation de Gema Caballero s’inspirait nettement du pathos caractéristique du tango argentin, mais l’accompagnement de José Almarcha donnait quelques signes avant-coureurs de farruca. Et, en effet, Sara Calero (en jupe fendue façon cabaret) commença par danser un tango dans les règles avant de se lancer dans une escobilla notes contre notes entre les taconeos et les picados vertigineux de rigueur pour la farruca. Un peu de récréation virtuose ne saurait nuire – il en faut aussi dans un spectacle, à condition de ne pas en abuser.

Claude Worms

Photos : Javier Fergo / Festival de Jerez


Théâtre Villamarta – 7 mars

Daniel Doña Compañía de Danza Española : "No pausa"

Direction et chorégraphie : Daniel Doña

Danse : Cristina Gómez, Soujung Youn, Cristian Martín, Daniel Doña

Chant : David Vázquez

Guitare : Francisco Vinuesa

Chorégraphe invité : Marco Flores

Lumières : Olga García

Son : Kike Cabañas

Musique : Héctor González et Francisco Vinuesa

Daniel Doña est le directeur et le chorégraphe d’une compagnie de danza española, et non de baile flamenco. Le titre de son nouveau spectacle, "Sin pausa" - une métaphore du concept de "mouvement perpétuel" appliquée à la danse – pourrait sans doute d’abord s’appliquer aux "idas y vueltas" incessantes entre l’escuela bolera, le ballet español et le baile flamenco, tous genres chorégraphiques issus de stylisations successives des folklores ibériques, notamment andalous – et singulièrement des multiples variétés de fandangos abondamment sollicitées dans la musique de scène.

"Sans arrêt" également, les mutations lumineuses en contrastes noir et blanc (Olga García) qui, à l’image des costumes (Emilio Król et Natkimba) isolent ou regroupent les protagonistes en savantes géométries spatiales et assurent la fluidité des transitions entre solos, pas de deux et ensembles. Le parti pris systématique de chorégraphies frontales, sans la moindre diagonale, parachève une scénographie à la fois virtuose et minimaliste qui sert merveilleusement la danse en concentrant l’attention du spectateur sur l’essentiel, la "danza", et donc la musique et le rythme.

Chaque tableau commence ainsi, de manière d’ailleurs un peu trop systématique à notre goût, par des nappes étales de sons électroniques (très mode ces temps-ci) d’où émergent avec plus ou moins d’insistance des ébauches de boucles rythmiques, qui initient le "mouvement perpétuel", prolongé ou relancé parfois par des musiques diffusées off, parfois sur scène par le couple chant (David Vázquez) / guitare (Francisco Vinuesa) - pour une fois, le passage toujours périlleux du "off" au "live" ne nuit jamais à la continuité du spectacle.

Lever de rideau en forme de clichés photographiques en noir et blanc, une douche enserrant étroitement dans l’obscurité de la scène d’abord les deux musiciens, puis les couples de danseurs immobiles (le dispositif sera repris pour le final du spectacle) : cette présentation saisissante des artistes précède celle de leur premier décor, les "bailes de candil" populaires du début du XIX siècle, stylisés en quelques jeux de clair-obscur sans autres accessoires que trois tabourets. La musique de scène remonte plus loin encore vers quelques sources du futur flamenco, avec une suite de fandangos du XVIII et de folias plus anciennes, interprétées selon les canons baroques : variations en diminutions de plus en plus virtuoses, d‘abord en duo guitare / percussions, puis par un ensemble orchestral avec violon soliste. Les spirales de notes déferlantes de plus en plus impétueuses sont un support idéal pour la démonstration d’une palette technique et stylistique renversante - en chaussons ou bottes "camperas" naturellement , puisque flamenco il n’y a pas encore : voltes, sauts, braceos, zapateados, "bien parados", avec ou sans castagnettes et crotales ; en solos, en pas de deux, en chorégraphies "concertantes" (soliste contre groupe), "homophoniques" (synchronisation parfaite) ou "canoniques" (mêmes gestes rythmiquement décalés) etc.

Sans le moindre temps mort (sauf peut-être pour l’avant-dernier numéro, une démonstration statique de castagnettes et crotales, que nous avons préférés associés à la danse), chaque tableau mêlait ces divers éléments en dosages variables selon le contenu stylistique des genres musicaux, du plus folklorique (jabegote et rondeña par Soujung Youn) au plus contemporain (peteneras par Daniel Doña). Il serait donc vain d’entrer dans le détail chorégraphique des différentes scènes, dont nous nous limiterons à vous donner le programme : après une longue et belle introduction solo por taranta (Francisco Vinuesa), minera et levantica d’El Cojo de Málaga, suivies du zorongo / jabegote et rondeña / peteneras (orchestration et traitement rythmique très "stravinskyens", avec électronique et piano, puis guitare) / une magnifique anthologie de cantes camperos, tant par l’interprétation vocale (David Vázquez) que par la chorégraphie (David Doña et Cristian Martín) - trilla, siega, calesera etc.

Les verdiales finales (les trois artistes déjà cités et Cristina Gómez - avec les rubans de rigueur ornant les castagnettes) auront été un parfait exemple de stylisation contemporaine d’une tradition populaire, notamment par l’utilisation subtile de l’arrêt idiomatique marqué par les percussions à chaque fin de tercio : sa traduction en langage chorégraphique et lumineux, obscurité instantanée suivie d’un fulgurant arrêt sur image surexposé, rappelait également l’ouverture du spectacle et en anticipait donc la fin. "Sin pausa" nous aura brillamment prouvé que la "danza española", comme le "baile flamenco", peut se prêter à la création contemporaine – et non se limiter aux reconstitutions historiques qu’on nous inflige trop souvent.

Claude Worms

Photos : Javier Fergo / Festival de Jerez


Sala Paúl – 7 mars

David Carpio : "Con la voz en la tierra"

Chant : David Carpio

Guitare : Santiago Lara, Manuel Valenci, Diego del Morao

Contrebasse : Pablo Martín

Percussions : Carlos Merino

Palmas : Chicharito, Diego Montoya, Carlos Grilo

Chœurs : Marci et Javi Peña

A la suite de diverses péripéties dont nous vous épargnerons le récit, nous avons manqué notre premier rendez-vous avec le 22ème Festival Flamenco de Jerez et sommes arrivés à mi-concert à la Sala Paúl (nous présentons nos excuses aux artistes), où David Carpio présentait son premier opus enregistré en studio, intitulé "Con la voz en la tierra" (produit par Santiago Lara). Mais ce que nous avons entendu suffit amplement à nous faire amèrement regretter notre retard.

Nous n’avons donc pu assister qu’à la partie la plus traditionnelle du récital, à commencer par les bulerías "Los colores de la esencia" au cours desquelles le cantaor laissa à Diego del Morao tout le temps nécessaire pour rendre hommage à Moraíto, dont il interpréta avec son swing inimitable les falsetas les plus emblématiques. Les siguiriyas furent accompagnées par Manuel Valencia (l’un des maîtres de ce palo dans sa modalité jérézane). David Carpio interpréta une série de cantes "mairenistas" (El Nitri / El Marrurro / cierre d’Antonio Mairena) et démontra une fois de plus sa grande intelligence musicale, au service des compositions et de leur charge émotionnelle. Sa puissance vocale, qu’il n’utilise que pour souligner les climax de quelques fins de tercios, ne nuit jamais ni à la lisibilité des lignes mélodiques, ni à l’intonation (beau soutien vocal dans les graves notamment), ni la délicatesse de l’ornementation.

Nous avons également beaucoup apprécié la construction originale des fandangos, dans une interprétation de qualité comparable à celle des siguiriyas - un montage de compositions rarement associées en une même série : Antonio de la Calza ad lib. / Antonio Rengel ("Olas de la mar en calma…") ad lib. puis a compás de soleá sur le dernier tercio / Pérez de Guzmán dans la version enregistrée par Isabelita de Jerez avec Manolo de Badajoz ("Ella es buena y volverá…") por soleá / Manuel Torres (("Antes de llegar a tu puerta mi caballo se paró…") por soleá.

Les bulerías originales en majeur, dans l’esprit d’El Gloria, démontrèrent que l’on peut continuer à innover dans le genre sans tomber dans la chansonnette. L’accompagnement à trois guitares, percussions, palmas et chœur aurait sans doute pu dégénérer en charivari sans la subtilité et la précision de tous les musiciens présents sur scène. L’intervention inattendue de Manuel Liñan, qui passa sans effort apparent du rôle de simple spectateur à celui de bailaor, déchaîna l’enthousiasme du public. Mais David Carpio termina son récital par deux austères et majestueux martinetes. Le fait que les spectateurs passèrent instantanément d’une humeur festive au recueillement en dit long sur sa présence scénique.

Nous avons donc malheureusement manqué la partie la plus innovante du concert, dont nous vous rendrons compte dès que nous aurons reçu le disque : deux duos avec le contrebassiste Pablo Martín, que nous anticipons remarquables d’après ce que nous avons entendu au Festival Flamenco de Nîmes en janvier dernier (soleares de Triana et cantes del Piyayo) ; des tarantas avec Santiago Lara, des romances en duo avec Carlos Merino (percussions) et une milonga avec remate por bambera avec Diego Villegas (harmonica) – toutes pièces dont Miguel Iven et Estela Zatania nous ont dit le plus grand bien (lire la critique de cette dernière pour DeFlamenco).

Claude Worms

Photos : Javier Fergo / Festival de Jerez






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