Entretien avec Rocío Márquez

Paris, 12 décembre 2009

samedi 19 décembre 2009 par Maguy Naïmi

Deux concerts à Flamenco en France (Paris), les 11 et 12 décembre 2009

Cante : Rocío Márquez

Guitare : Guillermo Guillen

Programme :

1ère partie :

Pregón

Malagueña de Chacón / Malagueña de Juan Breva / Fandango de Frasquito Yerbabuena

Soleares de Triana

Caracoles

Cuplés por Bulería

2ème partie :

Minera / Fandango minero

Siguiriya de Manuel Molina / Siguiriya de Joaquín La Cherna / Cambio de Manuel Molina (version Manuel Vallejo)

Farruca / Vidalita

Tangos (de La Revuelo, extremeños, del Sacromonte, de La Repompa)

Fandango de Huelva / Fandangos del Carbonerillo

Fin de Fiesta (Bulerías)

Rappels :

Taranta

Fandangos de Huelva ( Antonio Rengel)

Rocío Márquez et Guillermo Guillen

Photo : Christian Bamale pour Flamenco en France

Un beau programme, tant par sa diversité que par sa qualité musicale. Encore fallait-il être capable d’ en assumer la grande difficulté, comme le firent avec talent Rocío Márquez et Guillermo Guillen. Nous avons donc assisté à Flamenco en France à une soirée mémorable.

Il est vrai que l’ intimité du local, comme les conditions du concert (totalement acoustique), favorisaient la complicité entre les artistes et les spectateurs. Le public fut parfait, silencieux, concentré, et connaisseur.

Rocío Márquez commença son récital par des Pregones, a capella, en traversant la salle avant de s’ installer sur scène. Le ton était donné, et les deux musiciens nous offrirent un concert de haut niveau, avec un engagement qui ne faiblit à aucun moment.

La cantaora semble affectionner le répertoire traditionnel (nous ne nous en plaindrons pas), et ses interprétations montrent à quel point elle a assimilé les styles des grands maîtres du passé, notamment ceux de Tomás et Pastora Pavón, Manuel Vallejo, Pepe Marchena, et aussi, plus proche de nous, de Gabriel Moreno. Sa technique vocale et sa musicalité sont à la hauteur de ses modèles. Si les interprétations de Rocío Márquez citent fréquemment ces références historiques, elles expriment aussi une personnalité artistique singulière, et bien de son époque - celle de Mayte Martín ou d’ Arcángel : dynamique vocale et legato impressionnants ; phrasés d’ une grande intelligence musicale ; et subtil dosage de l’ ornementation, savamment placée sur les tercios stratégiques de chaque cante (et non hors de propos, comme ces vaines démonstrations de virtuosité qu’ on nous impose trop souvent). Ce chant très contrôlé n’ exclut par pour autant l’ émotion, soulignée instinctivement par une gestuelle évocatrice (Diego Clavel nous le rappelait dans une récente interview : "on chante avec les cordes vocales, la tête... et les mains").

Guillermo Guillen fut constamment au diapason, et nous démontra avec talent que l’ art de l’ accompagnement ne doit pas être confondu avec celui du solo. Ses sobres falsetas, souvent conçues dans un idiome musical traditionnel, possèdent la densité et la concision nécessaires au développement dynamique des séries de cantes. Sa sonorité est d’ une grande finesse (Soleá, Malagueña, Minera...), mais peut se montrer percutante si le chant l’ exige (Siguiriya, Tangos...). Surtout, il connaît (et respecte) parfaitement la cantaora, anticipe avec intuition ses moindres intentions, et lui laisse toujours l’ exact espace musical indispensable à la conduite mélodique. Le guitariste nous rappela avec finesse que le silence est aussi un geste musical signifiant, dont nous avons pu apprécier la valeur dans les cantes "libres" et les Soleares.

Pour la traditionnelle "fin de fiesta por Bulería", les deux musiciens invitèrent des aficionados de la peña à les rejoindre sur scène (baile et palmas), et la soirée se termina ainsi dans une ambiance des plus chaleureuses. Ils offrirent enfin deux généreux rappels (Taranta et Fandangos de Huelva - style d’ Antonio Rengel) aux spectateurs insatiables (et impitoyables...).

Claude Worms

Photo : Sébastien Spitz pour Flamenco en France

Entretien avec Rocío Márquez

Rocío Márquez est née à Huelva, et elle a pris goût au cante dès son enfance.

« La première fois que j’ ai chanté dans une peña, j’ avais neuf ans, et depuis, petit à petit… J’ ai eu la chance de rencontrer sur mon chemin beaucoup d’ artistes, et j’ ai beaucoup appris avec eux. Pour moi, ça a été fondamental, et déterminant pour ma carrière.

Il n’ y a pas de cantores dans sa famille, mais « chez elle on aime beaucoup le cante ».

« A Huelva, presque tous les enfants savent chanter « por Fandangos ». Tu demandes à n’ importe - quel gamin de six ou sept ans de te chanter le Fandango de Calaña, ou de Valverde, et il le fait. Ces mélodies - là, ils les connaissent. C’ est une chose tout à fait naturelle qu’ un enfant sache chanter « por Fandango ». Chez moi, on a toujours aimé beaucoup le Fandango. Ma mère me dit que je lui rappelle mon grand-père (son père), nous passons toute la journée à fredonner…je suis comme un perroquet. Toute la journée à chantonner, mais chez moi, on préfère les Fandangos. Mes parents ne sont pas gens à mettre un disque de Soleares ou de Siguiriyas, mais pour les Fandangos ou les Sevillanas… ils sont très « rocieros ».

Nous lui demandons si les Fandangos lui semblent une bonne école.

« Je trouve très significatif que tant d’ artistes soient nés à Huelva, avec des qualités très similaires. Je pense que c’ est parce que, depuis l’ enfance, c’ est – à - dire pour la vélocité vocale… « Por Fandangos », tu dois entrer dans une mesure à 3/4, et y rester, et pourtant introduire beaucoup de mélismes sur une seule phrase. Disons que pour l’ école de Toronjo, il faut une voix puissante comme la sienne, ce qui n’ est pas le cas pour les enfants. Donc, nous les enfants, nous soignons plutôt les mélismes ; et les femmes plus encore, les voix légères en somme. Je crois qu’ avec le temps, ça favorise l’ agilité vocale ».

Rocío Márquez nous parle ensuite de la Fondation Cristina Heeren, à Séville, où elle a « d’ abord été élève, puis monitrice ». Elle évoque José de la Tomasa en termes affectueux (« j’ adore Tomasa »). C’ est l’ un des maîtres avec lesquels elle a eu l’ occasion de travailler. « J’ ai beaucoup appris avec lui, et aussi avec Paco Taranto. C’ est un puit de science…, et pas seulement pour les chants de Triana. C’ est la même chose pour la Guajira, la Malagueña, les chants du Levant… ».

A propos de l’ enseignement à la Fondation Cristina Heeren :

« Je pense que c’ est une bonne méthode, parce que, avec des horaires de 9 heures à 14 heures toute l’ année, tu peux suivre différents cours. La logopédie est très intéressante, parce qu’ il peut t’ arriver d’ avoir trois ou quatre concerts successifs en été : si tu ne contrôles pas bien la puissance, le quatrième jour, tu ne chantes pas. Ils t’ enseignent la respiration, la relâchement, parce qu’ il t’ arrive de trop te contracter. Tu ne peux pas prétendre être toujours relâchée, c’ est impossible dans le flamenco. Mais dans une certaine mesure, ce n’ est pas la même chose si depuis le début tu fais attention à bien poser ta voix, si tu essayes d’ intérioriser le chant. Tu n’ es plus tout le temps en train de tirer sur tes cordes vocales. Ce sont des petits trucs qui peuvent paraître évidents…, mais c’ est mieux si on te donne un coup de main : « à cet endroit, ne force pas tant ». Chacun possède un registre de prédilection, mais il faut travailler tous les registres, pas seulement les aiguës, même si les gens y prêtent plus d’ attention parce qu’ ils font plus d’ effet. Je suis de celles qui défendent les graves, qui me plaisent beaucoup ; je pense que le poids d’ un grave bien posé… Ce qui nous unit tous, c’ est que nous sommes passés par la même école (Sonia Miranda, Jesús Corbacho…). C’ est une formation qui te fait prendre conscience que le flamenco est un art. L’ improvisation est importante, chaque jour est différent, et on ne chante jamais de la même manière. Mais en dépit de cela, tu dois donner un minimum ; tu peux avoir des jours avec et des jours sans, mais tu dois donner un minimum, et pour cela, tu dois te préparer. Pas seulement pour la technique, mais aussi pour la connaissance du répertoire. Il faut dominer divers styles de cante, et non se cantonner à tel ou tel. C’ est très compliqué, car chacun a une tendance naturelle très marquée. Mais il faut essayer de tout faire.

Nous insistons sur les méthodes d’ enseignement de la Fondation Cristina Heeren. Nous demandons à Rocío s’ il est nécessaire d’ avoir déjà un certaine culture flamenca pour s’ y inscrire (savoir différencier les « palos », et, dans les « palos », les différentes écoles de cante), ou si l’ enseignement porte aussi sur le répertoire.

« Cela dépend du niveau dans lequel tu es admise : débutant, intermédiaire, ou avancé. Ce qui me paraît intéressant, c’ est qu’ il y a un cours d’ Histoire du Flamenco qui permet aux élèves qui arrivent un peu égarés, de connaître tous les artistes importants et significatifs, de différencier les styles, pour qu’ ils sachent ce qu’ ils sont en train d’ écouter. Ce cours est donné par Pepa Sánchez, la fille de Naranjito. Pour l’ examen, il y a une partie théorique, de type questionnaire à choix multiples. Par exemple, on te demande quel était le palo typique à l’ époque des « Cafés Cantantes », et tu dois choisir entre trois affirmations. Il y a aussi une partie pratique, qui me semble positive, car plus tu en sais, plus ça t’ aidera : pas seulement savoir comment se présente concrètement un cante, mais aussi d’ où il vient, ce qu’ il exprime…

Je dis toujours qu’ actuellement, comme vont les choses, on ne peut plus dire que quiconque ait faim. Les choses évoluent, le monde se porte plutôt bien, au moins dans la partie dans laquelle nous vivons. Mais il faut reconnaître que pour nos anciens, se lancer dans le flamenco était souvent synonyme de misère. C’ était une minorité qui devait s’ exprimer, parler, se révolter. L’ Andalousie a longtemps été une terre de « petits messieurs » (« señoritos »), et ça se voit dans le flamenco. Les gens qui étaient opprimés devaient s’ exprimer et parler.

Donc, quand tu connais et comprends ces origines, même si tu n’ as pas faim, tu peux arriver à comprendre les sentiments de ton Peuple, les sentiments de personnes qui ont eu besoin de transmettre ce qu’ ils ressentaient de cette manière, et tu peux essayer de conserver les valeurs qu’ ils recèlent. La génération précédente a eu une vie très dure, et cela se ressent dans la manière de chanter. Actuellement, nous avons plus de technique, mais il est vrai que le cante n’ est plus aussi viscéral qu’ il l’ était à l’ époque ».

Fotos : Christian Bamale pour Flamenco en France

FW : D’ accord. Mais vous avez une autre manière de chanter, une autre manière de ressentir le cante…

Oui, et je pense que ce que nous faisons est bien. Le Flamenco c ‘est comme les autres arts, il évolue, et il reflète le monde dans lequel on vit. Moi, par exemple, j’écoute Mayte Martín et j’adore !! Cette douce plainte, cette harmonie qui te dit tant de choses, qui est si profonde, mais tout cela s’accorde avec l’époque dans laquelle nous vivons, et c’est bien de voir comment ça évolue…tout en respectant la tradition , bien sûr.
Je crois que l’Histoire est comme un balancier , si de ce côté nous avons Pastora, Vallejo, Marchena et Chacón, de ce côté - là, nous allons à Mairena et toute cette époque, et nous revenons dans le présent avec Mayte, Arcángel, Estrella , chanteurs à la voix fluide, mélodique, je crois que l’Histoire imprime toujours un va et vient , et qu’on repartira bien sûr vers autre chose.

Nous évoquons ensuite le chanteur Gabriel Moreno, car il nous a semblé que dans sa façon de chanter, Rocío s’ en inspirait.

Moi j’adore Gabriel, je crois que parmi les chanteurs de la génération qui nous a précédés, c’est lui que je préfère. Nous sommes allés il y a un an à Cordoue à la Peña Fosforito pour le voir. Quel récital !! incroyable, hors norme, quel timbre ! quelle connaissance !. Il a chanté « por Levante », cinq ou six styles différents, ensuite « por Siguiriyas » , pareil cinq ou six styles , « por Soleá, » quelles connaissances ! quel respect ! très « Pastora » , très « Pavón », quelle finesse ! J’ai,parlé avec des responsables de la Fédération ( des Peñas flamencas andalouses note de la rédaction) et je leur ai demandé : mais pourquoi ne faites-vous pas davantage appel à Gabriel ? Moi je pensais qu’il était mort, je ne le voyais annoncé dans aucun festival, et un jour, j’ai lu un article annonçant son récital à Cordoue, et nous y sommes allés. Je trouve cela très triste que des artistes comme ça ne soient pas plus engagés. Je trouve très bien que l’on fasse une place aux jeunes, mais je suis convaincue qu’on ne doit pas pour autant laisser ce genre d ’artistes sur la touche. Ce genre de flamenco a sa place, et il est indispensable que nous puissions l’écouter car sinon il va se perdre.

F W : Quelles sont tes références, les chanteurs ou chanteuses qui te plaisent le plus ?

Moi j’aime les anciens. J’adore Marchena.Je suis en train de travailler une Guajira de lui et je l’écoute des milliers de fois, elle est tout le temps dans ma tête jusqu’à ce que j’arrive à la capter, elle a une fraîcheur qui m’enchante.

F W : Les paroles que tu chantes t’ influencent – elles ? Préfères - tu une letra plutôt qu’une autre ?

Celles qui me plaisent le plus sont celles qui sans doute n’ont plus de sens aujourd’hui, mais qui te transportent vers une autre époque, et vers eux…Tomás, Marchena, Pastora…Leur façon de chanter et les paroles qu’ils chantent me font remonter le temps. Il y a quelqu’un que j’aime beaucoup aussi, c’est Juanito Valderrama - le Valderrama flamenco. J’aime les Serranas qu’il interprète, ses Siguiriyas, j’adore ce type de chant, les nuances qu’il y met…Je crois que c’était un virtuose, comme Marchena et les chanteurs du même style, j’adore son timbre et sa conception du chant

F W : Au Conservatoire, tu as étudié le solfège, l’ harmonie, le piano. Est ce que cela te sert pour le flamenco ?

Je crois que tout s’ajoute, tout ce qu’on peut apprendre, toute connaissance qu’on peut avoir est bonne. Nous allons tous à l’école, d’une certaine façon, mais il y en a qui ont la chance que leur mère leur chante la Siguiriya et d’autres non. Ce qui compte, c’est d’être le plus personnel possible, trouver son style, sans imiter personne, en admirant ce qu’il y a de mieux dans chacun, mais sans avoir à l’imiter ou le copier. Pour y parvenir, plus on sait de choses (en peinture, en architecture… ) et mieux ça vaut.

Photos : B. Nicolau-Bergeret pour Flamenco en France

F W : Comment procèdes - tu pour apprendre ? Ecoutes – tu de nombreux enregistrements ?

Au début, quand on apprend un chant, c ‘est un peu comme l’enregistrement qu’on a écouté, et peu à peu on l’adapte, on le tire vers soi, on allonge là où on peut se le permettre, on coupe là on sent qu’on a moins de souffle, on nuance là où on voit que ça s’avère pertinent. Et au bout de deux ou trois mois, on écoute les premiers enregistrements, quand on commençait à l’apprendre, et on s’aperçoit que cela n’a plus rien à voir avec ce qu’on fait.

Je reste persuadée néanmoins qu’il faut partir des anciens, et non pas de partir de la base de ce qui se fait maintenant, parce que sinon, on obtient quelque chose de faussé. J’aime les artistes actuels de premier plan, j’aime Miguel, Maite , mon « pays » Arcángel, Estrella. J’adore leur façon de chanter, mais si j’apprends à chanter d’après eux, je vais seulement ramener un peu cela à ma personnalité. Mais ça ne peut pas avoir le même poids que lorsqu’ on apprend le chant en écoutant Pastora, et qu’on le tire à soi. Une fois qu’on l’a appris et qu’on se l’est approprié, alors là , oui, on peut écouter les autres.Par exemple, pour La Malagueña « Del convento, las campanas », Mayte a fait un petit bijou d’interprétation. Je l’admire et j’adore cette version, mais je suis heureuse de ne pas avoir appris ce chant d’après Mayte. Maintenant que je l’ai appris, oui je peux l’écouter d’après Mayte ; et s’ il y a des traits qui me plaisent, je les pique, mais pas beaucoup, seulement deux ou trois, pas l’interprétation en entier.

F W : La copla t’ intéresse également. Tu as même gagné un concours. Pourquoi as-tu décidé de devenir chanteuse de flamenco plutôt que de variétés ?

Le flamenco me parle davantage. J’adore la copla, cela me semble très beau, mais moi, le flamenco m’émeut, me donne la chair de poule. Je ressens quelque chose de très fort, et pas seulement quand je l’écoute, mais quand je l’interprète, et je crois que c’est fondamental. Quand on est sur scène, qu’on soit dans un très bon ou très mauvais jour, il faut que le cante parvienne jusqu’à toi et que tu le ressentes très fort. En toute sincérité, avec la copla, il m’arrivait quelque chose de curieux ; je la ressentais comme quelque chose de superficielle ( je ne dis pas que la copla soit superficielle, c’était une impression personnelle ). Je n’ai pas réussi à être en phase avec ce genre musical. Je trouve cela très beau, et il s’adapte parfaitement à la personnalité de certaines personnes, mais pas à la mienne.

F W : Le public de la peña « Flamenco en France », à Paris, a été remarquable, attentif, respectueux, très disponible, sans l’attitude de censure que peuvent avoir certains publics de spécialistes.

L’attitude du public est très importante. Dans certains endroits remplis de spécialistes, il n’y a plus de communication. Il me semble indispensable que tout le monde, pas seulement ceux qui sont là haut sur scène, mais également ceux qui sont en bas, le public, ressente cette nécessité, cette envie de vouloir participer à ce processus de création. Et c’est valable dans tous les arts, mais en Flamenco encore plus, étant données ses caractéristiques. Sans cette communication, rien n’a de sens.

Puis notre conversation dévie vers les « Caracoles », et la difficulté de les interpréter bien cadrés. Et Rocío Márquez de nous confier :

J’ai eu du mal à intérioriser le compás, mais je pense qu’une fois le compás intériorisé, le cadrage vient tout naturellement. On ne peut pas chanter et compter. Pour pouvoir le sentir, il faut passer par ce processus d’intériorisation. On peut aussi se mettre les enregistrements de « Sólo compás », ça aide . Je crois qu’il y a des petits trucs qui peuvent t’aider à l’intérioriser, mais une fois que c’est fait, il faut passer à autre chose, donner du poids aux accents et le sentir tout simplement , comme je l’enseigne dans mes cours. Il faut sentir l’accent, sentir la phrase et l’intention de chaque mot. On ne doit pas être obsédé par l’idée de « je dois rentrer sur tel temps ».

F W : Quels cantes ont ta préférence, ceux « a compás » ou les cantes dits « libres » ?

Cela dépend beaucoup de mon état d’esprit. Il y a des jours où je suis très gaie,et ce qui me tente c’est de chanter « por fiesta » ; et d’autres où c’est l’inverse, et on a envie de chanter « libre » ou plus sobre. Cela dépend des sentiments, il ne faut pas la même disposition pour interpréter des Cantiñas ou des Tangos , que pour chanter « por Siguiriya » ou « por Levante ».

Photos :

Rocío Márquez : B. Nicolau-Bergeret pour Flamenco en France

Guillermo Guillen : Sébastien Spitz pour Flamenco en France

F W : Guillermo Guillen, lorsqu’il t’accompagne, laisse respirer le chant. Il te laisse de l’espace, soigne les silences, et les silences sont très importants en musique.

C’est qu’il y a deux façons de jouer, l’une pour accompagner et l’autre pour jouer en solo, et il faut savoir les différencier. Pour un récital de chant, la guitare accompagne ; et de la même façon , quand on t’engage pour un récital de guitare pour faire les chœurs, tu ne dois pas chanter un cante en entier , tu dois juste chanter une « letrita », si on te le demande. Je trouve merveilleuse cette évolution de la guitare , cette rapidité dans l’interprétation et tout le reste, mais accompagner…Moi en ce moment, je regrette qu’il n’y ait plus cette façon d’accompagner le chant, cette écoute du chant, cette connaissance du chant. Le guitariste doit respirer en fonction de la respiration du chanteur ( ou de la chanteuse)…Si par exemple je me retrouve sans suffisamment de souffle et que je doive conclure plus vite, tu dois être à mon écoute ; et si je prends plus mon temps , tu ne dois pas t’ immiscer, car je suis en train de chanter. Il faut qu’il y ait cette communication. Il ne s’agit pas seulement de jouer et de sonner bien, je crois que le flamenco c ‘est plus que cela. Il faut jouer en accompagnant, et chanter en essayant de communiquer avec la guitare.

F W : Dans les festivals d’été en Andalousie, les chanteurs ne viennent pas avec leurs guitaristes, ils doivent s’adapter parfois à un accompagnateur qu’ils connaissent mal, et avec lequel ils n’ont pas répété. Il peut arriver que le courant passe bien et c’est une réussite, mais parfois, ça nous semble peu satisfaisant. Qu’ en penses-tu ?

Cela dépend beaucoup du style de celui qui chante ou de celui qui joue. Certains ont comme point fort la puissance, mais d’autres ont probablement une force plus intériorisée et chantent « en dedans ». C’est pareil pour la guitare. Par exemple, Juan Ramón Caro joue très bien, mais son jeu est délicat. Au contraire, Antonio Carrión joue lui aussi remarquablement, mais très fort. Moi, une fois, j’ai été accompagnée par un grand guitariste très connu, mais quand j’ai fini de chanter, je n’avais plus de voix, parce qu’il jouait très fort. Je devais forcer pour ne pas toujours rester en deçà de la guitare. C’est là que je me suis rendu compte qu’il était important d’avoir la même conception du flamenco.Ce n’est pas seulement comment on va jouer pour toi, c’est comment on conçoit le flamenco, comment on conçoit la guitare flamenca, et je pense que si les gens arrivaient à être en connivence, il pourrait en sortir quelque chose de bien, parce que la partie improvisée dans le flamenco a son importance.Mais si tu réunis deux personnes aux idées différentes sur le flamenco…Pour Dolores Agujetas c’est le jeu d’ Antonio Carrión qui convient mieux et non celui de Juan Ramón Caro ; mais ce dernier sera plus en phase avec la façon de chanter de Mayte Martín, et pas Carrión. Cela ne veut pas dire que certains soient meilleurs que d’autres, mais tout simplement qu’ils ont des conceptions divergentes. A La Unión, ça s’est très bien passé pour moi parce que Guillermo (Guillen ) était avec moi, ça a été déterminant.

F W : A la peña Flamenco en France, vous n’étiez pas sonorisés. Cela vous a-il gêné ?

Je suis persuadée que l’ambiance qui se crée, quand il n’y a pas de micros, est meilleure, si le local s’y prête. Si l’espace est trop grand, surtout pour quelqu’un qui a la voix douce, c ‘est plus problématique, car il se peut que les gens n’entendent pas. Mais l’atmosphère crée par l’absence de sono est plus belle.

F W : Quels sont tes projets ?

En Janvier j’enregistre avec un ténor espagnol, José Manuel Zapata, et nous allons faire une tournée en Allemagne et aux Pays-Bas pour le présenter au public. Nous sommes en plein dedans, et nous n’avons pas complètement déterminé quelle option choisir. Lui va sûrement adapter du Tango argentin à son terrain lyrique . Je crois que Pasión Vega et Estrella font aussi partie de ce projet. Nous avons également des concerts flamencos prévus : nous serons sur la même affiche que Mayte Martín et Esperanza Fernández au théâtre de la Zarzuela.

Propos recueillis par Maguy Naïmi pour flamencoweb.fr

Logo : photo Sébastien Spitz pour Flamenco en France





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