Spectacle de la compagnie "Flamenco en sus 13"

Théâtre "Les Gémeaux" de Sceaux / le 18 octobre 2008

vendredi 21 novembre 2008 par Maguy Naïmi

Les artistes de la compagnie "Flamenco en sus 13" présentaient au théâtre "Les Gémeaux" de Sceaux (17 au 19 octobre) un spectacle de grande qualité, que nous vous recommandons chaudement. Ils reviendront prochainement en France, pour une série de représentations à Sète, Alès, Périgueux, Narbonne, Bayonne, Lyon et Grasse (voir notre agenda).

Compagnie "Flamenco en sus 13" :

Danse et chorégraphie : Olga Pericet, Manuel Liñan, Marco Flores

Chant : Emilio Florido, Jesús Corbacho

Guitare et musique : Antonia Jímenez, Arcadio Marín

Percussions : Sergio Martinez

Artistes invités pour la danse : Ana Romero, Tacha González, Daniel Doña

On cherchera vainement dans ce spectacle le moindre prétexte narratif, ce qui reste encore le meilleur moyen d’ éviter les dérives trop souvent provoquées par ce genre de projets (surcharges symboliques ou dramatiques, couleur locale convenue...). Pas de référence théâtrale, mythologique, ou conceptuelle : la compagnie "Flamenco en sus 13" se contente, fort heureusement, de mettre en espace et en lumières (ocres et bleus profonds, sur fond noir) les principales formes du baile flamenco de toujours : Fandangos de Huelva ; Debla, Toná et Martinete ; Soleá por Bulería ; Alegrías et Romera ; Siguiriya ; Farruca ; Granaína et Bulerías.

Le compás de la Soleá (ou de ses dérivés) constitue le fil conducteur du programme, avec trois tableaux successifs : les cantes "a palo seco" (chantés a capella et dansés sur fond de palmas "por Soleá", et non "por Siguiriya", comme de coutume), les Alegrías, et la Soleá por Bulería. Aucune lassitude cependant : chacun des trois danseurs titulaires de la troupe assume tour à tour la conception scénographique et chorégraphique, ce qui explique l’ étonnante variété du spectacle.

Les éclairages évoquent le cinéma, avec un jeu très habile sur l’ ombre et la lumière, et donc le binôme champs / hors champs : un bailaor dans l’ ombre, alors que seules ses mains sont éclairées ; ou encore une "séquence" très originale, qui immobilise volontairement les bras, et se focalise sur la rythmique des claquements de doigts et sur le taconeo, le statisme des danseurs étant brusquement interrompu par des volte-face. Des « fondus – enchaînés » assurent certaines transitions entre les tableaux, en harmonie avec les préludes instrumentaux.

L’ occupation de l’ espace scénique fait l’ objet d’ une géométrie rigoureuse et continuellement renouvelée. Les chorégraphies parviennent à concilier les contraires : les entrées en scène alternées et les mouvements d’ ensembles complexes et minutieusement réglés ménagent paradoxalement de larges espaces de libre expression, voire d’ improvisation, aux styles très personnels et contrastés des six artistes, qui tous disposent ainsi également d’ occasions d’ être mis en valeur.

A la logique chorégraphique de ce beau travail d’ équipe, répond une égale logique musicale, dont le dernier tableau est un bon exemple. Il nous conviait à un aller-retour Grenade – Jerez : une introduction "por Granaína" (d’ Aurelio Sellés, puis de Chacón), suivie d’ un baile central "por Bulería" (une touche d’ humour au second degré bienvenue, avec des citations des très "rap" "Inquilinos del mundo" et "Yo, marinero", de Diego Carrasco), et un final sur les Fandangos de Frasquito Yerbabuena.

Le groupe des musiciens est fondé sur deux duos complémentaires : aux styles contrastés des deux cantaores (chant très rythmique et tout en puissance d’ Emilio Florido / chant plus intériorisé, mélodique, et orné de Jesús Corbacho), répond la parfaite symbiose entre les deux guitaristes (Antonia Jímenez et Arcadio Marín), également subtils et inspirés. Nous avons particulièrement apprécié l’ inventivité et la finesse de leurs transitions entre les différents tableaux, et la diversité de leurs accompagnements, depuis des passages quasi contrapunctiques jusqu’ aux déchaînements rythmiques les plus débridés (Emilio Marín fit d’ ailleurs preuve des mêmes qualités, avec un mélange savoureux de références à Diego del Gastor et à la guitare classique, et de falsetas des plus originales et « contemporaines », pour accompagner une Guajira et une Soleá de Luisa Palicio – une jeune bailaora à suivre de très près -, dans une spectacle auquel nous assistions par hasard à Málaga). Enfin, on prendra garde à ne pas oublier le jeu discret et très musical du percussionniste (Sergio Martinez), qui a le bon goût de ne pas confondre ses instruments avec une boîte à rythme ou une machine à produire des décibels.

Maguy Naïmi et Claude Worms

Photos : Javier Posadas


Entretien avec Antonia Jiménez, guitariste

A Bourg La Reine, le 18 octobre 2008

Il est si surprenant de voir une femme jouer de la guitare dans un spectacle de flamenco que nous avons souhaité la questionner, pour nos lecteurs, sur son itinéraire dans le milieu, disons-le, « macho », des tocaores. Nous l’ avons rencontrée après le spectacle de la compagnie « Flamenco en sus 13 » au théâtre de Sceaux.

Antonia Jiménez, qui vient d’ avoir trente six ans, est née à Puerto de Santa María, près de Cádiz. Elle regrette la rareté des guitaristes flamencas : « Il y a malheureusement très peu de professionnelles. Je connais une norvégienne…, une autre de Finlande…, mais vraiment très peu originaires d’ Andalousie ». Elle a commencé l’ apprentissage de la guitare à quatorze ans, alors qu’ elle était encore collégienne. Sa famille aimait la culture flamenca,

surtout son père très amateur de cante, ses oncles chantaient un peu, et elle a très tôt été attirée par la guitare. « J’ avais une guitare quand j’ étais petite. Puis, ma mère s’ est rendu compte que j’ avais vraiment envie d’ apprendre. Elle m’ a emmenée voir un professeur qui donnait des cours à une vingtaine ou une trentaine de gamins. J’ ai appris à la manière traditionnelles, d’ oreille ».

Antonia suivit les conseils de quelques amis et étudia un peu le solfège pendant deux ans. « Mais ça m’ ennuyait », nous dit-elle. Elle pense qu’ il n’ est pas nécessaire de connaître le sofège pour jouer flamenco. « Mais il est toujours bon de savoir, et dans ce cas, parce que tu peux communiquer avec d’ autres musiciens par les partitions. En fait, les guitaristes flamencos qui ont des connaissances musicales sont encore plutôt rares ».

« J’ ai commencé à accompagner le baile, parce qu’ il y avait une Académie juste sous le studio où je prenais mes cours. Et c’ est une bonne école, parce que, quand tu accompagnes le baile, il y a forcément aussi le cante… il faut en passer par là… tu comprends mieux le sentiment du compás de l’ un et de l’ autre… et donc tu t’ enrichis… tu comprends petit à petit le rythme de chaque personne… et donc c’ est comme si tu étudiais ».

Quand nous lui demandons s’ il lui fut facile, en tant que femme, de jouer de la guitare, la réponse est que ce fut « très difficile ». « Je crois qu’ il existe une confusion entre traditionalisme et conservatisme. Je pense qu’ il y a des bases, parce que j’ aime la tradition, et qu’ il est nécessaire de connaître le flamenco traditionnel. Mais l’ attitude vis à vis du flamenco doit être ouverte au monde contemporain, et non fermée… il subsiste beaucoup de « machisme »… je peux tenter d’ en analyser le pourquoi… je crois que c’ est la vision, la perspective, comment l’ on voit le flamenco… la vision de l’ extérieur reste masculine, c’ est une perspective d’ homme ».

Elle a accueilli son premier contrat « en sautant de joie ». A vingt sept ans, fatiguée de lutter, elle était sur le point d’ abandonner la guitare. Elle se présenta à une audition pour participer à la tournée d’ une compagnie au Japon, et obtint un engagement qui lui permit enfin de gagner un peu d’ argent et de vivre de son métier.

Antonia Jiménez n’ a pas de guitariste préféré. « Tous m’ intéressent, du plus « grand » au plus « petit ». Elle a cependant été beaucoup aidée par la maître Enrique Vargas. : « De temps en temps, des gens entrent dans ta vie, qui t’ aident beaucoup. Enrique Vargas a été l’ une de ces personnes ».. Elle se sent plus « libre » quand elle accompagne le baile, plus libre dans le sens où une part d’ elle même communique toujours très bien avec le danseur. Elle n’ oublie pas non plus qu ‘elle a gagné « ses premières cinq cent pesetas » en accompagnant la danse. Mais « le baile a une structure, à laquelle tu dois coller ».

Nous lui demandons si, pour ce spectacle (« Flamenco en sus 13 »), la chorégraphie était établie à l’ avance, et si elle a dû composer après coup la musique avec Arcadio Marín, ou si ce fut l’ inverse. La musique a été créée de différentes manières : « nous avons parfois composé la musique d’ abord, quelquefois au contraire d’ après la chorégraphie ». Nous remarquons qu’ il y avait beaucoup de complicité entre les deux tocaores. Au contraire de

ce qui se passe avec beaucoup de duos, où l’ un endosse le rôle du soliste et l’ autre celui de l’ accompagnateur, beaucoup de passages musicaux de ce spectacle étaient proches du contrepoint. Antonia nous le confirme : « j’ ai apporté certaines falsetas, Antonio d’ autres… mais l’ important, c’ est d’ être amis ».

Les transitions musicales entre les différents bailes sont très soignées. « C’ est un travail très délicat, quelquefois très prémédité… mais d’ autres fois, c’ est venu tout seul. Tout a été fait avec beaucoup de soin et de « tendresse ». Il y a beaucoup de logique musicale dans ce spectacle. « Les trois bailaores se sont partagé la direction, chacun a conçu une partie de la chorégraphie, et ça s’ est passé de la même manière entre les musiciens. Nous nous connaissons tous très bien, parce que nous travaillons ensemble depuis longtemps. C’ est très facile de travailler ainsi ».

Comme les styles des deux cantaores sont très différents, il faut évidemment jouer aussi différemment selon que l’ on accompagne l’ un ou l’ autre. Antonia ajoute qu’ elle le fait « dans l’ instant, selon ce qu’ exigent les inflexions du cante. Tu t’ adaptes à l’ énergie que le chanteur introduit dans son cante ». Pour composer, elle joue jusqu’ à ce qu’ elle ait trouvé une idée qui lui convienne. « Tu jettes et tu gardes. Mais c’ es toujours difficile. Par exemple, pour la Granaína, je devais trouver une falseta « por medio », à cause de la tessiture du chanteur. Et donc, tout mon répertoire « por Granaína » était inutile… jusqu’ à ce que je trouve quelque chose qui « sonne » plus ou moins comme une Granaína ». « C’ est vraiment un travail difficile », insiste – t’ elle, « ça dépend de ton niveau d’ exigence avec toi – même ». Elle n’ aime pas l’ imitation, mais la recherche et l’ innovation. Elle a déjà composé quelques solos, et se sent plus à l’ aise dans les formes « festeras », même si elle aime aussi jouer « por Taranta » et « por Malagueña ». « En ce moment, je travaille beaucoup la composition. Je me cherche ».

A notre dernière question – « que conseillerais – tu à une jeune fille qui voudrait apprendre la guitare flamenca ? -, elle répond en riant : « Vas – y, fonce, tu peux le faire !… Courage ! ».

Propos recueillis par Maguy Naïmi et Claude Worms





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