mercredi 18 avril 2018 par Claude Worms
Niño de Elche : "Antología del cante flamenco heterodoxo" - deux CDs Sony
Music 19075814972, 2018.
Artomático : "ElectroFlamenco" - un CD, autoproduction, 2015
Cécile Evrot et Diego El Kinki : "El jardín de las delicias" - un CD, autoproduction, 2017.
Le titre complet du double album de Niño de Elche, tel qu’il figure sur la première page du livret, est en fait :
"Gran magna ANTOLOGÍA , historia, memoria,
rito y geografía DEL canto flamenco-andaluz,
mundo y forma del CANTE gitano
y archivo y tesoro del FLAMENCO
original, antiguo, jondo y HETERODOXO"
Il s’agit donc d’une concaténation des intitulés de quelques-unes des références majeures de l’orthodoxie flamenca, telle qu’elle a été construite dans les années 1960-1970 : le livre "Mundo y formas del cante flamenco" (Ricardo Molina et Antonio Mairena, 1963), la série télévisée "Rito y geografía del cante flamenco" (Romualdo Molina, José María Vélázquez-Gaztelu et Pedro Turbica - 99 épidodes diffusés entre 1971 et 1973), l’ "Archivo del cante flamenco" dirigée par José María Caballero Bonald (Vergara, 1968) et la "Magna antología del cante flamenco" compilée par José Blas Vega (Hispavox, 1982). Il semble que les trois maîtres d’œuvre de l’entreprise, Niño de Elche, Pedro G. Romero et Raül Refree, entendent leur opposer un "Trésor du flamenco original, ancien, profond et hétérodoxe".
Le trésor en question consiste en 27 pièces dont les sources, dûment et savamment explicitées par les commentaires de Pedro G. Romero, montrent que les choix des auteurs obéissent à diverses logiques : parfois textuelles, dans la mesure où ils lient implicitement hétérodoxie et subversion socio-politique ; parfois musicales - il s’agit dans ce cas de musiques populaires rejetées à posteriori hors du corpus flamenco canonique par l’ orthodoxie, ou d’œuvres "savantes" inspirées de ces musiques populaires. Ajoutons que ces deux types de sélection, en fonction du texte ou de la musique, se recoupent fréquemment – par exemple pour les compositions, sur des textes de Federico García Lorca, de Chostakovitch ("De profundis", premier mouvement de sa Symphonie °14, opus 135), George Crumb ("El niño busca su voz", n°1 de "Ancient voices of children" - très bonne version par Derek Yale : Composer Recording Inc. CD 803, 1998) ou Tim Buckley ("Deep song", extrait de l’album "Lorca").
Georges Crumb : "El niño busca su voz"
On pourra dès lors contester le titre, dans la mesure où une bonne partie des morceaux nous renvoient à une époque où précisément personne, et surtout pas les artistes flamencos, ne s’était encore avisé de définir une quelconque orthodoxie : on ne peut être hétérodoxe en l’absence d’orthodoxie. Basée depuis seulement un demi siècle sur une nomenclature des formes ("palos") du répertoire flamenco, elles-mêmes d’ailleurs constituées par un catalogue aléatoire de modèles mélodiques estampillés authentiques (mais rarement décrits précisément en termes musicaux), l’orthodoxie en question a été construite sur le cante, ignore donc à peu près totalement la danse et la guitare et exclut comme "non flamencos" toutes sortes d’autres instruments depuis longtemps utilisés pour accompagner le chant ou en solo, à commencer par le piano (cf. Alfonso Aroca : "Orilla del Mundo"... et une brève histoire du piano flamenco). Dès les années 1930, nombre de cantaores (Guerrita, José Cepero, Manuel Vallejo, Canalejas de Puerto Real, Pepe Marchena etc.) enregistraient avec des orchestres, quand les saxophones de Fernando Vilches et d’Aquilino Calzado "Negro Aquilino" ne se substituaient pas à la voix : Vilches en duo avec Ramón Montoya (enregistrements vers 1928 - 1933) puis en 1932 avec Pepe Marchena, Ramón Montoya et Rafael Nogales ; El Negro Aquilino avec Sabicas dès 1936, puis avec Manolo de Badajoz, ou avec Manuel Beltrán (piano) et Rafael Nogales - cf. l’album "El saxofón humano. Negro Aquilino, el creador del cante jondo en el saxofón y su rival Fernando Vilches "El Profesor"" (Fresh Sound FSR CD 3019, 2014). Il faudrait d’ailleurs être un adepte inconditionnel des contes de fées pour croire un instant que les cantaor(a)es et les bailaor(a)es qui travaillaient souvent dans les Cafés Cantantes aux mêmes programmes que des pianistes et des petites formations chambristes s’en soient tenus drastiquement au seul accompagnement de la guitare, anticipant ainsi une vulgate qui n’apparaîtrait que près d’un siècle plus tard (cf. par exemple, la guajira enregistré sur cylindre en 1995 par El Canario Chico et un pianiste anonyme - "Cilindros de cera", deux CDs, Fondos del Centro Andaluz de Flamenco, 2003). L’ "ElectroFlamenco" (cf., ci-dessous, l’album d’ Artomático) est donc simplement l’une des variantes actuelles d’une tradition qui remonte au XIX siècle, pas si hétérodoxe que ça si l’on tient compte de l’intégralité de l’histoire du flamenco, et non de sa version expurgée.
Nous vous ferons grâce d’autres considérations hautement fantaisistes sur ce qui constituerait le "vrai" flamenco, telles la voix "afillá", le sempiternel débat gitans versus payos, ou les catégorisations du type "jondo", "grande", "chico", voire "intermedio"… Inutile d’ajouter que pour leur part les compositeurs savants ignorent heureusement ces guerres picrocholines. Plutôt qu’à un parcours hétérodoxe, c’est donc à un réjouissant retour à cet heureux temps de l’innocence où le flamenco les ignorait aussi que l’"Antología del cante flamenco heterodoxo" nous convie par son répertoire - mais pas pour son traitement sonore et musical résolument contemporain...
... traitement qui se justifie d’autant plus que la connivence entre artistes flamencos et avant-gardes ne date pas non plus d’hier, surtout pour ce qui concerne les danseuses, danseurs et chorégraphes - les cas les plus connus étant naturellement La Argentina, La Argentinita et Vicente Escudero (cf. "Mi baile y otros textos" - Editorial Athenaica, Séville, 2017) et les musiques de scène mêlant allègrement compositions contemporaines (Stravinsky, Ravel, Falla etc.), extraits de zarzuelas (Chueca, Bretón etc.) "aires nacionales" et "palos" ; guitares, piano, orchestres etc. Il est vrai que ces expérimentations ont surtout trouvé un public et une critique enthousiastes en Europe (surtout en France, mais rarement en Espagne...) et plus encore aux Etats-Unis. Sur fond de Guerre Civile en Espagne, elle a surtout été le fait d’artistes émigrés temporairement ou définitivement, plus ou moins engagés du côté républicain. Surtout, la plupart des grands chorégraphes de la "modern dance" ont multiplié les créations pour soutenir la II République, et ont intégré la danse flamenca et le ballet espagnol à leur propre discipline, précipitant ainsi l’évolution : Martha Graham, Helen Tamiris, Pauline Koner, Anna Sokolow, Jane Dudley, Ruth Page, Agna Enters, Ted Shawn - pour plus d’informations sur ce point, on consultera avec profit le volume 2 de la très érudite série d’ouvrage de José Manuel Gamboa intitulée "¡En er mundo !" ("Flamenconautas. 2da parte : El crack de la bolsa y los cracks del flamenco" - éditions Athenaica, Séville, 2017).
Rappelons que la Brigade Abraham Lincoln compta près de 3500 volontaires, parmi lesquels Paul Robeson ou le compositeur Conlon Nancarrow - l’ "Etude n°12" pour piano mécanique de ce dernier, basée sur une soleá, sera plus tard utilisée par Israel Galván pour "Los zapatos rojos" (1998) puis interprétée par le duo "Proyecto Lorca", qui officiait sur le dernier enregistrement de Rocío Márquez avec Raül Refree (cf. Firmamento - le "De profundis" de Chostakovitch y est aussi cité dans la "Suite n°1").
Conlon Nancarrow : "Etude n°12 pour piano mécanique"
La convergence entre engagement politique de gauche et avant-garde flamenca "hétérodoxe" sous-jacente au programme de l’anthologie est donc effectivement justifiée, mais les auteurs insistent plus encore sur les textes subversifs d’auteurs populaires oubliés, ce qui nous vaut de bien savoureuses découvertes. On regrettera d’autant plus que ces textes ne soient pas reproduits dans le livret. On ne manquera ainsi sous aucun prétexte les "Fandangos de Helios Gómez", artiste graphique, guitariste et écrivain gitan, militant anarchiste, mort à la Cárcel Modelo de Barcelone en 1956 (l’une des rares pièces interprétées en duo chant / guitare - les falsetas et l’accompagnement de Diego de Morón sont un régal) ; les "Fandangos y canciones del exilio" d’El Bizco Amate et Corruco de Algeciras, importés dans les folklores latino-américains par Victor Jara, Quilapayún, Óscar Chávez et Rubén Ortiz (accompagnement cristallin de guitare acoustique, charango et vihuela mexicaine par Niño de Elche et Raül Refree) ; et les "Tanguillos de Cádiz de 1947. La bombita", gloses d’humour macabre sur Hiroshima par Manuel López Cañamaque, mort dans la misère en 1953 mais consciencieusement pillé par Pericón de Cádiz et Pepe Marchena (très idiomatiques - voix a cappella, chœurs et palmas). Dans la même veine, la farruca catalane de Juli Vallmitjana (les éditions Athenaica viennent de rééditer son ""Teatro de gitanos y de la vida" - Séville, 2017), écrite en 1916, valent aussi le détour et deviendront un énorme succès populaire grâce à la chorégraphie de la danseuse cubaine La Perla Negra créée à Barcelone au Gran Teatre del Liceu. Niño de Elche s’y accompagne lui-même à la guitare dans un style qui rappelle une autre spécialité flamenca catalane, le garrotín de Lleida (cf. l’album "Cosa nostra. Patriarcas de la rumba" - Rumba Classics RCCDO3, 2005).
D’autres textes sont dus à des plumes plus illustres : le détournement par Guy Debord de celui d’ "El paso del Ebro" (1808), devenu "¡Ay ! Carmela" pendant la Guerre Civile espagnole (il y évoque la guerre dans la guerre menée à Barcelone par les staliniens contre la CNT, por pasodoble et rumba, pour voix, piano, clarinette et percussions) ; les "Soledades de la pereza", de Paul Lafargue qui les chantait en s’accompagnant à la guitare - pour voix, musique électro et bruits de machines à découper ; les inévitables saetas de San Juan de la Cruz, pour voix et musique électro ; un extrait de "Escenas y andanzas de la campaña antiflamenca", récitatif sur taconeos d’Eduarda de los Reyes (Niño de Elche s’y inspire d’illustres spécialistes de la déclamation flamenca, tels Gitano de Oro, Pepe Marchena, Rafael de León ou Gabriela Ortega, pour le débit vocal mais fort heureusement pas pour la grandiloquence habituelle à ce genre d’exercice) ; les "Seguiriyas del silogismo" selon... Aristote et Saint Thomas d’Aquin, en latin dans le texte via Rafael "el Enterao", étudiant gitan en droit, philosophie et lettres à l’Université de Séville, qui les interprétait sur les siguiriyas de Cagancho (Niño de Elche reprend les versions de Juan Talega, sur un accompagnement de guitare saturée et de musique électro de Raül Refree).
Photo : Hipersónica.com
Les choix concernant l’hétérodoxie proprement musicale s’avèrent tout aussi éclectiques. Chacun, selon ses goûts, y trouvera à prendre et à laisser. L’interprétation très littérale (voix et piano) du polo de Manuel de Falla est bien anecdotique, et il nous sera permis de préférer les versions originales des compositions de Chostakovitch et de Crumb aux arrangements de Raül Refree qui n’en renouvellent guère l’intérêt. Par contre, son montage pour guitare, musique électro et voix d’extraits de deux pièces de Luigi Nono (la suite de concert "L’intollerenza", pour soprano, chœur et orchestre, et " Hay que caminar soñando", pour deux violons – 1960 et 1989 respectivement) peut être considéré comme une composition à part entière, très réussie. Pour la musique contemporaine, on trouvera également une œuvre d’ "ambient music" d’Isidoro Valcárcel Medina, cette fois dans sa version originale, intitulée "¡Viva Madrid que es la corte ! Caracoles : malagueña, granaína y cartagenera (el conocimiento la pasión no quita)" (on en trouvera un enregistrement dans l’anthologie "Broaden / In / Gates. Ars sonora" - Rtve Música 65009, 1992). L’auteur y prend prétexte de créations d’Antonio Chacón pour se livrer à un montage de sons et de bruits évoquant le parcours touristique rituel par les "puertos bonitos" de l’une des plus célèbres cartageneras du cantaor – Niño de Elche ne manque pas d’y ajouter un brillant exercice de style sur les caracoles du même Chacón. L’esthétique du collage nous vaut un magnifique "Mensaje diafónico de Val del Omar", univers sonore onirique au sein duquel la voix de Niño de Elche émerge par instants, en bribes de divers cantes, d’un tissage serré de musique électro, guitare (Diego de Morón), castagnettes (Alicia Acuña) et zapateado (Israel Galván). Pedro G. Romero nous explique à ce propos que José de Val del Omar, intéressé par les expériences de musique concrète de Pierre Schaeffer, créa en 1952 sur ce modèle son "Auto Sacramental Invisible. Mensaje diafónico de Granada", qu’il utilisa pour la bande sonore de son court métrage "Aguaespejo granadino / La gran siguiriya" (1953-1955). Dans un tel contexte, un hommage à Vicente Escudero allait de soi : comme il l’avait déjà fait en 2010 pour "La curva", Israel Galván endosse le rôle du chorégraphe révolutionnaire en une évocation sonore "zapateada" de "Yo ya no soy quién era" : Escudero y chantait et dansait ce martinete (ici, Niño de Elche superpose un extrait de la debla de Tomás Pavón à un sampler de la voix d’Escudero) sur fond sonore de dynamos, dont les modèles ont été retrouvés par Stefan Voglsinger et utilisés pour l’enregistrement. Dans une veine plus légère, le "Tango de Menegilda", sur le rythme de habanera de ses origines (extrait de la zarzuela "La Gan Vía" de Federico Chueca et Joaquín Valverde) est une succulente scène de genre : piano (Alejando Rojas-Marcos et voix (Niño de Elche, entre chanteur de charme et meneur de revue) d’époque.
Les autres pièces inspirées de sources populaires sont par contre de franches réussites, à commencer par l’étonnante "Saeta del Mochuelo con la Mariana seguida de Plazoleta de Sevilla en la noche del Jueves Santo" : ivresse aidant, El Mochuelo aurait été emprisonné à Cartagena pour avoir entonné la mariana au lieu d’une saeta ; mais l’usage de chanter la mariana la nuit du Jeudi au Vendredi Saint était suffisamment bien établi pour que Joaquín Turina la cite dans "Plazoleta de Sevilla en la noche del Jueves al Viernes Santo" (n°7 de sa comédie lyrique "Margot", opus 11, 1914). Les pregones (ceux de Macandé en particulier) ont acquis récemment droit de cité dans le corpus officiel de cante : on les retrouvera ici sur un fond sonore de kermesse ou de fête foraine signé Raül Refree. Ce n’est par contre pas le cas des adaptations de cantes au rythme du pasodoble, dont Niño de Elche nous donne pourtant deux intéressants spécimens, avec un "Fandango cubista de Pepe Marchena" (avec trompette - Xavier de la Salut – en référence à Fernando Vilches et Negro Aquilino) et l’inénarrable "Caña por pasodoble de Rafael Romero El Gallina" (Andrés Heredia "Pájaro" y tient avec humour le rôle de Pepe de Almería, guitariste de la version originale. Cf. Rafael Romero...¡Cantes de época !). Enfin, Lola Flores ne pouvait manquer au casting hétérodoxe : elle figurait régulièrement au hit-parade portoricain avec la rumba "La bomba gitana" suivie de "Quién tiró la bomba" du Trio Matamoros. L’un de ses admirateurs, Mario Montez alias Dolores Flores (un acteur des films d’Andy Warhol), chantait fréquemment ce tube à la Factory, accompagné par Lou Reed et John Cale – d’où sans doute l’arrangement de Raül Refree pour guitare électrique et orgue ("Rumba y Bomba de Dolores Flores").
Qui a écouté l’album précédent de Niño de Elche ("Voces del extremo" - Telegrama Comunicación NDE004, 2015), son spectacle "Raverdial" (fusion rave / verdiales, 2015) ou ses performances dans "La Fiesta" d’Israel Galván (2017) ne sera pas surpris par sa versatilité vocale et par l’intensité et la justesse avec lesquelles il habite tous les textes et tous les personnages de cette anthologie – cf. son interprétation bouleversante du "Lekeito n°5" de Mikel Laboa (le compositeur, médecin de profession, avait découvert le flamenco en soignant une jeune gitane autiste). Comme il se doit en matière d’hétérodoxie, cette anthologie foisonnante n’obéit à aucun classement méthodique. Comme ses auteurs, chacun y voyagera au gré de ses humeurs, y trouvera ample matière à découvertes et la musique flamenca dans tous ses états.
Claude Worms
Galerie sonore
"Fandangos de Helios Gómez" : chant : Niño de Elche / guitare : Diego de Morón / composition : Niño de Elche, Diego de Morón, Corruco de Algeciras, Niño de la Huerta, Manuel González "Guerrita" / textes : Helios Gómez.
"Mensaje diafónico de Val del Omar" : chant : Niño de Elche / arrangements électronique : Raül Refree / castagnettes : Alicia Acuna / guitare : Diego de Morón / zapateado : Israel Galván / composition : José de Val del Omar / textes : Federico García Lorca, populaire.
"Lekeito n°5" : voix : Niño de Elche / guitare : Raül Refree / composition : Mikel Laboa / textes : Mikel Laboa, populaire.
On pourra donc considérer que l’usage flamenco de la musique électronique est l’une des versions contemporaines de la tradition séculaire du flamenco orchestral ou orchestré, selon qu’il s’agit de la démarche de compositeurs "savants" intégrant à leurs compositions ce qu’ils considèrent comme des éléments constitutifs de ce genre musical (de Manuel de Falla à Mauricio Sotelo, en passant par Claude Debussy, Maurice Ravel, Henri Collet, Franck Martin, Conlon Nancarrow etc.) ou d’accompagnements conçus pour des pièces pour voix et / ou guitare données a priori (Manuel Vallejo, Niño de Marchena, Manolo Caracol, Vicente Gómez, Sabicas, Víctor Monge "Serranito", Manolo Sanlúcar, Paco de Lucía, Vicente Amigo, Tomatito etc.). Nous retrouvons plus ou moins ces deux voies possibles, d’ailleurs non exclusives l’une de l’autre, dans deux récents albums de "flamenco électro" : plutôt orchestrale pour "Electroflamenco" (Artomático), plutôt orchestrée pour "El jardín de las delicias" (Cécile Evrot et Diego El Kinki).
Daniel Muñoz, alias Artómatico, est compositeur, producteur, technicien du son et photographe... entre autres. Il a commencé sa carrière musicale en tant que batteur de rock (fondateur du groupe "Monotone" - cf. l’album "Gravity") avant de s’intéresser au flamenco. Certain(e)s d’entre vous ont sans doute eu l’occasion de voir ses photographies pour les jaquettes des disques "El espejo en que me miro" (David Lagos) ou "A través de tí" (Antonio Rey), ou pour le livre "Israel Galván. Danser le silence" de Corinne Savy - sans compter des expositions à la Maison Carrée de Nîmes, au Bimhuis d’Amsterdam, à l’Irvine Barclay Theatre (Californie) etc.
On ne compte plus ses musiques de film (pour des courts métrages de réalisateurs tels que David Muñoz, Antonio Trashorras ou Alejandro Marcos, ou le projet vidéo / danse "Mujer sobre fondo" de Melania Olcina) et de scène, essentiellement pour la danse, flamenca ou non : "Danza 220V" (Rafael Estévez, Valeriano Paños et Antonio Ruz) créé en 2010 au festival Madrid en Danza, et que nous avons pu voir à Paris en 2012 au festival Quartier d’Eté) ; "Ángel, del blanco al negro" (Ángel Muñoz, 2011) ; "Ojo" (Antonio Ruz, 2012) ; "Claroscuro" (Ángel Muñoz, 2017).
Le concept Artomático, sans doute issu de ces multiples expériences scéniques, a lui-même été longuement mûri, sur scène et en studio : sept ans entre sa création, au Festival Flamenco Ciutat Vella de Barcelone (2008) et la parution du disque (entre-temps, des concerts à Madrid, Barcelone, Oxford etc.). La longue fréquentation de la danse et le passé de batteur du compositeur expliquent sans doute la prédominance du travail sur le rythme dans ses œuvres.
Photo : Silvia Calado
Oscillateurs, synthèses de sons (analogiques, à modulation de fréquence, additives…), séquenceurs, samplers, processeurs d’effets divers et variés (compression, égalisation, écho, delay, réverbération, chorus, flanger, panoramique etc.), sans compter les contrôleurs MIDI et autres logiciels y attenants : autant de machines et de procédés qui nous restent résolument opaques, mais qui donnent au compositeur des outils aussi riches que ceux de l’orchestration, à condition qu’ils soient utilisés avec rigueur, créativité et musicalité, ce qui est à l’évidence le cas de Daniel Muñoz - faute de quoi l’abondance de moyens conduit inéluctablement à des démonstrations d’effets sonores plus ou moins gratuits en forme de catalogue. Etant bien incapable de pénétrer les arcanes de la création musicale électro-acoustique, nous nous limiterons prudemment aux quelques observations d’un auditeur naïf.
Les titres des plages n° 1 et 7, respectivement "¡Ay !" et "Final", suggèrent que les sept premières pièces constituent une suite, du "temple" au "cierre". De fait, elles résument à elles seules les options esthétiques de Daniel Muñoz. La première repose sur la répétition obsédante d’un ¡Ay ! parfois prolongé en échos, d’abord opposé à des variations de batterie sur un medio compás binaire por bulería, qui conduisent à un crescendo polyryhmique, parfois percé de longues tenues de très hautes et très basses fréquences superposées ou juxtaposées, dont l’apparition et la disparition sont imperceptibles – grâce à un mixage d’une extrême précision, nous ne les entendons que lorsqu’elles sont déjà là. La complexité de la texture augmente progressivement par des boucles de scratch façon dancefloor dialoguant avec des montages serrés du ¡Ay ! d’origine dessinant des motifs a compás. Après une courte accalmie, le même jeu reprend sur le medio compás ternaire, une courte coda revenant au binaire du début. "Final" est une sorte de court planh électro-acoustique, dont l’ascétisme nous a rappelé certaines expériences de Florian Fricke : les entrées successives de nappes sonores très réverbérées sculptées par la dynamique, chacune disparaissant après l’entrée de la suivante, donnent à sa matière sonore raréfiée le caractère de quelque musique liturgique médiévale.
Daniel Muñoz conçoit donc ses compositions comme un plasticien. Il construit des peintures ou des dessins sonores ; des mise en espace de sons, de rythmes et de bruits plutôt que des pièces travaillant le temps musical. Pas de thèmes à proprement parler, encore moins de développements (mais parfois des variations) : comme un peintre abstrait, il explore les collages de contrastes (de rythmes, de fréquences, de densités de "grains" etc.) ; comme un cubiste, il déploie sur la toile la géométrie interne de ses objets sonores, d’un tercio de cante ou d’une figure de taconeo.
C’est le cas par exemple pour "Dile que se calle" (n°3), qui reprend deux vers d’un tango enregistré par Antonio Chacón : "… corre, y dile que se calle, que su cante me lastima ; corre.". La voix du cantaor émerge du faible grésillement de l’enregistrement d’époque, et y disparaît à la fin de la pièce. La voix est lointaine, comme l’époque à laquelle Chacón nous légua ces tangos, et l’effet est d’autant plus saisissant que les percussions, mêlées à des sons caverneux, sont au contraire très présentes. Les deux vers sont systématiquement interrompus sur le répétition de "corre", peut-être en hommage à la version d’Enrique Morente, et parfois liés en boucle par un écho. Cette composition est pour nous une version minimaliste flamenca (quant à sa durée et à ses procédés) du "Jesus’ blood never failed me yet" de Gavin Bryars : même délicatesse respectueuse et même émotion.
Le même type de construction nous rend physiquement présente la tension du chant ou de la danse de musiciens en situation limite (de leurs forces, de leur technique, de leur émotivité...). Sur un lourd martèlement de grosse caisse ("We, we, we will rock you." ?) la voix de Juan Talega s’éteint à deux reprises sur la fin du deuxième tercio d’une soleá, interrompue par une trame dont le compás est distendu entre un soubassement sourd de percussions et des sifflements machiniques perçants. Quand enfin le cantaor vient à bout de la letra, c’est sous la menace d’un environnement sonore mécanique de plus en plus oppressant, qui finit par laisser la voix à découvert, et l’artiste à sa solitude ("Soledad técnica" - n°6). Dans "De los pies" (n°4), des vrombissements obsédants enferment le zapateado comme dans un tunnel, tandis qu’un tic-tac métronomique, repris par la batterie, le contraint à un automatisme disciplinaire inhumain : le "Pequeño reloj" vital d’Enrique Morente devient un implacable compteur qui égrène les heures de travail solitaire, l’épuisement en embuscade : les pieds terminent seuls sur un crépitement figurant des castagnettes, rallentando.
Deux pièces plus lumineuses, totalement "instrumentales", viennent cependant alléger le ton de cette suite. "Alegrías mínimas" (n°2) d’une part : une ritournelle cristalline engendre une série de transpositions et de variations insistant sur quelques notes-clés (un modèle mélodique d’alegría en filigrane) superposées en strette pour la coda – figuration légère d’un taconeo pour le compás. "Antitangos" (n°5) d’autre part : des boucles de cloches y sont opposées à un déferlement virulent de percussions, en un combat en plusieurs rounds – rassurez-vous, les cloches (ou le steel-drum, écho aidant) finissent par l’emporter, sur abandon des percussions qui quittent le ring in extremis.
Quatre pièces complètent l’album. Por siguiriya ("Por cumplir"), la voix de Tía Anica la Piriñaca est soumise au même type de traitement que celle de Juan Talega. Mais cette fois, il s’agit plutôt de l’accompagnement d’un chant dans son intégralité, les machines se chargeant de l’introduction et des "falsetas", sur un marquage sobre et répétitif du compás. Comme une série de cantes, l’ensemble est conçu en un vaste crescendo ponctué de quelques pauses, culminant en boucles de percussions de plus en plus serrées ("redobles") qui lancent une reprise polyphonique du cante… coupé net par un silence glaçant.
Les machines peuvent également être aussi follement polyrythmiques que tout un escadron de palmeros jerezanos ; mais dans "Buledrums", les percussions sont ironiquement survolées par des tenues en apesanteur qui renvoient à celles de "Final" et qui finissent par s’enfoncer dans les abysses de l’extrême grave (restons avec Gavin Bryars : "The sinking of the Titanic"). C’est qu’elles savent à l’occasion traiter les classiques avec un humour iconoclaste ("Todo es mentira") : se heurtant à un mur d’incompréhension – à des percussions, à des bruits en tous genres et surtout à un auditeur légèrement débile ou dur d’oreille ("¿Qué ?") - la Niña de los Peines s’obstine vainement à répéter un constat désabusé por petenera ("...todo en este mundo es mentira...").
Enfin, "Electroflamenco" s’achève par une improvisation live qui rappellera sans doute quelques beaux souvenirs aux spectateurs de l’ "aftershow" qui succédait au spectacle "Claroscuro" d’Ángel Muñoz" lors du dernier Festival Flamenco de Nîmes : un dialogue virtuose en trio, en forme de questions / réponses très jazzy (Daniel Muñoz, avec Jorge Pardo au saxophone et Nacho Arimany aux percussions).
¿La música electrónica no puede ser flamenca ? ¡Pues sí hombre ! Escucha este disco.
NB Nous tenons à remercier Daniel Muñoz, qui a eu la courtoisie de nous envoyer quelques précieuses informations sur l’élaboration de certaines pièces :
_ "De los pies" : les zapateados sont des enregistrements de Carmen Amaya, à peine modifiés. On n’en pouvait rêver meilleur commentaire que ces quelques lignes du compositeur : "[...] los pies no tienen mucho tratamiento, el sonido original era bastante violento, me llama la atención en ella, la fuerza de cada nota, todos los bailaores juegan mucho a rellenar y acentuar, Carmen Amaya atacaba cada nota muy duramente, son pies “industriales”, me recuerdan a las antiguas músicas experimentales hechas con máquinas de fábricas. Es taconeo urbano, no lo he vuelto a escuchar así." (Daniel Muñoz)
_ "Final" : une transformation de la version d’Enrique Morente du martinete "No te rebeles serrana..." ("Homenaje a Don Antonio Chacón" - Hispavox, 1977), plus une période de malagueña.
_ "Todo es mentira" : les "what ?" qui interrompent Pastora Pavón sont dits par un bluesman - extraits d’interviews de prisonniers réalisés par Alan Lomax. Les distorsions entre phrase et phrase sont des variations saturées, et transposées quant à leur hauteur, d’un extrait de "A love supreme" de John Coltrane. La boucle de batterie est jouée par le compositeur : "Quería algo tipo John Bonham, muy simple, y era más rápido tocarlo que secuenciarlo". (Daniel Muñoz)
Claude Worms
Galerie sonore
"Alegrías mínimas" : composition et réalisation, Daniel Muñoz / Artomático
"Por cumplir" : composition et réalisation, Daniel Muñoz / Artomático - samples de la voix de Tía Anica La Piriñaca.
Nous ne présenterons pas ici la cantaora Cécile Evrot et le compositeur Diego El Kinki, bien connus des aficionados français. Nous n’avons malheureusement plus de nouvelles du trio "El último grito" (El último grito) Mais Diego El Kinki poursuit son approche électro du flamenco, en solitaire et en duo. Avec "Cantaores electrónicos" (2015), il a d’abord travaillé sur des remix et des samples de Tomás Pavón, Agujetas, El Lebrijano, Julián Demoraga, La Perla de Cádiz, David Palomar, Rocío Márquez, Arcángel, Enrique Morente... et du chanteur pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan. On trouvera aussi sur cet album deux guitaristes (Sabicas et Paco de Lucía) et deux improbables mano a mano virtuels ( Camarón vs Agujetas et Manuel Moneo vs Tijeritas) - téléchargement de tous les enregistrement de Diego El Kinki sur El Kinki Bandcamp.
Pour "El jardín de las delicias", il s’attaque à une tâche beaucoup délicate, en ce qu’elle consiste à composer des environnements sonores adéquats à des interprétations de cantes (classiques pour la plupart) réalisées en studio dans les conditions du live. Sa démarche est donc radicalement différente de celle de Daniel Muñoz. Ici, à de rares exceptions près, pas de samples ni de boucles pour la voix : le duo respecte la plupart du temps le déroulement traditionnel d’une série de cantes. Mais Diego El Kinki est trop intelligemment musicien pour tomber dans le piège qui consisterait à tenter de substituer purement et simplement l’accompagnement des machines à celui de la guitare. Il cherche plutôt à établir un dialogue avec Cécile Evrot, dont le style sobre inspiré de celui des artistes d’Utrera et de Lebrija incite à traiter la voix comme un instrument participant pleinement à la texture des pièces. Saluons au passage la précision rythmique de la cantaora, souvent privée de "repères de compás" évidents, et toujours des points d’ancrage structurels codifiés de la guitare (llamadas, paseos etc.) : la fluidité de ses phrasés n’en souffre nullement (ce qu’elle doit entre autres à une longueur de souffle appréciable), pas plus d’ailleurs que la justesse de son intonation, qui pourrait être mise à rude épreuve par les contrechants de Diego el Kinki.
La cohérence de l’œuvre est fréquemment soulignée par de subtiles transitions, rythmiques ou mélodiques, entre les plages. Nous vous conseillons donc d’écouter l’album en continuité, comme s’il s’agissait d’une suite de lieder avec orchestre. On pourra cependant nous semble-t-il y distinguer trois grands mouvements constitués de formes apparentées :
_ plages 1 à 5 : "Cómo nacen los héroes" / "El naranjo de tu patio" / "Bulerías del campanario" / "Dos corazones a un tiempo" / "Soleá de los pasitos". Ces cinq compositions soulignent, volontairement ou non, la proximité de palos tous issus du découpage ternaire ou binaire de cellules de six pulsations, ou de l’alternance des deux, caractéristiques de divers types de fandangos vernaculaires (verdiales, de Huelva etc.) : les fandangos de Lucena et de Frasquito Yerbabuena (n°4) ; la soleá (en l’occurrence de Joaquín el de la Paula (n°5) ; les bulerías - "rappées", précédées d’un exorde ad lib. de Cécile Evrot et conclues par un estribillo en duo (n°1 - composition de Diego El Kinki) ; chansons populaires por bulerías, dont les "Cuatro muleros" (n°2) ; bulerías plus proprement "flamencas" - Utrera, Morón (Joselero), Camarón etc. (n°3).
_ plages 6 à 8 : "Robarle a la Virgen" / "Un metal de primera" / "Tangos del niño Miguel". A compás de tangos... d’abord por taranto (n°6), avec une composition de Diego El Kinki. Le style vocal légèrement destroy de l’auteur rappelle le Pata Negra de "Levante", comme d’ailleurs le piano bastringue et quelques bribes de fanfare (cette fois, pour "Los managers"). Le texte vaut lui aussi le détour (tous les textes de l’album sont accessibles en ligne : même URL que pour le téléchargement). Suivent des tarantos traditionnels chantés par Cécile Evrot, avec un remate por tango (n°7) qui conduit à des tangos de Triana dans une version de La Revuelo, conclus par un cierre du répertoire des tangos de Graná (n°8) - les trépidations de l’accompagnement rythmique figurent la technique de rasgueados en "abanico".
_ plages 9 à 12 : "De tu propia voluntad" / "En el barrio de Triana" / "Voy solito" / "Yo no soy de esta tierra". Cantes a palo seco et siguiriyas. Sur une boucle imperturbable de compás hiératique, Cécile Evrot commence par une siguiriya de Francisco La Perla. Un intermède choral, qui sera ensuite prolongé sur le second cante lance une accélération du tempo pour le cierre de Manuel Molina, avant une déflagration finale de percussions (marteau et enclume ?) - magnifiques contrechants de ney par Philippe Botta, du groupe Hradčany pour lequel Diego El Kinki professe une grande admiration (n°9). Un soubassement rythmique inextricable dont la texture inclut une voix parlée accompagne crescendo le martinete "Trin, trin, a la puerta llaman...", sur une scansion binaire très marquée. La cantaora semble vouloir s’en tenir au "macho" canonique ("Si no es verdad..."), mais après un silence, nous entendons Diego lui demander en aparté de "chanter plus", ce qui nous vaut une belle version de la debla de Tomás Pavón sur le même accompagnement (n°9). La giliana serait un avatar de romance, cultivé par la famille d’Enrique el Mellizo - mais personne ne savait à quoi elle pouvait bien ressembler avant l’une de ces exhumations miraculeuses dont Antonio Mairena fut coutumier. Diego El Kinki l’accompagne par un ostinato vocal à 7/8 à deux puis trois voix en canon, qui pourrait être signé par Manu Chao. Le texte répète inlassablement "Voy solito, voy contento", en violent contraste avec la letra de la giliana ("Yo me estoy muriendo solita en la cama...") - à moins que... la mort, la solitude, le repos... A la première partie a cappella de cette pièce, succède un développement instrumental qui se superpose d’abord à l’ostinato puis le remplace pour une remarquable transition vers les siguiriyas suivantes - le tout en hommage à "la creatividad y osadia de Vicente Escudero", décidément l’une des grandes sources d’inspiration des hétérodoxes contemporains (n°11). L’accompagnement des siguiriyas de Paco La Luz et Tomás El Nitri est traité par un riff en longues volutes mélodiques qui épousent le cante en un flux continu qui efface avec fluidité les "barres de compás", les percussions restant discrètement sous-jacentes avant de surgir à découvert pour la coda (n°12).
Restent deux postludes inclassables :
_ la "Vidalita de Marchena", dans la version d’Enrique Morente à qui elle est dédiée, por ser "maestro de los modernos" : le lyrisme de l’interprétation de Cécile Evrot et les contrechants de David Marcos (clarinette basse) démontrent que la dignité musicale de la vidalita n’a rien à envier à celle des siguiriyas précédentes, bien que quelques intégristes persistent à la vilipender.
_ enfin, Diego El Kinki invente pour conclure l’album des tangos à 5/4 ("De Madrid han venido"). La pièce commence par l’estribillo traditionnel "Pero que dime qué motivos te hecho yo...", en canon a cappella et en échos. Cécile Evrot enchaîne par le tango de La Niña de los Peines ("De Madrid han venido cuatro pintores...") dans une version proche de celle d’El Lebrijano, chanté ad lib. Le compás à 5/4 surgit alors pour un chorus de saxophone de David Marcos, dans le style de ce qu’il jouait avec El último grito. Suivent deux letras, dont une reprise de celle que Pansequito avait adaptée por bulerías en 1971, dans un texte légèrement différent ("Joselito, Joselito, bien te lo decía yo..."), avant un retour à l’estribillo initial, a compás cette fois.
NB : avec son honnêteté et son humilité habituelles, Diego El Kinki m’informe qu’il n’a pas inventé le tango à 5/4 (ou la bulería, comme l’on voudra, puisque c’est un 5/4 non prescrit par la Faculté Flamenca). Il a en fait emprunté l’idée au "Recuerdos de una noche" de Triana (album "El patio", 1975). Rendons donc à César...
L’album résiste à une description minutieuse, tant les idées musicales y sont foisonnantes. Nous vous renvoyons donc pour conclure à notre galerie sonore. Nous vous y proposons les plages n°3 à 6 montées en continuité (tant bien que mal, que les auteurs nous pardonnent), pour respecter le travail du compositeur sur les transitions - on appréciera à sa juste valeur, entre autres, celle qui conduit de la soleá au taranto (sur la coda de la soleá, le compás est savamment disloqué pour passer insensiblement au binaire).
Que l’on aime ou non ces trois enregistrements, on ne pourra raisonnablement contester qu’il s’agit d’œuvres flamencas. Chacune à sa manière, elle nous incitent à repenser la définition du flamenco par-delà la trop commode et paresseuse identification des palos. Une telle taxinomie rigide s’avère impuissante à rendre compte du processus de création continue de nouvelles formes ou de nouveaux genres flamencos depuis le deuxième moitié du XIX siècle. Inspirons-nous donc de la tentative de définition du jazz que l’on pourra lire dans l’excellent ouvrage de Francis Wolff, Pourquoi la musique ? (Fayard, Paris, 2015).
Claude Worms
Galerie sonore
"Bulerías del campanario" / "Dos corazones a un tiempo" / "Soleá de los pasitos" / "Robarle a la Virgen" : chant, Cécile Evrot et Diego El Kinki ; composition et machines : Diego El Kinki
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