Tauromagia (transcription intégrale, solfège et tablature, textes espagnol, anglais et français) : Ed. Acordes Concert, 2010 (98 pages)
Desde la Guitarra. Armonía del Flamenco. Vol. 2 (textes espagnol, anglais et français) : Ed. Acordes Concert, 2010 (203 pages)
Desde la Guitarra. Armonía del Flamenco. Vol. 3 (textes espagnol, anglais et français) : Ed. Acordes Concert, 2010 (121 pages)
Duende Flamenco vol. 5C. Alegrías (transcriptions en solfège et tablature, texte français) : Ed. Combre, 2009 (100 pages)
Les recueils de Claude Worms sont aujourd’hui indispensables non seulement aux guitaristes désirant enrichir leur répertoire, mais aussi, grâce aux mises en perspective qu’ils proposent, aux professeurs de guitare flamenca. Comme toujours, les dernières parutions de ce grand pédagogue ne déçoivent pas et s’avèrent aussi intéressantes qu’accessibles à tous les passionnés de flamenco. D’une manière générale, il nous semble que Claude Worms se montre de plus en plus soucieux de bâtir une véritable théorie musicale du flamenco (on rêve d’ailleurs d’une « somme » regroupant l’intégralité de ses travaux musicologiques) doublée d’une anthologie extrêmement riche du répertoire propre à la guitare flamenca. Loin de se contenter d’une approche sèchement « universitaire » (et d’ailleurs, quel travail universitaire pourrait se mesurer au sien ?), ou de simples relevés de notes plus ou moins hasardeux, comme on en trouve, hélas, encore bon nombre dans les librairies spécialisées, Claude Worms ne dissocie jamais la théorie et la pratique. Ses parutions récentes le prouvent une nouvelle fois. Elles peuvent se séparer en deux groupes : d’un côté les deuxième et troisième volumes de l’ Armonía del Flamenco, qui achèvent un travail théorique entamé il y a trois ans ; de l’autre, le relevé intégral des parties de guitare du chef-d’œuvre de Manolo Sanlúcar, Tauromagia, et le Volume 5 C de la collection Duende Flamenco, consacré aux Alegrías.
Les trois volumes composant l’ Armonía del Flamenco proposent d’aborder les palos flamencos en fonction de leur organisation harmonique. Fort logiquement, le premier volume, sorti en 2007, était consacré aux deux modes principaux, les modes de Mi, « por arriba », (mode qui prévaut
notamment dans les Soleares, les Malagueñas ou les Fandangos de Huelva) et de La, « por medio » (Siguiriyas, Bulerías, Tientos, Tangos etc.). Le deuxième volume, qui paraît aujourd’hui, est consacré aux modes de Si (Granaína), Fa# (Taranta), Sol# (Minera) et Do# (Rondeña). Enfin, le troisième volume étudie les modes désignés comme « non traditionnels », soit ceux de Ré, Do# (dans un accordage standard, donc différent du mode por Rondeña) et Ré#, et examine en outre le phénomène de bimodalité affectant les Fandangos et les Alegrías, ainsi que les modulations d’un mode à un autre.
On retrouve le même principe d’organisation dans chacun de ces recueils. Dans une première partie sont décrits, avec beaucoup de clarté et de précision, les principaux enchaînements d’accords et les variations les plus fréquentes pouvant s’accomplir au sein des modes étudiés. Dans un second temps, un grand nombre de falsetas, empruntées à des guitaristes allant de Ramón Montoya et Niño Ricardo jusqu’à Niño Josele et Miguel Angel Cortés, sont transcrites pour illustrer les schémas préalablement exposés. Le but de ces ouvrages est donc non seulement de proposer aux guitaristes de nouvelles falsetas, mais aussi de leur fournir des clés pour aborder avec plus de facilité ces falsetas, et de leur donner une vue d’ensemble de la manière dont, harmoniquement, elles sont ordinairement agencées. Or, pour un guitariste flamenco, il est extrêmement important de connaître les principaux changements d’accords d’un palo, d’abord pour accompagner le chant ou un autre guitariste, ensuite pour gagner en assurance et pouvoir, dans une certaine mesure, improviser, et développer ses propres falsetas. Pour apprendre à évoluer dans un compás por Bulería, par exemple, il est indispensable de savoir jouer, en accords groupés ou par le biais de canevas plus ou moins mélodiques, des séquences caractéristiques comme Rém - Do9 - Sib - La ; mais il est tout aussi nécessaire de savoir moduler vers les tonalités de La mineur et La majeur. L’intérêt de cet ouvrage réside donc principalement dans la systématisation de données a priori hétérogènes et, en réalité, très similaires entre elles : bien souvent, d’une falseta à l’autre, d’un guitariste à l’autre, et même d’une époque à une autre, c’est tout simplement le même schéma, voire la même séquence, à peine modifiée, que l’on
retrouve. En permettant aux guitaristes d’intégrer les principes d’organisation harmonique et de modulation des principaux palos, cet ouvrage a ainsi le mérite de mettre en lumière la charpente invisible d’un édifice musical, le flamenco, dont la diversité et l’apparence faussement anarchique, font souvent croire, à tort, qu’il ne repose sur aucune règle parfaitement définie.
Si elle est bienvenue et répond à une longue attente, la transcription intégrale de Tauromagia s’adresse surtout à des guitaristes confirmés et connaissant bien le style si particulier de Manolo Sanlúcar. Les innovations qui fourmillent dans ce disque-poème risquent en effet de déconcerter les esprits peu avertis. Avant de s’y attaquer, il est donc conseillé de s’être déjà frotté à la trilogie Mundo y formas de la guitarra flamenca, dont le contenu a également été transcrit par Claude Worms pour les Editions Acordes Concert. On abordera alors avec plus de confiance cette œuvre lumineuse, demeurée singulière, et dont la splendeur semble ne devoir jamais se faner. Des mystères d’ Oración au lyrisme de De muleta, de la virtuosité de Tercio de vara à la joyeuse sérénité de Puerta del Príncipe, cet hymne à la tauromachie parcourt une palette expressive d’une rare richesse, que les relevés précis de Claude Worms mettent admirablement en valeur. Il est à noter que le recueil ne s’accompagne pas du disque, mais Tauromagia comptant parmi les rares enregistrements de Sanlúcar faciles à trouver en France, il n’y a pas lieu de le regretter. Une écoute très attentive de l’album est évidemment indispensable à la bonne appropriation des morceaux le composant.
Le nouveau recueil de la collection Duende Flamenco est consacré aux Alegrías de l’ère « moderne ». On y trouve neuf compositions transcrites dans leur intégralité :
_ Ritmos gaditanos, et Miracielo sont des Alegrías en La de Mario Escudero, guitariste mal connu des jeunes flamenquistes français, mais dont l’œuvre est au moins aussi intéressante que celle de Sabicas (d’ailleurs bien souvent aussi mal considéré par les idolâtres de Paco de Lucía et Vicente Amigo).
_ Fantasía gaditana, de Serranito, est une composition en Mi Majeur d’une grande beauté, qui offre aux guitaristes l’avantage d’être aisément décomposable en falsetas autonomes.
_ « Ecrite » en Ré, Callejón del Carmen est issue de Candela, album de Manolo Sanlúcar sorti en 1980.
_ Piropo gaditano et Plaza de San Juan sont deux compositions de Paco de Lucía. La première a été enregistrée par Paco en 1964, pour le mini album La Guitarra de Paco de Lucía. Si l’influence de Niño Ricardo y
est évidente, le son et la rigueur rythmique du jeune prodige sont déjà singuliers. Peut-être moins achevée que Recuerdos a Patiño, dont on ne saurait enlever une note, c’est en tout cas une composition que l’on aurait tort de négliger et qui mériterait d’être jouée aussi souvent que les autres Alegrías de Paco.
_ Cañailla figure sur Barrio Negro, deuxième disque solo de Tomatito, sorti en 1991. C’est une superbe composition dont Tomatito détaille lui-même certaines parties sur le DVD que lui a consacré Encuentro Productions. Le recueil en fournit enfin la transcription complète. La Ardila est également l’un des meilleurs titres de Guitarra gitana.
_ El mar de tu sentir, dernière transcription de ce recueil, est signée Vicente Amigo et figure sur Poeta. Certains passages de Maestro Sanlúcar, magnifique Alegría enregistrée pour le premier disque solo de Vicente, y sont repris, mais se trouvent malheureusement empesés par les arrangements pompiers d’un Leo Brouwer moins inspiré que d’ordinaire. En ne s’ axant que sur la guitare, la transcription rend donc justice à cette composition. Comme toujours, la guitare et rien qu’elle suffit amplement à contenter les oreilles de l’aficionado.
Il n’est pas obligatoire d’avoir assimilé les trois volumes consacrés aux Alegrías déjà publiés aux Editions Combre (5 A, 5 B et un hors-série) avant de se lancer dans ce recueil. Pour les guitaristes confirmés, il est évident qu’il possède toutes les séductions. Mais nous ne conseillons pas aux débutants de se diriger d’emblée vers lui. Le volume 5 A, qui regorge de falsetas relativement faciles à exécuter, est mieux adapté à ceux qui souhaitent assimiler les bases du compás por Alegría. Avec les volumes 1 A et 2 A, respectivement consacrés à la Soleá et à la Bulería, le recueil 5 A est d’ailleurs un excellent outil pour s’échauffer les doigts avant de s’attaquer à des morceaux plus exigeants, comme ceux que l’on trouve dans le volume 5 C.
Louis-Julien Nicolaou
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