jeudi 27 septembre 2007 par Claude Worms
La voz del flamenco / Coda LVF 1001 2005
José Luís Montón, Juan Manuel Cañizares, Chicuelo, Juan Ramón Caro…et Pedro Sierra : rendons grâce à Barcelone, dont sont originaires tant de guitaristes talentueux. « Nikelao », deuxième enregistrement de Pedro Sierra (il avait déjà signé en 2001 le très recommandable « Decisión » Flamenco d’Arte CD 02801), est un projet ambitieux, présentant les trois aspects de la guitare flamenca. Le CD est divisé en trois parties : guitare solo (« Apertura »), accompagnement du cante (« Puerta de Oriente »), et accompagnement du baile (« Nostalgia de futuro »).
Pour le cante, Pedro Sierra a utilisé un procédé qui semble faire école : comme Juan Habichuela accompagnant « post mortem » Manolo Caracol (« Carcelero, carcelero »), ou Enrique Morente chantant sur les guitares de Ramón Montoya, Manolo de Huelva et Sabicas, il accompagne ici Antonio Mairena, Juan Valderrama, Pepe Marchena, et Enrique Morente (respectivement : Soleá por Bulería, Taranta, et deux Malagueñas), après avoir isolé leurs parties de chant sur des enregistrements
anciens ( pour Morente, seul « survivant », il s’agit de la Malagueña de Chacón de son premier LP, avec Niño Ricardo). Pedro Sierra accompagne ces cantaores de styles très différents avec une remarquable intelligence musicale, dosant avec justesse sobriété et traits virtuoses, harmonies traditionnelles et modernistes… et démontre que le cante « classique » et la guitare flamenca contemporaine sont parfaitement compatibles. Dans « Duquelas del tiempo », il puise dans sa longue expérience de compositeur de musiques de scènes ( pour Farruco, Manuela Cerrasco, Mario Maya, Manuel Soler, Israel Galván…) et joue sur un spectaculaire taconeo « por Siguiriya » d’ Israel Galván : une parfaite illustration de la virtuosité technique et rythmique de l’accompagnement du baile contemporain.
La partie « soliste » (seules une Soleá et une Granaína sont en fait interprétées en solo, les autres titres faisant appel aux habituels chœurs, violon, basse, percussions…) nous semble moins convaincante. Comme celui de Cañizares ou de Niño Josele, le style de Pedro Sierra se fonde rythmiquement sur Paco de Lucía, et alterne sur les plans mélodique et harmonique des séquences relativement traditionnelles avec des thèmes puisant largement dans le langage du « jazz-rock ». L’unité des compositions n’est dès lors pas toujours très assurée, et ce, d’autant plus que les thèmes « jazzy » font l’objet d’arrangements et d’effets de studio juxtaposés sans aucune transition à des séquences de guitare flamenca. Certaines compositions sont aussi partiellement gâchées par des démonstrations de virtuosité, certes impressionnantes, mais purement gratuites : par exemple, dans la Granaína, de belles idées harmoniques se trouvent diluées dans de longues séries d’arpèges inutilement répétitives. Les thèmes les plus intéressants sont à notre avis la Soleá et surtout la Farruca (décidément rentrée en grâce), dans laquelle le compositeur parvient à fondre en un ensemble cohérent un thème basé sur les harmonies du Tango argentin, des rappels du « toque por Farruca » traditionnel, et une section centrale évoquant certaines compositions d’Astor Piazzola. Au total, un enregistrement inégal mais intéressant et attachant,
auquel nous semble nuire, paradoxalement, une profusion d’idées que le compositeur
peine parfois à fondre en un ensemble cohérent.
Claude Worms
Galerie sonore
"Corral del carbón" (Granaína) : Pedro Sierra (composition et guitare)
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