mercredi 20 avril 2022 par Claude Worms
Le tango est un des palos les plus riches du répertoire flamenco, non seulement par la variété de ses propres cantes, mais aussi de ceux qui lui sont rattachés (tiento, farruca, garrotín, mariana, milonga, rumba, etc.). La discographie de la première moitié du XXe siècle montre que la distinction entre tangos et tientos fut tardive, les mêmes modèles mélodiques étant indifféremment désignés par l’un ou l’autre de ces deux termes. Avec pas moins de trente-deux séries de tangos/tientos enregistrées entre 1910 et 1949, la discographie de Pastora Pavón "Niña de los Peines" est à elle seule une anthologie du genre.
Première partie : les tangos/tientos dans la première décennie du XXe siècle
Nous ne reviendrons pas ici sur les origines afro-cubaines des tangos flamencos, via Cádiz, abondamment documentées par les travaux de José Luis Ortiz Nuevo, Faustino Nuñez et Guillermo Castro Buendía. Le mot a d’abord désigné une réunion festive d’esclaves, avec chant et danse. Nuñez a découvert sa première mention connue faisant explicitement référence à une danse dans le texte d’une seguidilla de la tonadilla de Tomás Abril intitulée "La anónima" (1779) : "Los andaluces en sus tangos graciosos sus chistes lucen [...]" (Guía comentada de música y baile preflamencos. 1750-1808. Barcelona, Ediciones Carena, 2008, page 237). Dans le même ouvrage, il mentionne un tango inclus dans une musique de ballet composée par Antonio Cayrón, datant de 1808, dont il a aussi exhumé la partition pour orchestre : "Los americanos o El encuentro feliz o La espada del mago" (ibid. pages 237-238). Cette danse (n°13) est précédée d’un "Baile de negros" (n°12) et suivie d’un "Solo de negros" (n°15). Pendant tout le XIXe siècle, de nombreux titres de tangos spécifient qu’ils sont "americanos", ou "de negros", ou les deux. On en trouvera de nombreuses occurrences, surtout pour des spectacles représentés à Cádiz (mais aussi à Séville, Málaga et Madrid), dans un autre livre de Faustino Nuñez, "El Afinador de Noticias. Crónicas flamencas en la prensa de siglos pasados " ( Écija, La Droguería Music, 2018). La pièce de Cayrón est écrite flûte, deux hautbois, deux violons, un alto et une contrebasse, en Sol mineur et Sol majeur et en mesure à 3/8 (qui peut être ramenée à un 6/8 compte tenu de la carrure harmonique). Le rythme ternaire du tango d’origine (trochée/iambe = noire + croche / croche + noire) a subi ensuite un processus de binarisation, que l’on peut également observer pour des danses proche parentes, telle la habanera. Il a été décrit par Guillermo Castro Buendía, dont nous suivons ici les analyses (cf. figure 1) — Génesis Musical del Cante Flamenco. Sevilla, Libros con Duende, 2014, pages1458-1466). L’auteur le détecte, entre autres, dans la chanson "¡ Ay qué gusto y qué placer... !", extraite d’une zarzuela de Francisco Asenjo Barbieri ("El relámpago", 1857) : sa mélodie est "totalement binarisée, bien que le chœur des nègres de l’introduction soit écrit en 6/8, avec un dessin rythmique en relation avec le couple trochée/iambe ." (ibid., page 1464). "Le premier chœur des nègres est écrit en La mineur et en mesure à 6/8, avec un accompagnement rythmique très similaire à celui de l’œuvre de Cayrón, basé sur le couple trochée/iambe, avec accentuation sur la noire de l’iambe. [...] La chanson "¡ Ay qué gusto y qué placer... !", qui est sous-titrée ’tango’, est écrite en La majeur et en mesure à 2/4, sur un dessin rythmique d’habanera où l’on ne trouve déjà plus de reste de l’ancien rythme ternaire, ni même de triolets dans la partie mélodique [...] (ibid. page 1475). On retrouve le même type d’ambigüité ternaire/binaire dans le tiento "¡ Ay ! ¡ Ay ! Mira tú si yo a ti te querré" de la zarzuela "Las bribonas" de Rafael Calleja (1908) : mesure à 2/4, accentuations marquées par la basse sur la deuxième croche du deuxième temps et triolets sur le premier temps (accompagnement et chant) (ibid. page 1470).
Final de la zarzuela "El relámpago" (Barbieri, 1857) : solistes : - Ana María Sánchez, Yolanda Auyanet, Lorenzo Moncloa et José Luis Sola / Chœur du Théâtre de la Zarzuela, direction : Antonio Fauró / Orchestre de la Comunidad de Madrid, direction : José Miguel Rodilla (2012)
Tiento de "Las Bribonas" (Calleja, 1908) : soliste : Rosario Soler / orchestre dirigé par Rafael Calleja (1908)
La plupart des tangos/tientos (et des marianas) enregistrés au début du XXe siècle montrent les mêmes inserts ternaires (triolets), vestiges des tangos "à l’ancienne", à l’intérieur du rythme binaire accentué à l’intérieur du dernier temps (dernière croche de 2/4 ou dernière noire de 4/4), pour le chant comme pour l’accompagnement et les falsetas. Par ailleurs, l’usage de plus en plus marqué du rubato rend la distinction entre les triolets et les couples croche pointée/double croche (ou l’inverse) infinitésimale. La farruca, le garrotín, la milonga et la rumba sont plus résolument binaires.
Antonio Pozo "el Mochuelo" et Manuel López
I Les cylindres de Manuel el Sevillano et Antonio Pozo "el Mochuelo"
Au tournant des XIXe et XXe siècle, les tangos font fureur, pour le cante comme pour le baile. Pour ce dernier, les chorégraphies des tanguero(a)s sont systématiquement décrites comme burlesques, parodiques et/ou lascives : " En cuanto al tango, hay quien adquiere el nombre de tanguero, o tanguera, porque son una especialidad en éste baile. [...] Los tangueros suelen, por lo general, ser entre los flamencos lo que los excéntricos en el Circo, los que hacen reír con sus contorsiones y sus cantares más o menos intencionados, y por cuya razón se les da un nombre bastante raro, que en la jerga de ellos quiere decir graciosos, chuflón, y éstos son escasos. Además de los bailes y cantes suelen hacer especie de pantóminas, bastante divertidas, ridiculizándose a cantadores, bailadores, toreros, etc. Con los tangos está pasando hoy una cosa muy curiosa : parece que Madrid tiene fiebre de aquellos, de noche, de día, y a toda hora, no se oye cantar otra cosa, y por lo mismo no pasan vienticuatro horas sin que sufran alguna alteración, y siendo imposible seguir tanta variaión [...] Para acompañar el baile del tango, todo se reduce a efectuar los rasgueos ; y cuando quien baile pida falseta, hacerla." — Rafael Marín : Aires andaluces. Método de Guitarra por Música y Cifra. Madrid, Sociedad de Autores Españoles, 1902 (cité par Guillermo Castro Buendía, ibid. page 1455). On trouve dans cette méthode deux partitions de tangos en mode flamenco sur La (por medio), les "paseos" comme les falsetas s’en tenant à tout ou partie de la cadence flamenca (Dm - C(7) - Bb - A) avec quelques rares détours par l’accord du sixième degré (F). Une troisième, significativement intitulée "Tango - tientos", correspond à l’accompagnement du chant, sur les mêmes accords. Curieusement, une partition intitulée "Los Tientos", sous-titrée "Tango", est en tonalité de Mi mineur avec brèves modulations au mode flamenco relatif, sur Si (por granaína) — dans l’édition en fac-similé des Ediciones de la Posada (Cordoue, 1995), respectivement, pages 87-90, 122-131, 183 et 132-135. Tous ces exemples sont écrits en mesure à 2/4, avec un rythme identique à celui de la habanera, à l’exception de quelques triolets dans une falseta du deuxième (deuxième systèmes, page 123) et de l’introduction en rasgueados du dernier ("paseo", premier et deuxième système, page 132).
Pour le cante, l’allusion de Rafael Marín aux "altérations" et autres "variations" incessantes semble indiquer que le tango/tiento est surtout à l’époque un rythme auquel il est possible d’adapter toute sorte de chansons. Cependant, l’écoute des enregistrements sur cylindre dont nous disposons encore (ils furent sans doute beaucoup plus nombreux) permet d’observer la codification progressive de quelques modèles, vérifiable pour les deux cantaores les plus prolifiques de l’époque dans ce domaine, Manuel "el Sevillano" (quatre enregistrements) et surtout Antonio Pozo "el Mochuelo" (neuf enregistrements).
Quatre des enregistrements de ce dernier sont annoncés explicitement comme "tango de los tientos". Ce titre renvoie à une célèbre copla : "Me tiraste varios (cuatro dans la version d’El Mochuelo) tientos / por ver si me blandeaba / y me encontraste más firme / que las murallas (campanas dans la version d’El Mochuelo) del alba". En fait, l’appellation "de los tientos" fait référence plus globalement au modèle mélodique correspondant, auquel sont adaptées beaucoup d’autres coplas. Il est clairement en mode flamenco, et non en modes majeur ou mineur. Il est donc vraisemblable que par "tiento", on désigne un tango en mode flamenco (ce qui pourrait aussi être le cas pour l’expression "tango gitano"), par opposition aux "tangos americanos", ou "tangos de los negros", en modes majeur ou mineur. Après la répétition (deux ou trois fois) d’un premier motif mélodique sur les deux premiers degrés (Bb - A), correspondant au premier tercio, les sept coplas de "Mi alma cuánto te quiero" ( tangos n° 1 : por medio, capodastre à la deuxième case) sont construites invariablement sur des cadences Dm - C (ou C7) - Bb - A (avec double répétition de Bb - A pour la fin de la première). Les coplas des trois autres tangos "de los tientos" et du tango n° 5 suivent la même structure, avec parfois quelques variantes, deux essentiellement : insistance sur le quatrième degré mineur (tango n° 2 : "Dondé está la Virgen...") ; motif mélodique sur les trois premiers degré, et donc élision du quatrième : C(7) - Bb - A (tango n° 3 : "Amparo...", tango n° 4 : "Tú cambiaste...")
Le tango "nuevo" (n°6) est effectivement surtout remarquable par une innovation, répétée pour les trois premières coplas : après un premier motif "classique", sur la répétition de la cadence II - I (Bb - A), le second motif remplace la cadence IVm - III - II - I (Dm - C - Bb - A) par une brève modulation à la tonalité majeure homonyme, La majeur, amenée par un chromatisme ascendant Sib - Si bécarre, harmonisé E7 - A (sur "...de tu puerta...", puis "... que yo te velodespierto..." et enfin "... que te convenga o no...") — le guitariste semble déconcerté lors de sa première occurrence... Après quoi le mode flamenco sur La est ramené par une simple cadence Bb- A (chromatisme descendant Si bécarre - Sib). La paternité de "cambio" est attribuée au chanteur-compositeur jérézan Antonio Frijones. Cayetano Muriel "Niño de Cabra" a enregisté en 1914 un modèle mélodique similaire, avec toutefois la modulation à la tonalité majeure homnyme dès le premier tercio (cf. ci-dessous, ses tangos tientos n° 4).
Les tangos n°7 à 9 sont "americanos", en tonalité majeure, accompagnés sur le rythme de nos actuels tanguillos : Mi majeur, capodastre à la première case (n°7) ; La majeur, capodastre à la cinquième case (n° 8) ; Mi majeur, capodastre à la deuxième case (n°9). Ce dernier est harmonisé par les accords de tonique (E), dominante (B7) et sous-dominante (A). Les deux autres présentent deux variantes de cette structure : pas d’accord de sous-dominante (n°8 - ostinato E7 - A) ; brève cadence "flamenca" II - I sur la dominante (C - B7) (n° 7, deuxième copla).
Tango "de los tientos" n° 1 — chant : El Mochuelo / guitare : Joaquín Rodríguez "Hijo del Ciego.
Tango "de los tientos" n°2 à 4 — chant : El Mochuelo / guitare : Manuel López.
Tango n° 5 — chant : El Mochuelo / guitare : Manuel López.
Tangos "nuevos" n° 6 — chant : El Mochuelo / guitare : Joaquín Rodríguez "Hijo del Ciego".
Tangos n°7 — chant : El Mochuelo / guitare : Luis Molina
Tangos n° 8 et 9 — chant : El Mochuelo / guitare : Joaquín Rodríguez "Hijo del Ciego" ou Manuel López (?)
Qu’ils soient ou non sous-titrés "de los tientos", les deux tiers des tangos enregistrés par El Mochuelo sont en mode flamenco, ce qui traduit sans doute une nette préférence du public, confirmée par les quatre cylindres de Manuel el Sevillano. Les trois premiers se conforment au modèle décrit ci-dessus, avec, pour les deuxièmes coplas des tangos n° 1 et 2, un goût marqué pour les appuis sur le quatrième degré mineur, répétés quatre fois, accompagnés de notes tenues qui tendent à diluer le tempo. Le dernier est une variante du tango "de los maestros de escuela" en Mi majeur, traité comme une sorte de récitatif sur l’accord de dominante (B7).
Tangos n° 1 à 4 — chant et guitare : Manuel el Sevillano
Cayetano Muriel "Niño de Cabra"
II Cayetano Muriel "Niño de Cabra" et Sebastián el Pena (padre)
Les quatre tangos/tientos enregistrés en 1906 et 1914, cette fois en 78 tours, par Cayetano Muriel "Niño de Cabra" montrent un processus de réélaboration flamenca des modèles précédents, similaire à celui d’autres cantes en cours d’évolution : ralentissement du tempo, ornementation mélismatique, inserts de "ayeos" à l’intérieur ou à la fin des tercios, etc. En 1906, Manuel López opte pour un accompagnement résolument binaire et expérimente des réponses que lui inspirent les suspensions mélodiques du chant. Si les modèles mélodiques sont toujours dérivés de la cadence IVm - III - II - I, on note quelques innovations qui feront école :
1) Développement du "temple".
2) Élargissement progressif de l’arc mélodique sur la répétition de l’entame basée sur la cadence II - I, qui pet être considérée comme un exorde. Ce procédé culmine dans la dernière copla des tangos n°3, avec la suspension mélodique du premier tercio sur la quinte octavée (Mi) de l’accord de A. Sa composition est attribuée au cantaor jérézan Diego el Marrurro et est reprise par Manuel Torres dès 1908 "Tengo momentos en la noche..." — cf. deuxième partie)
3) Nouveau modèle mélodique resserré sur une cadence III - II - I (C(7) - Bb - A : deuxième et troisième coplas des tangos n° 2).
4) Remplacement de l’entame Bb - A par un motif ascendant avec suspension mélodique sur la tierce octavée l’accord de Dm (Fa), le guitariste assurant seul le retour au premier degré (réponse sur Dm, puis basse Si - La : tangos n° 3, deuxième copla).
5) La fin de la dernière copla des tangos n° 1 est particulièrement dense, le guitariste peinant d’ailleurs à suivre les méandres de la ligne mélodique : A - C7 - E7/B ("cambio" subliminal) - Bb - A ; puis resserrement A - C7 - Bb - A .
Ces quatre tangos sont en mode flamenco sur La, capodastre à la troisième case.
Tangos/tientos n° 1 à 3 (1906) — chant : Cayetano Muriel "Niño de Cabra" / guitare : Manuel López.
Tangos/tientos n° 4 (1914) — chant : Cayetano Muriel "Niño de Cabra" / guitare : Ramón Montoya.
Sebastían el Pena (padre)
On retrouve ces caractéristique dans les deux tangos/tientos enregistrés par Sebastián el Pena ("El Pena padre") en 1908, avec une ornementation —et donc un rubato — plus marqués. Pour le premier (mode flamenco sur La, capodastre à la quatrième case), le cantaor reprend la suspension mélodique sur sur la quinte octavée de l’accord de A (deuxième copla), puis le "cambio" sur E7/B (dernière copla). Pour le deuxième (mode flamenco sur La, capodastre à la troisième case) : suspension mélodique sur l’accord de Dm, suivie d’une cadence Dm - C - Bb - A, tronquée lors de sa reprise (C - Bb - A, accord de IVm omis) ; entame Bb - A répétée cinq fois, puis double cadence Dm - C - Bb - A (deuxième copla) ; simple cadence Dm - C - Bb - A (troisième copla).
Les troisièmes tangos de 1908 sont des tangos "americanos" (tanguillos) en La majeur.
Tangos/tientos n° 1 et 2 (1908) — chant : Sebastián el Pena (padre) / guitare : Joaquín Rodríguez "Hijo del Ciego".
Tango "americano" n° 3 (1908) — chant : Sebastián el Pena (padre) / guitare : Joaquín Rodríguez "Hijo del Ciego".
III Autres enregistrements (1907-1912)
A ce stade, il est possible de décrire quelques caractéristiques générales du répertoire des tangos en cours de formalisation :
• La distinction entre "modèles à variations mélodiques" et "modèles à variations structurales" (Bernard Lortat-Jacob, qui recoupe partiellement le couple chant syllabique/chant mélismatique, peut être appliquée aux tangos. Les tangos americanos" (ou tanguillos) ressortissent à la première, sur tempo rapide régulier, avec de fréquentes réminiscences de l’ancien phrasé ternaire, et en mode majeur, plus rarement mineur. La seconde correspond aux tangos/tientos, en mode flamenco presque toujours sur La (compte non tenu de la position du capodastre. Ce sont ces derniers qui subissent l’évolution la plus nette : standardisation de quelques modèles mélodiques, ornementation mélismatique, inserts de "ayeos", ralentissement du tempo, rubato de plus en plus prononcé et accompagnement tendant au binaire. On peut distinguer schématiquement deux types de modèles mélodiques, que nous qualifierons de "largos" et "cortos".
• Tangos/tientos "largos" : leur structure de base est un couple A(’)/B(’). La section A ("exorde") est couramment basée sur une répétition de la cadence II - I (Bb - A). Elle peut cependant être formulée par un motif ascendant avec suspension mélodique sur le quatrième degré mineur (Dm), la guitare ramenant seule la tonique. La section B est un développement sur la cadence Dm - C(7) - Bb - A, qui peut être réduite- C(7) - Bb -A en cas de répétition. Le développement peut aussi utiliser le "cambio". Dans ce cas, on aura : A - E7/B - Bb - A, ou A - E7/B - C(7) -Bb - A. Certains modèles ajoutent à cette structure bipartite une coda revenant à la cadence Bb -A du début, sur un motif mélodique similaire ou modifié. Dans ce cas, on a donc A(’) / B (’) / A (’) (ou C) — les (’) symbolisent les reprises, systématiquement variées. Enfin, une autre catégorie de tangos/tientos largos se caractérise par une section B répétant le cadence C(7) - Bb - A sans jamais l’initier sur l’accord de Dm. C’est particulièrement net dans la seconde partie de l’enregistrement de Rafael Moreno "el de Jerez" (à partir de "Inmediato..."). Ce modèle mélodique est parfois attribué au chanteur-compositeur jérézan Diego el Marrurro, ou au sévillan Rafael Pareja. Remarquons aussi que dans cette version, le guitariste s’abstient fréquemment d’accompagner le cante et se borne à reprendre le compás lors de ses intermèdes, comme s’il existait un hiatus entre chant ad lib. et guitare a tempo. C’est peut-être un symptôme de ce qu’aurait pu être une évolution des tangos/tientos similaire à celle des verdiales/malagueñas, si elle n’avait finalement été limitée à l’usage du rubato et de couples rallentando/accelerando à l’intérieur du cadre de compás.
• Tangos/tientos "cortos" : ils omettent en général la section A des tango/tientos "largos", et sont donc construits sur l’une ou l’autre des séquences harmoniques de leur développement, souvent sans reprise.
• La structure générale des enregistrements les plus construits est divisée en deux ou trois séquences, marquées par un intermède de guitare (falseta ou "paseo" développé). Dans chaque séquence comporte un ou plusieurs tangos/tientos "largos" (selon la durée d’enregistrement disponible) suivis d’un ou de plusieurs tangos/tientos "cortos" qui font office de cantes "de remate".
• La plupart des coplas sont des quatrains ou des tercets dont les vers, malgré de nombreuses irrégularités, tendent vers l’octosyllabe. Ce qui explique que certaines letras aient voyagé de tangos/tientos en soleares ou malagueñas, ou vice-versa. Exemples : "Tengo el gusto tan colmado" (tangos, Manuel Escacena), letra habituellement associée à une soleá de La Serneta ; "En mi balcón...", (tangos n°1, Sebastián el Pena), letra habituellement associée à la malagueña del Mellizo. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette étude.
Dans des styles très différents, deux grands chanteurs-compositeurs ont définitivement formalisé le corpus canonique des tangos/tientos, Antonio Chacón et Manuel Torres. Nous analyserons leur legs dans une deuxième partie. Pastora Pavón "Niña de los Peines" a poursuivi et enrichi leur œuvre, qu’elle a portée à un très haut niveau musical et expressif, en s’inspirant également, notamment pour le phrasé rubato, de Niño de La Isla (cf. ci-dessous). C’est ce que nous étudierons dans la troisième partie de cette article.
Sans autres commentaires, nous vous proposons quelques enregistrements contemporains de ses premières séances avec Ramón Montoya et Luis Molina. Vous y retrouverez les principaux traits des tangos/tientos de l’époque.
• ? — Rafael Moreno "el de Jerez"
Tangos — chant : Rafael "el de Jerez" / guitare : ?
• 1907 — Paca Aguilera
Tangos — chant : Paca Aguilera / guitare : Román García.
• 1908 — Manuel Escacena
Tangos — chant : Manuel Escacena / guitare : Román García.
• 1910 — Niño de La Isla
Sans doute le créateur de tangos/tientos le plus original et iconoclaste de l’époque : tangos n° 1 avec inflexions mélodiques empruntées aux guajiras, comme pour les tangos del Piyayo ; tangos n° 2 avec des inserts de farruca (le "tran, tran...", entre autres) ; dernier cante des tangos n°3 ("Dicen los doctores...") d’un dramatisme encore inédit pour ce palo, dont se souviendront Manolo Caracol et Camarón de La Isla.
Tango n° 1 ("americano") — chant : Niño de La Isla / guitare : Ramón Montoya.
Tangos n°2 à 4 — chant : Niño de La Isla / guitare : Ramón Montoya.
• 1911 — Niño de las Marianas
Tangos n° 1 et 2 — chant : Niño de las Marianas / guitare : Ramón Montoya.
• 1912 — La Pastora de Jerez
Tangos n° 1 et 2 — chant : La Pastora de Jerez / guitare "Gaspar" (?).
Site réalisé avec SPIP 4.3.2 + ALTERNATIVES
Mesure d'audience ROI statistique webanalytics par