Réflexions sur la pratique musicale

vendredi 8 avril 2016 par Mathias Berchadsky

Que celui qui n’a jamais eu envie de démarrer un barbecue avec sa guitare, de tout envoyer balader une bonne fois pour toutes, de se couper les ongles et de faire un travail rentable s’arrête immédiatement de lire ce texte. Nous nous adressons ici aux guitaristes soucieux, perfectionnistes, angoissés et têtus. Et ils sont légions, même s’ils s’en défendent, ces doux dingues qui peuvent passer des heures à répéter inlassablement les mêmes mouvements, les mêmes traits jusqu’à atteindre une perfection précaire...

"Show must go on", qu’ils disaient !

Que celui qui n’a jamais eu envie de démarrer un barbecue avec sa guitare, de tout envoyer balader une bonne fois pour toutes, de se couper les ongles et de faire un travail rentable s’arrête immédiatement de lire ce texte. Nous nous adressons ici aux guitaristes soucieux, perfectionnistes, angoissés et têtus. Et ils sont légions, même s’ils s’en défendent, ces doux dingues qui peuvent passer des heures à répéter inlassablement les mêmes mouvements, les mêmes traits jusqu’à atteindre une perfection précaire ; ceux qui s’infligent des heures d’étude au métronome pour corriger une tendance infime à presser ou à tirer dans le temps ; ceux qui s’interrogent pendant des heures sur le type de technique à utiliser dans un passage de trois notes, sur la différence de poids entre l’index et le majeur. Oui, guitariste angoissé, c’est à toi que nous parlons, dans la solitude de ton coin de travail où une guerre de tranchée interminable à lieu depuis que tu as décidé que la musique est une affaire extrêmement sérieuse. Loin du sexy et des paillettes, loin de la scène et de l’extériorité, il existe un monde de frustrations, de doutes et de travail absurde sans cesse remis sur l’établi. C’est un monde dont on ne parle que rarement sinon dans l’intimité d’un cours particulier avec un interlocuteur de confiance. On trouvera bien ici et là quelques témoignages fugaces sur la difficulté de la pratique musicale, mais toujours dans un axe positiviste. Quitte à être grossier, ne faudrait-il pas trahir la superbe du guitariste extatique sur scène, qui a envie de voir les coulisses de Disneyland ?

Non. Nous allons ici nous intéresser de plus près aux énergies qui régissent une pratique quotidienne et sérieuse d’un instrument, de la guitare en particulier. Autant le dire tout de suite, ces quelques lignes ne seront en aucun cas une panacée. Si nous avions trouvé la formule magique qui rend super-musicien, nous l’aurions déjà commercialisée et coulerions des jours heureux dans le meilleur des mondes. Nous allons ici, humblement, à partir d’une longue expérience de cohabitation avec des guitaristes angoissés, donner quelques pistes de réflexion sur le quotidien du musicien en évolution.

Dessin : Eddie Pons

Médiocrité, mon amie.

Qu’est-ce qui pousse un guitariste à travailler sa guitare ? Dans le domaine de la musique, le principe d’égalité entre les hommes n’est qu’une vue de l’esprit. Il existe trois catégories de guitaristes : les gracieux, les doués et les besogneux.

Le gracieux est inexplicablement à l’aise dès le début. La difficulté n’a aucune prise apparente sur lui, il obtient des résultats fantastiques avec le plus grand naturel du monde et est en général incapable de donner une explication rationnelle de ce qu’il fait. Nous pouvons trouver des correspondances dans d’autres milieux ; cherchez autour de vous un être à qui tout semble réussir et qui, en plus de ces fantastiques capacités, est également une personne délicieuse. Les gracieux sont éminemment peu nombreux, à tel point qu’on pourrait se demander s’ils ne viendraient pas d’une autre planète. Le gracieux est une exception et sa nature même en fait un sujet difficile à analyser, nous nous concentrerons donc sur les deux autres catégories.

En général précoce et issu d’une solide éducation culturelle, le doué comprend, assimile et développe rapidement les informations qu’on veut bien lui transmettre. Ayant grandi au contact de la musique, il a naturellement un solide sens du rythme et des nuances.
Ces aptitudes lui permettent de s’intégrer à touts les styles avec une égale facilité. Il force l’admiration de ses collègues et de ses auditeurs. C’est précisément cette dernière caractéristique qui est son talon d’Achille : le doué pêche souvent par arrogance. Reconnu très tôt par ses pairs comme un musicien efficace, il opte souvent pour la solution de facilité, évite les mises en danger et étudie parcimonieusement, confiant dans son potentiel qui, au dire de son entourage, est illimité. Sans remise en question et sans travail, le doué restera à un niveau honorable mais évoluera peu. En revanche, s’il prend conscience assez tôt de ses limites et qu’il décide de les repousser par un travail acharné, le doué a le profil d’un futur excellent musicien et il jouira toute sa vie de ses facilités "innées" pour pousser plus loin ses explorations musicales. La plupart des musiciens connus que nous écoutons aujourd’hui sont de cette catégories. On leur accolera volontiers le terme de "grand", voire de "génie", mais les meilleurs d’entre eux ne seront pas d’accord avec ces qualificatifs, trop soucieux qu’ils sont de faire toujours mieux.

Le besogneux qui réussit à concrétiser son travail à travers une carrière de musicien est un survivant au sens strict du terme. Pour lui tout est dur, long et lui demande des efforts colossaux. Avec parfois de grosses lacunes dès le départ, il suera sang et eaux pour avancer d’un iota. Doté d’une détermination inébranlable, chaque petit progrès sera pour lui le fruit d’un vécu passionné, une expérience unique en son genre de rencontre avec soi-même. De ce fait, il développera une solide personnalité musicale résultante d’un combat à mort avec ses inaptitudes. Il continuera à étudier des heures après que les autres aient depuis longtemps remis leur guitare dans l’étui, mais, malgré tout ce travail, il aura du mal à obtenir la reconnaissance qu’il mérite - le grand public a toujours préféré les étoiles, même si celles-ci ont atteint le firmament par des moyens plus ou moins louables. Son expérience en fait un artiste singulier doté d’une compréhension très personnelle de la musique. Pour quelques uns, il sera un exemple à suivre, un mentor ou une source d’inspiration.

A ces catégories ont pourrait rajouter "l’ escroc", une andouille commune rencontrée dans tous les milieux, qui aura appris quelques trucs pour épater la galerie. Souvent entouré d’autres andouilles qui l’adorent pendant deux semaines, l’escroc rechigne à se définir lui-même comme guitariste en dehors de son cercle. Dans quelques rares cas, l’escroc devient professionnel et jouit d’une gloriole vénéneuse, confite dans un ego métastasé, mais ceci reste une énigme. Mieux vaut en rire.

Ceci étant établi, vous n’aurez pas manqué de vous identifier à telle ou telle catégorie. Reste à définir ce qui permet à un guitariste de sortir de sa condition de départ. Si vous êtes encore en train de lire ceci, c’est que vous êtes doué ou besogneux. Dans les deux cas, vous devriez être conscient de vos déficits. Vous vous êtes déjà frotté à ce que nous définirons comme un "plateau", ces périodes plus ou moins longues pendant lesquelles jouer de la guitare est une torture que l’on s’inflige à soi- même, ces moments de déprime où l’on ne trouve pas le bon son, où l’on se trouve nul, où l’on prend conscience du chemin qui reste à parcourir alors qu’on se désespère tout en continuant à s’acharner. Tout ceci s’appelle une progression.

Travailler la guitare avec des objectifs ambitieux s’apparente à une croisière sans destination établie, plus précisément où chaque port d’arrivée s’avère être finalement un port de départ. Comme dans tous les grands voyages, il y a des galères, des moments critiques, et chacun de ces écueils sert de base pour affronter le suivant. Ces galères sont différentes pour chacun, et quand bien même elles auraient les mêmes caractéristiques, elles seraient vécues différemment par chacun.
Ce qui est commun à toutes les trajectoires c’est l’alternance jouissance / plateau. Les périodes de jouissance justifient à elles seules toutes les heures de travail sur l’instrument. Elles se caractérisent par une sensation de domination du sujet, une certaine allégresse, un brin de mégalomanie, une surprise que l’on se fait à soi- même. Au bout de quelques temps, elles cèdent la place à la lassitude, voir au dénigrement systématique de tout ce qui sort de la guitare. Un nouvel objectif, une prise de conscience suite à une rencontre (bonne ou mauvaise) et s’en est fini du plaisir. Retour aux tranchées, au boulot !

Au bout de quelques années de pratique, et si l’on tient à conserver une santé mentale, mieux vaut s’y faire. D’autant plus que dans le temps et la régularité, les temps de plateau ont tendance à s’allonger et les temps de jouissance à se raccourcir. La bonne nouvelle, c’est que l’on peut aussi travailler son mental par rapport à cette alternance, au même titre que l’on peut travailler tel ou tel aspect de sa technique instrumentale.

Pour définir les axes de travail qui permettent à long terme de mieux vivre sa pratique musicale, il nous faut au préalable tenter de définir ce qu’est un musicien.

Considérons ce schéma : la musique exprimée par un instrumentiste est sous- tendue par des limites - techniques, rythmiques, intellectuelles et spirituelles. Nous développerons chacun de ces axes dans la suite de cet article. Hors de ces limites, existe un autre champ qui est limité par d’autres variables. Ce champ peut être, soit l’improvisation pour les plus habitués, soit l’erreur pour la grande majorité d’entre nous.

Le plus gros du temps d’étude s’effectue sur la technique et le rythme, la culture musicale étant le plus souvent travaillée de manière passive par l’écoute de musique. La foi est souvent une résultante inconsciente d’un vécu préalable, considérée comme hors de contrôle et capricieuse la plupart du temps - nous verrons qu’il s’agit pourtant de la base de tout travail.

Dessin : Eddie Pons

La technique.

La technique ne concerne pas que le travail sur l’instrument à proprement parler, mais tout ce qui a trait à la compréhension technique de la musique ; ce qui comprend l’oreille, le solfège, l’analyse mélodique et harmonique, l’orchestration. Bien que ces derniers éléments méritent chacun un chapitre (ou un livre en quatre volumes) nous nous concentrerons sur la technique instrumentale.

La technique instrumentale est à la musique ce que la diction est au langage. Ni plus, ni moins. Tout ce qui dépasserait le cadre de l’intelligibilité musicale pure rentre dans un champ voisin mais différent, celui de la virtuosité qui a pour but d’éblouir l’auditeur.
La virtuosité n’a pas de limites ; dans mille ans on trouvera probablement des guitaristes avec des implants bioniques qui permettront d’atteindre des vitesses faramineuses. On trouvera aussi le public pour écouter (ou plutôt voir) cette merveille d’exécution comme on va aujourd’hui au Futuroscope de Poitiers s’extasier devant une technologie de pointe. La virtuosité est l’apanage du spectacle : certaines choses horriblement difficiles à exécuter ne sont pas spectaculaires et d’autres au contraire, bien que très simples, s’avèrent très impressionnantes pour le public néophyte. Dans ce sens, elle ne nous concerne pas directement pour notre recherche. Si vous cherchez la virtuosité à tout prix, une seule solution : trouver des traits simples et les jouer le plus vite possible avec un rictus de type mi-orgasme, mi- supplice médiéval... et c’est gagné (travailler devant le miroir).

Non, la technique instrumentale est plus qu’un art, un artisanat. Au même titre que l’ébéniste qui travaille le bois ou le sculpteur qui travaille le bronze, le guitariste travaille son instrument avec le même objectif : exécuter une multitude de tâches simples avec aisance. Aisance qui permet de ne pas se départir de l’objectif de départ : faire du beau.
Il n’y a pas d’autre bonne raison pour travailler sa technique instrumentale. Tout autre objectif serait une fausse piste menant tout droit à une sécheresse musicale déprimante, pour le guitariste comme pour son auditoire.

Souvent le guitariste, pétri de doutes ou victime d’une légère hypertrophie de l’égo, pense qu’en jouant plus vite il jouera mieux. Rien n’est plus faux, la vitesse n’apporte que de la confusion. Il est impossible de bien jouer quelque chose que l’on ne comprend pas intellectuellement, à fortiori à toute vitesse. Nous avons souvent rencontré des jeunes guitaristes se lançant couteau entre les dents dans des œuvres extrêmement techniques, sans avoir la compréhension préalable de la musique qui les constituent. Le résultat est souvent assez scabreux : l’effort démesuré pour (mal) exécuter certains traits est perceptible, le placement rythmique en devient très discutable et pour finir l’exécution laisse l’impression d’avoir assisté à un match de catch dans la boue sans arbitrage ni vainqueur.

Non, l’ étude de la technique instrumentale se fait dans la lenteur, dans un calme olympien, dans la décomposition des moindres gestes, dans l’observation visuelle attentive, dans une écoute neutre des sons qui sortent de l’instrument. La concentration que cela demande est intense dans un premier temps, et on sera rapidement épuisé. La capacité moyenne de concentration chez l’humain adulte dépasse rarement vingt minutes. Au-delà l’esprit vagabonde dans une direction ou une autre, souvent très loin du sujet de départ. Sachant cela, il est important de s’accorder une certaine indulgence quant à ses propres capacités de travail, et d’organiser ses exercices avec ses propres défaillances intrinsèques en tête. Faire de courtes pauses entre des exercices courts, respirer normalement, permettra de fluidifier le travail et d’obtenir des résultats plus stables sur le long terme.

Au fil des années, nous avons pu observer les ravages du manque de concentration chez nombre de guitaristes, y compris professionnels. Comme vous l’avez remarqué, rien n’est plus coriace qu’une mauvaise habitude. Le travail que coûte la rééducation d’un mauvais geste est autrement plus frustrant que de commencer à travailler un trait dans une lenteur extrême. Nous verrons dans le chapitre sur la foi quels sont les outils qui permettent de se dégager d’un bourbier comme celui- ci.

A notre connaissance aucun musicien n’est pleinement satisfait de son niveau technique. Et pour cause, c’est un domaine soumis à de nombreuses variables : la qualité de votre travail personnel, mais aussi la taille des ongles, la hauteur de la chaise sur laquelle vous êtes assis, le son de la pièce, la qualité du sommeil, l’énergie sexuelle (!), le niveau d’activité physique, l’alimentation, la qualité du matériel - cordes y compris -, la température et le taux d’humidité, l’encombrement de la pièce, la tenue vestimentaire... avez-vous éteint le gaz avant de commencer à jouer ? etc. Vous l’aurez compris, vous ne maîtrisez et ne maîtriserez pas tout. Les conditions optimales pour jouer de la guitare n’existent pas. Sachant cela, considérez le travail technique comme une barque qui prend l’eau : elle ne sera jamais parfaite, mais en écopant soigneusement et régulièrement vous irez loin.

Tout cela peut vous sembler angoissant, mais il reste tout de même que notre corps et notre esprit sont particulièrement adaptés par nature à l’apprentissage, même si vous en doutez. Vous remarquerez peut-être que certaines choses deviennent inexplicablement plus aisées avec le temps, parfois même d’un jour sur l’autre. Ce phénomène possède plusieurs ramifications naturelles liées à la consolidation neuronale. On pourrait s’en contenter, mais pourquoi ne pas mieux profiter des outils à notre disposition, à commencer par le cerveau ? Avant de se lancer tel Tarzan sur sa liane dans un travail directement sur l’instrument, pourquoi ne pas essayer de le faire de tête ? La compréhension intellectuelle d’un problème technique devrait être le préalable systématique au jeu. Visualiser, nommer, comprendre (au sens littéral du mot, faire sien) sont autant de phases qui préparent l’exécution. Ignorez ces préliminaires et vous serez punis par un jeu sale, inintelligible et anti-musical, peut-être pour des années.

Pour conclure, nous dirons que chacun a ses limites. Il convient de tenter de les repousser continuellement avec le plus grand soin, mais toujours dans l’objectif de vous permettre de vous exprimer librement et intelligiblement en fonction de vos goûts personnels. Tout le monde n’a pas les capacités techniques de Paco de Lucía ou de Niño de Pura. Ces limites vous sont fixées par votre corps physique : soyez à l’écoute de ce dernier, car si vous l’ignorez la tendinite vous guette, parfois pire (dystonie musculaire). Un solide travail technique s’effectue dans le temps et dans le respect de ses propres limites. A l’image du schéma ci-dessus, le travail purement technique (exercices) ne devrait pas excéder 25 % de votre temps de travail quotidien - au delà vous pouvez suspecter une névrose (au moins). A vous de choisir soigneusement les exercices les plus complets, qui vous permettront de travailler la plus grande variété de techniques possible en un minimum de temps.

Dessin : Eddie Pons

Sens du rythme.

Groove, soniquete, drive , pulsation, tempo, poids… Toutes ces expressions se rapportant au rythme sont finalement assez vagues. Et pour cause, le rythme est une division régulière (ou pas) du temps qui parfois donne envie de danser. Autant dire une abstraction. Régi par des règles arbitraires et / ou culturelles, le rythme est le liant qui permet aux musiciens de jouer ensemble, de fédérer l’énergie musicale et de communier avec leur public. Sous- estimer l’importance du rythme dans la musique revient à s’isoler totalement des autres, oublier une des vocations premières de la musique qui est de faire danser le public, de l’autoriser, sans avoir de connaissances préalables, à partager directement le plaisir musical. C’est dire si c’est un aspect crucial.

Le rythme est le champ d’étude musical le plus immense qui soit. Mathématiquement, on peut le travailler à l’infini. Découper le temps – une activité métaphysique - est pourtant la base de tout travail musical. Rappelez- vous vos très jeunes années, quand vous utilisiez les batteries de cuisine ou votre table à manger de bébé pour expérimenter vos premières incursions dans le monde ludique de la percussion. Sans même y penser, l’humain est rythmé - par ses cycles de sommeil, par les battements de son cœur. Travailler le rythme aurait dès lors un lien avec le corps et l’univers qui l’entoure.

Immémorial, le rythme est l’acte de naissance de la musique. Les premiers musiciens de l’humanité ont commencé par là. De ce fait, on peut établir que le rythme est quasiment inscrit dans notre patrimoine génétique. Pour pouvoir partager et jouer ensemble, les musiciens ont établi au fil des siècles des routines, des découpages réguliers transmissibles qui deviendront quintolets, doubles croches, samba, claves, compás flamenco, tals, valse et autres paso dobles… jusqu’à donner l’appellation même des styles, des cultures, des danses. C’est le champ qui nous intéresse ici. Quel que soit le style de musique que vous affectionnez, il est forcément relié aux autres styles sur le plan rythmique. Encore faut -il pouvoir l’analyser et l’assimiler.

Pour cela, les chemins sont multiples : le solfège rythmique qui a la vertu de le rendre lisible sur papier, et par là-même de permettre une assimilation intellectuelle plus rapide ; la danse, qui permet de ressentir au niveau corporel la différence entre temps forts et temps faibles ; et enfin le domaine de l’obsession. Nous entendons par obsession le phénomène qui, suite à une surexposition à certains rythmes, conduit le sujet à n’avoir plus que ces rythmes en tête, y compris dans son sommeil, et le poussera à le pratiquer par le chant ou la percussion sur n’importe quelle surface solide, à tout instant, même pour quelques secondes. Il s’agit là de la phase finale d’assimilation qui marquera comme au fer l’esprit et le corps de celui qui l’expérimente. La réussite est probablement dans la synergie de ces trois axes. Une compréhension uniquement intellectuelle du rythme ne suffit pas pour transmettre l’envie de danser. Elle aura besoin d’animalité, d’une connexion primale avec le corps pour devenir un catalyseur d’énergie musicale.

Si l’on parle de sens du rythme, c’est qu’il est matriciel comme les cinq autres sens ; et comme les cinq autres sens, il s’ ‘éduque par la variété des expériences, par l’interrogation sur la nature même de la perception. Eventuellement, on dira d’un tel qu’il n’a pas le sens du rythme. Ce sera souvent une personne complexée, qui n’aura pas l’habitude de se laisser dominer par ses émotions, notamment quand elles viennent du corps. Dans ce cas, ce n’est probablement pas une absence de sens du rythme qui est en cause mais plutôt une rupture entre le ressenti et la manifestation émotionnelle. Le rythme est du domaine animal, terrestre, naturel ; faire appel à son sens du rythme implique de se dégager des comportements "civilisés" pour revenir à un "état sauvage" maitrisé, une harmonie des contraires qui est le plus éloquent des discours. Mais pour maitriser cet état sauvage, il vous faudra une certaine discipline.

Cette discipline trouvera son meilleur allié dans le métronome, l’outil roi de la perception du temps. BPM, ou beat per minute, battement par minute ! De la musique, ça ? De l’horlogerie, oui ! Et pourtant, sans stabilité dans le découpage on perd la puissance du groove ; sans stabilité, on ignore ce qu’est un ralenti ou une accélération ; sans stabilité, point de maîitrise. Les débits (croche, triolets, double croches, etc.) sont autant d’intermédiaires qui donneront du sens au BPM, lui donneront une nuance subtile qui aboutira dans le meilleur des cas au swing, au soniquete, à toutes ces expressions vagues qui n’ont de sens que parce qu’on leur en donne un, si personnel. Grâce au métronome, on verra qu’il existe un monde dans un seul battement, et qu’on peut se placer au début ou à la fin de celui- ci. C’est tout un univers de nuances qui existe dans ce battement, toute une personnalité, tout un art encore une fois.

Comme on l’a vu, le rythme est lié au corps. Tenez donc compte de la qualité de votre respiration lorsque vous abordez ce travail. Aux guitaristes de flamenco, on impose de taper du pied. Bien souvent, nous avons vu des guitaristes taper du pied comme si le plancher était chauffé à 1 000 °C, très brièvement. Observez votre comportement lorsque vous le faites : si votre pied se relève immédiatement après avoir percuté le sol, vous êtes probablement en train de presser le tempo. Ce phénomène dénote deux problèmes : une instabilité liée à un problème de compréhension du rythme de la phrase et / ou une trop grande tension nerveuse dans l’exécution d’un trait, c’est à dire un état sauvage non maitrisé. Dans les deux cas, l’analyse intellectuelle et une lenteur extrême sont de mise. Si vous tapez du pied, faites-le vraiment !A plat, et attendez le dernier moment pour le réarmer pour l’accent suivant, comme si votre pied était excessivement lourd. Là se trouve le "peso" tant convoité dans le flamenco, là et dans la perception du poids de votre corps sur vos fesses, dans la légère contraction abdominale qui s’imprime quand vous devez jouer fort (vous n’aviez pas remarqué ?). Vous l’aurez compris, pour travailler le rythme, travaillez l’observation de votre corps et de vos sensations physiques, reliez le tout à la musique, laissez reposer, recommencez…

A terme, la maîitrise parfaite des rythmes et débits vous donnera accès à un monde particulièrement agréable : l’arythmie volontaire. L’arythmie volontaire est la résultante d’un sens aigu du timing, ou la capacité à ressentir les cycles de plusieurs mesures sans avoir besoin de les compter ou de taper du pied. Une fois ce sens bien affuté, vous pourrez vous extraire du temps métronomique sans pour autant le perdre. C’est globalement ce que fait le cantaor en flamenco, battre les palmas et chanter complètement au dessus du temps. Bonne nouvelle, le guitariste aussi peut faire ça ! Et croyez-nous, c’est un énorme kiff ! Attention cependant de ne pas mettre la charrue avant les bœufs : on ne peut atteindre le monde délicieux de l’arythmie qu’en étant au préalable totalement rythmique ! On ne viole pas une règle que l’on ne connaîit pas parfaitement, ce serait se priver du plaisir de la transgression (d’ailleurs, en appliquant ceci on se rendra souvent compte que toute transgression se transformera en une nouvelle règle que l’on cherchera immanquablement à transgresser !)

Il est important de sortir le travail du rythme du contexte de l’étude domestique. Le rythme existe tout autour de nous, dans la nature et dans les machineries créées par l’homme. Analysez les sons des traverses de chemin de fer quand vous voyagez ; serait-ce un rythme en 5 temps ? Utilisez le tempo des essuie-glaces ou du clignotant en voiture pour travailler les débits ; même la marche à pied peut se transformer en étude rythmique, votre pas est votre métronome. Dans certains endroits du globe, vous pourrez vous extasier sur la qualité des triolets de trois forgerons frappant l’acier chacun à son tour, sur une femme qui pile le mil, sur un cuisinier qui émince une carotte. Tout est rythme à celui qui tend l’oreille !

Dessin : Eddie Pons

Culture musicale.

Le préalable indiscutable à la pratique musicale est l’écoute. De la masse infinie de musique enregistrée, chaque individu choisira tel ou tel style ou interprète et passera une bonne partie de sa vie à écouter les mêmes disques. Même s’il est curieux d’autres choses, il reviendra systématiquement à ses premiers émois. Souvent associée à des moments de vie, la musique devient un instantané d’une humeur, d’une expérience intime ou d’une époque que l’on convoque à volonté par l’écoute. Bien que le musicien ait accès à ce plaisir simple, il possède également une oreille analytique qui lui permet d’identifier avec précision les instruments, les rythmes, les harmonies, les climats et toutes les composantes techniques de la musique. C’est entre autre l’acuité qui permet à un bon chef d’orchestre de corriger un seul violoniste parmi les trente présents dans le pupitre. A ce stade, l’exigence du musicien face à la qualité de la musique est immense. Il sera dérangé par des détails inaccessibles à l’auditeur lambda, et certaines productions lui seront même tout-à-fait insupportables. Cette exigence permet également de déceler un plaisir immense dans des nuances particulièrement subtiles, même sur un fragment de musique. Travailler sa culture musicale, c’est travailler la perception de ces nuances, essayer de comprendre pourquoi on aime tel ou tel aspect de la musique.

Pourquoi, me direz -vous, est-il indispensable de questionner son plaisir ? D’abord pour alimenter son vocabulaire musical, son imagination et avoir une vue d’ensemble la plus vaste possible quant aux possibilités d’interprétation, d’orchestrations, techniques, etc. Plus prosaïquement, pour cultiver sa propre "inspiration". Cette fameuse inspiration, à laquelle on attribue à tort des vertus quasiment ésotériques, est plus la synthèse d’une infinité d’informations musicales arrivant au terme de leur assimilation que l’intervention fortuite d’une muse drapée de mousseline, soufflant son trait de génie aux oreilles du musicien en souffrance.

En vérité, la problématique du musicien se situe dans l’"expiration" - ou comment restituer par le jeu musical toute la profondeur du ressenti, tout le mystère de l’Art, tout en espérant fiévreusement que le résultat se révèlera génial, ou au moins original. Pour maintenir un relatif contrôle sur le travail de la culture musicale, il sera raisonnable de rechercher la singularité plutôt que l’originalité. Du reste, l’originalité de l’un étant souvent le lieu commun de l’autre, autant ne pas se perdre dans des considérations hautement subjectives qui sont l’apanage du besoin de reconnaissance et de légitimité (nous aborderons cette problématique ci-dessous). Non, par singularité nous entendons la responsabilité de ses propres goûts musicaux. Comme de toute façon ils ne feront pas l’unanimité, mieux vaut en faire une force. Quoi qu’on en dise, vous avez le droit de verser une larme à l’écoute du générique de Oui-Oui et d’être totalement hermétique à Schoenberg : votre culture musicale n’en sera pas moins singulière.

Justement, la singularité d’une culture musicale vient de la pluralité des musiques écoutées, des interprétations différentes d’une même œuvre, des liens qui pourraient exister entre une tradition musicale et une autre. Sur ce point précis, il nous semble inutile de vérifier la véracité historique ou anthropologique de ces liens, sauf dans le cas ou votre objectif serait de publier un travail d’ethnomusicologie pour l’université. Si votre plaisir vous dit qu’il y a un lien entre les voix bulgares et le chant druphad, allez-y, investiguez, cherchez par vous même ; nul besoin de faire valider votre recherche par une autorité sur la question. Le but de ce type de recherche est l’approfondissement des traditions que vous étudiez sur le plan rythmique, harmonique ou mélodique, ou encore sur celui de l’ornementation. Attention néanmoins aux chemins de traverse, ô combien séduisants, de la fusion !

Il existe deux types de fusion : toutes les musiques qui empruntent à droite à gauche des caractéristiques stylistiques ou instrumentales, regroupent le tout et réchauffent au micro- onde - que l’on nommera con-fusion ; et celle qui se déroule dans les strates profondes de l’inconscient, hors de contrôle, hors d’une maîitrise esthétique, résultat d’une absorption en profondeur des caractéristiques de chaque élément fusionné - que l’on nommera in-fusion. Je vous laisse deviner laquelle est la plus viable… Difficile à réaliser, tant chaque tradition musicale requiert une dévotion totale pour être réellement comprise. Il ne s’agit pas tant de purisme (ou taxidermie de la musique) que de rigueur quand à la qualité de la recherche musicale, même si celle-ci peut s’avérer potentiellement une impasse. Mise à part une certaine éthique musicale, l’approfondissement et le temps consacré à la recherche restent cruciaux. lls vous mèneront sur des chemins que vous n’aviez même pas entre- aperçus, et feront de votre vie musicale une épopée unique dans laquelle votre travail et votre vécu ne feront qu’un.

En outre, cette singularité n’existera pas sans influences. Seul un mégalomane patenté croira dur comme fer qu’il s’est construit tout seul, ex nihilo. Notre personnalité est aussi la résultante d’une éducation, d’une culture, d’un langage. La construction d’un être humain se basant d’abord sur le mimétisme de son entourage direct, il semble normal qu’il en aille de même pour le développement du musicien. D’abord on apprend les gestes, puis les mots, les expressions courantes, les phrases et les millions de signaux plus ou moins perceptibles qui sont propres à chaque être humain pour enrichir son propos de telle ou telle nuance émotionnelle. Ceci est l’équipement de base (dans le meilleur des cas) ; avec ceci vous êtes parés pour partir à l’aventure. Il en va de même avec les influences musicales. Elles vous accompagneront toute votre vie, seront votre socle et parfois le rocher derrière lequel vous vous réfugierez pendant les tempêtes. Comme avec les personnes qui vous sont chères, vous vous engueulerez de temps à autre, vous romprez et reviendrez, penserez que tout est fini pour réaliser que vous ne pouvez pas vivre sans elles. Les influences sont donc hautement bénéfiques ; celui qui grandit au sein d’une communauté musicale conservatrice aura toute légitimité à devenir un authentique représentant de son terroir ; le voyageur saura tirer parti des tous les enseignements que lui apporte ses influences pour construire son propre discours musical.

Vous l’aurez compris, culture musicale et créativité sont des univers étroitement liés. La créativité pure est une illusion, elle est du domaine du divin. Le seul pouvoir dont nous disposons réellement est de l’ordre de l’assemblage, de l’alchimie lente qui se produit à force d’écouter attentivement les musiques qui résonnent au plus profond de notre être. Le génie, la créativité éjaculatrice, l’inspiration sont au mieux des coups de chance, au pire des flatulences mondaines. Oubliez ça et faites confiance à votre sensibilité, vous pouvez agir et travailler dessus.

Danièle Chich

La foi

Ne fuis pas, ô anti-clérical à poil dur !

Pour nombre d’entre nous, "foi" est synonyme de dogmatisme, fermeture, fariboles, outil de lavage de cerveau, conservatisme, communautarisme… Que nenni, tout ceci n’est qu’un prolongement malheureux du sentiment de départ : l’instrumentalisation de la foi, comme lien fédérateur, autour d’une hiérarchie, d’une communauté ou même d’un état, donne communément une religion, qui peut, dans le pire des cas, dégénérer en secte, inquisition, radicalisme et autre fondamentalisme. Mais ce texte n’est pas une réflexion sur la religion et ses effets pernicieux, et nous laisserons donc l’étude de Dieu aux théologiens.

Nous nommons foi tout ce qui à trait à l’amour de l’inexplicable, à la dévotion au non-perceptible, à l’innommable (dans le sens ou le langage vernaculaire est de tout évidence insuffisant à circonscrire toute la portée d’un phénomène), à la sacralisation de l’absurde. Il s’agit là d’un sujet hautement mystérieux. Une vie ne suffirait pas à en explorer, ne serait-ce que les bases, ce qui pousse l’homme à accomplir tout et n’importe quoi : pèlerinage, vœu de silence, étude des gammes synthétiques, nettoyage de la salle de bain, etc. Tout ce qui fait sens devant l’absurdité existentielle est mû par la foi, la croyance éminemment discutable qu’il est important, utile ou même sacré de faire telle chose ou telle autre, et de la refaire indéfiniment toute sa vie.

Sans cet amour fou et inconditionnel, il serait impossible au musicien de continuer à progresser, de continuer d’apprendre et de créer. Les musiciens sont souvent traités de passionnés, une catégorie à part échappant aux règles usuelles, pour qui la compréhension des règles du concept de lydien chromatique est nettement plus importante que la contraction d’un crédit immobilier. C’est un passionné ! Il est sous l’emprise mystérieuse d’une force incontrôlable qui le rend heureux ! Et pourtant, la passion se révèle capricieuse et même traumatisante parfois. La pratique de la musique tient plus d’une union sur la durée que du feu de brousse sentimental. Et comme dans toutes les unions, la foi est sujette à des variations d’intensité qui iront de l’extase à la tentative de suicide. D’ou la nécessité d’une certaine discipline dans ce domaine.

Analogies

Il semble inutile de questionner le pourquoi de l’amour de la musique : c’est un fait personnel intime. En revanche, nous pouvons observer (avec la distance qui conviendra) d’autres passions dans le monde qui nous entoure et éventuellement en tirer quelques enseignements. Un des champs qui présente le plus de point commun avec la pratique musicale est celui de la pratique religieuse. Examinons quelques-uns de ces aspects :

Rituels :

Commun à toutes les religions, le rituel est un exercice technique appliqué à la spiritualité. Souvent déguisé par une rhétorique plus ou moins ésotérique, le rituel est avant tout une routine destinée à fortifier le mental, à appliquer dans le réel une série d’exercices sensés acter l’amour du divin. Dans le cas de la pratique musicale, les différents exercices ont pour but de fortifier notre plaisir, d’accéder à une plénitude.

Ignorons volontairement les raisons spirituelles qui poussent à l’application des rituels pour nous concentrer sur leurs fonctionnalités. Le rituel est avant toute temporel, limité et réglé. Que ce soit pour la prière ou pour la cérémonie, le rituel suit un protocole défini, traditionnel, précis et immuable. A l’instar des repas ou du sommeil, il fait partie des besoins de base du pratiquant pour se sentir bien. Chaque pratiquant aura une explication personnelle pour justifier l’importance du rituel, mais quoi qu’il en soit, il ne discutera pas son importance structurelle, ne questionnera pas sa légitimité. La pratique quotidienne d’un rituel tient moins de la décision personnelle que du déterminisme : le pratiquant est "pratiquant" par le rituel et uniquement par lui. Nous pouvons nous inspirer de ceci pour la pratique musicale. La ritualisation de la séance de travail quotidien permet d’échapper au questionnement, et nous évite de tergiverser en fonction de l’humeur du jour. Nous avons potentiellement beaucoup de choses plus agréables à faire que de nous user sur la guitare. Néanmoins, notre force de caractère (et notre amour de la musique) s’exerce par l’observation du travail quotidien, quelles que soient les circonstances. Ritualiser le travail de la musique permet de garantir la régularité de la progression. Ceci étant dit, il appartient à chacun d’en déterminer le protocole en fonction des objectifs. Le travail technique en particulier devrait être ritualisé, car c’est le plus pénible. La dimension répétitive des exercices, la douleur physique, la concentration sur les défaillances, sont autant d’éléments qu’il s’agit d’affronter quotidiennement.

C’est une vérité à tous les niveaux de pratiques (y compris pour les plus grands musiciens). Vous pouvez le prendre comme un devoir ou un besoin, ce travail quotidien est le seul exercice qui existe pour fortifier votre volonté. Il serait hasardeux de compter uniquement sur un providentiel shoot de motivation venant de l’extérieur (une rencontre, un concert). Il ne vous reste que la détermination sur la durée pour atteindre vos objectifs. Il existe cependant quelques dangers à la ritualisation. A l’instar de certaines pratiques religieuses, la forme prend parfois le pas sur le fond : le rituel perd sa dimension d’exercice pour devenir le seul but à atteindre ! S’exercer quotidiennement est un outil pour faire de la meilleure musique. Oublier cet objectif, c’est robotiser l’exécution, désincarner la musique. Même dans la répétition de rituels répétitifs, il est indispensable de maintenir la clarté de l’intention, de ne pas oublier l’objectif final, aussi haut soit il. Ceci demande une grande clarté d’esprit et une grande concentration. Par chance, il y a aussi des exercices pour cela.

Mantras :

Le mantra (la répétition de phrases ou d’expressions en boucle, jusqu’à la transe), base de la méditation bouddhiste, est grosso modo un entraîinement à la concentration. La répétition verbalisée d’une phrase ou d’un mot oblige l’esprit à exclure toutes les pensées parasites et à se concentrer profondément sur un seul élément. Si vous faites l’effort d’être spectateur de votre propre esprit, comme si vous pouviez visualiser les pensées d’un être sur un écran, vous verrez que l’espérance de vie d’une pensée est extrêmement courte. Notre esprit est par défaut comme un chien rendu hystérique par la quête d’une baballe invisible. Maiîtriser son flux de pensées est un exercice des plus difficiles, c’est pourtant la base de l’assimilation.

Dans la pratique musicale nous sommes amenés à répéter à l’infini des gestes et des phrases musicales. La encore, l’intention finale est de la plus haute importance : robotiser la répétition ne garantit pas la stabilité sur le long terme. Il peut s’avérer très séduisant de mettre le corps en pilote automatique. Après quelques minutes (ou quelques années), la mémoire digitale (des doigts !) fera pratiquement le travail toute seule et laissera à votre esprit la possibilité de retourner divaguer dans les limbes, ce qu’il ne manquera pas de faire. L’objectif de la répétition est précisément le contraire ! La répétition fragmentaire d’un mouvement ou d’une phrase est un exercice de conscientisation des plus infimes curseurs de toucher, d’interprétation et de tempo entre autres, pas l’action automatisée de votre corps ! Comme pour le mantra, la répétition exerce votre concentration en premier lieu, les bénéfices sur le plan technique ne sont que collatéraux. C’est cette force de concentration qui vous permettra de jouer plus vite et / ou plus nuancé.

Si le mantra est un exercice difficile, il reste un entraiînement de base, la première étape vers un état de conscience plus global. La lassitude guette tous les musiciens du monde, il est très difficile de ne pas y céder. Exercer sa concentration par la répétition permet de le sensibiliser à des nuances profondes et potentiellement illimitées, donc d’échapper à l’ennui.

Ascèse :

L’ascèse est une privation volontaire, une astreinte à une règle édictée. La base de cette démarche est d’utiliser l’astreinte pour exercer sa conscience à percevoir le contraste qui existe en toute chose. Là où l’empathie et l’intellect se révèlent insuffisants à la compréhension, l’ascèse permet d’expérimenter au maximum les notions de valeur ou de manque. On trouve des ascètes dans toutes les religions ; du vœu de silence à la contrition, de l’ermitage aux interdits alimentaires, il semble que toutes les sagesses du monde reconnaissent à la privation des vertus hautement spirituelles. Et pour cause : qui mieux qu’un prisonnier sait valoriser la liberté ; qui mieux qu’un naufragé sait valoriser le confort ? Plus généralement, on pourrait définir l’ascèse par l’approfondissement des rapports entre l’homme et les lois (ou règles). Le parallèle avec la pratique musicale est évident : les nombreuses règles rythmiques, harmoniques et digitales nous astreignent en permanence. Plutôt que d’essayer de contourner plus ou moins adroitement ces règles, mieux vaut les affronter directement. Il en va de même lorsque vous avez, malgré vous, développé des mauvaises habitudes de jeu. La prise de conscience initiale de vos erreurs devrait faire office de loi (dont vous êtes le rédacteur) à ne plus transgresser. Ceci réclame d’abord une bonne dose d’honnêteté avec soi-même et par la suite beaucoup de courage. Mais ce sont précisément les enjeux de l’ascèse. Une attitude de ce type vous mènera tout droit à l’autonomie de réflexion, donc à la liberté musicale, construite sur des bases saines.

Il existe beaucoup d’autres analogies entre la foi et la pratique musicale - à ce stade vous en avez sûrement déjà trouvé par vous même. En approfondissant vos réflexions et recherches, vous développerez sans doute une approche du travail taillée à vos mesures. La pratique musicale requiert beaucoup d’endurance sur le long terme. Tous les éléments qui vous permettraient d’avancer ont une valeur inestimable : peu importe qu’ils soient reconnus ou non comme valides ou efficaces, l’important est de vous inspirer du monde qui vous entoure et de créer des liens entre vos différents intérêts. Portez attention néanmoins à ne pas faire de ces exercices un but en soi. Ce ne sont que des tuteurs qui vous aideront à pousser et à donner de beaux fruits. Si la forme l’emporte sur le fond, vous risquez de perdre plus que du temps.

En synthèse.

SI rigueur et discipline sont les mamelles de la réalisation, nous n’en sommes pas moins des êtres sensibles et fragiles devant le travail infini qu’est la pratique musicale. Tous les exercices décrits dans ce texte ne suffiront pas à garantir votre équilibre personnel. Chacun mène son propre combat contre ses travers matriciels. Les problèmes étant inévitables, une grande partie de la solution viendra de votre posture devant ceux-ci. En vous efforçant de garder une attitude de débutant, vous vous autoriserez à apprendre de tout, de vos défaillances comme de vos succès. Rien n’est plus subjectif que le "niveau" d’un musicien : quel qu’il soit, il est toujours le fruit d’une estimation venant de l’extérieur, un brouhaha de besoin de reconnaissance, d’égo sur ou sous-alimenté, de comparaison avec autrui. Evitez le questionnement autour de ces tendances, aucune réponse ne sera la bonne. Votre travail est finalement ce qui compte le plus, chaque étape succédant à une autre. Tâchez de percevoir le but à atteindre comme une trajectoire dont les méandres sont autant de constituants d’une œuvre globale. Votre œuvre.

NB : pour celles et ceux qui voudraient réagir à ce texte ou poursuivre la discussion, voici mon adresse mail : info@elmati.com

Mathias Berchadsky





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