"Pastora" : Pastora Galván à la Grande Halle de La Villette

5 mai 2012

mercredi 9 mai 2012 par Nicolas Villodre

Pastora l’ impérieuse

Pastora

Grande Halle de La Villette / 5 mai 2012

Danse : Pastora Galván

Chorégraphie : Israel Galván

Chant : José Valencia, Cristián Guerrero

Guitare : Ramón Amador

Palmas : Bobote

La jeune femme, au prénom biblique choisi par la famille, en référence, il y a de fortes chances, à une autre danseuse sévillane, et non des moindres, Pastora Imperio, pour ne pas la nommer, a suivi à la lettre l’enseignement de l’ excellent danseur et pédagogue que fut et reste son paternel, José, pour, peu à peu, s’ en affranchir, à l’instar de son frère star, Israel, réformateur de la danse masculine flamenca du siècle en cours et chorégraphe de ce spectacle tout simplement, littéralement, tautologiquement intitulé… Pastora, qu’ il nous a été donné de découvrir, grâce à Carole Polonsky, à La Villette, la veille de l’ élection de François Hollande.

Comme ce dernier lors du débat qui lui permit de sortir définitivement du jeu le président sortant, Pastora Galván est illico presto dans le vif de son sujet. Qui est, faut-il le rappeler ?, la danse. Et rien d’ autre. Ou presque. La guitare (le merveilleux et toujours juste Ramón Amador), le chant (le puissant José Valencia ainsi que le délicat Cristián Guerrero) et les palmas (le chef d’ un orchestre infernal ou l’ animateur d’ une boîte à rythmes humaine absorbant toute la compagnie, danseuse incluse, le vétéran Bobote) ont aussi leur mot à dire et suffisamment de temps pour l’ exprimer. Disons que l’ accessoire a été mis de côté. Nul besoin de deuxième guitare, de caisson péruvien, de flûte traversine, de piano aqueux, de violon criant sur tous les toits.

Photos : Luis Castilla

La totale, pour ce qui est de la panoplie andalouse, si l’ on excepte les castagnettes, une spécialité en voie de disparition. Robes de toutes les teintes, des plus froides, en théorie, aux plus excitantes, aucun doute là-dessus, tablier d’ éplucheuse de légumes d’ autrefois, période, pas si lointaine, de la femme, y compris la gitane, au foyer, foulard, madras et autres taffetas, grand châle luxueux au motif iconoclaste, purement floral. Une robe de mariée, sans mise à mort ou à nu de cette dernière de la part des quatre fiancés attablés, la bata de cola, coda ou remate de cette soirée de gala. Franges, froufrous, culotte, combinaison, plis et replis, doublures et panty, gaine, sans doute. Une forme de sans gêne, somme toute, voisine de l’ effeuillage du New Burlesque, du dévoilement du cancan, du geste déplacé, de l’ effronterie assumée, de cette présomption crâne qui, en Espagne, a une connotation exhibitionniste, signifiée, cependant, en toute innocence, accompagnée de roulements de fessier, de haussements d’ épaules, de hochements de tête, de sourires aguicheurs, voire de ces palpations voyoutes d’ entre-jambe jadis stylisées par le chorégraphe Vincent Paterson pour un certain Michael Jackson. Une danse stupéfiante, provocante, médusante, d’ essence dionysiaque ou, plus probablement, apotropaïque.

Photo : Felix Gálvez

Il convient de préciser qu’ à la distance ou nous étions placé, il était difficile de contempler la danseuse : nous nous sommes donc contenté d’ apprécier la danse. Une danse pure et réflexive à la fois. Toute la science de Séville et, plus particulièrement, la technique empirique provenant du quartier de Triana, est là, sur scène, devant nous. Mis à part une double pirouette mal reçue (= comme telle par nous perçue), la jeune femme enchaîne une bonne heure durant – les quelques fausses sorties lui permettant de se changer, pas vraiment de se délasser –, les figures qu’ elle s’ est sciemment imposées, qui vont des passes de torera aux taconeos purs et durs. Sans jamais se prendre les pieds dans le tapis. À ce propos, le kilim sur lequel elle évolue au début du spectacle rappelle, si besoin était, les origines nomades et orientales d’ un art qui a fini par se fixer dans le triangle des Bermudes sudibérique, ainsi que le cadre domestique, bien plus intime que celui de l’ immense plateau de la salle Charlie Parker, où se conçoit cette danse, festive, au départ et, plus qu’ à son tour, à l’ arrivée.

Photo : Estebán Albión

Cette notion de fête, essentielle aux yeux gitans, fort éloignée de celle de festival, est à la base du répertoire de la fratrie « galvanique ». On y est ou s’ y croit donc d’ emblée. La Bulería est, comme par hasard !, le palo alto, le mode privilégié, l’ axe ou le mât de cocagne virtuel autour duquel ne cesse de tournoyer Pastora. De fait, la fête ne peut être tournée en dérision, étant elle-même son propre carnaval. La double négation que serait, en somme, une critique de la critique est sans objet. C’ est pourquoi, paradoxalement, au lieu de tout renverser sur son passage (ce que sœur Pastora finira par faire symboliquement, en faisant chuter une colossale chaise rempaillée de frais, une sorte de prie-dieu pour gargantuesque fidèle, rappel ou gimmick décliné ad lib. par le dernier solo israeline), la danseuse rend hommage, en l’ ornant, l’ enrichissant ou légèrement la déconstruisant, à la tradition la plus ancienne ancrée en elle. C’ est pourquoi, certainement, la question de la virtuosité n’est pas vraiment ce qui importe ici.

Photo : Nicolas Villodre

Les trouvailles chorégraphiques sont réduites au minimum syndical. La façon de se débarrasser de ses souliers en les faisant valser côté cour puis jardin, comme pour dire qu’ on est arrivé à destination, au terme du voyage, enfin à l’ aise, comme à la maison, en est une, en même temps gag rare. Le numéro de danse de va-nu-pieds auquel se livre la jeune femme rappelle que son art est à la fois éphémère et réel, bel et bien libre et contraint, léger et tellurique. Le show s’ achève comme il a commencé, dans la joie et la bonne humeur. Par des Sevillanas. Comiques et, si on veut, chthoniques.

Nicolas Villodre

Logo : photo Luis Castilla





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