Manolo Sanlúcar : "Medea"

samedi 29 septembre 2007 par Claude Worms

Muxxic / Universal 0602498780046

"Medea" est originellement une musique de scène commandée en 1987 à Manolo Sanlúcar par María de Ávila, alors directrice du "Ballet Nacional de España". La première de l’œuvre eut lieu au théâtre de La Zarzuela de Madrid cette même année, avec une chorégraphie de José Granero. Ce récent CD en présente une version remaniée, sous forme de suite concertante pour guitare et orchestre symphonique (Orquesta Filarmónica
de Málaga, dirigé par Alexander Rahbari).

"Medea" est l’une des premières expériences de Manolo Sanlúcar dans le domaine de la musique à programme, genre emblématique du romantisme européen, qu’il adapte ici au langage musical du flamenco (lire à ce sujet l’excellente analyse de Corinne Savy : "Flamenco y narratividad", à propos de
"Tauromagía" et "Locura de brisa y trino"). La suite est divisée en quinze tableaux basés sur le synopsis de la tragédie d’Euripide, dont la cohérence est assurée par des récurrences thématiques La progression de l’action musicale est fondée sur les transformations des thèmes principaux (rythme, tempo, modulations, orchestration), et sur de violents contrastes entre lyrisme mélodique et déchaînement rythmique. C’est ainsi que quelques courtes
cellules thématiques structurent souterrainement les deux "Fiesta" (2, et 1O), "Reencuentro y desencuentro" (4), "Saqueo" (7), "Conjuro" (9), et "La venganza" (13), malgré des profils mélodiques et rythmiques très différents en surface. De même, la très belle paraphrase de l’Alboreà traditionnelle par le soliste, ("Soledad" ; 7), dans un esprit proche de "Las Carceles" ("… y regresarte" 1977), est reprise par l’orchestre, à la manière d’une Sicilienne, dans "Alboreá" (12), ponctuée cette fois d’interventions ornementales de la guitare. Le couple "Amargura" / "Reencuentro y desencuentro" est sans doute l’entreprise formelle la plus ambitieuse de l’œuvre. L’introduction "ad lib" du soliste est à plusieurs reprise interrompues par de fulgurantes incises "por Bulería" (duo guitare/percussions). Ces deux éléments antagonistes sont ensuite développés dans les différentes parties du tableau suivant, avec orchestre. Le dialogue guitare/orchestre des séquences "por Bulería" évoquent la polyrythmie du couple chant/guitare, avec plusieurs inversions des rôles : le soliste joue parfois "a compás" et a tempo, pendant que l’orchestre développe le chant sur des espaces-temps beaucoup plus longs ; puis, l’orchestre scande le compás, la guitare assumant la fonction du cante.

Les quelques (légères) réserves porteraient sur une tendance trop systématique à traiter l’orchestration par grandes masses instrumentales (notamment des alliages cordes/bois), accentuée par un rendu souvent pâteux de l’orchestre par la prise de son, qui par contre ménage un bon équilibre entre le soliste et l’orchestre. On notera aussi une certaine propension à la joliesse mélodique ("Seducción", 5). Je ne peux cependant m’empêcher de trouver légèrement suspecte la rigueur des critiques dès qu’il s’agit de compositeurs "flamencos", alors qu’ils font preuve sur ce point d’une indulgence coupable pour les compositeurs "classiques" de diverses écoles nationales : le même reproche pourrait parfois être adressé à Dvorak, Smetana, Bax, Moeran, Turina, Rodrigo… (liste extensible au gré du lecteur).
On pourra bien sûr contester les options esthétiques du compositeur, mais certes pas la qualité de son inspiration et la rigueur de son écriture. Encore faut-il commencer par écouter son œuvre avec l’attention et le respect qu’elle mérite.

Claude Worms

Galerie sonore

"Fiesta" : Manolo Sanlúcar (composition et guitare) - Orquesta Filarmónica de Málaga sous la direction de Alexander Rahbari






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