La Séville des Machado

Dossier Séville

jeudi 8 novembre 2007 par Maguy Naïmi

"Yo,para todo viaje
 siempre sobre la madera
de mi vagón de tercera-
voy ligero de equipaje"
"En tren"(CX) (Moi, pour tout voyage
-toujours sur le siège en bois
de mon wagon de troisième classe-
je prends mon petit bagage)

Ces vers d’Antonio Machado, ont inspiré le titre d’une biographie que Ian Gibson (auteur d’une célèbre biographie de Federico García Lorca) lui consacre : ( Ian Gibson La vida de Antonio Machado. "Ligero de equipaje" Editions Aguilar). Cette biographie d’un des plus grands poètes espagnols né à Séville et mort en exil à Collioures (où il est enterré , rappelons-le) nous replonge dans la Séville lumineuse de l’enfance du poète ( 1875-1883).
"Mi infancia son recuerdos de un patio de Sevilla y un huerto claro donde madura el limonero"(mon enfance , ce sont les souvenirs d’un patio de Séville et d’un verger lumineux où mûrit le citronnier")
mais avant tout elle est l’occasion pour nous de redécouvrir cette famille Machado qui compte en son sein bon nombre de personnages "extraordinaires" (dans le sens premier de ce terme).

Tombe d’ Antonio Machado à Collioures

Son grand père paternel , Antonio Machado Nuñez tout d’abord, républicain, maire de Séville, en 1868 après la chute d’Isabel II, est gouverneur civil de la province , médecin, titulaire de chaire et recteur de l’université Hispalense, naturaliste, géologue, botaniste, anthropologue et ornithologue, il exerce comme infirmier durant les premières guerres carlistes et voyage au Guatemala, puis à Paris où il côtoie physiciens, géologues et chimistes de renom. Après un périple en Allemagne, en Suisse, en Hollande, et en Belgique , il revient à Séville. Les frères de ce grand père déjà hors normes ne sont pas en reste ; l’un d’eux s’est engagé dans la campagne contre Napoléon, un autre, agronome de profession, participe à l’aventure du parlement libéral de

Cadix. Ces deux hommes seront inquiétés dès le retour de Ferdinand VII, le roi absolutiste : l’un présentera une machine agricole de son invention, sera ministre et se retirera de la politique, tandis que l’autre s’exilera en France. Comme on le voit, il s’agit d’une famille exceptionnelle qui influencera Antonio Machado, le poète. Celui-ci écrira à Miguel de Unamuno en 1915 : "l’autre France, c’est celle de ma famille et même de ma maison, c’est celle de mon père, de mon grand père, et de mon arrière grand père qui tous ont passé la frontière et ont aimé la France de la liberté et de la laïcité". Lui même franchira la frontière en 1939 pour s’exiler à Collioures.

Et les femmes ? La grand mère d’Antonio, Cipriana Alvarez Durán a reçu une certaine éducation, ce qui était exceptionnel pour l’époque. Elle possède une jolie plume et peint avec talent. Son oncle Agustín Durán , un érudit pour qui la poésie populaire constitue ’les archives qui contiennent les documents les plus importants et les plus précieux de l’histoire intime des nations", lui transmet son attachement à la poésie populaire . Cet amour pour les "romances" et "coplas" la poussera à mener ses propres recherches folkloriques. Son autre oncle Luis María, peintre de talent, réalise des copies de Murillo . On dit de lui que, ne pouvant pas introduire la fête dans sa maison, il emporta sa maison à la fête et inaugura ainsi la fameuse coutume des "casetas" de la fête de Séville.

Antonio Machado Nuñez et Cipriana auront un fils Antonio, le futur "Demófilo", le premier "flamencologue" espagnol, père du poète. Il fait ses études de Lettres et de Droit. Un de ses professeurs l’encourage à étudier de manière scientifique la littérature populaire. Il fonde avec des amis étudiants une revue "La Juventud " et, une fois à Madrid, il se lie d’amitié avec des républicains. Il fonde la revue "El obrero de la civilización" (l’ouvrier de la civilisation") . Il y publie plusieurs articles sur la littérature populaire , et signe du pseudonyme "El hombre del pueblo" ("l’homme du peuple"). De retour à Séville, il obtient sa licence de Droit et fonde avec des amis la "Revista mensual de Filosofía Literatura y Ciencias", où il publie ses travaux sur la littérature populaire en signant de son pseudonyme définitif, "Demófilo".

On ne peut évoquer l’enfance de Machado sans citer ces deux références qui seront fondamentales pour lui : l’amour de la poésie populaire et de la musique, constant dans sa famille, et l’architecture du palais sévillan qui l’a vu naître.
Antonio rappelle en 1917 qu’il a appris à lire dans le "Romancero General’ de son grand oncle Agustín Durán, lorsqu’il cite les vers d’un "entremés" du XVII siècle. Il se rappelle son père chantant dans son bureau du Palais de las Dueñas et il affirme "l’architecture interne de la maison où je suis né, ses patios et terrasses , ont laissé dans mon esprit une empreinte profonde" .

Mais attardons nous sur le personnage le plus "flamenco" de la famille : Antonio Machado Alvarez "Demófilo". Celui-ci reprend le collectage de coplas et de contes qu’il avait abandonné. Son but est de collecter du matériel populaire avec la fidélité scientifique la plus absolue. Il rencontre Hugo Schuchardt, professeur à l’université de Graz, spécialiste des langues romanes, qui a passé six mois à Séville pour découvrir les mystères de la prononciation andalouse. Ce dernier le met en contact avec de nombreux philologues et folkloristes européens ; il s’intéresse , lui aussi , aux musiques populaires et grâce à la collaboration désintéressée de Demófilo il publiera deux ans plus tard une intéressante monographie, " Die Cantes Flamencos", sans doute la première étude sur le Flamenco publiée en dehors de l’Espagne. En 1880 Demófilo a en mains le numéro d’août 1879 de la Revue Celtique de Paris. Il y apprend qu’à Londres a été fondée la Folk- Lore Society et il décide de créer une société similaire en Espagne, ce qui sera fait en 1881 : la société "El Folk-Lore Andaluz" est créée et permettra la fondation d’associations semblables dans d’autre provinces.
Cette même année verra la publication de sa "Colección de cantes flamencos" qu’il dédie à la "Institución Libre de Enseñanza". Elle contient 881 coplas transcrites phonétiquement , précédées d’un bref prologue dont nous recommandons la lecture. Ce livre a été à l’origine d’une étude méthodique du Flamenco et a attiré l’attention sur un genre jusque là méprisé par de nombreux érudits.

Le père d’Antonio Machado a été le premier "flamencologue". Les 12 numéros de la revue El folk- Lore Andaluz (1882-1883) témoignent de l’énergie déployée par Demófilo et laissent deviner les conversations passionnées qui ont eu lieu à la maison (la grand mère Cipriana a apporté sa contribution à la revue avec 50 contes, et le grand père a écrit un essai sur le folklore du chien). Chanteurs de Flamenco, écrivains, peintres, philosophes, poètes, politiciens fréquentent la maison. Les Machado cultivent l’art du dialogue et de l’échange d’opinions, et ont une influence bénéfique sur leurs enfants. Il s’agissait, sans aucun doute, d’une des familles les plus cultivées de Séville, et nous garderons pour notre conclusion cette magnifique confession de Demófilo, faite à son ami Luis Montoto y Rautenstrauch et rapportée par ce dernier :
"Estudia -me decía-, estudia el pueblo, que, sin gramática y sin retórica, habla mejor que tú, porque expresa por entero su pensamiento, sin alduteraciones ni trampantojos ; y canta mejor que tú, porque dice lo que siente. El pueblo no las academias, es el verdadero poeta nacional".

Maguy Naimi

Illustrations :

Logo : Antonio Machado

Le "Palacio de las Dueñas", à Séville, où naquit Antonio Machado en 1875

Portrait d’ Antonio Machado Álvarez, "Demófilo"





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