Interview de David Lagos à propos de "Cantes del silencio"

jeudi 28 mars 2024 par Claude Worms

"Cantes del silencio" a été pour nous l’un des spectacles les plus marquants et aboutis de la Biennale de Séville 2022. Nous remercions David Lagos d’avoir eu l’amabilité de répondre à nos questions.

1] Le projet

Flamencoweb Comment et pourquoi as-tu eu l’idée des "Cantes del silencio" ?

David Lagos J’ai éprouvé le besoin de "raconter" des choses et pas seulement de "chanter" des choses. Le flamenco, grâce à son aspect caméléon, m’offrait l’outil adéquat pour interpréter un thème aussi engagé. J’ai contacté un ami historien, Miguel González, et nous avons commencé par le premier thème, "La trilla de la Mano Negra". A Jerez a eu lieu l’une des dernières exécutions par garrot. Il s’agissait de sept journaliers, presque tous travailleurs dans les champs. C’est pourquoi nous avons décidé de le chanter sur la métrique et la mélodie de La trilla. Le saxo contemporain de Juan M. Jiménez jouait le rôle du bourreau et montait d’ un demi-ton sur chaque strophe que je chantais . On avait alors l’impression que je m’asphyxiais. Le résultat nous a plu et nous avons décidé de faire tout le disque sur des thématiques engagées.

FW D’après toi, quel est l’état actuel de la mémoire historique (sociale et politique) en Andalousie (et/ou en Espagne). Si elle reste méconnue, dissimulée ou manipulée, quels problèmes cela pose-t-il pour la compréhension des enjeux politiques et sociaux actuels ?

D.L. Pour moi ce n’est pas une question de camps. Il s’agit de refermer des plaies. Lors d’une interview pour la radio Cadena Ser, on m’ a demandé : "Ne crois-tu pas que tu vas rouvrir d’ anciennes plaies ?" et moi j’ai répondu : "Pour que je les rouvre il faudrait d’ abord qu’on les aie refermées." On a peu d’informations sur certains épisodes qui ont eu lieu et ont affecté des milliers de familles. Celles-ci ont besoin de trouver l’apaisement, de pleurer et veiller leurs morts.

Bon nombre de ces épisodes ont été menés avec des exécutions sommaires, présentées comme des faits de guerre. En Allemagne on étudie l’histoire de l’Holocauste. On le présente comme une partie de l’histoire qui est là et qu’il faut connaître pour essayer de ne pas recommencer. En Espagne, le seul fait de parler de certaines choses te situe dans un camps ou un autre. Mais ce n’est pas une question de camps, c’est une question de justice et, comme son nom l’indique, de Mémoire Historique. Un des textes du poète Antonio Barbeito nous dit cela : "Laissez-moi la mémoire, parce que grâce à la mémoire j’ai réussi aussi à oublier."

FW Pourquoi est-il important que le flamenco aborde ces questions ?

D.L. Parfois, le flamenco oublie sa raison d’être, la plainte, l’expression d’un peuple, ses peines et ses joies… Il s’ accommode et répète des formules toutes faites, des paroles et des patrons, et il perd son essence. Moi, j’ai besoin de m’émouvoir pour pouvoir transmettre des émotions à celui qui m’écoute. Ce n’est pas ça la transmission ? Existe-t-il de meilleures armes pour raconter les choses ?

FW Quel a été le travail de recherches documentaires ou historiques préalable au projet ?

D.L. Comme je te l’ai dit, Miguel González est un historien jérézan qui défend activement certaines causes idéologiques. Nous étions en accord avec les idées que nous présentions et voulions mettre sur la table. La "Desbandá" à Málaga, les "Treize roses", les exécutions publiques, la discrimination des homosexuels … Pour chaque thème abordé nous avons mené à bien une étude préalable en réunissant des informations. Ensuite nous avons écrit les paroles et avons choisi le palo ou le style qui s’adaptait au mieux à ce que nous voulions raconter. C’est un projet ouvert qui peut avoir toutes les suites que nous voudrons lui donner, car il y a encore énormément de thèmes et d’épisodes à traiter.

FW Pendant son élaboration, avais-tu en tête les œuvres de cantaores comme Manuel Gerena, Paco Moyano, Luis Marín, El Piki, etc., de groupes comme Gente del Pueblo, d’auteurs comme Moreno Galván ou Caballero Bonald ?

D.L. Je connaissais l’œuvre de Caballero Bonald parce que j’avais produit un CD que certains artistes jérézans lui avaient dédié, "Jerez a Caballero Bonald". Et bien sûr, je connaissais de nombreux thèmes que Gerena ou Menese avaient chantés. Ce sont des œuvres inégalables ; surtout la facilité ou, plutôt, la subtilité avec laquelle ils se sont exprimés. J’ai chanté bon nombre de ces paroles quand j’ étais enfant sans avoir conscience de leur contenu.

FW Actuellement, très peu de cantaore(a)s semblent s’intéresser aux problèmes socio-politiques contemporains, sauf quelques rares exceptions (Juan Pinilla, Rocío Márquez, Niño de Elche, Alicia Carrasco et José Manuel León / Mujer Klórica). C’est plutôt le cas de groupes "para-flamencos" (Ojos de Brujo, Chambao, Estopa, Martires del Compás, etc.) qui s’adressent à un public différent. Comment expliques-tu cette situation ?

D.L. Je suppose que le flamenco a été à son époque quelque chose de révolutionnaire, une musique que jouait le peuple pour le peuple. La jeunesse pouvait s’ identifier à ce vent de liberté, que ses textes et l’énergie exprimée dans ses chants insufflaient. De nos jours on dirait qu’il est devenu un peu plus élitiste ; actuellement, il semble que les artistes flamencos se targuent d’ appartenir à une classe sociale aisée. Sans compter l’histoire du purisme et de l’orthodoxie… et le flamenco a cessé d’intéresser la jeunesse. Dans les groupes musicaux dont tu parles, je suppose que les jeunes recherchent cet esprit de plainte que j’évoquais. Ils n’ont pas de préjugés. Ils écoutent une musique, si le message leur plait, s’ils aiment ce qu’ils entendent et comment ça sonne, et bien ils s’identifient à cette musique et c’est tout.

FW "Rekete-Reich" semble établir une relation entre franquisme et nazisme ? Si tel est bien le cas, quels sont d’après toi leurs points communs ?

D.L. "Rekete-Reich", c’est un jeu de mots. Rends-toi compte de tout ce que ça comporte : il y a une œuvre d’un compositeur allemand, Kurt Schwitters, intitulée "Ursonate". C’est une œuvre dadaïste que est comme une réponse à une série de facteurs qui incluaient le mécontentement vis-à-vis de la société, de la politique et de la culture et aussi du nationalisme et du militarisme.

J’ai utilisé une partie de cette œuvre, "Ursonate", dont la prononciation ressemble à "Requeté Reich", "requeté reich requeté"… D’un coté il y a les requétés, qui ont combattu avec les franquistes pour défendre la cause du camps nationaliste ; et de l’autre il y a le mot Reich, qui a été utilisé historiquement en Allemagne et qui désigne un pouvoir politique et territorial.

Moi je le chante "por bulería", un style festif qui me permet d’ironiser, de jouer avec le rythme et le double sens qu’expriment les mots Requete Reich. Un peu d’humour car, en Andalousie, on a toujours utilisé l’ humour comme arme contre la répression. C’est un exemple édifiant de comment nous avons envisagé chacun des thèmes et des styles abordés. On a essayé de ne pas "coudre sans fil".

FW Telles que tu les as présentées lors de la dernière Biennale de Séville, les pièces des "Cantes del silencio" ne suivent pas un ordre strictement chronologique mais sont plutôt regroupées par thèmes. Il me semble que les trois principaux sont La Desbandada ("El Sur tiene su Guernica"), la répression des militants paysans ("Trilla de la Mano Negra") et les victimes féminines ("Trece rosas") — ce troisième thème est très rarement abordé. Si je ne me trompe pas, pourquoi as-tu choisi ces trois thèmes plutôt que d’autres, parmi les très nombreux événements sanglants de l’histoire andalouse de la fin du XIXe siècle à la fin du franquisme ?

D.L. Je ne voulais pas d’ordre chronologique concret. La partie didactique de l’œuvre ne m’intéresse pas. Je mets dans mon shaker toute l’information, je la filtre, l’assimile et l’intériorise pour la ressentir quand je chante. Mais la partie réflexion est ce qui m’intéresse le plus. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes m’ont interrogé sur la thématique utilisée. Qui est était Queipo de Llano ? Pourquoi je me demandais dans la siguiriya pourquoi il était encore enterré à La Macarena comme un héros de guerre ? Je suis heureux d’avoir éveillé leur curiosité et, dans certains cas, d’avoir provoqué une certaine réflexion à travers ma musique et mon art.

FW Enrique Morente avait évoqué la Desbandada avec "Guern-Irak". Considères-tu "Los cantes del silencio" comme la suite de "Guern-Irak", qu’il n’a malheureusement pas eu le temps de faire ?

D.L. Je n’ai jamais envisagé ce travail comme une suite de l’œuvre d’Enrique. La distance est trop importante. Bien que, comme toujours, Enrique voit et va plus loin que tout le monde et décide de s’engager avec ce travail dans lequel, à travers l’œuvre de Pablo lui-même, il parle de tous les Guernicas que nous connaissons actuellement. De là vient le titre "Guern-Irak" et c’est dans ce sens là qu’ on pourrait dire que les "Cantes del Silencio" continuent sur cette ligne ; c’est-à-dire que, à travers le Guernica (le tableau), il nous parle de beaucoup d’autres Guernicas (les faits).

FW Les "Cantes del silencio" pourraient-ils être développés en spectacle musical, dans le genre de ceux de La Cuadra de Séville ? — il y avait déjà une sorte de scénario et une mise en scène pour la Biennale. As-tu chanté les "Cantes del silencio" sur d’autres scènes depuis la Biennale et, si oui, as-tu modifié le spectacle depuis ? Penses-tu les enregistrer ?

D.L. Quand nous avons joué les "Cantes del silencio" pour la première fois lors de la Biennale de Séville, il y a eu un contretemps et ça nous a obligé à changer de scène du jour au lendemain ; ça devait avoir lieu au théâtre Lope de Vega et ils nous ont envoyés au Cartuja Center. Je pense que nos avons sauvé les meubles, mais le spectacle a perdu en transmission car la thématique et le concept étaient beaucoup plus conçus pour une certaine proximité avec le public.

Ensuite nous avons été engagés pour les jouer dans une petite salle madrilène et nous les avons reformaté pour seulement deux musiciens, Juan Jiménez (saxophone) et Alejandro R. Marcos (piano). Bien sûr, ce n’est pas la même chose en ce qui concerne la richesse musicale et visuelle, mais le concept est demeuré intact. Le public, qui nous touchait presque tant il était installé près de nous, a pleuré quand nous avons évoqué la Desbandada. Ce jour-là, il y avait dans le public la directrice de la Biennale de Málaga et le programmateur du cycle "Flamenco viene del Sur". Ils ont adoré le spectacle dans ce format-là, sans compter qu’il était économiquement plus accessible.

Nous avons été engagés à Málaga et à Séville et nous l’avons alors appelé "Del Silencio Trío". C’est donc un spectacle flexible, adaptable. A Málaga par exemple nous avons adapté la siguiriya et changé son texte. On a évoqué pour l’occasion le cimetière de San Rafael où il y a plus de deux cents enfants gisant dans une fosse commune et encore non identifiés.

Bien sûr qu’on pense en faire un disque ! En fait on a déjà quatre-vingt pour cent d’enregistré et j’espère qu’on le finira cet été, car mon travail et celui des musiciens ne nous laisse pas beaucoup de temps.

2] Musique et textes

FW Quand tu as composé les "Cantes del silencio", disposais-tu déjà des textes, que tu aurais alors adaptés a posteriori ? Ou le contraire, musiques d’abord et textes ensuite ? Ou les deux en même temps, par modifications successives ?

D.L. Un peu de tout çà. Miguel González, l’historien, a écrit pas mal de textes. C’est un grand amateur de chant flamenco et il connaît bien la métrique des chants. Moi, j’adapte les textes et je cherche les styles sur lesquels ils vont aller le mieux. Il y a aussi des paroles que j’ai écrites moi-même, spécialement pour le moment où elles s’inscrivent dans l’œuvre. Par exemple la malagueña et la taranta, qui parlent de la route qui va de Málaga à Almería où a eu lieu le massacre de la Desbanda . J’ai aussi demandé au poète Antonio Barbeito, de Séville, un thème central qui parlerait de la Mémoire. Nous avons dû composer une pièce libre pour que les vers "rentrent" dans la musique.

FW Même question pour les arrangements. Sont-ils composés après l’achèvement des thèmes, paroles et musique, ou pendant leur élaboration ? Ces arrangements sont-ils toujours des œuvres collectives de tous les musiciens qui participent au projet, ou arrive-t-il que l’un d’entre eux les compose à lui seul ?

D.L. Pour les arrangements et l’accompagnement, je compte sur la sensibilité et l’expérience des musiciens. Entre mon frère, le guitariste Alfredo Lagos et moi, il y a une complicité de toujours. En ce qui concerne les autres musiciens, Alejando R. Marcos, Juan Jiménez y Antonio Moreno avec Pedro Navarro (percussions), plus contemporains, nous avons de nombreuses conversations sur le message que je veux transmettre. Ainsi ils recherchent, en partant de leur propre langage, comment converser avec le flamenco. Le résultat, c’est un dialogue entre musiciens où le contenu est ce qui importe le plus, mais sans oublier la forme. Pour la partie visuelle, j’ai pu compter sur la danse d’Isabel Bayón qui fait merveille sur scène ; sur Miguel Tellez aussi, le danseur, qui a interprété un travesti de Jerez a chanté et dansé ; et sur Melchora Ortega, mon épouse, qui a rajouté sa touche de couleur et de joie. L’éclairage de Rubén Camacho et le son de José Amosa ont souligné chacun de ces moments. Bref, mettre en scène ce spectacle a nécessité un effort gigantesque. Je les remercie tous et chacun d’eux en particulier.

3] Répertoire et style vocal

FW Actuellement, la plupart des cantaore(a)s de Jerez se limitent à un nombre restreint de palos et cantes emblématiques : toujours les mêmes cantes por soleá, soleá por bulería, siguiriya, toná, tiento, tango et bulería, plus quelques cantiñas et fandangos et la malagueña del Mellizo (ce qui n’est déjà pas si mal...). Tu es l’un des rares qui chantent un répertoire beaucoup plus vaste. S’agit-il pour toi de perpétuer une autre tradition jérézane, telle qu’ont pu l’illustrer Antonio Chacón, Luisa Requejo, Juan Mojama ou El Sernita ?

D.L. En matière de chant, Jerez est très spécial. Peut être à cause du vin, des tabancos et de son climat ; et bien sûr, parce qu’y sont établies de nombreuses familles gitanes qui ont échangé avec leurs voisins dans ces maisons où l’on chantait et dansait tous les jours. C’est pourquoi à Jerez il y a eu tant d’amateurs qui chantaient à un niveau très élevé, mai qui ne sont pas devenus des professionnels.

Quand un artiste venait à Jerez, il savait qu’il devait faire attention non seulement aux artistes consacrés mais aussi aux aficionados, qui étaient en fin de compte ceux qui mettaient la barre très haut. Mais au jour d’aujourd’hui, on met dans le même sac les artistes professionnels et les amateurs. Même s’ils sont très bons, comme ils ne se sont pas professionnalisés, ils se spécialisent dans un type de chant, sauf quelques uns qui osent se mesurer à deux ou trois types de chant tout au plus. Mais les professionnels eux, ne nous abusons pas, nous ont légué énormément de chants depuis les malagueñas, tarantas, granaínas, marianas, guajiras, fandangos, etc. jusqu’aux chants fondamentaux comme les soleares ou les siguiriyas, les tientos, les tangos, les tonás, etc. avec de très nombreux styles et variantes pour chacun d’eux. Ce n’est pas pour rien que Jerez est considéré comme le berceau du chant flamenco. Et tout chanteur qui se considère comme un artiste professionnel a à sa disposition toute une gamme de chants dans laquelle il peut piocher.

Moi j’ai toujours essayé d’avoir un répertoire très large, parfois parce que le spectacle l’exigeait. Il y a des œuvres pour lesquelles j’ai dû interpréter des chants que je ne connaissais pas et que j’ai dû apprendre. Mais en général je l’ai fait pour le simple plaisir d’écouter et de savourer la grande variété de styles que comporte le flamenco. Et plus tu en écoutes, plus grands sont les apports qui te viennent à l’esprit, parfois sur le moment. Sans préméditation, le chant surgit comme quelque chose de neuf. Il n’ a chez moi aucune prétention de modifier, apporter, supprimer ou rajouter ; j’essaye simplement d’être moi-même et ces choses-là viennent toutes seules. Toujours dans le respect et l’amour du chant qui sont le point de départ.

FW Il me semble que, sans chercher à l’imiter, tu t’es inspiré d’Enrique Morente pour certaines techniques vocales. Si oui, quelles techniques as-tu retenues, et comment les as-tu intégrées à ton propre style ?

D.L. Enrique était un grand aficionado. Il s’est beaucoup inspiré de Chacón parce que, je suppose, il avait reconnu le génie de ce chanteur jérézan. Moi aussi je me suis beaucoup inspiré de Chacón et je crois que c’est pour ça que parfois mon chant est très "morentien". Mais en réalité, je crois qu’il faudrait dire "chaconien". Cela dit, à trop écouter Morente, Camarón, El Lebrijano, tu cours le risque qu’ils s’impriment dans ton oreille. Il faut les écouter prudemment car tu finis par recréer leur son sans t’en rendre compte.

De toute façon, il y a des chanteurs qui sonnent comme Antonio Mairena, et c’est bien vu du public aficionado. J’espère qu’un jour, sonner comme Camarón ou Morente sera considéré aussi valable que de sonner comme Manuel Torres ou Antonio Mairena ; oui, mais sans tomber dans le piège de l’imitation et en imprimant ton propre style.

FW Tu as souvent collaboré avec des chorégraphes comme Israel Galván ou David Coria. Les musiques de leurs spectacles sont très difficiles d’exécution pour les musiciens, et notamment pour le chant : longues suites de cantes de tessitures très différentes, brusques passages d’un compás à un autre, etc. Ces exigences ont-elles fait évoluer ta technique ou ton styles vocaux ?

D.L. Travailler avec Israel Galván a été pour moi un privilège. Sa liberté de création était si naturelle que tout ce qu’il faisait devenait magique. Il a commencé à construire la maison par les fondations : quand il a tout dansé, et l’a dansé bien, alors il a créé son propre langage. Quand il créait un spectacle, je savais qu’il allait me demander des choses que je n’avais jamais faites auparavant. Chanter en basque, en anglais ou en français et tout passer par le filtre du flamenco et de ma voix, c’était toujours un défi. Mais le résultat m’a toujours fait du bien. Je me suis laissé influencer par sa liberté et je me suis rendu compte que, quand tu fais ce qui te plait, cela ne va pas forcément plaire à tout le monde et tant mieux. Tu deviens ainsi honnête et cohérent dans ton discours.

Avec David Coria, ça a été différent. C’est le disque "Hodierno", que j’avais enregistré antérieurement, qui nous a uni. Il avait aimé le concept et il l’a chorégraphié, lui donnant ainsi plus d’importance. Ensuite nous avons fait d’autres spectacles parce que nous avions aimé le résultat et que nous savions que nous pouvions apprendre l’un de l’autre. Effectivement, tout défi que me lance la réalisation d’un spectacle me fait grandir. Parfois, je dois chercher dans d’autres recoins de mon corps et de mon esprit pour essayer de transmettre ce qu’exige le scénario. Ça m’enrichit de me mettre à l’épreuve et tout défi est un apprentissage qui te fait évoluer.

FW Le fait d’être accompagné par un piano, ou un saxophone, ou de la musique électro, etc. change-t-il ta manière de chanter, par rapport au duo chant/guitare. Donnes-tu des directives préalables aux instrumentistes ? Les arrangements influent-ils après coup sur tes interprétations ?

D.L Chanter, il n’y a qu’une façon de chanter : la tienne. Mais chaque palo et chaque situation exige une interprétation qui s’adapte aux circonstances. Quand je chante avec la guitare d’Alfredo Lagos, c’est comme si on tendait sous moi un filet protecteur. Je sais qu’il est là… toujours.

Chanter avec d’autres supports sonores comme l’électronique, ça te fait interpréter d’une autre façon, c’est sûr. Pour "Hodierno" j’ai travaillé presque deux ans avec Daniel Muñoz, qui était le producteur et qui s’occupait du son, à la recherche d’un résultat qui nous satisfasse . Je pense que "Hodierno" a été un travail pionnier en ce qui concerne le mélange entre musique électronique et chant flamenco classique. Il y a eu d’autres réalisations antérieures avec utilisation de l’électronique, c’est sûr, mais "Hodierno", c’est un récital complet de chant flamenco classique accompagné par l’électronique. Après, il y a eu "Cantes del silencio", avec un son plus austère, plus acoustique, mais aussi avec d’autres instruments étrangers au flamenco classique.

Quand je travaille avec des musiciens d’autres disciplines, nous commençons d’abord par parler de ce que nous voulons transmettre : que nous transmet une cantiña ou une soleá ? quel est l’esprit de la siguiriya ? Ensuite vient le travail de chacun, à la recherche du sens de chaque palo, mais du point de vue de sa propre discipline artistique. Moi, j’ai toujours abordé les défis en tant que chanteur, avec respect. Et j’ai toujours cherché à ce que le résultat soit un dialogue entre musiciens, ce qui n’est pas la même chose qu’entre musiques. Quand tu viens d’ écouter "Cantes del silencio", tu sais que tu as vu et entendu du flamenco, dans une perspective différente de celle qui est convenue mais qui a conservé l’essence de chacun des chants interprétés.

Interview réalisée par courrier électronique en mars 2024 par Claude Worms

Traduction : Maguy Naïmi

Critique de Flamencoweb : "Cantes del silencio"

Discographie

"El espejo en qué me miro" — Flamenco World Music, 2009.

"Mi retoque al cante jerezano — Not on Label (autoproduction), 2014.

"Hodierno" — autoproduction, 2019.

"Cantes del silencio"





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