Extrait du LP "Ornachuelo" : Sapem SAP 231 (1980)
LA PARTITION
Le "palo"
La Bulería semble être apparue vers la fin du XIXème siècle. Elle était alors considérée comme un cante mineur, réservé à l’ accompagnement de la danse. Elle tarda d’ ailleurs à trouver sa dénomination définitive : les premiers enregistrements connus (1908, par El Pena padre et Garrido de Jerez) sont titrés "Jaleos" ou Chuflas". Il faut attendre les années 1920 - 1930 pour que le cante "por Bulería" soit substantiellement enrichi et développé, par des cantaores comme Niño Medinas, Bernardo el de los Lobitos, Canalejas de Puerto Real, Manuel Vallejo, et surtout La Niña de los Peines.
L’ accompagnement resta lui aussi longuement indécis, oscillant entre la Soleá ou les Alegrías notablement accélérées, ou une Guajira très rapide (mesure à 6/8 et 3/4 alternées, soit un espace métrique de douze temps, si nous comptons les temps à la croche). Le "toque por Bulería" acquit le profil rythmique que nous lui connaissons actuellement à partir du moment où les guitaristes (notamment Manolo de Huelva et Niño Ricardo) eurent tendance à utiliser le temps 12 pour commencer leurs falsetas (à la différence des Soleares et des Alegrías : début au temps 1). L’ ambiguïté a cependant subsisté : les falsetas, comme les compases en rasgueados, peuvent commencer indifféremment au temps 12 ou au temps 1 (sans compter les anacrouses et syncopes, très fréquentes). C’ est ce qui confère à la Bulería sa rythmique caractéristique.
Nous transcrivons la Bulería en commençant systématiquement chaque compás au temps 12. Les temps accentués étant les mêmes que pour la Soléa, et si les temps sont comptés à la croche, nous obtenons une alternance 6/8 // 3/4
(croche = croche) :
12 1 2 / 3 4 5 // 6 7 / 8 9 / 10 11...
Les tirets entre les temps 5 et 6 ont valeur de barre de mesure pour les altérations, et séparent deux "medios compases" de six temps (12 à 5, et 6 à 11). Cela permet de visualiser une caractéristique essentielle de la Bulería : les mesures peuvent être inversées (3/4, puis 6/8), et surtout, l’ une ou l’ autre peuvent être "mises en boucles" ("tocar a medio compás"). Dans ce cas, les accents rythmiques sont modifiés :
_ accents pour des "medios compases" à 3/4 : 12 2 4 6 8 10...
_ accents pour des "medios compases" à 6/8 : 12 3 6 9...
Les falsetas doivent conclure au temps 10, comme pour la Soleá et les Alegrías. Mais les guitaristes pensent fréquemment leurs falsetas par groupes de six temps, ce qui les conduit à conclure mélodiquement au temps 6. Dans ce cas, il faut impérativement ajouter à la falseta un "cierre" de quatre temps, soit en rasgueados, soit par un quelconque cliché en gamme ("pulgar", "alzapúa", ou "picado") pour atteindre coûte que coûte le temps 10.
NB : le nombre des "medios compases" étant aléatoire, ce type de falseta peut conclure mélodiquement au temps 12 (nombre pair de "medios compases"). Ce n’ est pas considéré comme une erreur de compás : dans ce cas, le temps 12 équivaut au temps 6 ("translation" sur six temps), et le "cierre" occupe les temps 12 à 4.
Il faut aussi tenir compte des anacrouses et écourter en conséquence le compás en rasgueados précédant les falsetas : ici, la falseta n°1 commence au temps 11, et la falseta n°2 au temps 9 1/2...
Les falsetas
Les deux falsetas sont caractéristiques du style d’ Antonio Negro : vigeur rythmique, et jeu monodique puissant, essentiellement en technique de "pulgar".
Le thème de la première falseta est basé, d’ une manière très traditionnelle qui évoque le style de Jerez, sur les accords des deux premiers degrés du mode flamenco de La, ou "por medio" (Bb, et A). La cadence conclusive suit le schéma de la cadence flamenca IV - III - II - I (Dmin - C - Bb - A7b9), interrompu brièvement par l’ accord de E7/B, qui suggère une modulation vers la tonalité homonyme de La Majeur (cadence V - I : E7 - A). Ce procédé ("cambio") est très fréquent dans le "toque por medio" (Tangos, Tientos, Siguiriya...). Le "cierre" de l’ avant-dernier compás ("ligados" sur l’ accord de A7b9) est emprunté à Victor Monge "Serranito".
La seconde falseta évoque plutôt le style de Paco de Lucía (années 1970), tant par son profil rythmique que par la rigoureuse symétrie de sa construction mélodique. Le premier thème est basé sur la dissonance de seconde mineure Si bémol / La (sixième et cinquième cordes, en quatrième position). Il est ensuite transposé à quarte supérieure, par simple reproduction du doigté de main gauche à partir de la cinquième corde (seconde mineure Mi bémol / Ré). La même dissonance est enfin maintenue sur l’ accord de Gmin (Do# / Ré).
Le LP
Antonio Negro est né à Marseille en 1956, d’ une famille gitane originaire d’ Almería. Il peut être considéré comme le "patriarche" de la guitare flamenca du sud-est de la France, où il a formé de nombreux jeunes guitaristes. Il est ainsi l’ un des premiers à ouvrir le répertoire des gitans de la région, essentiellement centré sur la Rumba, aux formes flamencas. Il a aussi collaboré aux concerts et aux enregistrements de groupes et de musiciens tels que "Barrio chino", "Flamen’oc" (flamenco et musique occitane), Hakim Ammandouche (musique maghrébine), Camilo Garidou et Bruno Perroni (musique tsigane et flamenco).
"Ornachuelo" est le seul disque d’ Antonio Negro enregistré sous son nom.
Le répertoire est exclusivement composé de "palos festeros", à l’ exception d’ un Tiento traditionnel et d’ une très belle Soleá : deux Rumbas, deux Bulerías, et deux Tangos, ces six morceaux étant interprétés en trio avec Manuel Santia (guitare d’ accompagnement), et Jean Grisoni (basse et guitare 12 cordes).
Claude Worms
Bulerías d’ Antonio Negro : falseta n°1
Bulerías d’ Antonio Negro : falseta n° 2
NB : Extraits de moins d’ une minute. Nous prions les artistes ou les labels qui ne souhaiteraient pas que les fichiers mp3 soit inclus dans cet article, de nous contacter le plus rapidement possible. Nous les retirerons immédiatement.
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