Ramón de Algeciras / Niño Ricardo : "Recuerdo del Sevilla moro"

lundi 21 janvier 2013 par Louis-Julien Nicolaou

Transcription intégrale de la version par Ramón de Algeciras de la composition de Niño Ricardo

Niño Ricardo

Ramón de Algeciras fut un de ces hommes de l’ombre que l’ on rencontre toujours dans les marges de la gloire, et dont l’ importance bien réelle est comme dissimulée par trop de discrétion. On ignore s’ il vécut comme une bénédiction ou une malédiction d’ avoir été le grand frère de Paco de Lucía et de lui avoir enseigné les bases de la guitare flamenca. Sans doute ces deux sentiments furent-ils un temps mêlés mais il semble que le tempérament de Ramón le vouait de toute façon à ne pas trop s’ exposer. S’il l’ avait voulu, il aurait certainement pu profiter plus largement de la médiatisation de son frère, sortir des disques sous son nom, tenter une carrière solo ou se faire compositeur à la manière du troisième frère, Pepe de Lucía. Mais, décision ou non, il demeura à l’écart. L’ élève prodigieux avait si bien dépassé le maître que, rapidement, Ramón se retrouva à n’ être que l’ accompagnateur de Paco, le soutien rythmique des Rumbas et des Bulerías, la "segunda guitarra" des disques de Camarón de la Isla, celui dont on parlait peu, mais qui était toujours là, derrière, à reproduire fidèlement des falsetas qui ne lui étaient pas créditées. A la fin de sa vie, il figurait encore sur scène, toujours aux cotés de Paco – Pepe, lui, avait été écarté –, dans des formations en sextet ou septet où on ne l’ entendait plus guère, au point que l’ on se demandait parfois si sa guitare était encore sonorisée. A la fin d’un concert parisien, on l’ avait vu passer, petit pépé ombrageux, râlant après Duquende et Juan Manuel Cañizares avec qui l’ on échangeait quelques mots, et montant tout seul dans le car d’ un groupe dont il était le doyen, et avec lequel il ne partageait peut-être plus grand-chose. Pourtant, quelques années avant sa mort, Paco lui rendait encore hommage dans les notes de "Luzía", le remerciant d’ avoir supervisé la musique d’ un disque (pour lequel il n’ était cependant crédité d’ aucun rôle de producteur ou d’ arrangeur). Respecté de tous pour son savoir, Ramón était regardé comme l’ un des gardiens du temple, et peu importait qu’ on l’ entende peu et qu’ on le voie moins encore : il était nécessaire, son rôle ne pouvait être remis en question.

Cette autorité, il l’ avait acquise non seulement en secondant fidèlement Paco, mais encore, et surtout, en accompagnant avec grande précision une quantité impressionnante de cantaores, parmi lesquels Camarón de la Isla (pour ce qui concerne cet aspect essentiel de son activité, nous renvoyons nos lecteurs à l’ hommage écrit par Claude Worms suite à l’ annonce du décès de Ramón). Par ailleurs, il était aussi apparu, à ses débuts, comme un héritier fidèle de Niño Ricardo, dont on sait qu’ il fut également la principale influence de Paco. Nul doute que Ramón ait ici joué un rôle de passeur, reprenant avec le petit frère les falsetas directement apprises auprès du maître. On pourra s’ en convaincre en étudiant son interprétation du "Recuerdo del Sevilla moro" de Niño Ricardo, dont Paco s’ est peut-être rappelé à l’ heure de composer son propre "Recuerdo a Patiño".

Issue du disque "Homenaje al Niño Ricardo. In Memoriam", cette pièce constitue l’ un des très rares témoignages de Ramón de Algeciras en solo (en fait le seul, si l’ on excepte quelques captations vidéo). Il s’ agit d’ une "Fantasía" composée et précédemment enregistrée par Niño Ricardo, et à laquelle Ramón a apporté quelques modifications très ingénieuses, par exemple, dans l’ introduction, un redoublement des triolets sur chaque accord qui tend à dramatiser la musique avec beaucoup d’ efficacité. Malgré son titre, son accordage (la corde de Mi est abaissée en Ré) et son rythme en 2/4, "Recuerdo del Sevilla moro" ne possède pas le caractère proprement "oriental" que l’ on peut si immédiatement identifier dans les Zambras composées par Sabicas ou Esteban de Sanlúcar. Si la gamme arabe est bien audible dans le trémolo, c’ est une harmonie classique de Ré mineur qui structure la majorité de falsetas parfois proches de la Farruca (avec la structure classique de Rém et La7), parfois d’ un Fandango (notamment dans la séquence d’ arpèges allant de la mesure 64 à la mesure 84). Il s’ agit bien d’une "fantaisie" naviguant entre plusieurs inspirations (Rafael Riqueni procédera de même sur "Alcázar de cristal" en enregistrant une Fantasía qui vagabonde entre rRndeña, Sevillanas, Siguiriya et Verdiales, mais ne s’ arrête jamais définitivement sur un seul de ces palos).

Les deux séquences en trémolo sont assez particulières et méritent d’ être regardées de près. Ramón de Algeciras tend à les jouer de façon ternaire, en détachant la mélodie de la basse. L’ effet d’ une sorte de galop domine, ce qui est une belle idée musicale, mais dont la réalisation s’ accompagne de quelques dérapages (ainsi quand le guitariste, emporté par son élan, attrape involontairement la corde de Mi en même temps que la corde de Si). Pour jouer au mieux ces passages, il faudra chercher moins à les reproduire note à note qu’ à en donner une idée en contrôlant bien son trémolo et en effectuant sur le vif les petits déplacements de la main gauche nécessaires à la mélodie. En clair, il conviendra de lancer sa main droite dans un trémolo très rapide, et d’ avoir les bonnes intuitions à la main gauche. Ce n’ est d’ailleurs pas particulièrement difficile, mais il faut accepter de jouer ici davantage à l’ oreille qu’ en suivant au plus près la partition. Après tout, le flamenco est un art oral, n’est-ce pas ?

Mario Escudero

Les irrégularités de tempo sont également assez fréquentes. Toute l’ introduction (mesure 1 à 22) suit un rythme un peu flottant. De même, à la mesure 74, le guitariste "mange" presque un temps complet de silence (pour notre transcription, nous n’ avons pas tenu compte de cette prompte ingurgitation). L’ écoute répétée de l’ enregistrement est donc fortement recommandée. Car, à l’ évidence, l’ interprétation de "Recuerdo del Sevilla moro" n’ implique pas une grande rigueur rythmique, mais demande un jeu plein de "feeling". Il faudra surtout ici se préoccuper de jouer avec assurance, éclat et majesté. Ainsi pourra-t’ on mettre en avant la beauté mélodique de cette pièce et rendre justice au génie particulier de Niño Ricardo.

Notons enfin qu’ il existe encore une autre version de cette composition. Signée Mario Escudero, elle s’ intitule simplement "Recuerdo a Sevilla", avec le sous-titre de "Serenata". Plus limpide dans son exécution, elle est emprunte de la grâce si particulière d’ Escudero. On entend ici une tout autre façon de jouer, une "signature" moins rugueuse que celle de Niño Ricardo et Ramón de Algeciras. Cependant chez les deux interprètes du maître, c’ est bien le même mouvement double que l’ on retrouve : respect de la musique originale et individualisation. Une leçon d’ interprétation.

Louis Julien Nicolaou

Ramón de Algiciras : Bulerías

Transcription

Recuerdo del Sevilla moro
Recuerdo del Sevilla Moro - Mp4

Galerie sonore

"Recuerdo del Sevilla moro" (Fantasia)
"Recuerdo a Sevilla" (Serenata)

"Recuerdo a Sevilla. Serenata" : Niño Ricardo (extrait du LP "La guitarra flamenca de Niño Ricardo" - Hispavox 2034)

"Recuerdo del Sevilla moro. Fantasia" : version Ramón de Algeciras


Recuerdo del Sevilla moro
Recuerdo del Sevilla Moro - Mp4
"Recuerdo del Sevilla moro" (Fantasia)
"Recuerdo a Sevilla" (Serenata)

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