Entretien avec Diego Clavel

La Puebla de Cazalla / 23 octobre 2009

samedi 21 novembre 2009 par Claude Worms

L’ interview a été réalisée en deux scéances : un questionnaire écrit, et une discussion avec Diego à La Puebla de Cazalla. Les passages en italiques correspondent aux réponses écrites de Diego.

Nous tenons à remercier ici, pour leur accueil très chaleureux, Fernando Guerrero, du "Bar Central", Joaquín "Hijo de Fernando", du bar "Jota Doble", Mario Moreno, compagnon de longue date de Diego, et naturellement, Diego Clavel et son épouse Remedios.

1) Biographie, carrière…

D’ où vient ta passion pour le flamenco ? De ta famille ?

Non, pas de ma famille, Je suis le premier. Je dis toujours que si un jour un de mes petits fils, ou arrière petits fils, ou l’ un de mes descendants, devient cantaor, il dira que ses racines lui viennent de Diego Clavel.

Par contre, il y a des précédents dans la famille de mon épouse. Quand j’ étais enfant, on me chosissait souvent pour chanter à l’ école lorsqu’ on hissait les couleurs. Je chantais pour la Vierge, pour que ma mère guérisse (les parents de Diego sont morts très jeunes, alors qu’ il n’avait que quatre ans).

Comment as-tu appris à chanter ?

Je chante depuis toujours, mais comment j’ ai appris… Le premier qui m’ ait mis sur la bonne voie est Francisco Moreno Galván. Mais le cante a toujours fait partie de ma vie. Je me souviens que je chantais quelquefois avec mes amis dans les bars. J’ étais aussi soliste dans les chœurs de Campanilleros. En fait, je chante depuis toujours, comme je te l’ ai déjà dit.

Avais-tu des cantaores de référence, quand tu as débuté ?

Quand j’ ai vraiment décidé que le cante était ma vocation, j’ ai commencé à écouter tout le monde. Je n’ ai pas voulu m’ enfermer dans le style d’ un seul cantaor, pour ne pas courir le risque de tomber dans l’ imitation stérile. J’ ai

appris de divers cantaores, en prenant de chacun ce qui m’ intéressait. Par exemple : j’ ai beaucoup appris d’ Antonio Mairena pour la Soleá, la Siguiriya, le Romance, les Tientos…, de Manolo Vargas pour les Alegrías, de Pastora (la Niña de los Peines) pour les Tangos… Comme je te l’ ai déjà dit, de tout le monde, même des mauvais cantaores, qui t’ apprennent ce qu’ il ne faut pas faire.

Les cantes de Juan Mojama m’ ont vraiment enthousiasmé (ses Granaínas par exemple). Pour enregistré la Granaína, je me suis beaucoup basé sur Manuel Vallejo.

(Il nous parle ensuite de création, de « recréation », et d’ adaptation). Le Cojo de Málaga a beaucouop chanté por Levante, mais il n’ a rien créé, il a « recréé ». On pourrait dire que moi aussi, j’ ai « recréé » la Siguiriya de Manuel Molina, parce que la première fois que j’ ai entendu ce cante, ce fut par Antonio Mairena (il nous le chante à la manière de Mairena, sans lier les tercios). J’ ai alors dit à Francisco Moreno Galván : « et si je le faisais de cette manière ? » (il se lance alors dans sa propre interprétation, très legato). Ensuite, j’ ai écouté El Niño Gloria (il fait référence aux Fandangos), et pour moi, c’ était comme si j’ avais « recréé » ce style : j’ en avais eu l’ idée sans savoir que ça avait déjà été fait. Une agréable expérience… De plus, j’ ai toujours pris beaucoup d’ initiatives, si je voyais que je pouvais ajouter quelque trait personnel sans m’ écarter du style originel… (il nous donne deux versions d’ un Fandango, la version d’ El Gloria, puis sa version personnelle). J’ étais jeune à l’ époque, j’ ai allongé ce « y » . J’ ai pris un risque, et ça a plu. Mes Caracoles aussi… (il nous interprète deux temples, puis deux interprétations de « Como relucen »). La Mariana…J’ étais lassé d’ essayer de mémoriser la version originale (celle de la Niña de los Peines). J’ ai modifié beaucoup de cantes.

Seguiriya de Manuel Molina

Siguiriya de Manuel Molina / Fandango del Gloria / Caracoles

Mais il y a aussi des « classiques ». Par exemple, ce cante de Manuel Cagancho, « Reniego yo » (une Siguiriya), on ne peut plus y toucher. Il est trop emblématique, et trop aimé par l’ « afición ».

Antonio Chacón lui-même a créé une Malagueña à partir d’ un cante d’ El Canario (il chante en parallèle une Malagueña de Chacón et la Malagueña del Canario). Elles sont semblables, et dissemblables.

Malagueñas : El Canarío / Antonio Chacón

Malagueña del Canario / Malagueña de Antonio Chacón

Quels ont été les grands moments de ta carrière ?

Sans aucun doute, mon premier prix de Seguiriyas et de Tonás au concours de Mairena del Alcor (1970). C’ est à partir de là que j’ ai décidé de devenir pleinement professionnel.

Tu chantes rarement « por Fiesta », et moins encore « por Bulería ». C’ est aussi le cas de José Menese, Miguel Vargas… Est - ce une particularité des cantaores de La Puebla ? Existe -t’ il une tradition de cante spécifique à La Puebla ?

Si nous nommons cantes festeros les cantes por Alegrías, por Tangos, por Mirabrás, por Cantiñas, por Romera, por Caracoles…, je les chante tous. On peut dire que je ne chante pas por Bulerías, mais pas que je ne chante pas « por Fiesta ». De toute façon, je ne suis pas capable de rendre correctement l’ esprit du cante por Bulería. Je me réfère ici à la Bulería de Jerez, et non à la « salade » por Bulería qu’ on entend beaucoup en ce moment.

Pour ce qui est de l’ existence d’ un style de cante spécifique à La Puebla, non. Une tradition, peut-être, car nous avons tous appris des mêmes maîtres : Mairena, Manuel Torres, Tomás Pavón, Pastora Pavón, pour en citer quelques- uns.

Diego Clavel avec son épouse, Remedios

2) Le métier et la technique vocale

Nous t’ avons souvent écouté dans les festivals d’ été des années 1970. Tu chantais toujours des cantes très durs, en particulier le cambio de Manuel Molina, dans des conditions très difficiles (en plein air, avec une sonorisation catastrophique, beaucoup de bruit…). Nous pensions alors que tu allais rapidement te casser la voix. Et finalement, tu gardes intactes tes capacités vocales depuis plus de trente ans. Que fais-tu pour préserver ta voix ?

Je crois que ça dépend de la nature de chacun. Mais évidemment, je prends quelques précautions, car c’ est le pain de ma famille qui est en jeu : je ne fume pas, je fais attention à ne pas boire trop froid…, mais rien de plus. Rien d’ extraordinaire, comme de faire des exercices vocaux. Rien de tout cela.

Tu es l’ un des chanteurs qui maîtrisent le mieux l’ articulation et le ligado entre les tercios. Comment y parviens-tu techniquement ? Et musicalement ? Quand tu commences un cante, l’ entends-tu déjà mentalement dans son intégralité ? Et, si c’ est le cas, un guitariste peut-il te gêner s’ il s’ éternise trop entre les phases du cante ? Travailles-tu la technique vocale ?

Je ne sais rien de la technique, je chante simplement ce que me dicte ma sensibilité. Un guitariste peut me gêner s’ il ne connaît pas le cante que je suis en train d’ interpréter, ou s’ étend trop longuement sur une falseta. Il perturbe alors ma concentration, ou coupe mon inspiration. C’ est pire encore s’ il se trompe d’ accord. Je pense que j’ ai une oreille très fine pour la musique, et c’ est très important pour assurer une bonne intonation.

Peut - on enseigner le cante ? Si tu devais donner des cours, qu’ enseignerais-tu ?

Je t’ ai déjà dit que c’ est un don de naissance, mais ensuite, il y a aussi un apprentissage indispensable. Je dis toujours que le cante n’ exige pas seulement de bonnes cordes vocales, ou, ce qui revient au même, une belle voix. A ces bonnes cordes vocales, il faut ajouter la connaissance. Il faut donc beaucoup écouter et beaucoup travailler. C’ est une erreur de penser qu’ il

suffit d’ avoir une belle voix. Je dis toujours que le cantaor doit s’ efforcer de réunir trois qualités : la réflexion, la sensibilité et le compás. Les trois sont indispensables pour pouvoir bien chanter. C’ est donc ce que j’ enseignerais, sans oublier que ce n’ est pas seulement la gorge qui chante, mais aussi les mains et les gestes.

J’ ai été sollicité par la Fondation Cristina Heeren pour y donner des cours, mais j’ ai refusé. Si j’ avais accepté, j’ aurais enseigné ce que je sais. Les élèves devraient beaucoup répéter, pour rectifier leurs erreurs. Mais je me dis : « pourquoi s’ inscrire à une école de chant ? Il suffit d’ écouter les disques. Si tu veux apprendre une copla d’ Antonio Mairena… Pourquoi l’ apprendrais-tu avec moi ? Apprends la directement de lui ». Le premier qui m’ a aidé a été Francisco Moreno Galván, parce qu’ il m’ a écrit des paroles. Je dis toujours que pour faire quelque chose, il faut d’ abord être conscient de ses erreurs. Un cantaor incapable de se rendre compte qu’ il est en train de mal chanter n’ apprendra jamais. L’ humilité est le seul chemin pour apprendre, si tu es trop orgueilleux… Personnellement, je ne suis jamais satisfait de ce que je fais.

Nous te considérons comme un artiste particulièrement intègre. En quoi consiste l’ intégrité par rapport au flamenco ? Et par rapport au public ?

Quelle que soit ta profession, tu dois toujours donner tout ce que tu sais et tout ce dont tu es capable. Si tu donnes cela au public, il t’ en sera reconnaissant, même s’ il t’ arrive de ne pas être au mieux de ta forme.

J’ ai écris une letra por Fandango (elle n’ est pas enregistrée) qui définit un peu mon éthique et qui me semble dans le droit fil de cette question.

¡ay mi pensar !

por mucho que a mí me obliguen

no cambiarán mi pensar

me puén quitar hasta el aire

pero no la dignidad

eso es una cosa

que nunca debe de perder nadie.

Comment le public a – t ‘ il évolué ? Respecte – t ‘ on plus (ou moins) le cante actuellement ? Le public a – t ‘il une meilleure connaissance du répertoire ? As – tu remarqué des différences entre le public d’ ici, en Andalousie (ou en Espagne), et le public à l’ étranger ?

Je suis certain qu’ il faut prendre soin du public comme il faut prendre soin du cante. Si le récital est programmé dans un bon théâtre où le public se sent respecté, où il est possible de bien écouter le concert, où en somme les spectateurs peuvent suivre attentivement ce qu’ ils sont venus écouter, alors ils respecteront les artistes qui sont sur scène. Par contre, si le spectacle se déroule en plein air, à côté d’ une loterie ou d’ une fête foraine, tout le monde est perdant : l’ organisation, le public, et celui à qui revient le plus mauvais rôle, l’ artiste qui doit recevoir un cachet qu ‘il n’ a pas pu gagner comme il l’ aurait voulu (au moins dans mon cas).

Je pense qu’ il existait avant plus de respect pour la tradition, mais le public n’ en est pas responsable. C’ est qu’ il y avait ce même respect chez les artistes : comme on chantait beaucoup por Soleares, por Seguiriyas, por Tientos…, le public aimait cela. Actuellement, on lui donne beaucoup de Fandangos, beaucoup de « salades » por Bulerías, et du coup, c’ est ce qui plaît.

Que penses-tu de la manière de traiter le flamenco dans les médias (labels discographiques, radio, télévision…) ? Amélioration, dégradation… ?

Il est clair que ça empire chaque jour davantage, au moins pour nous qui tentons de conserver les racines du cante. Je ne le dis pas pour moi, car j’ ai eu la chance d’ enregistrer tout ce que je voulais grâce à Cambayá Records et à Karonte. Si un cantaor veut enregistrer, il doit le payer très cher. Pour la télévision, il semble que le flamenco n’ existe tout simplement pas. Par contre, il me semble que Canal Sur Radio fait du bon travail.

3) Les anthologies

Comment l’ idée d’ enregistrer des anthologies de cantes t’ est-elle venue ? Quand tu as enregistré la première (les Malagueñas), avais-tu déjà planifier les suivantes ?

Non, pas du tout. Tout s’ est fait sans aucun plan préconçu. Ce qui s’ est passé, c’ est que comme je n’ arrête pas d’ écouter le cante, petit à petit, j’ ai accumulé du matériel. C’ est ainsi que se sont dessinées les anthologies. Il y a aussi autre chose : comme je l’ ai déjà dit en d’ autres occasions, j’ ai toujours eu l’ intuition que je devais faire quelque chose qui me satisfasse pleinement. J’ ai toujours ressenti un manque que je devais combler, pour enfin être en paix avec le cante. J’ ai ainsi vu ma petite obsession accomplie, avec ces cinq anthologies.

J’ ai commencé la première anthologie, celle des Malagueñas, en 1992. Et celles des cantes de Minas et des Seguiriyas étaient terminées, mais pas encore enregistrées.

Quel est ton objectif : conserver ces cantes, éduquer le public, aider les jeunes cantaores… ?

Mon objectif, c’ est d’ exprimer tout ce que j’ ai ressenti, et tout ce que je ressens. Si je peux aider les autres, c’ es d’ autant mieux. Je voulais aussi, et je crois que j’ y ai réussi, mettre au clair quelques problèmes concernant les origines des cantes et leurs créateurs, pour aider ainsi à en conserver les formes les plus anciennes. C’ est précisément ce qui est en train de se perdre actuellement, à pas de géant.

Sur quoi te bases-tu pour attribuer un cante à tel ou tel compositeur : sur la tradition orale, des témoignages, des enregistrements anciens (quand ils existent), une analyse musicale pour trouver des similitudes entre divers cantes… ?

Je me base uniquement sur des enregistrements anciens, car j’ ai toujours aimé apprendre des « anciens », qui, à mon avis, savaient ce qu’ ils faisaient, et le faisaient bien. J’ écoutais le même cante par plusieurs interprètes, pour avoir une meilleure connaissance de ses origines, et pouvoir comparer les différentes versions.

Tu as sans doute été obligé de reconstruire des cantes presque tombés dans l’ oubli. Comment t’ y prends-tu ?

Quelquefois, les enregistrements que je me procurais étaient si anciens que je pouvais seulement me baser, encore que difficilement, sur la musique (qui était naturellement ce qui m’ intéressait le plus). Il était impossible de reconstituer les textes. Mais reconstruire un cante, ça non, je ne l’ ai pas fait. Je dois le dire ainsi, car je ne veux pas revendiquer un mérite qui ne me revient pas.

Comment as-tu fait pour chercher le matériel nécessaire ?

Les gens m’ envoyaient des documents sonores, car ils apprenaient que je travaillais là-dessus. Je n’ arrêtais pas d’ écouter des bandes magnétiques, souvent des paroles incompréhensibles, si bien que je m’ intéressais plutôt à la musique. Et j’ ai cherché…, j’ ai cherché comme un archéologue qui fouille le sol pour y trouver une jarre. Et ensuite, écouter et travailler. Je m’ assieds avec un crayon, et j’ écris un texte pendant que j’ écoute, en essayant de capter l’ esprit de ce cante et de ses paroles.

Tu es l’ auteur des letras. Mais tu prends toujours soin de conserver quelques allusions aux letras traditionnelles. Pourquoi ne chantes-tu pas les letras traditionnelles ? Comment se passe l’ écriture ? Ecris-tu les textes en pensant à les adapter au mieux à chaque cante particulier (sa mélodie, son rythme…) ?

C’ est une bonne et une jolie question. Quand je veux apprendre un cante, je m’ assieds à mon bureau avec mon cahier et un crayon, et je commence à écouter et à écrire en même temps. Je tente d’ écrire mon texte dans le même esprit que ce que je suis en train d’ écouter. C’ est pour cela que certaines de mes letras commencent comme les letras originales. Je m’ efforce de ne pas perdre l’ esprit du cante que j’ apprends à ce moment.

Il y a une letra, une Malagueña del Niño del Huerto (Diego la fredonne) : « ¡ Ay ! a la madre mía ». Pour un cante, je ne compose jamais plusieurs letras : une seule me suffit, et je l’ écris. Il m’ arrive de me lever la nuit, parce que j’ ai eu une idée que je ne veux pas perdre.

Si je ne chante pas de letras traditionnelles, c’ est que ce qui me plaît, c’ est de chanter ce que je ressens, non ce que ressent un autre. J’ ai déjà chanté auparavant ce que d’ autres ressentaient.

Comment travailles-tu pour mémoriser autant de letras et de cantes, dont certains sont très similaires, avec des différences très subtiles ? Au moment d’ enregistrer, les mémorises-tu un par un, pour les enregistrer au fur et à mesure ? Ou, au contraire, mémorises-tu d’ abord tout le répertoire, pour enregistrer ensuite les deux disques dans leur globalité ?

C’ est très simple. Quand je dois enregistrer, j’ emporte tout le travail que j’ ai accumulé sur des feuilles de papier, avec toutes les letras. Comme j’ ai mémorisé chaque musique avec la letra correspondante, dès que je prononce, par exemple « ¡Ay ! la madre mía », je sais qu’ il s’ agit de la Malagueña del Niño del Huerto. Et ainsi de suite pour tous les cantes.

Quans je vais au studio, j’ emporte les letras écrites dans ce cahier, parce qu’ on ne sait jamais… Il peut t’ arriver d’ oublier un texte au moment d’ enregistrer. Je sais quelle musique correspond à chaque letra, et j’ ai tout là-dedans (il sort son cahier, où il a effectivement tout écrit). J’ ai ici toutes les Soleares, toutes les Siguiriyas…

Donc, pour toi, les letras sont comme des partitions ?

Evidemment… (il commence à chanter)… Et je sais que cette letra correspond à cette musique… (il feuillette son cahier, se rappelle du Fandango de Valverde, et le chante « à la manière de El Gatillo »).

Fandango de Valverde

Fandangos de Valverde / Style de El Gatillo

Tes « temples » et tes ornementations (mélismes…) sont toujours très différents, et très en adéquation avec chaque mélodie. Comment travailles-tu : testes-tu diverses solutions, ou est-ce plutôt de l’ improvisation ?

Mon chant est d’ abord très étudié. Quiconque veut faire du bon travail doit d’ abord étudier longuement. Ensuite, vient une totale improvisation. Si je chante deux fois por Granaínas, par exemple, je ne le ferai pas de la même manière. Pour les chanter à l’ identique, il y a les enregistrements.

Tu as créé des Malagueñas personnelles en te basant sur les Malagueñas des îles Canaries. Comment compose-t’ on un cante. Beaucoup de cantaores prétendent actuellement créer des cantes, mais il me semble qu’ il s ‘ agit plutôt de chansons por Bulerías, por Tangos, por Alegrías… Pour toi, quelle est la différence entre une chanson et un cante ?

Dans mon premier travail sur les Malagueñas, j’ en ai enregistré 31, et la dernière (« Nadie me lo pue quitar ») est une création personnelle. J’ en ai ensuite gravé 16 de plus, dont deux sont de moi. On ne peut dire d’ aucune des trois qu’ elle ressemble à quoi que ce soit qui aurait déjà été enregistré. Si tel n’ avait pas été le cas, jamais je ne les aurais sous-titrées « Malagueñas de Diego Clavel », car mon éthique professionnelle me l’ aurait interdit. Les deux Malagueñas que j’ ai nommées « canarias » ne sont pas des créations personnelles, et, comme je te l’ ai déjà dit, je ne veux pas me donner un mérite qui ne me revient pas. Je dirais plutôt que ce sont des adaptations : seulement une adaptation, du point de vue du flamenco, du style de chant des Canaries. C’ est là mon seul mérite, si tant est que ça en soit un.

Plutôt que de « recréer », il s’ agit plutôt là de modifier. Comme je te l’ ai expliqué pour les Caracoles ou la Bambera.

Bambera

Bambera

Pour ce qui est des chansons por Bulerías, je suis d’ accord avec toi : c’ est là ce que j’ appelle « salade » por Bulerías, parce qu’ ils font une mixture en mélangeant le Fandango, la Canción Zambra, et que sais-je encore…, sauf la Bulería, qui est bien plus difficile.

Outre le fait que la musique est totalement différente, jamais une chanson ne pourra te donner le frisson comme une Soleá ou une Siguiriya bien chantée. On pourra toujours dire que cela dépend de qui écoute, et de qui chante. Mais je vis le flamenco, et c’ est mon opinion ; ce qui ne m’ empêche pas de respecter celle des autres.

Quand tu composes, cherches-tu d’ abord des accords sur ta guitare ?

Non. Je fais la musique et je l’ enregistre a capella.

Dans toutes les anthologies, ce sont Antonio Carrión et Paco Cortés qui t’ accompagnent (ils le font d’ ailleurs très bien). Pourquoi as-tu choisi ces deux guitaristes ? Plus généralement, qu’ attends-tu d’ un guitariste ?

Précisément pour cette raison : parce qu’ ils jouent très bien et qu’ ils ont bien compris ce que j’ attendais d’ eux. J’ attends d’ un guitariste qu’ il soit en parfaite communion avec moi, et qu’ il connaisse bien le cante. Je donne toujours toute sa place au guitariste, et c’ est pourquoi je peux exiger la réciproque. De ce point de vue, je n’ ai en général aucun problème.

Par exemple, un tocaor devait un jour m’ accompagner por Malagueña, et il est resté là à jouer une dizaine de minutes. Je ne savais plus où j’ en étais. Si quelqu’ un m’ accompagne por Malagueña, pour moi, il faut que la guitare sonne por Malagueña dès le début. Si quelqu’ un joue por Soleá, il faut que j’ ai le sentiment qu’ il joue por Soleá… Et les accords…, c’ est indispensable. Je dis toujours que les guitaristes en connaissent plus sur le compás que les chanteurs. Souvent, ce sont eux qui nous enseignent le compás. Mais pour les accords…Il n’ y a pas un guitariste qui sorte du ton avec moi. Je l’ entends tout de suite.

Pour la Malagueña ou la Taranta, tu n’ as pas le rythme de la guitare…

D’ accord, mais il y a les silences…, le silence est très important. Les cantes dont nous pensons qu’ ils n’ ont pas de compás ne sont pas si libres que cela. Il existe un dialogue avec la guitare qui doit être respecté. Il faut attendre la réponse de la guitare et ne pas se heurter à elle… Tout a sa juste mesure, le cante libre comme le cante a compás… Rien n’ est vraiment libre. Je sais que la guitare doit me répondre (il nous en fait la démonstration pour la Malagueña del Maestro Ojana, en chantant alternativement les tercios du cante et les parties de guitare pendant les silences du cante). Et si je ne me souviens plus d’ une letra, le guitariste joue un peu plus longuement.

De gauche à droite : Michèle et Claude Delmas, Remedios et Diego Clavel, Claude Worms, Maguy Naïmi, Jean-Claude et Anne-Marie Ruggieri

Dans le prologue de ton dernier disque (anthologie de Siguiriyas), tu écris que tu n’ enregistreras plus (quel dommage pour nous). Est-ce une décision définitive ? Enregistrer une anthologie de cantes « abandolaos », ça ne te tenterait pas ?

Je crois que ces cantes sont presque tous, ou même tous, déjà enregistrés. En tout cas, je possède une anthologie de ces cantes.

Pour ma part, j’ ai enregistré tout ce que je devais enregistrer. J’ ai réalisé cinq anthologies. Pour les cantes de Málaga, il existe une anthologie. Ce sont des gens de Málaga qui l’ ont mené à bien, et il semble que d’ autres soient en projet, de Soleares et de Siguiriyas. Elles suivront mon exemple, et je m’ en réjouis, car j’ ai éveillé chez les gens l’ envie de se préoccuper des origines et des créateurs des cantes.

As-tu quelques nouveaux projets ?

Ici à La Puebla, il y a eu dans les années 1980 un fort engouement pour les Sevillanas, et je m’ en suis moi-même mêlé. J’ ai une foule de musiques, au moins quatorze…, et des textes.

Depuis les années 1980, j’ ai en réserve un répertoire de Sevillanas, dont j’ ai écrit les musiques et les textes, que mon épouse et ma fille, et aussi ma maison de disques, m’ incitent à enregistrer. Mais j’ ai résisté jusqu’ à présent.

« Mais puisque même la Niña de los Peines a chanté por Sevillanas ! », me dit-on. Et moi-même, dans un disque de Villancicos, j’ ai enregistré des Sevillanas, plus précisément des Villancicos por Sevillanas. Je pense qu’ un cantaor a le droit de tout chanter. J’ aime bien la copla (chansons de variété andalouse) , et il y a aussi des cantaores qui ont enregistré des Tangos argentins, ce qui n’ est pas un mal en soi… Ce qui n’ irait pas, c’ est si j’ avais échoué dans ma carrière de cantaor, et si je me disais : « maintenant, je vais chercher à m’ en sortir de cette manière ». Mais ce n’ est pas mon cas.

Propos recueillis par Maguy Naïmi et Claude Worms

Photos : Michèle et Claude Delmas

DISCOGRAPHIE

“Cantes vividos” : LP Ariola (1973)

“La raíz del grito” : LP Ariola (1974)

“Encuentro” : LP MPS (1978)

“Cantes y pensamientos” : LP Columbia (1981)

“A golpes de corazón” : LP Pasarela (1987)

“Sentir navideño” : CD Cambayá Records (1992)

“La Malagueña a tavés de los tiempos” 2 Cds Cambayá - Antequera Records (1994)

“Por derecho” : CD Cambayá – Antequera Records (1996)

“Diego Clavel canta a Gerardo Diego” : CD Cambayá – Antequera Records (1996)

“Cante jondo, arte flamenco” : CD Promúsica / Colección Peña “Amigos del Flamenco” de Extremadura (2000)

“Por los rincones de Huelva (sueño cumplío)” : 2 Cds Big Bang / Cambayá Records / Karonte (2003)

“Por Soleá” : 2 Cds Cambayá Records / Karonte (2005)

“Por Levante” : 2 Cds Cambayá Records / Karonte (2007)
“Por Seguiriyas” : 2 Cds Cambayá Records / Karonte (2008)


Seguiriya de Manuel Molina
Bambera
Malagueñas : El Canarío / Antonio Chacón
Fandango de Valverde




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