Sara Baras : "A propos de Sara"

Théâtre des Champs Elysées, du 19 décembre 2009 au 11 janvier 2010

mardi 22 décembre 2009 par Nicolas Villodre

Chorégraphie, direction artistique, costumes et scénographie : Sara Baras

Palos revisités : Farruca, Soleá, Bulerías, Martinete, Siguiriya, Fandangos, Alegrías...

Danseurs : Sara Baras, José Serrano (artiste invité) ; et Alicia Fernández, Ana González, Charo Pedraja, María Vega, María Jesús García Oviedo, Raúl Fernández, José Galán, Daniel Saltares, David Martín, David Nieto

Guitare : José María Bandera, Mario Montoya, Jesús Núñez García

Chant : Sary Muñoz Barrul, Saúl Quiros, Emilio Florido Sánchez

Violon : José Amador Goñi

Percussions : Antonio Suárez

Lumière : Sara Baras et Oscar Marchena Herrero

Comme quoi, pas besoin de texte ou de prétexte : on peut parfaitement tenir près de deux heures sans historiette, anecdote, argument théâtral, avec, simplement, une série de tableautins tirés des œuvres complètes de la señorita Sara, une neuvaine déjà à son actif.

Et il faut bien reconnaître qu’on n’a pas vu le temps passer. Malgré quelque redondance ici ou là (cela se traîne vraiment dans le passage au sol du pas de deux tiraillé entre Eros et Thanatos), on a apprécié pleinement la qualité du show – qui est, on peut le dire, de niveau international –, les choix musicaux et vestimentaires, les voix des chanteurs, les passages chorégraphiques d’ensemble et les variations sensibles et sensuelles de Miss Baras.

Cette soirée de fin d’année était aussi de gala. Comme celles d’autrefois, sur ces mêmes planches, avec Antonia Mercé y Luque, surnommée La Argentina, qui avait donné ses lettres de noblesse aux danses ibériques en mettant fin à l’espagnolade d’opérette.

Cela débute comme au cinéma. Sara fait du Saura. En fondu, au ralenti, au vu et au su de tous, le corps de ballet s’habille comme pour sortir mais, en réalité – c’est cela la magie et le miroir aux alouettes du spectacle –, pour faire son entrée sur scène... On assiste à une lente procession, à un défilé de mode distancié, funèbre. Les costumes colorés, accrochés aux cintres, aux portemanteaux et autres penderies à roulettes, font de la figuration intelligente, jouent aux danseurs, parcourent l’espace en un manège fantasque.

On ose user de fumigènes pour ambiancer cette féerie en embrumaillant l’atmosphère mais, cette fois-ci, à petites doses, avec prudence, d’une manière light. La ligne d’horizon est peuplée par les huit musiciens, une moitié chargée de la pompe (percussionniste, palmeros, crieurs publics), l’autre de l’ornement (18 cordes pincées et 4 frottées). Un solo de guitare donne le top départ. Des phrases biscornues avec un ou deux hoquets.

Que ce soit, comme ici, en groupe ou, là, en solo, la structure de la danse est toujours la même :

a) Les membres supérieurs ont la parole.

b) Le buste a le beau rôle.

c) Les pieds se chargent de la conclusion finale (du « remate »). La synchronie recherchée par la chorégraphe, dans la tradition de l’école bolera et aussi du « mainstream » flamand à l’ancienne, est obtenue de la troupe au grand complet.

Les jeunes gens sont justes, à commencer par le danseur en vedette cette saison, le cordobès José Serrano, dont le look rappelle celui de son maestro Mario Maya et dont la technique combine idéalement énergie, clarté et délicatesse.

Les demoiselles sont charmantes, habillées élégamment, également, par la chorégraphe aidée dans cette tâche par les meilleurs faiseurs andalous. On ne tardera pas à les individualiser ; le temps jouera en leur faveur, n’en doutons pas ! Leur talent est indiscutable. Elles manient sacrément les instruments généralement réservés aux filles, les engins de fortune que sont la mantille (aucune anicroche cette année : il faut dire qu’on a pris soin de ne pas orner leurs coiffures du fameux peigne espagnol en écaille) et l’éventail – cet objet à la pliure inventée, paraît-il, au Japon, outil de travail des geishas, a été introduit en Europe par les marchands portugais. Pas ou plus de robes à traîne (« batas de cola »). Pas ou plus de castagnettes. Un minimalisme de bon aloi.

Le duo extrait de Carmen est l’occasion d’un zapateado abstrait, sur fond de diapo tachiste. Certains passages sont subtils, d’autres éclatants, voire pétaradants. Sara s’avère coquine. Elle fait du teasing avant de repousser son partenaire ; elle lui consent un semblant de baiser du bout des doigts et le laisse en plan.

Les guitaristes s’autorisent, de-ci deçà, des envolées « jazz rock », dans le genre Mahavishnu Orchestra, sans qu’à aucun moment on ait de singerie pontyfiante de la part du violoneux remarquable, au contraire, par son jeu sobre, pour ne pas dire discret. Le cantaor et la cantaora sont excellents, surtout dans les passages a capella.

Scénographiquement parlant, Sara Baras a repris un dispositif constructiviste, étagé, comme celui qu’on trouve dans le numéro dansé de Jailhouse Rock d’ Elvis le Pelvis, qu’a utilisé la chorégraphe postmoderne Lucinda Childs dans une de ses pièces il y a une quinzaine d’années déjà, qu’exploitait Cristina Hoyos dans la version madrilène de son Viaje al Sur. Ici, une rangée de chorus boys et de girls occupant le devant de la scène tandis que l’autre se risque sur la mezzanine façon « danseurs du dessus » – pour reprendre la traduction française du film de Fred Astaire Top Hat. Cela fait naturellement un effet bœuf. Surtout lorsque les artistes se découpent en ombres chinoises sur fond moiré coloré.

La star gaditane, en tenue d’ Ève (le corps exhibé plus que dissimulé par une garde-robe à base de pièces minimalistes) ou d’ Adam (pantalon strict, top et gilet sans manches révélant de beaux bras musclés), se livre à des solos inoubliables. Elle se réserve le finale de la soirée – le corps de ballet viendra tout de même la rejoindre pour jouir des acclamations du public. Et la couleur typique, topique, emblématique du flamenco, qui n’est pas le noir mais le sang le plus vif, le rouge absolu. Mixant avec culot le zapateado de mitraille, façon Carmen Amaya, lui permettant d’arpenter la scène comme si elle était montée sur roulement à billes (et ce, sans une once de ridicule, sans un gramme de vulgarité), et une danse serpentine inspirée de Loie Fuller lui donnant littéralement des ailes, moulée dans la robe qui illustrait les affiches du métro parisien et qui lui dénude entièrement le dos, Sara Baras nous a donné un brillant florilège de son art.

Nicolas Villodre

Photos : José Luis Álvarez





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