"Mi cante por ser sencillo" : Paco Moyano / Luis Marín

vendredi 16 décembre 2011 par Claude Worms

"Mi cante por ser sencillo

Me lo quisieran matar

Y antes que lo puedan lograr

Se lo ofrezco al campesino

P’ ayudarle a batallar"

(Paco Moyano : Malagueña de La Trini)

Des textes directs et simples, qui parlent au plus grand nombre et qui font entendre des voix dissidentes, en rupture avec le discours de "réconciliation nationale" de la "transition démocratique"(traduire : blanchiment tacite des fascistes qui ont toujours pignon sur rue, et poursuivent leurs petites affaires comme si de rien n’ était : "La cultura es un adorno / Y el negocio es el negocio" - extrait du poème "Biografía" de Gabriel Celaya). Des voix dangereuses donc, et qu’ "on" s’ est effectivement employé à faire taire. Si Paco Moyano n’ a pas été assassiné, il connut maintes fois la prison et la torture. Luis Marín fut tué en pleine Castellana, à Madrid (1978), par un providentiel chauffard que les autorités transitoires de l’ époque ne se soucièrent guère de retrouver, ni même de rechercher : affaire classée sans suite (dans certains cas, la démocratie a ses limites).

Parmi les "voix qui ne se sont pas tues" ("La voces que no callaron", de Juan Pinilla, à qui nous devons une partie des informations de cet article - cf : notre récente critique dans la rubrique "Nouveautés CD"), celles de trois cantautores flamencos : Manuel Gerena, Paco Moyano et Luis Marín. Le premier ayant été abondamment réédité en CD ("Manuel Gerena. Edición limitada" - 4 CDs Fonomusic, 2001), nous consacrerons ces archives sonores à Paco Moyano et Luis Marín. Grâce à José Manuel Gamboa, le lecteur intéressé pourra aussi trouver quelques extraits de leurs enregistrements de la fin des années 1970 dans l’ anthologie "El compromiso" (collection "Cultura Jonda", volumes 15 - Fonomusic, 1997).

Jaquettes des deux premiers LPs de Paco Moyano : 1975 et 1978

Logo : Paco Moyano

Ce n’ est peut-être pas un hasard si les deux artistes sont natifs de la zone des sierras qui longe la côte méditerranéenne, de Grenade à Málaga et Ronda, territoire traditionnel des bandes irréductibles formées de bandits - contrebandiers - révolutionnaires, souvent étroitement liées à la paysannerie paupérisée. Rappelons, par exemple, la "révolution de Loja" de 1861 : 6000 paysans en armes occupèrent la ville plusieurs jours durant.

Paco Moyano est né à Alhama de Granada en 1951. Cantaor encyclopédique, disciple d’ Antonio Mairena et de Manuel Ávila (pour les Malagueñas, Granaínas, cantes de las Minas et les cantes "abandolaos"), il connaît aussi admirablement le répertoire de Cádiz, qu’ il a appris directement sur place pendant... son service militaire. Militant et poète autant que cantaor, il travaille avec les troupes de "La Cuadra" (Salvador Távora), puis de Mario Maya pour "¡Ay, jondo !". Il fonde ensuite sa propre compagnie de théâtre flamenco militant, dans laquelle il engage quelques artistes prometteurs, tels Eva "La Yerbabuena", Sara Baras ou Israel Galván, et un festival de théâtre à Alhama.

Dans son premier LP, "El cante de Paco Moyano" (CFE ES 34115, 1975), il chante Miguel Hernández, Atahualpa Yupanqui... et quelques poèmes de sa plume, comme les deux letras de Tóna que nous avons sélectionnées. Le ton est beaucoup plus virulent dans le deuxième disque, "Yo os canto", (CFE ES 34128, 1978), avec sans doute un forte dose d’ autobiographie, notamment dans les Soleares où il fait allusion à son grand - père, carabinier républicain fusillé dans le port de Málaga quand les troupes rebelles d’ Arias Navarro prirent la ville :

"Un sillón tendra en el cielo

Aquel que en un Jueves Santo

Mandó matar a mi abuelo"

Nous ne résistons pas au plaisir de reproduire intégralement les letras de ses Alegrías, inspirées naturellement de sa propre expérience militante, mais dont la dernière strophe pourrait malheureusement s’ appliquer aujourd’ hui à celle de nos sans papiers ou aux "sauvageons" de nos banlieues :

Una mañanita fria

Del frio mes de diciembre,

Paseamos por el patio

Toíto cubierto de nieve.

.........

Dicen que faltan tres días

Pa’ que yo pueda salir ;

Ya volveré que este muro

Tiene que tener mal fin.

..........

Esta mañana al patio

No me han sacado :

La ventana está alta

Nadie a mi lado.

..........

Al decir lo que ahora digo

Me siento mucho mejor,

Aqui dentro hasta los santos

Renegarían de Dios.

..........

Y entre rejas se ha pasado

Y aqui ingresó, y aqui está,

Y entre rejas se ha pasado

Toíta la Navidad.

Toíta la navidad (bis)

Porque no llevaba encima

El carnet de identidad.

Paco Moyano est actuellement retiré de la scène, et tient une auberge rurale dans sa ville natale. Mais on parle beaucoup d’ un retour. Le situation étant ce qu’ elle est, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Affiche d’ un concert de Luis Marín à Ronda / jaquette de son second LP - 1977

Luis Marín est né à Ronda en 1948, et mort prématurément à vingt neuf ans (cf : ci-dessus). En 1975, il s’ installe à Madrid avec sa famille dans le quartier populaire de Vallecas, et milite à l’ ORT (Organización Revolucionaria de Trabajadores). Il travaille le matin à décharger des camions, étudie le droit à l’ Université l’ après - midi, et chante le soir des textes "inadmissibles". Trop, c’ est trop, et il était urgent qu’ un accident de la circulation mît fin à ces trois activités subversives...

Après "Cantata de Andalucía" (Movieplay - 1977), il enregistre son second LP, dont nous vous proposons quatre plage, en 1978. Titre sans ambiguïté : "Luis Marín. El anarquismo andaluz. Nuestra palabra. Vol. 11" (Movieplay 11.0336).
Dès les Tientos qui ouvrent le programme, le propos est à la fois didactique et salutairement combatif :

"Compañero, compañero,

Tenemos que triturar

A esta gran plaga de buitres

Que nos quieren devorar"

(Maguy Naïmi me fait observer que "triturar" n’ est pas sans rappeler la moulinette du regretté Jean-Christophe Averty...)

Les huit cantes illustrent un fil narratif fort instructif, de Antonio María Calero (Professeur d’ Histoire Contemporaine à la Faculté de Philosophie et de Lettres de l’ Université Autonome de Madrid). Des récitant(e)s situent en de courts prologues le contexte de chacun d’ entre eux : les luttes ouvrières et paysannes en Andalousie, de la création de l’ AIT en 1874 (Associación Internacional de los Trabajadores) aux tentatives de réforme agraire et aux occupations spontanées de terres pendant la Guerre Civile, en passant par la fusillade de la place de la Constitution à Río Tinto en 1888 (une centaine de morts), l’ obtention de la semaine de huit heures (théorique...) après le 1er mai 1919, et la grande grève de Río Tinto de 1920 (six mois pour une défaite, division syndicale aidant...).

Claude Worms

Programme

Paco Moyano - textes : Paco Moyano

Tonás (1975)

Malagueña de La Trini et Rondeña (1978) - guitare : Pedro Escalona et Paco Cortés

Soleares de La Serneta, de Triana et de Juaniqui (1978) - guitare : Pedro Escalona

Alegrías (1978) - guitare : Pedro Escalona et Paco Cortés

Luis Marín - textes : Luis Marín

Tientos (1977) - guitare : Perico el del Lunar Hijo

Fandangos (1977) - guitare : Perico el del Lunar Hijo

Taranto (1977) - guitare : Perico el del Lunar Hijo

Fandangos de Santa Bárbara (1977) - guitare : Perico el del Lunar Hijo


Tonás
Malagueña et Rondeña
Soleares
Alegrías
Tientos
Fandangos
Taranto
Fandangos de Santa Bárbara




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