Cristina Hoyos : "Romancero gitano"

Compagnie Antonio Gadès : "Carmen"

jeudi 29 janvier 2009 par Nicolas Villodre

Cristina Hoyos : "Romancero Gitano" (Folies Bergère)

A l’occasion de son come-back à Paris et aussi de ses « adieux au music-hall », pour reprendre l’expression consacrée, nous avons eu le plaisir de rencontrer la grande figure de la danse et du cinéma espagnols qui nous a aimablement accordé un entretien dans le bureau de direction des Folies Bergère.

Avec le Ballet Flamenco d’Andalousie qu’elle anime depuis 1994 et qui est composé de vingt-six danseurs, musiciens et cantaores, Cristina Hoyos donnera, fin janvier 2009, aux Folies Bergère, une série de représentations de sa version du "Romancero Gitano" (1928) de Federico García Lorca,

un spectacle qui date de 2006. La rencontre avec Antonio Gadès, en 1969, fut le point de départ de sa notoriété internationale. Le film "Bodas de sangre"/ "Noces de sang" (1981), inspiré du drame éponyme du poète andalou dont Gadés avait tiré un ballet en 1974, fit d’elle la danseuse de flamenco universelle. Le regretté Antonio Gadés et le toujours actif Carlos Saura ont révélé le phénomène aux amateurs de danse et, surtout, aux cinéphiles du monde entier. Avec le Romancero, on pourrait dire que la boucle est bouclée.

Des quinze textes du recueil de Lorca (dix-huit, en réalité, si l’on tient compte de l’épilogue composé de trois poèmes historiques), traitant de personnages légendaires, de vierges et de saints hommes, de héros bibliques, personnifiant les éléments naturels et mêlant le tout dans une cosmogonie animiste n’appartenant qu’à lui, Cristina Hoyos n’en a gardé que neuf, les plus connus ou les plus simples à illustrer par les moyens théâtraux. La musique est de Pedro Sierra, les costumes de Pedro Moreno, et la mise en scène est signée José Carlos Plaza.

D’après le dictionnaire Oxford de la danse, Cristina Hoyos fit ses débuts dans des spectacles pour enfants, qui avaient lieu tous les dimanches d’hiver, alors qu’elle était âgée d’à peine douze ans, ce que la danseuse nous a confirmé. Ses parents l’inscrivirent dans une école de danse, s’étant très tôt rendus compte de son goût pour cette discipline. Les matinées débutaient par des sketches de théâtre, des numéros musicaux, puis proposaient, en seconde partie, variétés, danse et musique classique espagnole.

Le flamenco est venu bien plus tard. En tant que professionnelle, elle fit partie de la compagnie de Manuela Vargas avec laquelle elle se rendit aux États-Unis, âgée de dix-sept ans, pour participer à la Foire internationale de New York de 1964-65.

Avec Enrique Jiménez Mendoza "El Cojo" (le Boîteux), qui avait été le professeur de Manuela Vargas, elle approfondit la danse flamenca, perfectionna ses arabesques et tira profit de la profonde connaissance de l’art des grandes danseuses que le maestro avait personnellement connues ou vues sur scène : Juana Vargas "la Macarrona", Magdalena Seda Loreto "la Malena", Encarnacion Lopez "la Argentinita", etc.

Ce ne fut pas simple de créer sa propre compagnie, malgré la renommée de Cristina Hoyos après son passage par la troupe d’ Antonio Gadès. De retour à Séville, elle décida de faire tout le contraire de ce qu’elle avait fait jusque-là avec le grand chorégraphe alicantin. En particulier, de sortir des rôles et des

personnages qui l’avaient marquée, comme celui de Carmen. Elle opta pour un flamenco sans argument : ce fut le retour de la robe à traîne, des castagnettes (ou "palilllos"), la recherche des racines de cette danse, la stylisation en prime, bien entendu, avec de beaux éclairages, une parfaite mise en place, un sens certain du show.

Parallèlement, elle créa il y a quelques années, dans sa ville natale, le musée de la danse et du flamenco, un projet familial dont s’occupe sa nièce, Tina Panadero, par ailleurs manager de la compagnie de danse de Cristina Hoyos, afin, dit-elle, de laisser une trace dans sa terre natale et de rendre en partie ce que le flamenco lui a offert.

Les poèmes de Lorca sont des saynètes variées, joyeuses, tristes, voire tragiques, avec des gitans, la garde civile, de la passion, de la bagarre. Les artistes dansent, chantent, racontent et interprètent les textes mis en scène par José Carlos Plaza. L’important, pour Cristina Hoyos, est de pouvoir communiquer son émotion au public. Le spectacle n’est pas sous-titré mais on pourra trouver un résumé des poèmes en français dans le programme et, pourquoi pas ? se procurer le texte de Lorca en livre de poche, dans sa version française chez Points, par exemple. La chorégraphe souhaiterait ardemment transposer le ballet à l’écran et a déjà un projet très avancé avec le réalisateur grenadin Miguel Hermoso, qui comprend une composition musicale différente de celle qui est donnée sur scène.

Le genre de programme qu’on verrait bien pour les fêtes de fin d’année 2009 sur une chaîne culturelle comme... Arte.

Nicolas Villodre


Compagnie Antonio Gadès : "Carmen" (Théâtre de Chaillot)

Une orange sur la table, Ta robe sur le tapis, Et toi dans mon lit, Doux présent du présent, Fraîcheur de la nuit, Chaleur de ma vie. (Jacques Prévert, Alicante)

Antonio Gadès, danseur unique né dans la province d’Alicante, disparu en 2004, a été l’un des chorégraphes les plus importants de l’Espagne d’après-guerre, un novateur dans le champ du flamenco masculin comme dans celui d’un ballet plus classique. Il a, en 1983, après le tournage du Carmen de Carlos Saura, prototype du film de danse sans paroles, sans façon, sans autre but que celui du plaisir pur, créé le spectacle éponyme au Théâtre de Paris avec, pour partenaire, à ses côtés, l’inoubliable Cristina Hoyos.

La pièce est une "version dansée" et une adaptation à deux mains de la nouvelle de Prosper Mérimée qui, comme on sait, fut mise en musique par Georges Bizet et en paroles par les librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy. L’argument est maintenant connu : une gitane, cigarière de profession, après avoir séduit un jeune sous-officier, l’entraîne et le compromet dans des trafics à la limite de la légalité avant de le laisser tomber pour un torero. L’histoire se termine tragiquement car le jeune homme est jaloux. Gadès et Saura en ont fait un digest : l’opéra a été réduit de moitié par ces deux Jivaros ; en "contrepoint" musical, quelques airs d’origine (l’ allegro du prélude, la Habanera "l’amour est un oiseau rebelle", la Séguedille "près des remparts de Séville", etc.) sont cités tels quels, dans la version de l’Orchestre de Suisse romande, alternant avec la musique andalouse interprétée live par trois excellents guitaristes, Ramón Jimenez, Antonio Solera, Camarón de Pitita, une doyenne du cante chico, La Bronce et un cantaor barbichu et profond à la voix vraiment prenante, Juañares. Une des plus belles idées, du point de vue de la chorégraphie, de la mise en scène et même de la symbolique est le paso doble "El Gato montés" de Manuel Penella, dansé par la troupe accouplée après l’ellipse de la corrida.

Certes, le jeune danseur Adrián Galia jouant José avait le look, la silhouette fine, la coupe de cheveux de feu Antonio Gadès, mais il nous a paru encore tendre : pas assez mature ou nature. La danseuse Stella Arauzo, bien en chair, elle, qui, donc, si l’on peut dire, incarnait Carmen, sans parvenir toutefois à faire regretter La Hoyos, était convaincante, volontaire et décisive dans ses zapateados. On a rarement vu un corps de ballet dansant avec une telle synchronie de l’autre côté des Pyrénées. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas la singularité de chacune et de chacun.

Les effets d’éclairage du chorégraphe et du cinéaste ainsi que les idées scénographiques de Carlos Saura ont contribué à la réussite du spectacle. Un peu à la manière d’un Dominique Delouche, le metteur en scène espagnol joue avec les reflets de ses sept miroirs (nombre magique !), lesquels, une fois retournés par les danseurs eux-mêmes, au vu et au su des spectateurs, se changent en autant de portes. Dans la deuxième partie du ballet, l’approche de la mort est signalée par des reflets déformés des protagonistes, comme dans ces tableaux de Soutine qui ont tant inspiré Francis Bacon. Enfin, les allusions brechtiennes de distanciation et de mise en abyme tombaient plutôt bien dans le cadre de Chaillot, site par excellence du théâtre populaire, au sens de service public où l’entendait Jean Vilar.

Nicolas Villodre





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