Le Making of d’un festival

Festival Flamenco de Nîmes, 2014

mardi 18 février 2014 par Claude Worms , Maguy Naïmi

Commodément installé dans son fauteuil (la salle du Théâtre Bernadette Lafont est confortable, la visibilité et l’acoustique y sont excellentes), l’heureux spectateur mesure mal la somme de travail qui rend possible un événement de la qualité et de l’intensité du Festival Flamenco de Nîmes, qui avait attiré en 2013 près de 10000 spectateurs, toutes manifestations confondues. De la conception au rush final, toute l’année, on s’active en coulisse...

Le Festival Flamenco est l’un des temps forts de la saison du Théâtre de Nîmes. S’il est partie intégrante de sa programmation annuelle, il est aussi singulier par son rythme et par la concentration d’événements en tous genres qui, pendant deux semaines du mois de janvier, mettent le flamenco au coeur de la vie culturelle nîmoise. Pour cette édition 2014, du 7 au 18 janvier :

_ 13 spectacles (Théâtre Bernadette Lafont / Odéon / Auditorium de l’Institut Emmanuel d’Alzon et Paloma)

_ 2 spectacles "jeune public"

_ 6 conférences

_ 3 expositions (photos et dessins)

_ 2 projections de films documentaires

_ 2 stages et 1 "atelier en famille"

_ 1 présentation de livre ("Flânerie autour du flamenco")

_ 1 résidence (Rocío Molina)

_ 2 retransmissions télévisée (Arte)

_ 2 retransmissions radio (France Musique : émission "Les couleurs du monde", de Françoise Degeorges)

Une telle densité n’est tenable que par un travail minutieux en amont, qui occupe l’équipe du théâtre (une cinquantaine de salariés - sans compter les intermittents, indispensables pour le Festival Flamenco) toute l’année, en filigrane de la cinquantaine de spectacles (danse, théâtre et musique) qui constituent la saison, et qui génèrent toutes sortes d’actions culturelles, même pendant la durée du festival (lire, ci-dessous, nos interviews). Dès le mois de mars, vient l’heure du bilan du festival achevé, mais aussi de la préparation de la programmation du suivant, du plan de communication qui l’ accompagnera, du choix et de la budgétisation des trois spectacles flamencos qui seront intégrés dans les abonnements généraux de la saison suivante. La présentation de ces trois spectacles, et le bouclage du projet de programmation du festival ont lieu en juin. En septembre, le projet est validé, et commence la longue marche de la réalisation du festival suivant...

Tous nos interlocuteurs ont insisté sur l’importance d’un travail solidaire en équipe. De ce point de vue, le Festival Flamenco est un moment privilégié qui fédère toutes les énergies - et les passions : pendant quinze jours, le théâtre est une ruche laborieuse qui rapproche les différents corps de métier, et permet aux salariés de se rencontrer quotidiennement et d’échanger leurs expériences, malgré la fatigue. Avec, en perspective, la récompense de salles pleines (le taux de remplissage dépasse largement les 90%) et heureuses, et d’artistes reconnaissants pour la qualité de l’accueil qui leur est réservé (ce qui vaut aussi pour les journalistes, photographes... Merci !) . Malgré des journées de travail surchargées, ils ont tous accepté de nous consacrer de précieuses minutes. Nous les en remercions chaleureusement.

CASTING

Direction : François Noël (Directeur du Théâtre de Nîmes) / Patrick Bellito (Conseiller artistique pour le flamenco) / Marine Amelin (Administratrice générale) / Sophie Noël (Directrice technique) / Isabel Bohollo (Assistante de direction)

Technique : Gaëtane Chevreuil (Secrétaire de direction) / Luc David (Régisseur général) / Pierre Lannier (Régisseur plateau) / Didier Papaix (Régisseur lumière) / Walter Cavens (Chef électricien) / Guilhem Rater (Régisseur son) / Gérard Anziani (Cintrier) / Guy Canonge (Chef atelier et décor) / Chantal Cefaï, assistée de Zhora Kouider-Daouadj, Coralie Agostini et Mokhtaria Boumenjel (Entretien et costumes)

Administration : Pierre Dard (Attaché d’administration) / Stéphane Sachs (Responsable administratif et comptable) / Elsa Ossart (Chargée de production) / Nathalie Novis (Secrétaire comptable) / Patricia Segalini (Assistante payes)

Communication / Presse : Houria Marguerite (Responsable) / Mélissa Durand (Assistante) / Elian Planès (Diffusion)

Relations avec le public / Actions culturelles : Elyse-Marie Cabasson (Responsable) / Adèle Brouard (Chargée des relations avec le public) / Edith Bornancin (Chargée des relations avec le public scolaire et conseillère artistique jeune public) / Aïcha Yousfi, assistée de Geneviève Dumas et Sandy Korzekva (Billetterie) / Camille Duny, assistée d’ Isabelle Ponzio, Cathy Baldycou, Adil Kara Ali, Joëlle Vachet-Valaz, Jeanne-Nora Bennouar, Tom Gareil,
Romain Capone et Bruno Ronat
(Accueil du public) / Josette Fontaine et Jordan Da Ros (accueil téléphonique) / Benoît Lemaire (Bar)

Equipe du Festival Flamenco : Jean-Louis Duzert (Photographe) Isabel Amian (Accueil des artistes) / Nadia Messaoudi (Traductrice officielle) et l’ équipe d’accompagnement des artistes (chauffeurs...).

Photo : Stéphane Barbier

CONCEPTION ET PROGRAMMATION

Entretien avec François Noël

Le Festival Flamenco est inclus dans notre projet général de programmation, mais c’est aussi nécessairement un événement à part, puisqu’il nous conduit à nous concentrer sur un seul champ artistique pendant deux semaines. C’est un événement dans la programmation, durant lequel le reste de la saison est mis entre parenthèses, parce qu’il mobilise tous nos plateaux, le Théâtre Bernadette Lafont, l’Odéon, le Paloma, l’auditorium de l’ Institut Emmanuel d’ Alzon… Mais la même équipe travaille pour l’ensemble de la saison et pour le festival. C’est un temps fort qui fédère tout le monde, et contraint à des efforts supplémentaires, à un investissement particulier, et ce 24h sur 24. Mais cet investissement, dès lors qu’il est fait avec sincérité, et que toute l’équipe est très « supporter » du festival, devient une sorte de plaisir qui génère de la solidarité entre les uns et les autres. Je trouve beau et intéressant que tout le monde s’investisse à ce point – c’est naturellement le cas pour le reste de l’année, mais en moins intense. Nous avons normalement un ou deux spectacles par semaine, mais pas un ou deux, voire trois, par jour, comme en ce moment. J’aime beaucoup ce moment, qui comble une sorte de creux au mois de janvier : on revient de vacances, tout le monde est un peu « down »… On attaque le festival, et ça met toute l’équipe en ordre de bataille. Je crois que chacun en recueille le bénéfice, même si tout le monde est épuisé. D’ailleurs, nous n’avons aucun spectacle la semaine prochaine, qui sera vraiment une période de convalescence.

Le public n’est pas très différent de celui du reste de nos spectacles, même si une partie ne vient que pour le Festival Flamenco et ignore souvent le reste de notre programmation. Mais la majorité est très présente sur l’ensemble de la saison, flamenco compris : les abonnés de la première heure, qui, en général, retiennent immédiatement les trois spectacles du festival inclus dans les formules d’ abonnement. Nous n’avons pas de critère particulier pour le choix de ces trois spectacles, mais comme la programmation du festival n’est pas achevée quand nous définissons les abonnements de la saison, nous privilégions les propositions pour lesquelles nous avons déjà verrouillé les contrats, pour éviter les annulations ou les modifications de dernière minute. Le festival suscite aussi des envies : des gens qui ne venaient d’abord que pour le flamenco, ont fini par s’intéresser au reste. C’est difficile à quantifier, mais il nous arrive de retrouver sur des abonnements généralistes des noms figurant sur nos listings d’ abonnés au Festival Flamenco.

Le Théâtre Bernadette Lafont est Scène Nationale pour la Danse Contemporaine, mais nous ne sommes soumis à aucune contrainte spécifique dans les conventions qui nous lient à l’ Etat, concernant la programmation flamenca. D’ailleurs, la ligne de démarcation entre tradition et création n’est pas si évidente. Nous programmons certes Rocío Molina, Israel Galván et Andrés Marín, mais ce que nous a présenté Isabel Bayón la semaine dernière, bien que très classique, peut aussi être considéré comme de la création contemporaine. Par goût personnel, je suis intéressé par les créations qui vont de l’avant, même si j’ ai aussi beaucoup aimé Pepe Torres hier. Je pense qu’il nous faut aussi soutenir celles et ceux qui construisent l’avenir du flamenco, et c’est pour cela que nous avons invité Rocío Molina en résidence. Pour que le flamenco reste un art vivant, il est important de promouvoir ce type de projets. Tout n’est pas forcément très réussi, mais je suis très séduit par cette idée de flamenco en marche. Notre public a une formation à la danse contemporaine, il fait ce parcours avec nous toute l’année. Le spectacle d’Andrés Marín est sans doute le plus contemporain que nous ayons vu jusqu’à présent - il tord franchement tous les codes, pas seulement ceux du flamenco d’ailleurs. J’ai l’impression que le public n’a pas eu de problème. Les spectateurs avec lesquels j’en ai discuté n’étaient pas tous très enthousiastes, mais tous avaient compris de quoi il s’agissait. Personne ne m’a dit que ce n’était pas du flamenco, parce que ce n’était pas ce qui importait : "C’est un beau danseur, que j’ai aimé ou non sa chorégraphie". C’est pourquoi notre public est si réceptif, et attentif. Miguel Vargas (guitariste du spectacle "L’Estrémadure rend hommage à Porrina de Badajoz" - NDR) me le disait hier : "Nous ne sommes pas accoutumés à cette qualité d’écoute en Espagne. Nous sentons bien qu’il y a une attente en face et ça nous met la pression, mais c’est très motivant. Nous ne pouvons pas tricher". Notre public peut aimer ou non un spectacle, mais il n’y a jamais de "bronca". Il est respectueux des artistes, parce que nous le sommes également et que nous transmettons cette attitude. Notre façon de recevoir les gens, de les accueillir sur le plateau, notre manière de présenter les spectacles…, tout ça met le public dans un certain état d’esprit. Et les artistes aussi : ils ont vraiment envie d’être bons, ça se sent. Jouer la carte de la fidélité avec les artistes est aussi enrichissant pour nous, comme pour le public : nous attendons tous certains artistes qui reviennent pour la deuxième ou la troisième fois comme des amis, et nous avons d’autant plus envie de les écouter. C’ était la même chose avec Pina Bausch, dont c’ était la troisième année dans notre théâtre.

Nous avons cette année trois concerts de musiques traditionnelles, de Madagascar, d’Iran et du Pakistan. Nous allons reconduire l’expérience l’année prochaine, pour voir où ça nous mène. Le spectacle malgache présentait des musiques de guérison, magnifiques. Le public l’a reçu comme un cadeau et nous avons dû doubler la date. Nous allons monter un circuit avec le Théâtre de Toulouse pour ces concerts. Je ne suis pas pressé, mais j’ ai très envie de développer ce type de projet, en partenariat avec Françoise Degeorges, de France Musique. A long terme, le Festival Flamenco pourrait éventuellement s’ insérer dans des cycles de "Musiques du Monde", dont il serait l’un des temps forts. Mais encore une fois, il faut prendre le temps d’installer les choses. Pour le Festival Flamenco, il me semble que nous avons atteint avec l’ édition de cette année le but que nous nous étions fixé – aller au-delà en termes de durée ou de nombre de spectacles serait sans doute déraisonnable. Mais il nous aura fallu sept ou huit ans.

J’ ai travaillé au Théâtre de Nîmes il y a une vingtaine d’ années, comme directeur technique. J’ai donc connu le premier concours de flamenco, puis le deuxième… Pour l’ une de ces éditions, le parrain du concours et le président du jury était Fosforito. Il a donné un concert, et vraiment, ça m’a mis par terre… A partir d’une telle expérience, tu as envie de tout entendre, et je n’ai plus cessé d’écouter du flamenco. Quand je suis revenu à Nîmes, cette fois avec la fonction de directeur du Théâtre, Patrick Bellito avait réussi à maintenir un petit événement flamenco sur deux ou trois jours, mais plutôt contre l’avis du directeur auquel je succédais, contre l’avis de la municipalité… Avec peu de moyens, Patrick a tout de même passé le cap. Je suis arrivé en mars 2003, et je n’ai donc pas vu ce qui s’était passé au mois de janvier précédent. Mais pour l’année suivante, j’étais décidé à soutenir Patrick et à faire quelque chose de plus conséquent sur le flamenco. Nous avons mis progressivement plus de moyens budgétaires. Actuellement, nous sommes arrivés à peu près à ce que nous avions imaginé, même si naturellement, il nous faut poursuivre - avec un type de programmation qui ne coupe pas le flamenco de ses racines, mais qui en même temps regarde vers son avenir. Evidemment, tout peut toujours être amélioré, et je n’aime pas non plus répéter trop longtemps la même formule. Nous allons donc sûrement trouver quelque chose pour les années à venir, mais ce sera une (ou des ?) surprise. Il faut maintenir le suspens…

REALISATION : ADMINISTRATION

Entretien avec Marine Amelin et Elsa Ossart

Marine Amelin : Le Festival Flamenco est intégré dans une saison artistique. Le Théâtre de Nîmes dispose d’une quarantaine de salariés permanents, de personnels intermittents, techniciens et ou artistes, et de CDD pour tout ce qui est accueil…etc. Toutes ces personnes concourent à quatre fonctions. La partie la plus visible est effectivement la partie artistique, l’accueil de spectacles, et c’est ce qu’on voit là avec le flamenco : théâtre, musique et danse. En parallèle, nous avons une grosse activité de soutien à la création : des résidences, des apports en numéraires, des apports en logistique. En ce moment par exemple, nous travaillons sur des projets pour l’automne prochain , sur les prochains artistes associés qui seront installés pendant trois semaines. Donc nous travaillons en amont sur la production avec eux, et ensuite sur la logistique : les hébergements, les repas, les plannings techniques, la communication. Tout cela fait partie de l’aspect du volet artistique qui est le moins visible. Nous avons entre cinq et sept résidences par an : jeune public, danse, musique, théâtre avec, en parallèle, un atelier de construction de décors. L’atelier est utilisé toujours en relation avec une production maison, c’est à dire que ne pouvons pas avoir d’activité commerciale avec l’atelier.

La deuxième activité importante, qui représente une multitude de petits projets, et qui pour moi est presque un laboratoire, est une mission de service public : tout le service éducatif. Nous avons un enseignant détaché deux heures par semaine et nous montons une soixantaine de projets à destination des scolaires. C’est Edith Bornancin qui s’en occupe, depuis les tout petits de la maternelle jusqu’à la fac : ateliers, rencontres… toutes pratiques qui aboutissent parfois à un spectacle. Toutes sortes d’initiatives en relation avec le monde scolaire. A destination des non scolaires, tout un panel d’actions, conférences, rencontres, stages… Tout ce qui accompagne par exemple le Festival Flamenco.

Une autre activité, liée à notre statut de Théâtre de Ville, est l’accueil d’écoles de danse, et la location et mise à disposition de salles. Nous sommes Théâtre de Ville, et à ce titre nous avons une cinquantaine de dates qui ne sont pas dans notre programmation, mais dans le cadre d’une location de la salle : entre autres, tous les galas de danse…etc. Au total, tout cela suppose deux cent levers de rideau par an, plus une soixantaine d’actions éducatives, une soixantaine d’actions culturelles, plus les décors qui se construisent. Il n’y a pas d’atelier costumes, ponctuellement nous aménageons un studio de danse. Par contre l’habilleuse, qui n’est pas permanente, est là quand elle est demandée sur la fiche technique, pour réparer ou nettoyer les costumes.

En décembre dernier, nous avons accueilli le Danz Theater de Pina Baush, un moment très important car c’est une compagnie qui tourne très peu, avec laquelle nous avons entamé un partenariat. Le Festival Flamenco est un temps comme un autre car il fait partie de la programmation, mais c’est aussi un temps différent parce que nous nous sentons plus impliqué au niveau de la logistique. C’est un temps différent parce qu’il s’inscrit dans la culture de la ville, dans une réalité historique et culturelle de la ville de Nîmes. Enfin, c’est un temps différent parce que c’est un temps de haute activité.

Sur la saison, nous avons 70% de spectateurs locaux, gardois, alors que pour le flamenco nous descendons à 45%. C’est un public d’ "afición", qui vient de loin et pour lequel la barrière tarifaire est moindre, un public de connaisseurs. Nos abonnés vont venir voir les "pointures". A l’ouverture de la saison et des abonnements, en juin, nous présentons deux ou trois spectacles flamencos pour lesquels les gens peuvent réserver des places. Nous avons 4500 abonnés, et environ 50000 spectateurs sur l’année. Pour le flamenco nous sommes à 10000.

Elsa Ossart : Pour le Festival Flamenco, notre effectif est élargi, et nous embauchons une équipe spéciale : un photographe, une traductrice (Nadia Messaoudi), Isabel Amian qui coordonne une équipe de cinq personnes pour l’accueil des artistes, et moi à la production. Cela me prend trois mois de travail sur l’année. Les difficultés que nous rencontrons sont surtout les changements de dernière minute. Cette année, nous avons eu beaucoup de malades, et des problèmes familiaux. Certains artistes annulent donc leur voyage au dernier moment. Par exemple La Macanita, remplacée par José Valencia pour le spectacle d’Andrés Marín. Nous travaillons régukièrement avec certains producteurs. Cette année, il y a quelques nouveaux, mais ça roule plutôt bien.

Pour les billets d’avions, nous n’avons pas de partenariats spécifiques. Certaines compagnies de danse prennent leurs billets en direct, ou passent par des agences de voyage. Disons que grosso modo, c’est moitié / moitié. Je m’occupe plus ou moins de la moitié des voyages, en contactant des agences de voyage, ou, principalement par internet, car c’est le meilleur rapport qualité prix. Je passe beaucoup de temps à ça.Nous devons faire voyager et loger 150 artistes, une vingtaine de conférenciers, plus les intervenants dans les ateliers, les stages et les actions culturelles, plus les photographes et plasticiens dont nous exposons les œuvres (cela représente encore une vingtaine de personnes), sans oublier la presse internationale - les nationaux, exceptionnellement. Pour les hébergements à l’hôtel Atria, nous avons réservé 150 nuitées.

Marine Amelin : Quand Elsa dit qu’il n’y a pas eu beaucoup de difficultés cette année… Récemment, en une journée, elle a eu trente changements de ’rooming liste".

Elsa Ossart : Quelqu’un est arrivé deux jours plus tôt que prévu, d’autres ont voulu finalement dormir dans la même chambre… Il faut faire attention tous les jours, et pour les billets, c’est pareil, il faut être sur le coup tout le temps. Depuis trois ans que je travaille sur le festival, nous n’avons jamais eu de problème avec les avions. Mais l’année antérieure à ma venue, les avions étaient bloqués par la neige. C’est pourquoi nous faisons toujours arriver les artistes à J-1, pour être sûr qu’ils soient là…, parce que le jour J, ç’est trop stressant. Mais nous prenons cette précaution l’ensemble de la saison, pas seulement pour le flamenco.

Marine Amelin : Nous avons failli avoir une rupture de contrat cette année. Une artiste qui prétend découvrir que le libellé d’un programme ne lui convient pas et qui nous dit : "Je ne joue pas"… Si nous devions penser aux multiples "animations" qui jonchent nos parcours !… Le festival existe tout de même depuis vingt quatre ans, mais pour quelqu’un qui commencerait… Il y a des conventions fiscales, sociales…, parce que nous travaillons avec l’étranger, ce qui demande quand même, outre de bien parler la langue, de maîtriser le droit social et le droit fiscal, au- delà d’un simple contrat. Se poser les bonnes questions, parce que nous avons beaucoup d’espagnols qui sont en libéral. Les régimes sociaux et fiscaux sont différents. Toute l’équipe réfléchit ; "Attention, est-ce que les droits d’auteur sont les mêmes ? Est-ce qu’on s’est bien posé les bonnes questions ?". C’est un travail en commun. Quand nous avons un doute, nous demandons à Stéphane Sachs (le comptable - NDR).

La Région Languedoc ne nous soutient pas sur ce festival, malgré nos nombreuses demandes. Par contre, la Junta de Andalucía depuis cinq ans, et la Junta de Estremadura depuis trois ans (l’équivalent de nos régions) nous soutiennent. Cette année, compte tenu du fait que les fonds ne sont pas arrêtés au niveau européen, la Junta de Andalucía ne nous a toujours pas officiellement soutenus, et nous ne savons toujours pas si nous obtiendrons cette aide ou pas.

La part de la billetterie sur le financement de la saison est pour l’instant de 14 %. Nous montons jusqu’à 20% pour le Festival Flamenco. En France, la majorité des salles de spectacle sont subventionnées, à part les théâtres privés. La règle est de 80/20 à peu près. Pour les scolaires, proposons des billet à quatre euros, ce qui fait diminuer le prix moyen du billet.

Elsa Ossart : Pour le Festival Flamenco, le taux de remplissage atteint 90%. Même ainsi, si nous voulions être autofinancés par les recettes de billetterie, il faudrait que les places soient à 300 ou 400 euros !

Marine Amelin : La programmation est une proposition de Patrick Bellito à François Noël. Ensuite, nous nous réunissons pour valider le planning général et le budget. Patrick monte certains projets et les présente à François, qui valide. Et il n’y a pas que la partie budget, il y a la partie technique, beaucoup de montages de nuit, ce qui peut être difficile car il faut doubler les équipes et ça a un coût également. Et puis, il y a chez nous certains métiers qui sont très spécifiques. Par exemple, nous avons des cintres très anciens, et donc, les gens qui savent les manipuler ne sont pas nombreux. Nous avons pour cela un permanent et un intermittent. Nous essayons de former un autre technicien, mais en attendant, quand un technicien fait partie de l’équipe de jour il ne peut pas faire partie de l’équipe de nuit. La vétusté de nos équipements scéniques peut poser problème, et ça fait partie de la réflexion sur la programmation. Cette année, nous étions sur une programmation lourde par rapport aux fiches techniques. Pour un concert acoustique, il n’y a pas grand-chose à faire sur le plan technique, mais quand vous programmez Andrés Marín ou Israel Galván, et même des concerts comme ceux d’Argentina, il y a quand même des accessoires des décors… Il y a de plus en plus de spectacles lourds dans le flamenco.

Elsa Ossart : Surtout avec l’enchaînement des spectacles, les techniciens n’ont pas beaucoup de temps.

Marine Amelin : Nous devons négocier avec les compagnies pour qu’elles acceptent les conditions "festival". Les artistes abandonnent donc parfois certains critères esthétiques parce que nous n’avons pas le choix. Ce sont les contraintes d’un festival. Certaines exigences, justifiées souvent, sont difficiles à satisfaire dans le temps qui nous est imparti. Quand on dispose de quatre jours pour le montage, il n’y a aucun problème. Mais là, en une journée ou une nuit, on ne peut pas.

Marine Amelin et Elsa Ossart : Il n’y a pas vraiment de situations inextricables. Nous finissons toujours par nous en sortir, par trouver des solutions ou des compromis. Nous avons dû deux fois annuler des spectacles lors d’un Festival Flamenco, mais pour des raisons météorologiques - la neige. Les artistes n’avaient pas pu venir. Certains instruments rares japonais - mais ce n’était pas pour le flamenco – ne sont pas arrivés à temps, et une famille de Marseille est venue nous en prêter. L’année dernière, pour le spectacle de Rocío Molina, les costumes sont arrivés trop tard, deux jours après la date, et la costumière a été obligée d’inventer quelque chose au dernier moment.

Elsa Ossart : Quelquefois les artistes ont du travail à Madrid ou à Barcelone, et il faut qu’au dernier moment ils changent leur billet. La majorité vient de Séville, mais certains viennent de Málaga, de Huelva, de Jerez. Il faut prévoir les transferts. Certains refusent de prendre l’avion, nous les faisons donc venir en train. Ricardo Pachón a préféré d’abord prendre l’avion jusqu’à Barcelone, puis le train. Certains ne veulent pas voyager sur Ryan Air, même si le vol est direct, et préfèrent Iberia. Il nous arrive d’aller les chercher en bus à Barcelone. Certains font Séville-Barcelone, et ensuite ils ont quatre heures de bus. Pour l’avion, c‘est en général Marseille. Et c’est toute une organisation pour les transferts. Tous les jours, nous allons au moins une fois à l’aéroport de Marseille, car tous les jours nous avons des arrivées et des départs. Il est impossible que tous les artistes arrivent à la même heure, même si nous faisons tout pour - il y en a qui arrivent d’Allemagne par exemple. Quand je prends moi-même les billets j’arrive à trouver les horaires les plus pratiques pour nous. Même quand ce sont les artistes qui prennent leurs billets, ils ne font rien sans me consulter, parce que nous vérifions que ça rentre bien dans le budget, qu’ils ne font pas n’importe quoi, et surtout parce que nous essayons de coordonner les arrivées et les départs. Pour Barcelone, nous louons un bus avec chauffeur à une société. Pour les déplacements plus courts, nous avons trois mini bus en partenariat avec Renault, qui nous en prête deux et nous loue le troisième. L’équipe de cinq personnes spécialement recrutées pour le Festival Flamenco ne sont pas engagées que pour être chauffeur. Ils sont aussi chargés de l’accueil des artistes, d’aplanir les difficultés qui peuvent se présenter lors de leur séjour à Nîmes, ils sont là pour les balances…

Photo : Stéphane Barbier

MISE EN SCENE : RELATIONS AVEC LE PUBLIC , COMMUNICATION ET BILLETTERIE

Entretien avec Elyse-Marie Cabasson

Mon service comprend trois pôles : la billetterie (Aïcha Yousfi et son équipe), l’accueil du public (Camille Duny et son équipe)) et les relations avec le public. Une partie de mon travail est la coordination entre ces trois pôles. Il se passe beaucoup de choses dans le théâtre et il faut donc que l’information circule : c’est la partie coordination interne. Pour le reste, je m’occupe principalement des projets Culture Justice et projets à l’hôpital. C’est un travail avec la Maison d’arrêt et avec l’hôpital de Nîmes. Je pilote aussi les relations avec les Ecoles Supérieures d’Enseignement artistique (Conservatoire, Ecole des Beaux Arts, Ecole de la photo d’Arles, Conservatoire de Montpellier), avec lesquelles nous avons établi des liens de confiance. Je suis également responsable de l’action culturelle : tout au long de l’année, nous proposons au public, soit en amont, soit après les spectacles, des rencontres avec les artistes, des conférences, des ateliers de pratiques, des expositions… Pour développer ces actions culturelles, j’ai établi des relations avec les autres structures de la ville de Nîmes, et notamment les musées des Beaux Arts, d’Histoire Naturelle, des Cultures Taurines (qui accueille une exposition flamenca cette année), le Musée du Vieux Nîmes et le Carré d’Art. On a une forme d’action culturelle avec eux, nommé "Collection intime" : nous proposons à un artiste de notre programmation d’aller dans un musée, et de présenter au public des œuvres qu’il a choisies. Nous organisons une visite du musée, l’artiste voit les tableaux ou les sculptures, et choisit les oeuvres qui l’ont touché. Ces rendez-vous qui marchent très bien depuis des années sont une déambulation dans le musée : l’artiste est accompagné d’un guide qui a, lui, une connaissance académique des œuvres, et ils se répondent. Certains artistes choisissent de présenter ces œuvres sans parler, en dansant par exemple devant un tableau. C’est une forme de rencontre avec l’artiste différente : plutôt que de se retrouver autour d’une table avec toujours les mêmes questions, une œuvre qui fait médiation. Quand notre directeur établit sa programmation, nous construisons le programme d’action culturelle, avec aussi des actions hors les murs. Selon les saisons, les choses sont différentes. Nous avons eu l’année dernière beaucoup de projets participatifs, par lesquels nous essayons d’inventer des relations différentes aux œuvres. Certains types d’événements sont reconduits chaque année : les conférences, les collections intimes... Cette année, nous avons un cycle de Musiques du Monde qui est proposé par Françoise Degeorges : avant chaque concert, un spécialiste de la musique concernée vient donner des clefs aux spectateurs. Le public répond bien : on retrouve souvent les mêmes personnes, qui sont disponibles et suivent ce que nous leur proposons. Nous mettons aussi en avant certaines personnes moins connues que le metteur en scène, tels des scénographes, des éclairagistes ou des costumiers. Nous essayons toujours de le faire en situation : par exemple, lors d’une rencontre avec la costumière, les gens vont à l’atelier et peuvent toucher les matières. Nous pouvons le faire lorsqu’il s’agit d’une création. Nous avons également un cycle de projections de documentaires en collaboration avec le Carré d’Art et le cinéma le Sémaphore. Ces projections viennent prolonger ou introduire les spectacles. Nous achetons les droits des films pour pouvoir les projeter gratuitement. Toutes nos actions sont gratuites, certaines sur réservation. Ce que nous cherchons dans ces rendez-vous, c’est une relation de qualité, et non un résultat quantitatif : nous préférons avoir un petit groupe de vingt personnes qui savent pourquoi elles sont là. Cette année, nous avons mis en place, avec notre chorégraphe associée Anne López, trois débats autour de la danse contemporaine. A chaque débat, deux invités qui viennent du monde la danse ou d’ailleurs (philosophe, sociologue…) invitent le public à avoir une parole libre sur les spectacles. Quelquefois les spectateurs sortent désarçonnés d’un spectacle, en ayant l’impression de n’avoir rien compris, et ils peuvent s’exprimer.

Pour le Festival Flamenco, comme je ne suis pas une spécialiste, c’est Patrick Bellito qui fait la programmation des actions culturelles. Cette année il y a six conférences, des projections, des ateliers, des expositions, un stage de photographie, un stage de palmas. La programmation est arrêtée en mars. Ensuite, en mai et juin, j’établis les contacts nécessaires. Le cycle des actions culturelles ouvertes à tous les publics s’appelle "Plus près", puisque nous proposons aux spectateurs de s’approcher des œuvres et des artistes. C’est vraiment basé sur l’échange, la proximité, le lien. Nous publions une brochure en début de saison, et tout est également annoncé sur le site. Mais ça ne suffit pas : par exemple, nous allons avoir une conférence sur la Petite Messe Solennelle de Rossini, sur laquelle nous allons envoyer l’information à tous ceux qui ont acheté un billet. S’ils le souhaitent, les spectateurs pourront venir plus tôt, à 18h 30 au bar, pour écouter la conférence. Pour chaque action, il faut faire la publicité, accueillir les conférenciers, rédiger les contrats, réserver les hôtels. Il faut penser à tout… C’est fatigant, mais passionnant.

Pour travailler en milieu carcéral, il faut d’abord trouver les financements . Ce sont des projets financés par la DRAC, pour les personnes dites « empêchées », et par les services d’insertion et de probation du Ministère de la Justice, qui ont la compétence de la culture. C’est une petite partie de leur budget. Nous travaillons avec le SPIP du Gard qui finance les actions, et avec la Maison d’Arrêt. Le SPIP finance et coordonne, mais comme les actions se passent en milieu fermé, nous sommes aussi en lien avec le Directeur de la Maison d’Arrêt qui organise les choses. Nous avons commencé cette expérience en 2009 / 2010 avec un artiste qui est vidéaste et metteur en scène, Bruno Gélin. Nous intervenons sous trois formes différentes dans la Maison d’Arrêt : des artistes interviennent en atelier sur des semaines de vacances scolaires (certains détenus sont scolarisés). Les artistes font partager leur démarche de création aux détenus. Bruno Gélin a réalisé des films sur ces expériences, et les films ont été projetés. Il y a eu des ateliers de vidéo, des ateliers de danse avec les détenues femmes, avec Anne López, et cette année un atelier de théâtre. Emma Morin travaille sur des poèmes de Beckett avec les détenus, et c’est un travail exigeant. La première année Bruno travaillait avec un groupe de détenus de la Maison d’Arrêt et un groupe d’étudiants des Beaux Arts. Is ont fait le même travail et les étudiants sont venus à la Maison d’Arrêt. Ils ont montré leur film aux détenus et les détenus ont montré le leur. Il y a eu des échanges et les détenus, après avoir vu leur film de création, ont posé des question essentielles. Les étudiants sont restés bouche bée car il se sont dit : "La question que l’on vient de me poser là, j’aurais dû me la poser avant de commencer ce projet". Il y a eu des échanges sur le travail, sur les contenus, qui étaient très riches. Les ateliers sont donc une forme d’intervention, mais il y a aussi les concerts : musique classique, pop, folk.. Ces concerts nous permettent de toucher un plus grand nombre de détenus : un concert, ça peut être 80 détenus et ça peut être mixte aussi. L’année dernière, nous avons mis en place une sortie de détenus au théâtre : certains détenus sont venus au théâtre de l’Odéon retrouver leur famille pour un spectacle "Jeune public". Dans ce cas, c’est le Juge d’Application des Peines qui doit donner son autorisation, mais nous l’avons fait et ça a été une expérience très riche. Nous aimerions pouvoir recommencer, mais il y eu des changements de direction au SPIP et à la Maison d’Arrêt … et tous ces projets prennent du temps. A l’hôpital on avons présenté des concerts hors les murs qui permettent de toucher des soignants, des malades et des publics des quartiers du CHU.

Entretien avec Adèle Brouard et Edith Bornancin

Edith Bornancin : Je suis responsable des relations avec le jeune public et de la programmation le concernant. Pour le Festival Flamenco, je ne m’occupe pas du tout de la programmation, mais je dois gérer les classes qui viennent assister à certains spectacles : accueil, réservations, réalisation de dossier à leur intention. Nous montons des ateliers et des projets autour du festival, notamment avec l’Institut Emmanuel d’Alzon. Je suis vraiment au cœur des actions en direction du jeune public, de la maternelle aux étudiants en lycée (BTS…), donc en gros de trois à vingt ans.

Adèle Brouard : mes missions sur chaque saison concernent les groupes et les collectivités : Universités, Comités d’Entreprise… Plus spécifiquement, ce que j’appellerai le public "empêché". Ce peut être des associations, des structures d’insertion sociale, et tout ce qui concerne le handicap, psychique ou sensoriel. Pour le Festival Flamenco, je reste dans le cadre de ces missions, mais s’y ajoute un travail plus spécifique en direction de la pratique amateur - les écoles de danse et de musique, les associations flamencas… : des réservations de places, constitution de dossiers, information et communication… jusqu’à l’ accueil de ces groupes au théâtre. Le festival me permet aussi de prolonger mon travail sur l’année pour faire découvrir le flamenco à des personnes en difficulté sociale, psychique… avec toujours un accompagnement culturel, sur ce qu’est le flamenco, sur ses origines, sur la biographie des artistes….

Le Festival Flamenco représente deux semaines sur une saison qui s’étend de septembre à juin, avec une cinquantaine de spectacles. C’est pour nous une sorte de période de suspension intense, mais l’une de nos difficultés est que pendant ces quinze jours, nous continuons aussi le travail sur les spectacles qui sont à venir, dont certains ne trouvent pas toujours facilement leur public. Pour le Festival Flamenco, notre travail se situe surtout en amont. Nous assistons aux spectacles le soir, mais le lendemain matin, nous gérons nos autres projets.

Edith Bornancin : Pour le jeune public, nous proposons des ateliers de théâtre, de danse et d’écriture ; des rencontres avec des artistes ; des parcours sur plusieurs spectacles. Evidemment, nos actions changent chaque année en fonction de la programmation qui nous est proposée, que nous connaissons vers le milieu du mois de mai. Nous sortons alors les dossiers, et nous élaborons des propositions. Les projets sont ensuite montés en fonction de nos propositions, mais aussi des demandes et des attentes des collectivités avec lesquelles nous travaillons.

Adèle Brouard : Les attentes des Comités d’Entreprise ont évolué. Il y a vingt ou trente ans, il existait encore une demande culturelle, une véritable revendication en fait. Actuellement, il s’agit plutôt de consommation immédiate, de type tickets de cinéma, parcs d’attraction, chèques vacances… Malgré tout, nous avons encore des liens privilégiés avec quelques entreprises de Nîmes et de la région. Nous avons mis en place ce que nous nommons des "Groupes complices". Nous leur proposons un système d’ abonnement privilégié, à condition d’ être au moins six, et de venir ensemble aux mêmes spectacles et aux mêmes dates. Une personne du groupe est notre « relais », et se charge des abonnements de ses amis. En contrepartie, ils bénéficient de tarifs réduits, d’une présentation de la saison personnalisée, L’idée est d’avoir une relation plus directe, de savoir qui contacter, d’avoir un retour sur les spectacles… Nous sentons bien que le public est de plus en plus volatile. Les réservations web augmentent chaque année, et risque d’arriver un moment où nous ne saurons plus qui sont nos spectateurs. C’est donc une façon d’avoir un contact plus personnel. Je leur envoie régulièrement des invitations pour des spectacles plus audacieux que ceux qu’ils prennent habituellement. Du coup, nous avons des sortes de meneurs complices qui amènent au Théâtre des personnes qui, seules, ne viendraient jamais.

Nous ne faisons pas trop de représentations "hors les murs". Assez régulièrement cependant, nous proposons des spectacles en version plus légère , essentiellement pour des raisons logistiques. Cette année, l’Orchestre des Siècles de François-Xavier Roth va donner deux concerts pour une association de quartier avec laquelle nous un projet sur l’année, pour un public de femmes. Nous l’avions déjà fait pour une prison, un hôpital et une association familiale.

Edith Bornancin : Nous avons des artistes associés qui se déplacent dans le cadre des ateliers, et qui font connaître nos spectacles. Par ce biais, des personnes qui n’auraient pas osé franchir les portes du théâtre font un premier pas. Nous pensons qu’il est important qu’elles viennent, malgré une certaine peur, qui subsiste encore, de ce lieu qui serait réservé à une "élite cultivée".

Adèle Brouard : Par exemple, c’est bien de faire en sorte que les habitants des "quartiers" viennent dans le centre ville, malgré tous les problèmes que cela pose, y compris pratiques – pas de bus pour rentrer après la représentation… Quand on a réussi à faire franchir les portes du théâtre à ce public-là, quel que soit le type de spectacle, il n’y a aucun souci de compréhension, de ne pas se sentir à sa place… Le plus difficile est de parvenir à casser ces à priori, et c’est notre travail.

Edith Bornancin : Nous avons des conventions de jumelage avec certains établissements scolaires, en général sur trois ans. Nos liens avec des équipes pédagogiques nous permettent progressivement de monter des projets plus ambitieux, et qui touchent un plus grand nombre d’élèves. L’objectif pour nous est de rester implantés durablement dans une structure - c’est très difficile la première année, mais ça devient simple les années suivantes. Nos projets fonctionnent très bien en primaire, plutôt bien aussi en lycée, parce que les élèves peuvent venir aux représentations le soir. Le collège pose plus de problèmes : les élèves sont dans une période difficile, les enseignants ont beaucoup plus de mal à les mobiliser et à les encadrer. Nous travaillons beaucoup plus en direction des collégiens, avec nettement moins de succès. C’est un peu un challenge, pour tout le monde… les parents, les professeurs, et même pour nous.

Adèle Brouard  : Pour l’Université, le secret est de trouver le bon interlocuteur. Toutes mes démarches avaient été vaines jusqu’à ce qu’un professeur de lettres, de plus directeur de son département, me contacte. Tout devient alors possible, même si le poids des contraintes administratives impose une certaine inertie, qui souvent décourage les enseignants. Mais c’est le même problème pour le primaire et le secondaire. De toute façon, nous sommes sur des missions pour lesquelles il faut vraiment avoir la foi, travailler des mois pour convaincre une classe ou une association… On ne peut pas mesurer le résultat en termes de chiffres. Nous sommes le chaînon entre une œuvre artistique et son public potentiel. Mais nous avons aussi de belles récompenses. Par exemple, nous menons pour la première fois un projet annuel autour de la danse, avec une association nîmoise, « Quartier libre », essentiellement pour des femmes primo arrivantes. Nous n’avions pas choisi de spectacle flamenco, mais dans le groupe, deux femmes venaient de Valencia. Elles avaient très envie de venir au Festival Flamenco, et elles ont motivé les autres, d’origines très diverses – Thaïlande, Mongolie… Elles ont même acheté les places des plus démunies. Du coup, elles sont venues au spectacle de mercredi, sur l’ Estrémadure, puis ont travaillé sur les origines du flamenco, son histoire…

Edith Bornancin : Dans les quartiers comme dans les collèges, le premier contact avec le flamenco est toujours difficile, surtout pour les garçons qui l’associent à la danse. Dans les ateliers, à force de travailler sur la "route du flamenco", les enfants retrouvent leur propre culture, et quand ils acceptent enfin de danser, ils l’introduise dans leur rapport à la danse flamenca. C’est pour nous une belle victoire.

Adèle Brouard : Je travaille depuis longtemps avec une Maison d’ Accueil de jour pour des personnes en difficulté psychique. L’année dernière, nous avons monté un gros projet de chorégraphie contemporaine avec trente amateurs, dont vingt danseurs : ateliers, représentations au Théâtre… Deux personnes accueillies par cette structure y ont participé, et pour l’une d’entre elles, le changement moral, psychique, et même physique, a été spectaculaire. C’était très beau. Il peut paraître incroyable que le spectacle vivant puisse changer les gens, mais pour beaucoup, c’est une réalité. Vraiment ! Un artiste va apporter un autre manière de voir les choses, un autre regard sur la vie, sur ce que chacun est capable de faire… Tous les artistes n’ont pas forcément envie de tenter ces expériences, mais quand le courant passe, nous voyons l’évolution de ces personnes. Nous les voyons découvrir des choses, se libérer… Par exemple, des gens qui n’osaient pas sortir seuls, le soir, et qui pourtant viennent à un spectacle. Pour nous, ce sont de petites gouttes d’eau, mais pour eux, dans leur vie, c’est énorme.

Edith Bornancin : J’ai aussi de belles satisfactions avec les classes pour élèves en grande difficulté - des primo arrivants, des enfants en souffrance sociale, psychique ou physique (maltraitance…). Après le travail en ateliers, ils viennent au Théâtre avec leurs professeurs, et souvent y reviennent de leur propre initiative accompagnés de leurs parents. Ce sont eux qui entraînent leurs parents, qui ne seraient jamais venus de leur propre initiative. Ensuite, certaines mamans font garder leurs enfants, et reviennent seules parce qu’elles ont pris du plaisir en assistant à un spectacle avec leurs enfants…

Adèle Brouard et Edith Bornancin : Nous parlons de "récompense" surtout à propos de ces publics en difficulté. Bien sûr, quand nous voyons le bonheur des spectateurs après un spectacle de Pina Bausch, par exemple, c’est aussi gratifiant, mais ça nous touche moins directement. Nous avons moins travaillé pour y arriver, tandis que pour le reste, nous y mettons vraiment du temps, de la passion… Alors, quand ça fonctionne ! C’est vraiment ce qui nous passionne dans notre travail, même si nous avons aussi à réfléchir avec Elyse-Marie Cabasson sur d’autres aspects, comme la politique tarifaire : pourquoi augmenter ou non un tarif ? Souhaitons-nous nous concentrer sur le public nîmois ou étendre notre audience sur la région ?

Entretien avec Houria Marguerite, Mélissa Durand et Elian Planès

C’est grâce au service "Communication" que nous avons pu réaliser ce reportage, avec un planning de rendez-vous qui n’allait pas de soi : nos lecteurs auront compris que les deux semaines du Festival Flamenco laisse peu de loisir aux équipes du théâtre.
Houria présente le service, mais Elian et Melissa interviendront tout au long de cette conversation :

Nous sommes trois permanents, plus deux personnes qui travaillent à l’extérieur (prestataires de service) et nous sommes chargés de la communication du Théâtre de Nîmes. En fait il faudrait scinder le service en deux, séparer les relations avec la presse (la presse, c’est un boulot énorme. Et pas seulement lors du Festival Flamenco, mais tout au long de l’année) du reste de nos tâches. Nous sommes donc trois : Elian, qui s’occupe normalement de la diffusion à l’extérieur de la ville et dans la ville ; Mélissa, qui est mon assistante ; et moi. A l’extérieur, nous avons un graphiste, plus, pour tout ce qui est rédaction des textes, une personne qui travaille sur Paris. Notre travail consiste à diffuser l’information par tous les moyens (programmes, affiches, tracts…). La presse régionale nous suit toute l’année et nous avons des partenariats avec des radios et des télévisions, telles France Bleue, TV Sud ou France 3. Cette année, nous travaillons avec Libération, et pour le Festival Flamenco avec Arte web. Pour la première fois, nous avons eu TF1.

TF 1 est venu interviewer François Noël et a fait un reportage pour les 24 ans du Festival Flamenco de Nîmes. Ils ont présenté un sujet d’une minute au journal de 13h, dans lequel ils ont mélangé le Off et le In. Le journal Le Monde aussi s’est intéressé au Festival, ainsi que France Info, France Musique, et la presse étrangère. En ce qui concerne la presse, nous sommes "au top". Le festival est reconnu à l’international. Tous ceux qui viennent ici nous le disent : pour l’accueil de la presse et des artistes, c’est Nîmes... Le festival, c’est comme une famille. Nous faisons en sorte que tout le monde se sente à l’aise, nous créons des liens, et nous en sommes récompensés quand les journalistes reviennent et redemandent une accréditation. C’est que nous avons tissé des liens d’amitié. Il n’y a pas que le côté professionnel, et c’est ce qui est bien avec ce festival. Pendant le reste de l’année, nous ressentons moins cette dimension affective : les compagnies viennent, font leur spectacle et s’en vont.

Le festival nous permet de rencontrer des journalistes qui peuvent revenir dans l’année, notamment pour des créations. Il y a beaucoup de travail pour le préparer, car dès septembre, nous communiquons sur le flamenco, mais le travail de l’année pour le reste de la programmation continue parallèlement. La communication travaille à plein temps pendant toute la durée du festival. En fait, le festival ne s’arrête jamais : vous allez partir demain, mais nous, nous aurons à préparer le bilan, les revues de presse… Puis, dès le mois de mars, nous travaillons sur le lancement de la prochaine saison, avec les spectacles inclus dans les abonnements. Ce qui est compliqué dans notre service, c’est de poser des congés : nous n’arrivons pas à nous arrêter. On a l’impression que ça ne s’arrête jamais, sauf peut être en septembre, lorsque nous revenons de vacances : les deux premières semaines sont un peu plus tranquilles. En fait, nous sommes un peu décalés, car les périodes un peu plus creuses pour les autres services correspondent aux périodes les plus chargées pour nous.

Pendant le festival, notre travail consiste surtout à accueillir la presse, à faire en sorte que les journalistes travaillent dans les meilleures conditions. Nous avons envie que tout se passe bien, que personne ne puisse dire qu’il a été mal reçu. Pour nous, c’est beaucoup de travail, mais cela nous fait plaisir quand les gens nous embrassent à la fin et nous disent : "Merci pour tout, tout était bien, tout était calé". Pour nous c’est un bonheur, ils voient que l’équipe est soudée.

En ce qui concerne le travail de l’année, il s’agit plus d’une "com" basique : mettre la programmation en valeur. Nous travaillons avec une entreprise de Lyon, mais nous ne sommes pas les seuls à travailler là-dessus. Pour le flamenco, Patrick et François vont d’abord voir les spectacles, et récupèrent l’information. Ensuite, nous nous adressons à Jacques Maigne, car c’est lui qui nous écrit les textes pour le flamenco, assisté par Mélissa qui s’occupe de mettre tous les textes en forme. Tout le monde participe aux relectures, et notamment l’administration qui a un oeil sur les mentions obligatoires, car elle a reçu les contrats… C’est vraiment un travail d’équipe, et en fait quand on dit le service "com", ce n’est pas que la "com", c’est la "com" et les relatons publiques.

Houria précise que lorsqu’elle est arrivée au théâtre de Nîmes an 1993, elle a eu l’impression d’être en famille. Tout le monde était solidaire ; quand quelqu’un avait un problème, tout le monde était là. Avec les années, administration et plateau technique s’étaient un peu perdus de vue, mais l’état d’esprit collectif est en train de se reconstituer, et le Festival Flamenco - pas seulement lui, naturellement -, y est pour quelque chose.

Il y a une réelle envie de communication interne, et l’ équipe de la communication rend service à tout le monde. Nous travaillons avec tout le monde, nous travaillons sur les réseaux sociaux… En fait c’est un métier de passionnés. C’est comme pour vous, les journalistes, c’est culturel. Si l’on n’est pas prêt à faire des sacrifices pour que le spectacle soit bien amené, en sachant que ça va forcément donner beaucoup de travail, il vaut mieux ne pas faire ce métier – précise Elian.

C’est vraiment un travail d’équipe – nous dit Houria. Moi toute seule, je ne pourrais pas. S’il n’y avait pas Elian et Mélissa, je ne pourrais pas gérer tout ça. Pendant des années, nous n’étions que deux pour gérer tous les journalistes, mais ce n’était pas facile. Mélissa fait remarquer que les trois membres de l’équipe sont complémentaires : elle est plutôt dans l’organisation, alors que Houria et Elian sont plutôt sur le terrain ; Houria aime bien négocier, alors qu’elle, pas du tout.

Elian et Mélissa ont été formés à la communication par Houria, et cette dernière précise que, au début, cela a été dur pour Elian qui ne connaissait pas le métier. Depuis, il est devenu très efficace. Mélissa a commencé par un stage en administration, puis s’est formée à la communication. Quand au bout de quatre mois son stage s’est achevé, elle a postulé et a eu la chance d’être embauchée. Houria sait qu ‘elle peut compter sur eux deux : si elle ne pouvait pas assurer son travail, Elian serait sur le terrain et Mélissa dans son bureau ; Et ils "géreraient", nous dit-elle.

"Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", conclut Elian.

Entretien avec Aïcha Yousfi et Genevève Dumas

Nous avons été accueillis à la billetterie du théâtre par deux jeunes femmes, la responsable Aïcha Yousfi, et Geneviève Dumas, auteur d’un beau poème qu’elle avait écrit après avoir vu le spectacle de José Galán, et que nous avons publié avec notre compte rendu de ce spectacle.

La période du Festival Flamenco est particulière : tout s’arrête et nous nous mobilisons pour le festival, nous sommes vraiment dans le flamenco en permanence. La billetterie fonctionne toute la journée, le soir, le dimanche et le lundi quand il le faut. Normalement elle est ouverte du mardi au samedi, mais nous ouvrons aussi quand il y des conférences le lundi ou des spectacles le dimanche, une heure avant. Le travail en amont est également important : nous proposons toujours trois spectacles en abonnement dès juin. Nous avons un public d’abonnés fidèles au flamenco, qui viennent dès le mois de juin parce qu’ils ont la possibilité de réserver pour ces trois spectacles qu’ils complèteront après plus tard.

Ce ne sont pas forcément les mêmes spectateurs que pour le reste de la saison. Pour le Festival Flamenco, nous avons des gens qui viennent de partout, et nous avons de plus en plus d’étrangers, des italiens, des belges… Ils viennent de partout : Colombie, Espagne.. La billetterie en ligne fonctionne très bien, bien que certaines personnes préfèrent téléphoner : elles n’ont pas pour autant besoin de se déplacer et peuvent payer leurs places par téléphone. Une partie de la billetterie est vendue aussi par la Fnac. Nous demandons aux gens de nous appeler à la mi-novembre, car la date d’ouverture de la billetterie n’est jamais connue à l’avance. Les spectacles se remplissent très vite avec les écoles, les associations… Nous avons plusieurs services pour les activités culturelles, beaucoup de groupes, d’écoles de danse, d’associations flamencas… Nous avons aussi des séances scolaires, et nous terminons toujours le festival avec presque tous les spectacles complets. Ce qui, c’est vrai, crée des frustrations. Pour certains spectacles qui sont complets très rapidement, les gens accusent le coup devant nous. Les choses s’arrangent quand nous leur expliquons…. Cette année, les spectacles les plus demandés, qui se sont remplis tout de suite… Rocío Molina d’abord, puis Israel Galván, Andrés Marín et Isabel Bayón.

Disons que pour ceux qui ne connaissent pas le flamenco, les spectacles de danse sont d’un abord plus facile. Ils ont envie de commencer par ça, ils n’osent pas s’aventurer dans les soirées chant. Pour les connaisseurs, pas de problème, ils y vont… Pour les spectacles proposés dans les abonnements généraux à la saison, par exemple Argentina et Andrés Marín, les abonnés représentent un peu plus de la moitié de la salle. Certains spectateurs ne s’abonnent que pour le flamenco. Nous proposons deux formules pour l’année : à partir de trois spectacles ou à partir de sept spectacles - plus on en prend, moins c’est cher. Pour le Festival Flamenco, des gens prennent tous les spectacles. Ils viennent de loin, surtout du Sud-Ouest, pour dix jours, et ils prennent tout, même quand il y a trois spectacles le même jour. Quand un spectacle est complet, ceux-là nous rappellent régulièrement. Ils viennent quand même et se disent qu’une fois sur place, ils attendront. Nous n’avons pas de liste d’attente, nous ne prenons pas les noms des gens à l’avance parce que ce serait trop difficile à gérer. Nous essayons de satisfaire le plus de gens possible le jour même du spectacle, pour que ce soit plus équitable. Pour les spectacles affichés complets, nous essayons malgré tout de garder quelques places pour les retardataires, plutôt au balcon, Camille Duny, qui est la responsable de l’accueil du public, gère cela au dernier moment, mais c’est vrai que nous essayons toujours de faire entrer quelques personnes.

Il nous est déjà arrivé de doubler une séance, si l’artiste est d’accord. Nous établissons un deuxième horaire, mais il faut reconnaître que les programmateurs ont une bonne vision de la fréquentation. Bon nombre de fois, nous nous sommes dit : "Tient, il reste dix places dans la salle, et nous avons dix personnes en attente"… ça paraît incroyable mais à un fauteuil près…, au jour J, il y a un petit miracle qui se fait à chaque fois. Les spectateurs eux, voudraient un festival sur toute l’année ou au moins un mois si c’était possible.

Notre principale difficulté ? Les premiers jours de réservation, nous avons un monde fou, il faut être à 200%. Une fois que c’est plein, nous devons de recevoir tous ceux à qui nous devons dire : "Désolée c’est complet. Rappelez-nous, repassez… Oui, oui, c’est complet, mais on va essayer". Voilà, il n’y a aucun moment calme, nous sommes toujours sur le grill, mais c’est agréable. Les gens peuvent être agressifs au premier abord, quand on leur annonce que le spectacle est complet. Mais ensuite, quand nous leur expliquons que la salle n’a que 790 places, qu’on ne peut pas faire autrement, ils comprennent, ils s’adoucissent, et, dans l’objectif d’avoir une place, ils reviennent.

En arrivant, les journalistes et les artistes passent souvent nous saluer. Nous les voyons presque tous, même les soirs de spectacle. Ils ne s’arrêtent pas forcément pour de longues conversations, mais on se croise, on peut avec certains prendre le temps, Mais il nous faut être disponible pour le public, et donc, compte tenu de nos horaires, il nous est difficile de "naviguer".

(Geneviève Dumas) Nous pouvons voir les spectacles qui ne sont pas complets. Nous ratons forcément le début, mais nous arrivons à en voir une bonne partie. Tous les spectacles m’ont plu jusqu’ à présent, mais surtout le premier, pour le jeune public, celui de José Galán, qui était sur la différence… C’était très beau, à la fois très esthétique et émouvant.

LE RUSH FINAL : PLATEAU TECHNIQUE ET ACCUEIL DES ARTISTES

Entretien avec Sophie Noël, Pierre Lannier et Didier Papaix

Si la préparation et la réalisation du Festival Flamenco sont un travail collectif et solidaire pour l’ensemble des salariés du théâtre, c’est particulièrement vrai pour l’ équipe technique, confrontée au rush final et aux demandes de dernière minute de certains artistes – on le sait, les flamencos sont particulièrement coutumiers du fait. Les techniciens permanents, et les intermittents engagés spécialement pour le festival, doivent réaliser un spectacle par jour au Théâtre Bernadette Lafont, auquel s’ajoutent les vendredis et samedis un ou deux autres concerts, dans des lieux tels que l’ Odéon ou l’ auditorium de l’ Institut Emmanuel d’Alzon, dont les contraintes spécifiques sont très différentes.

L’organisation en amont est primordiale : le planning pour faire tourner les équipes de jour et de nuit, et la logistique pour que tout le matériel (non seulement les équipements son et lumière, mais aussi les costumes, les décors, les accessoires…) soit bien disponible à l’heure dite. Tous nos interlocuteurs insistent sur l’importance de la préparation minutieuse du travail. Etre prêt pour être réactif, c’est-à-dire capable de s’adapter avec souplesse et efficacité aux ultimes ajustements et / ou aux modifications demandés par les artistes, en fonction des particularités de la salle et du niveau de préparation préalable de tel ou tel spectacle. Les techniciens de plateau sont aussi des constructeurs, capables de remplacer, dans la nuit ou dans la journée, un décor qui n’est pas arrivé à temps (ce peut être aussi le cas pour les costumes – cf : ci-dessous), ou de l’adapter aux dimensions de la scène.

Les compagnies de danse sont en général très professionnelles, et disposent de leurs propres techniciens. Ce qui n’empêche pas leurs responsables d’être très exigeants, à juste titre tant le niveau de sophistication des chorégraphies flamencas contemporaines les rend vulnérables au moindre problème technique. Le diable se cache souvent dans d’infimes détails. Seuls "Lo Real" et "Tuétano" ont pu bénéficier de deux jours de préparation. En fait, deux jours de travail à temps plein : Israel Galván était en permanence dans la salle, et Andrés Marín sur le plateau.

Ce n’est pas toujours le cas des concerts de chant, plus fréquemment sujets à toutes sortes de turbulences. Le nombre des artistes peut changer à tout moment, et les régisseurs son et lumière découvrent parfois au lever de rideau un artiste qui n’était pas prévu sur la fiche technique… Le Théâtre programme souvent des concerts, et a donc investi en conséquence dans un matériel son de haute qualité. Le réglage des balances, du niveau sonore (retours et salle) et de la réverb doit cependant être négocié en permanence avec les artistes ou avec leurs propres techniciens, tant les cultures sonores espagnole et française sont différentes.

L’ensemble de l’équipe technique s’efforce d’apporter une sécurité maximum aux artistes, de manière à ce qu’ils n’aient d’autre souci que celui de se concentrer sur leur spectacle. Didier Papaix nous dira que lorsqu’il est confronté à un incident technique, que ce soit au cours d’une représentation ou au cours d’une répétition, il le solutionne autant que possible sans en avertir les artistes, ni même parfois sa propre équipe.

Entretien avec Alexandra Dibiaggio

L’habilleuse du théâtre Bernadette Lafont nous a reçus son local, où sont déjà préparés, repassés, et mis sur cintres les costumes de Rocío Molina, qui doit danser ce soir même. Elle fait partie d’une équipe de trois personnes (dont l’habilleuse chef, qui travaille là depuis vingt ans), qui assure l’entretien, les retouches… Elles entourent les artistes.

Lorsque nous recevons les autres troupes de danse, sauf si c’est une création, tout est déjà établi. Les artistes arrivent avec leurs costumes. Il peut y avoir des costumes à réparer, mais… Pour le Festival Flamenco, ce sont les mêmes conditions, mais il peut y avoir des choses inattendues. Il y a deux ans, Rocío Molina est arrivée sans ses costumes, parce qu’ils n’ont pas suivi. Il a donc fallu en créer un au pied levé. Elle a acheté un foulard, qu’elle voulait nouer sur ses hanches et j’ai cousu toute la journée pour elle. La plupart du temps, il s’agit d’un travail d’entretien : les artistes arrivent avec leurs costumes, souvent ils ont plusieurs choix de chemise, nous en repassons deux ou trois alors que souvent ils n’en mettent qu’une.

Nous sommes formées en couture. Quand j’ai passé mon diplôme, la formation spécifique d’habilleuse n’existait pas. Elle a été créée depuis. J’ai travaillé dans des ateliers de création de costumes. Notre métier ne consiste pas seulement à aider les artistes à s’habiller. Il y a aussi l’entretien des costumes, et pour cela il faut connaître les tissus. Il faut également connaître les teintures. Quand les costumes arrivent teintés, il faut faire attention, savoir comment retirer les tâches. On se relaie, il y a toujours quelqu’un l’après midi et le soir, et parfois le matin. Tout est étudié par l’équipe technique, qui nous fournit des fiches.

En ce qui concerne le spectacle du soir, tous les costumes sont prêts, mais ce sera à l’artiste de faire son choix. Est-ce que Rocío va les mettre tous, ou non ? Elle ne le sait pas encore. Ce qui m’intéresse dans mon métier c’est le rapport qu’a le danseur ou le comédien avec le costume. C’est quelque chose de très important pour eux. Il faut que l’artiste se sente bien dans son costume, et c’est pourquoi il doit être prêt, bien repassé, dans sa loge. C’est très rassurant pour eux. Par exemple, il a deux ans quand Rocío Molina s’est retrouvée sans ses costumes, c’était très stressant pour elle. C’était important pour moi qu’elle se sente rassurée, qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le fait qu’elle puisse tomber. Pendant le Festival Flamenco, nous avons moins de rapport avec les artistes, car ils sont très entourés. Mais cette année-là, j’ai eu beaucoup plus de contacts avec Rocío Molina, car il a fallu qu’elle fasse plusieurs essayages dans la journée.

Entretien avec Isabel Amian

Le service "accueil du festival" est la seule équipe spécialement recrutée pour
le Festival Flamenco, avec cinq intérimaires et Nadia Messaoudi (traductrice officielle), dirigés par Isabel Amian. Ancienne "road manager" de la troupe d’Israel Galván, elle a été engagée par le théâtre lors d’ un des passages de la compagnie d’Israel Galván à Nîmes. C’est dire qu’elle connaît bien, de l’intérieur, les attentes spécifiques des artistes flamencos, comme d’ailleurs MIlly Felez, qui a travaillé pour Andrés Marín. Pendant le festival, l’équipe est sur le pont 24h sur 24h, pour assurer les meilleures conditions de séjour aux artistes et à leurs accompagnateurs. Nous l’avons vu à mainte reprises, c’est un souci constant du Théâtre de Nîmes. Mais c’est un facteur particulièrement important de la réussite des spectacles flamencos, dont les acteurs sont particulièrement sensibles aux relations personnelles qui se tissent entre eux et les responsables du festival. C’est particulièrement vrai pour certains artistes peu coutumiers de la scène, et moins encore des tournées internationales, comme par exemple, cette année, Josefa Salazar Salazar "La Negra" (la fille de Porrina de Badajoz - NDR), qui ont besoin de se sentir "en famille" - d’où aussi l’importance des contacts préalables pris sur place, en l’occurrence à Badajoz, lors des voyages de presse. "Nous les maternons", nous dit Isabel Amian. Ce qui implique une disponibilité permanente, non seulement pour les transferts et les déplacements en ville (tous les membres de l’équipe sont prioritairement chauffeurs), mais aussi pour aplanir toutes les difficultés ponctuelles quotidiennes, concernant l’hébergement, les repas, les répétitions et les balances, voire le shopping... Pendant deux semaines, Isabel Amian et ses collègues constituent la plaque tournante du festival, par laquelle passent toutes les informations de dernière minute, et qui trouve toujours la solution adéquate, quel que soit le problème.

Propos recueillis par Maguy Naïmi et Claude Worms





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