11ème Festival Flamenco de Toulouse

dimanche 18 mars 2012 par Maguy Naïmi

Du 12 au 18 mars 2012

Casa de España / lundi 12 mars

Le 11ème Festival Flamenco de Toulouse a débuté le 12 mars à la Casa de España, 85 avenue des Minimes, par le vernissage de l’exposition de sculptures de Béatrice Fernando. Cette dernière nous a présenté ses œuvres d’inspiration flamenca (danseuses hiératiques faites de grès de sable et de pigments) et tauromachique (toreros longilignes, taureaux ramassés). Pour ceux qui désireraient connaître son œuvre, voici l’ adresse de son site :

Béatrice Fernando

Photo : Thierry Gausserand

La conférence de Claude Worms ("Introduction musicale au flamenco - 2ème partie") qui a suivi, a présenté différents "palos" (formes) de ce répertoire musical. Claude Worms a signalé que le flamenco n’ est pas un répertoire de chansons, mais plutôt de formes. Les musiciens (guitaristes, chanteurs) doivent par conséquent s’ exprimer selon des règles strictes. Contrairement à une idée généralement répandue, selon laquelle la danse aurait primé, l’ importance du chant dans la genèse du répertoire flamenco a été soulignée dès le milieu du XIXème siècle dans les récits de Estebanez Calderón ("Escenas andaluzas"). Le conférencier a rappelé les qualités caractéristiques du chant flamenco, proches selon lui de celles du bel canto baroque : chant exécuté sur le souffle ("jipio") ; "passages" improvisés obligatoires entre les notes clés du profil mélodique (comme dans le répertoire baroque où les partitions sont souvent des canevas), ornementation et technique de "messa di voce". Claude Worms a également rappelé que le flamenco pouvait être interprété en voix claire ou en voix rauque : selon Estebanez Calderón, le chanteur El Planeta aurait réprimandé El Fillo, lui reprochant sa voix rauque, ce qui laisserait supposer que le critère du bon goût était, à l’ époque, la voix claire.

La description des palos était basée sur un classement en deux groupes : ceux qui se reconnaissent à leur harmonie : Fandangos (dont découlent les Granaínas, les Malagueñas, les Cantes de Mina…), et ceux dont la caractéristique fondamentale est le rythme ("compás" : cycle métrico - rythmique). Ces derniers sont surtout concentrés dans la vallée du Guadalquivir, entre Séville et Cádiz :compás de 8 temps, pour le Tango et ses dérivés (Tanguillo, Tiento, Farruca, Garrotín , Rumba, Colombiana…) ; compás de 12 temps avec une alternance ternaire / binaire (hémiole) pour la Soleá (Caña, Polo, Alegría…), la Siguiriya (Cabal, Liviana, Serrana), les Bulerías et la Guajira.

Afin d’ illustrer les explications du conférencier, la directrice du festival, María Luisa Sotoca Cuesta, a eu la très bonne idée d’ inviter trois artistes , le guitariste Pierre Pradal, le chanteur Paco Ruiz, et la danseuse "La Nimeña". Ils ont interprété pour la plus grande joie du public, venu nombreux, une vaste gamme de palos : Fandangos de Huelva, Tarantas, Media Granaína, Soleá, Alegría, Martinete, Tangos et Bulería.

Le 11ème festival était lancé dans la bonne humeur et la convivialité, car, après cette intéressante conférence- concert, la Casa de España a offert à tous un apéritif - tapas digne de ceux dont on peut se régaler dans les Peñas andalouses.

Maguy Naïmi


Instituto Cervantés / mardi 13 mars

"Los balcones de mi sueño"

Chant : José Anillo

Guitare : Paco Iglesias

Le Festival Flamenco de Toulouse se singularise depuis sa création par ses programmations cohérentes et courageuses. María Luisa Sotoca Cuesta, sa directrice artistique, maintient fermement au fil des éditions (la onzième cette année) deux lignes directrices originales :

_ La volonté de suivi des carrières de jeunes artistes qu’ elle a souvent contribué à faire découvrir en France : Rocío Bazán, invitée cette année, s’ était déjà produite à Toulouse dans le cadre du festival ; José Anillo est le frère d’ Encarna Anillo, programmée l’ année dernière…

_ Surtout, le cante et conséquemment la guitare y tiennent une place majeure (et même, cette année, exclusive), en dépit du préjugé selon lequel seule la danse pourrait remplir les salles de spectacle. Le public nombreux qui assiste aux concerts dément pourtant avec une belle régularité ce principe bien établi, qui nous inflige (et nous afflige) la sempiternelle répétition des mêmes grosses machines chorégraphiques…

Le Festival de Toulouse poursuit ainsi une œuvre éminemment éducative : le public est d’ année en année plus exigeant, réceptif et averti. Les artistes sont d’ ailleurs conscients de cette évolution, renforcée par la présence aux concerts de flamenco de mélomanes "généralistes" de plus en plus nombreux qui, s’ ils ne sont pas nécessairement capables de distinguer une Soleá d’ une Siguiriya, savent par contre fort bien distinguer la bonne musique de la mauvaise (ou de l’ insignifiante), quel qu’ en soit le genre (baroque, classique, contemporaine, jazz, rock… ou flamenco). L’ époque semble heureusement révolue, où l’ on servait au public étranger du flamenco "light", par condescendance ou bonne volonté mal employée.

L’ excellent récital de José Anillo nous en a apporté une illustration éclatante. On en jugera d’ abord par le programme, d’ une rare exigence : Polo et Soleares de Triana (Soleá Apolá, Soleá - Petenera…) / Granaína-Malagueña de Aurelio Sellés et Malagueña del Mellizo / Alegrías "classiques" (les letras en hommage à Cádiz étaient d’ autant plus adéquates que l’ interprétation du cantaor adoptait par instants les tournures de quelques maîtres du genre – Pericón de Cádiz, Aurelio Sellés, Manolo Vargas et Chano Lobato) / Siguiriyas (El Loco Mateo et El Marrurro) et Cabal de Silverio Franconnetti / Fandangos de Juan Varea (un hommage particulièrement bienvenu) et de José Rebollo / Soleares de Cádiz (El Mellizo, Aurelio Sellés, El Morcilla et Paquirri) / Bulerías (dans le style de Juan Villar, avec quelques brèves références à Camarón et une letra en hommage à La Perla) / enfin, en bis, trois Fandangos (El Corruco, El Gloria et Macandé).

Le cante de José Anillo possède la vertu essentielle de la limpidité du phrasé, non seulement dans les cantes a compás, mais, qualité plus rare, dans les cantes récitatifs (la Malagueña et les Fandangos "naturels" pour ce concert) : l’ ornementation, dosée avec exactitude (ni trop, ni trop peu) et les reprises de souffle sont placées avec une parfaite logique musicale dans le flux mélodique. L’ évidence immédiate des transitions entre les notes clés, et à plus grande échelle entre les périodes ("tercios"), donne à l’ auditeur une impression de naturel (mais on sait ce que le "naturel" doit en art à un inextricable mélange d’ intuition et de travail) qui peut se résumer très simplement : "c’ est exactement ça !". Si José Anillo est un classique par son répertoire, il n’ en est pas moins original et contemporain par ses interprétations (ses mélismes très personnels, et quelques sauts d’ intervalles inattendus, tels que les affectionnait Enrique Morente), et sa manière d’ alterner un quasi "sprechgesang" à mi-voix et la vocalité la plus véhémente, en contraste virulent (Malagueña – Granaína de Aurelio Selles / Malagueña del Mellizo) ou en subtile gradation (les cinq cantes successifs des Alegrías).

Le style de Paco Iglesias est l’ idéale réplique de celui du cantaor. Sans jamais s’ écarter des séquences harmoniques traditionnelles, il parvient à surprendre par d’ infimes (et d’ autant plus signifiants) détails de phrasé ou de dynamique, et un usage du silence en brusques suspens dans les arpèges des "remates" de la Malagueña ou des Soleares, ou dans les lignes de basses des Siguiriyas. Un exemple à méditer : comment retenir les leçons de Miguel Borrull, Perico el del Lunar et Melchor de Marchena, et les rendre à leur contemporanéité.

Notes sur le CD « Los balcones de mi sueño » ( Sinela Flamenco, GR 75, 2012)

On retrouvera dans le récent enregistrement de José Anillo la plupart des cantes de son récital, à l’ exception des Siguiriyas et des Soleares de Cádiz, qui auraient d’ ailleurs pu remplacer avantageusement une "Canción por Bulería" ("Soñar contigo") et une chanson argentine ("Canción de las simples cosas"), que ne parviennent pas à sauver d’ une monotonie certaine les efforts aussi méritoires que talentueux de José Pardo (saxophone et flûte). Trois autres cantes valent par contre le détour : une Bulería personnelle avec une belle intervention d’ Encarna Anillo ("A solas con tu piel"), des Tientos dans la veine de Manolo Vargas ("Cambio de planes") et les Tangos "Mil besos".

La mise en œuvre n’ évite pas toujours les poncifs des productions discographiques actuelles, notamment les "estribillos" en chœur (Bulerías, Alegrías, Tangos…) dont on ne saisit pas bien la nécessité musicale – seuls les chœurs de la coda des Tientos ont un réel intérêt.

Mais le cante de José Anillo balaiera aisément ces réserves. Les collaborations de guitaristes de styles très divers varient talentueusement les trames harmoniques et rythmiques : Rafael Rodríguez apporte un classicisme de bon aloi à la Malagueña et au Polo ; l’ arrangement somptueux de José Luis Montón renouvelle totalement des Tientos pourtant traditionnels quant au cante ; Alfredo Lagos est une fois de plus remarquable sur les Alegrías – une savante sobriété dans les falsetas et l’ accompagnement ; Juan Antonio Suarez "Canito" est l’ auteur d’ une impressionnante introduction "por Tango" ; Juan Requena fait preuve d’ une belle inventivité harmonique dans la première Bulería et le Fandango de Juan Varea ; et Paco Cruz fait ce qu’ il peut (c’ est à dire beaucoup) pour sauver avec Jorge Pardo la chanson argentine…

Nous ne pouvons que vous recommander de compléter votre discographie de la famille Anillo, en vous procurant cet enregistrement de José, après celui d’ Encarna (cf : notre rubrique « Nouveautés CD)

Claude Worms

Photos : Fabien Ferrer

Galerie sonore :

Tientos

Tientos : cante : José Anillo ; guitare : José Luis Montón ; bouzouki : Amir John Addad ; percussions : Sergio Martínez ; chœurs : "Las número 10".


Espace Croix - Baragnon / Jeudi 15 et vendredi 16 mars

"La Málaga cantaora"

Chant : Rocío Bazán

Guitare : Juan Ramón Caro

C’ est par un véritable hommage au travail de Maria Luisa Sotoca Cuesta qu’ Alain Lacroix, le directeur de l’ Espace Croix-Baragnon a commencé la présentation de la 4e soirée du Festival Flamenco de Toulouse. "Elle donne de l’ énergie au flamenco. C’ est l’ une des très rares programmatrices qui connaît vraiment le flamenco". Le récital de Rocío Bazán et Juan Ramón Caro illustra effectivement ces paroles.

Il faut avouer qu’ une fois de plus, les deux artistes programmés ont impressionné le public. Juan Ramón Caro, un guitariste qu’ on ne présente plus, compositeur connu de tous pour la fameuse Vidalita de "Querencia" (album de Mayte Martín) était là pour "accompagner le chant", comme il le rappelait avant le spectacle. Une évidence que certains oublient parfois… La guitare d’ accompagnement n’ est pas là pour se mettre en avant, mais pour soutenir et orner le chant. Ornementation dans laquelle Juan Ramón Caro s’ illustre à merveille en investissant les espaces des falsetas d’ un toque suffisamment traditionnel pour cadrer les styles choisis, mais également voluptueux et subtilement original, marquant ainsi de sa griffe un accompagnement recherché qui devient alors rond, dynamique et fleuri.

Rocío Bazan, qui venait au Festival de Toulouse pour la deuxième fois - lauréate des Jeunes Talents de La Union en 1999 et du Giraldillo de la Bienal de Sevilla en 2002 - est une artiste étonnamment peu programmée dans les grands circuits flamencos. Originaire d’ Estepona, Rocío Bazán est très attachée au répertoire malagueño. C’est donc avec une Malagueña, suivie de Verdiales de Juan Breva, qu’ elle a débuté la soirée. Dès les premières notes, on se demandait comment un si petit corps pouvait avoir un coffre si puissant… En fermant les yeux, sa voix paraissait tellement mûre qu’ on avait l’impression d’ écouter une vieille cantaora…

Le répertoire flamenco féminin a une grande importance pour Rocío Bazán : "quand je chante une letra, j’ ai toujours à l’ esprit celle qui l’ a chantée à l’ origine". Ce furent donc la Perla de Cádiz et la Niña de los Peines qui nous visitèrent ce soi r- là dans les Alegrías, au milieu desquelles se glissèrent quelques letras de Cantiñas, notamment "Cambiaste el oro por plata", variation qui rendait hommage à une génération de plus, celle de la mère de la Perla, Rosa la Papera, disent certains.

Ce fut cependant à partir de la Farruca que la soirée bascula dans une atmosphère très étrange : la puissance phénoménale de la voix de Rocío, portée par la guitare voluptueuse et mélodieuse de Juan Ramón Caro, commença à faire naître une émotion très profonde et peu commune. Peu commune également cette voix qui passe soudainement entre d’ un aigu limpide à un "alargado" sans fin, si grave qu’ on semble s’ approcher d’ une voix presque masculine. Tout aussi étrangement envoûtantes, les falsetas de Juan Ramón Caro, jouant tantôt sur quelques notes isolées et suaves, tantôt sur des cascades d’ arpèges aux harmonies inhabituelles. La Farruca fut un moment tellement fort, au centre de la soirée, qu’ on pouvait penser qu’ elle en resterait le pilier. Et pourtant… Après une série de Fandangos de Huelva, c’ est "por Soleà" que les deux artistes ont marqué définitivement la soirée du sceau flamenco. Si la personnalité de Rocío Bazán est sans aucun doute singulière et l’ éloigne de toute comparaison, sa voix, elle, rappelle pourtant parfois celle de La Paquera… Avec plus de temple, moins viscérale, Rocío Bazán est effectivement dotée par la nature d’ une voix hors norme si puissante qu’ elle doit se tenir à distance du micro.

Avant de finir por Bulerías, "un des styles qui lui plaît le plus", déclara – t - elle, et d’ effacer les quelques doutes qui pouvaient subsister en entamant le "Alialialia y andaaaaaaaa" cher à la Paquera, (Bulerías qu’ elle offrira à nouveau lors du bis demandé par le public), Rocío Bazán n’ oublia pas les Cantes de Fragua. Juan Ramón Caro préluda au cante avec une falseta très personnelle, puis un silence imposant envahit la salle avant que ne retentisse le Martinete, entonné d’ une voix puissante par la jeune malagueña, bientôt accompagnée par la guitare de Caro qui orna la Siguiriya de la Piriñaca avec respect.
Si - et sans mauvais jeu de mot - le métal métallisé de la voix puissante de Málaga nous évoquait par moment le mythe jerezano inégalable, la diversité du répertoire participait sans aucun doute à révéler la personnalité très singulière de cette jeune chanteuse, souvent qualifiée de "versatile".

La salle bleue de l’ Espace Croix - Baragnon semble douée d’ un charme serein, car chaque année, le deuxième soir est plus détendu que le premier. C’ est à nouveau par un hommage à Malaga que Rocío Bazán a débuté la soirée, chantant avec émotion que, "cuando el Canario cantaba, decía su sufrimiento y hasta el limonero lloraba" ("Quand el Canario chantait, il disait sa souffrance et même le citronnier pleurait") Une Malagueña qui se soir - là se termina bien loin des rythmes effrénés des Verdiales puisque c’ est avec deux Rondeñas, chica et grande, qu’ elle s’ éteignit peu à peu. L’ effacement progressif de la Rondeña amena un début de récital plus doux que la veille, qui donna le ton à tout le reste de la soirée.

La Caña de Rafael Romero, qui suivit, fut certainement le moment le plus assuré et le plus puissant de cette soirée. Avec beaucoup de temple, la voix si puissante de Rocío Bazán, parfaitement juste, s’ empara des modulations de la Caña et s’ adonna à une leçon de technicité, emplie de précision et de risque, qui n’ empêcha aucunement l’ émotion.

Et puis est arrivée "La Falseta". La falseta, celle qu’ on connaît par cœur, celle qu’ on reconnaîtrait entre mille et dont on ne se lasse jamais. Juan Ramón Caro a interprété la falseta de "Querencia" "por Petenera". Moment magique, moment nostalgique, encore un grand moment… Alegrías et Fandangos, Soleares et Martinete firent écho à la soirée de la veille. Les artistes reçurent deux bis et prolongèrent la soirée tout d’ abord par une série de Bulerías, puis de Tangos.

Ceux qui eurent la chance d’ assister aux deux soirs furent très partagés quant à celle qu’ ils préféraient : il est certain cependant que la puissance vocale de Rocío Bazán impressionne fortement la toute première fois qu’ on l’écoute, et que sa personnalité en fait un moment mémorable. Après Rocío Márquez l’année passée, Rocío Bazán fut cette année la nouvelle révélation du Festival Flamenco de Toulouse.

Manuela Papino

Photos : Fabien Ferrer


Tientos




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