Festival Flamenco de Nîmes : édition du trentième anniversaire, du 9 au 19 janvier 2020.

mercredi 20 novembre 2019 par Claude Worms

La programmation du trentième anniversaire du Festival Flamenco de Nîmes commencera et s’achèvera par un quasi centenaire : celui de la création à Londres le 22 juillet 1919 du "Sombrero de tres picos" de Manuel de Falla par les Ballets Russes de Serge de Diaghilev, avec Léonide Massine et des décors de Pablo Picasso (orchestre dirigé par Ernest Ansermet) - le bailaor Félix "el Loco" avait conseillé Massine pour la farruca, mais fut ensuite écarté de la distribution...

Affiche : Alain Clément

... Pour tout aficionado, le concours de cante jondo organisé en 1922 à Grenade déclenche immédiatement l’association du nom de Federico García Lorca à celui de Manuel de Falla, qui en furent les deux principaux propagandistes. Aussi le tournant des années 1910-1920 marque-t-il souvent, dans l’imaginaire de ses historiens, l’"entrée du flamenco dans la modernité". Nous nous permettrons de nuancer quelque peu ce point de vue : d’une part parce que le flamenco, surtout le baile décliné en spectacles chorégraphiques, a été "contemporain" (moderne si l’on veut) dès sa naissance (vers le milieu du XIXe siècle), et l’est resté depuis ; d’autre part parce que le fameux concours était précisément une tentative de retour à une "pureté" largement fantasmée, celle d’un cante non contaminé par le professionnalisme. Toujours est-il que le programme 2020 du festival nous semble conçu comme un jeu de miroirs entre la "modernité flamenca" de 1920, et celle de 2020 - ce dont nous ne nous plaindrons pas au vu de sa qualité.

Mariola Membrives / David Lagos

On commencera donc par une version jazzy (et flamenca) particulièrement recommandable des "Canciones populares" de García Lorca par Mariola Membrives, à laquelle est logiquement associé en deuxième partie le "Hodierno" de David et Alfredo Lagos, Daniel Muñoz et Juan Jiménez - lire notre récente critique, Hodierno (9 janvier, 20h, Paloma). On continuera le lendemain par le "Sombrero" (délesté de ses trois "picos") de la compagnie Estévez/Paños (10 janvier, 20h, Théâtre Bernadette Lafont) et l’on terminera une semaine plus tard par "El amor brujo" selon Israel Galván (l18 et 19 janvier, respectivement 21h et 18h, Théâtre Bernadette Lafont) - la musique risquant d’être un tant soit peu différente de celles des partitions originales, nous ne nous risquerons pas à supputer sur la version retenue (celle de la création au Teatro Lara de Madrid en 1915, ou celle du Trianon Lyrique de Paris de 1925). On imagine (et l’on espère) ces deux hommages aussi iconoclastes que respectueux. Cette immersion dans la "modernité 1920", vue de 2020, sera complétée par une conférence dansée historiquement et instructivement jubilatoire de Rafael Estévez, illustrée par Valeriano Paños, Alberto Sellés, Macarena López, Dani de Morón et Vicente Gelo (tout de même...) sur "Les danses flamencos à l’époque de la création du ballet Le Tricorne" (11
janvier, 11h, Odéon).

Valeriano Paños / Rafael Estévez

Le reste de la programmation mise essentiellement sur l’avenir (à l’horizon du deuxième trentenaire, 2050 ?), représenté par de jeunes artistes dotés d’une forte personnalité et en pleine évolution créative, entre héritages (familiaux, locaux etc.) et ouverture aux métissages de tous ordres -étant entendu que les artistes flamencos sont réputés "jeunes" jusque vers la quarantaine, après quoi ils deviennent sans transition des patriarches.

Eduardo Guerrero

Pour la danse, Eduardo Guerrero, dans "Sombra Efímera II", s’efforce de concilier la tradition du baile gaditan et la poésie soufie, le tout dans le format du "cuadro" canonique : danse soliste, chant (Samara Montañez et Manuel Soto) et guitare (Javier Ibañez) (12 janvier, 18h, Théâtre Bernadette Lafont). "Distopía", de Patricia Guerrero, sera sans doute un régal, non seulement chorégraphique, mais aussi musical, avec le trop rare Sergio "el Colorao" (cante), Alicia Naranjo (chant lyrique), Dani de Morón (guitare), José Manuel Posada "Popo" (basse et contrebasse) et Agustín Diasserra (percussions) (14 janvier, 20h, Théâtre Bernadette Lafont). Enfin, sans scénographie plus ou moins naïvement provocatrice, Rocío Molina se "contentera" de danser comme elle sait le faire - de manière merveilleusement musicale et hétérodoxe -, puisqu’elle se produira en strict duo, et dialoguera avec la guitare du maestro Rafael Riqueni (17 et 18 janvier, 18h, Odéon).

Patricia Guerrero

Comme Paco de Lucía et Tomatito, Vicente Amigo est l’un des rares tocaores dont l’audience dépasse largement celle des aficionados, et dont le jeu séduit les amateurs de pyrotechnies guitaristiques, quel que soit le style qu’ils affectionnent. Son récital ne devrait pas être très différent de celui qu’il avait donné au Théâtre Bernadette Lafont en 2017. Mais à ce niveau de qualité, on en redemande (16 janvier, 21h, Théâtre Bernadette Lafont). Cependant, qui veut découvrir la diversité du toque actuel ne manquera pas les concerts d’Antonia Jiménez et de Joselito Acedo, que nous avons eu le bonheur d’écouter en avril dernier lors de la XVIIIe édition du Festival Flamenco de Toulouse dans des répertoires originaux d’esthétiques très différentes mais également délectables (respectivement, 15 et 16 janvier, 18h, Odéon).

Antonia Jiménez / siguiriya
Joselito Acedo / rondeña

Antonia Jiménez (composition et guitare - enregistrement live) : siguiriya

Joselito Acedo (composition et guitare) : rondeña

Israel Galván

Nous ne prenons aucun risque à prévoir que le duo (concert acoustique) entre Gema Caballero et Javier Patino, c’est-à-dire entre l’une des cantaoras les plus talentueuses du moment et l’un des guitaristes-compositeurs les plus originaux d’une génération qui n’en manque pourtant pas, nous offrira une grande soirée de musique (13 janvier, 20h, Musée de la Romanité). Gema Caballero participera également à la création de "Luminescence", une œuvre du chanteur, trompettiste et joueur de santour irako-américain Amir ElSaffar confrontant maquâm irakien, jazz et flamenco. La rigueur du compositeur devrait nous éviter les habituels plus petits communs dénominateurs rythmiques et modaux auxquels se résument les "fusions" de tous ordres dont le seul concept directeur reste trop souvent "a ver lo que pasa" (15 janvier, 21h, Théâtre Bernadette Lafont). Il est inutile de présenter Tomás de Perrate au public nîmois. Du répertoire traditionnel de Lebrija/Utrera au rock, en passant par la salsa ou la rumba façon Bambino, sa voix habite tous les genres musicaux avec un naturel désarmant et une personnalité "inconfundible". C’est dire que l’électronique, l’orgue et la guitare électrique de Raül Refree (par qui le "scandale Rosalía" est arrivé - merci à lui) ne sauraient le déstabiliser, d’autant que son alter ego Alfredo Lagos sera également de la fête (11 janvier, 21h, Théâtre Bernadette Lafont). Enfin, un rendez-vous avec Mayte Martín est toujours un privilège rare, qu’aucun mélomane ne saurait manquer. Elle-même excellente guitariste, elle a toujours choisi pour partenaires des musiciens exceptionnels (Chicuelo, José Luis Montón, Juan Ramón Caro, Salvador Gutiérrez etc.) - Alejandro Hurtado est leur digne successeur (17 janvier, 21h, Théâtre Bernadette Lafont).

Gema Caballero / granaína y media
Tomás de Perrate / chacona

Gema Caballero (guitare : Javier Patino) : granaína y media granaína

Tomás de Perrate (guitare : Alfredo Lagos - enregistrement live) : chacona "Boa Dona"

Mayte Martín

Les conférences de 12h30 au bar du Théâtre Bernadette Lafont sont une tradition festivalière bien établie. Pour cette année, "El campo no tiene llave", par Pedro G. Romero et "La guitarra en Rito", par José María Velázquez-Gaztelu (respectivement, les 10 et 16 janvier). Deux seulement, parce que, pour son trentième anniversaire, le festival a choisi de donner la parole aux artistes, qui s’entretiendront avec Ángeles Castellano ou José María Velázquez-Gaztelu - eux-mêmes dialogueront sur le thème du "flamenco vu par deux générations de journalistes" (17 janvier) : Rafael Estévez et Valeriano Paños (9 janvier), Gema Caballero (14 janvier) et Antonia Jiménez (15 janvier). Fondateur du concours de chant et de guitare de Nîmes, l’ancêtre du festival, puis protagoniste incontournable de toutes ses éditions, Pepe Linares évoquera avec sa truculence habituelle trente ans d’histoire festivalière (18 janvier).

Rocío Molina

Un autre regard rétrospectif rendra hommage aux photographes et illustrateurs qui ont marqué le festival par leurs expositions : projections d’un choix de leurs œuvres sur la façade de la Maison Carrée à partir de 18h, du 9 au 19 janvier. On pourra cette année visiter deux nouvelles expositions : les photographies de José Lamarca sur le thème de l’"Encuentro" entre Paco de Lucía et Camarón de La Isla (Musée des Cultures Taurines Henriette et Claude Viallat - du 9 janvier au 2 février, sauf les lundis) ; les gouaches d’Alain Clément présentées dans le programme du festival (hall du Théâtre Bernadette Lafont - de début décembre à la fin du festival).

Pour les cinéphiles et les amateurs de "ballet flamenco", le cinéma Le Sémaphore projettera la trilogie de Carlos Saura, en versions restaurées : "Bodas de sangre" (11 janvier, 15h), "Carmen" (12 janvier, 11h) et "El amor brujo" (12 janvier, 15h).

Enfin, la vocation pédagogique du Festival Flamenco de Nîmes ne se dément pas. Pourtant peu coutumier de cet exercice, Israel Galván animera une Master class le 17 janvier, de 11h à 12h30 (studio du Théâtre Bernadette Lafont). Avec son partenaire attitré Nino Garcia, Chely "la Torito" poursuit cette année son cycle "Le monde imaginaire de MamZelle Flamenka" avec un nouvel épisode ("Poetika") - dix-huit représentations, suivies d’ateliers, dans les écoles primaires de la ville du 9 au 17 janvier. Elle présentera également une performance, "Flamenka in situ !", à l’Insitut de Cancérologie du Gard (15 janvier, 14h, CHU de Nîmes). Encadrés par Cathia Poza, les élèves de l’école La Calendreta, du collèges Condorcet et du lycéee Daudet réaliseront pendant toute la durée du festival des interviews et des reportages. Patrice Thibaud animera des ateliers de pratique théâtrale pour les élèves de l’Institut Emmanuel d’Alzon, et trouvera tout de même le temps de reprendre son spectacle, "Franito", pour trois représentations à l’Odéon (9 et 10 janvier).

NB : une autre tradition du festival veut que les concerts et les spectacles affichent rapidement complet : hâtez vous donc de réserver.

Claude Worms


Antonia Jiménez / siguiriya
Joselito Acedo / rondeña
Gema Caballero / granaína y media
Tomás de Perrate / chacona




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