Joss Rodríguez : "Una mirada fotográfica hacia el flamenco de Granada"

lundi 6 février 2017 par Maguy Naïmi

Joss Rodríguez : "Una mirada fotógrafica hacia el flamenco de Granada" - un livre de photographies, 106 pages / Diputación de Granada. Delegación de Cultura y Memoria Histórica y Democrática, Granada, 2016.

Textes en espagnol de Matilde Bautista Morente, Cristina Cruces Roldán Miguel Ángel Fernández Borrero, Joss Rodríguez et Claude Worms (traduction à l’espagnol de Maguy Naïmi).

Joss Rodríguez : "Flamenco de paseo"

Joss Rodríguez, établi depuis quelques années à Grenade, nous propose un parcours photographique en noir et blanc, intitulé : "Una mirada hacia el flamenco de Granada". Ce livre tente de réparer une injustice. On oublie trop souvent, lorsqu’on parle de flamenco, d’évoquer celui de Grenade, privilégiant le flamenco (excellent par ailleurs) de la Basse Andalousie : Jerez, Séville, Cadix. Or Grenade compte de nombreux talents, et Joss se propose de nous rafraîchir la mémoire ou de nous faire découvrir de jeunes artistes.

Ce regard en mouvement, "una mirada hacia el flamenco de Granada" se matérialise dès la couverture. Notre œil semble se situer en coulisse, derrière deux chaises traditionnelles (sillas de enea), l’une debout, l’autre renversée nous dévoilant sa trame, dans un clair obscur digne des peintres classiques. Fin de spectacle ? Fin de fiesta ?... la salle s’est vidée... Là où se trouvait le public, un noir profond servant de toile de fond... et pourtant on perçoit encore l’écho de la musique à travers ce jeu de chaises en miroir. Celle du chanteur et du guitariste, le duo préféré des aficionados. Notre regard plonge "vers" (hacia) la salle, là où se trouvait le public, car c’est lui qui, par sa présence, fait vivre le flamenco. Le "flamenco de Granada " c’est aussi lui. Le silence règne ici mais il est rempli de toutes ces présences.

Joss Rodríguez : Eva Yerbabuena : "Cuando yo era"

Dans sa première partie, "Granada territorio flamenco", le livre a l’avantage de faire cohabiter poésie et image. Il s’ouvre sur un joli poème : "¿Adónde va lo flamenco ?" d’Antonio Campos, cantaor et poète, et le cliché nous le montre en "fin de fiesta" accompagnant de son chant la danseuse : cadrage serré sur les deux artistes qui s’inscrivent dans une composition en triangle, unis dans le mouvement. À l’inclinaison de la danseuse répond celle du chanteur, tandis que les deux guitares s’échappent en faisceaux de ce triangle intime, projetant vers la salle leurs bulerías.

Suit toute une galerie de portraits : Enrique Morente, regard pétillant et sourire malicieux, en compagnie d’un Diego Carrasco dont on perçoit toute la faconde. Pepe Habichuela dont la guitare semble "crever l’ écran". Quelques fonds émergent dans les photos suivantes : le danseur Manolete tout de blanc vêtu se découpant sur le fond de verdure d’un festival d’été, tandis que ses deux collègues s’efforcent de faire vivre sa danse. Jaime Heredia "el Parrón" posant devant une belle affiche annonçant une réunion de cante à la Puebla de Cazalla. Mais très vite le fond noir revient en force, faisant émerger des artistes illuminés par les spots : envol de mantón pour Manuel Liñán, tandis que sur la page suivante Belén Maya semble perdue dans ses pensées, accoudée sur le bras d’un fauteuil ; puissance de la guitare de Paco Cortés dont les doigts exécutent un barré acrobatique sur le manche ; tresses rastas de Rubén Dantas s’écoulant en cascade ; basse électrique de Julián Heredia, telle un papillon, prête à prendre son envol ; présence massive du jeune chanteur David de Jacoba... La joie intense que procure le chant anime le cantaor Alfredo Tejada et s’accorde parfaitement avec la jubilation de son complice guitariste.

Joss Rodríguez : "Enrique en la memoria" - Niño de las Pinturas

Petit bijou d’intensité et de puissance le baile d’Eva Yerbabuena. La lumière met en valeur la concentration proche de la douleur exprimée sur son visage. Tout en elle évoque un arbre : ses mains ressemblent à des racines et griffent l’air, ses bras sont noueux. Miguel Ángel Cortés semble intérioriser son "toque" tandis que Marina Herediafait surgir le cante, bouche ouverte. Ses mains accompagnent la note, et, par le jeu de la lumière, un de ses pendants d’oreille se projette sur sa peau et y dessine un magnifique tatouage.

Parfaite composition en noir et blanc pour le duo Fuensanta la Moneta / Javier Latorre : elle, en pause élégante, buste renversé, bras en mouvements gracieux ; lui, au-dessus, bras levés, comme veillant sur celle qui fut son élève. Si l’on voulait pousser l’analyse, on pourrait voir dans les lignes de la composition l’union totale des deux artistes dans la danse : une première ligne unissant leurs bras et une deuxième reliant leurs regards.

Certains clichés ont un caractère insolite : celui de Miguel Ochando se chauffant les doigts devant une grande bibliothèque lui servant de loge ; ou encore celui de Iván Vargas Heredia, neveu de Manolete et de Mario Maya, qui nous rappelle dans un court texte, l’importance de la chaise dans les chorégraphies flamencas, et qui est accompagné sur scène par une fanfare (évocation de la Semaine Sainte).

Joss Rodríguez : "Fuensanta la Moneta con Javier Latorre"

J’aime le flou des cheveux de Gema Caballero qui s’accorde avec la dentelle mousseuse de son gilet, et le regard (que l’on devine attentif) de son guitariste, tourné vers son chant.
J’aime aussi le poème de Patricia Guerrero, illustrant sa photographie et qui la décrit si bien : "Resuenan los ecos de un llanto en forma de melodía / un haz de luz en la penumbra, / un quiebro silencioso.../ ensordece a una seguiría".

La deuxième partie, "Desde lo íntimo hasta el escenario : miradas fotográficas buscando "lo inmaterial"", ne presente pas que des photos d’artistes confirmés ; elle s’intéresse également à tous ceux qui font vivre le flamenco, musiciens amateurs, aficionados, luthiers, techniciens "montando luces" etc., et leur rend hommage. Certaines scènes sont humoristiques, comme ce "flamenco en la calle" avec, de dos, trois guitaristes amateurs qui se sont arrêtés devant un restaurant. Leur pied droit posé sur un banc public, ils font face, avec leur copain chanteur, à l’ardoise qui détaille les plats proposés aux clients. D’autres sont émouvantes, comme cette réunion de luthiers en tenue de travail, tenant un bout de guitare en construction (n’oublions pas que les luthiers espagnols se dénominent eux mêmes "constructores de guitarras") comme s’ils s’apprêtaient à créer un tableau cubiste. Le public n’est pas oublié. Dans "fin de fiesta en La Platería" (la mythique Peña flamenca de la ville), il est montré de dos, silhouettes obscures ; mais dans la lumière, à droite de la scène, émerge ce père qui entoure sa fille de ses bras, et qui, assis juste derrière le guitariste, accompagne de ses palmas la bulería de la danseuse. Il est l’exact pendant jubilatoire du palmero qui se trouve lui, de l’autre côté de la scène, à l’autre bout de la photo... Joie partagée. Que de bonheur exprimé aussi par le sourire radieux de Rafael Santiago "Habichuela", si heureux de poser sonanta à la main, devant le photographe !

Dans quelques clichés, Joss Rodríguez semble s’amuser. D’abord il joue avec le gilet orné d’arabesques et de feuillage du danseur Luis de Luis qui semble tout droit sorti de l’arbre qui lui sert de toile de fond. Puis, grâce à un jeu de miroirs rappelant les tableaux de Velàzquez, le photographe joue au "photographe photographié" , se représentant lui même en train de photographier un cours de danse.

Une peinture murale réalisée par l’excellent grapheur grenadin "El Niño de las Pinturas" (dont je suis "fan") clôt ce deuxième chapitre. Morente y est merveilleusement représenté. Son visage à côté des balcons en fer forgé se détache sur un fond de brique crues et chaulées. Le rendu est magnifique car on a l’impression qu’il s’agit d’une page d’un cahier d’artiste déchirée et posée là. La dédicace del Niño de las Pinturas, "para siempre, Enrique Morente" nous rappelle à quel point ce dernier a marqué l’histoire du flamenco.

Joss Rodríguez : "Actuación en la Platería"

Nous ne détaillerons pas la dernière partie pour ne pas lasser nos lecteurs, mais sachez qu’elle est consacrée aux nouvelles générations, celles qui sont l’avenir du flamenco de Grenade. Le mot "porvenir" signifie "avenir" (futur) et Joss Rodríguez joue sur les mots en intitulant sa dernière partie "Flamenco por venir" (flamenco à venir). Une série de photos réalisées entre 2012 et 2015. La première fait le lien avec la partie précédente puisqu’elle représente le fils d’Enrique, José Enrique Morente, chanteur et guitariste. Nous avons compté pas moins de quatre jeunes chanteuses, cinq danseuses, et pour ces messieurs, un pianiste, cinq guitaristes, six chanteurs. Comme on le voit, le flamenco a de l’avenir à Grenade.

Remercions la Diputación de Granada, ainsi que sa déléguée à la culture, Matilde Bautista Morente, dont nous connaissons le travail de sensibilisation, réalisé par elle et son équipe, et le travail de promotion du flamenco "por venir" à Grenade. Nous lui devons également le texte qui clôt le livre, où elle esquisse une biographie de l’auteur. Remercions Miguel Ángel Fernández Borrero dont nous connaissons la "afición" et le bon travail de diffusion réalisé sur les ondes de flamencoradio.com, Claude Worms de Flamencoweb.fr, et Cristina Cruces Roldán, enseignante et chercheuse à l’Université de Seville, qui ont apporté leur pierre à cet édifice. Et saluons aussi l’effort des artistes qui sont en général des "taiseux", car certains ont écrit en vers ou en prose un court texte, ou une simple phrase pour illustrer le cliché qui les concernait. Et, bien sûr, un grand merci à Joss dont l’afición et le talent n’ont d’égale que sa gentillesse.

NB : le livre de Joss Rodríguez est en vente dans toutes les bonnes librairies des grandes villes d’Espagne (ISBN 9788478075591).

Pour le commander :

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Maguy Naïmi





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