Carmen Linares : "Raíces y Alas"

lundi 2 mars 2009 par Maguy Naïmi

Un CD Salobre SA 01 568 (2008)

Raíces y Alas :

Je ne sais pas qui a eu l’idée du titre de l’album ("Racines et Ailes" en français ), mais il me semble rendre compte de la richesse littéraire des poèmes de Juan Ramón Jiménez - poète peu connu du grand public français, de leur enracinement dans la terre andalouse, ainsi que de la légèreté des compositions du guitariste Juan Carlos Romero qui, détournant juste ce qu’il faut les mélodies traditionnelles du flamenco, a su créer une œuvre élégante et originale.

Il faut dire que pour servir ces compositions particulièrement réussies sur les poèmes lumineux de Juan Ramón Jiménez, Juan Carlos n’a pas fait appel à n’importe qui. C’est Carmen Linares, qui, une fois de plus, dépassant les critères traditionnels du flamenco, a apporté sa touche personnelle et sa maturité artistique à ce projet.

Cet album semble taillé sur mesure pour Carmen qui, telle une grande comédienne pour laquelle on a écrit un rôle, a su mettre en valeur, et la lettre (le texte en vers) et l’esprit (la musique de la langue et celle du guitariste).

L’album présente en plus du CD, des photos des artistes et du poète, deux introductions, la première de Félix Grande, et la seconde de Miguel Copón, rendant hommage au travail accompli par ces deux artistes. Il inclut également les textes des poèmes, chantés dans leur intégralité par Carmen.

Le premier poème s’intitule "Remembranzas" ("Souvenirs"). Le poète y évoque son enfance dans l’univers blanc d’un village andalou :

" …me parecía mi pueblo

una blanca maravilla,

(…) ¡qué blanco ! ¡qué blanco todo !"

Tout paraissait immense à l’enfant qu’il était :

"Las casas eran palacios

y catedrales los templos".

Il décrit le bonheur et la joie immenses d’appartenir à une terre :

"iba yo siempre contento,

inundado de ventura

al mirar el limpio cielo"

même si l’adulte qui écrit sait qu’il s’agissait d’une vision rétrécie, celle de l’enfant qui n’est jamais sorti de son village :

"creyendo que el horizonte

era de la tierra el término."

Juan Carlos Romero a composé pour ce poème une alegría légère et jubilatoire, afin de traduire le bonheur immense d’une enfance heureuse.

"Dejadme en el jardín fragante" ("Laissez-moi dans ce jardin parfumé") est une rumba , avec une mélodie en suspension et un arrangement jazzy particulièrement réussi, aux couleurs automnales évoquant le style "westcoast" des "Four Brothers" (Ángel Sánchez, Juan Manuel Rico, Joseba Robles - arrangement signé Jesús Cayuela, comme tous ceux de l’ album). On accepte volontiers la présence d’une section d’instruments à vent qui apporte un contrepoint discret à la composition du guitariste. Cette impression de mélodie en suspension se justifie lorsqu’on analyse le poème : les vers sont étirés, bien plus longs que dans le précédent. La musique s’adapte à l’atmosphère de ce jardin lumineux, parfumé, mais où le poète semble attendre la mort.

Brièveté de la vie,

"quiero oír lo que dice la brisa de la vida

y hay tan poco jardín de la vida a la muerte (…)"

mais une vie particulièrement heureuse dans ce jardin. Ainsi, le passage à la mort ne semble pas douloureux :

"pues si esta tarde de oro pasa el frío y me muero,

me llevaré mi alma toda llena de rosas."

C’est pourquoi le choix d’une rumba, légère et parfumée, ne nous semble pas aller à contresens de ces vers.

Introduction de "gaita rociera" (Juan "el Tenazas") et rythme de fandangos de Huelva, pour le poème "Moguer, auroras de Moguer", s’adaptent parfaitement à un texte évoquant le paysage maritime de ces terres au bord de l’Atlantique. Ici la voix et la guitare s’enroulent telle la brume qui règne sur une grande partie du poème :

"los álamos de plata saliendo de la bruma."

La mer, si présente à Moguer, n’est qu’un ornement, un vain reflet.

"No existe el mar ; el campo

de viñas rojo y llano

es el mundo,que el mar adorna solo, claro

y tenue, como un resplandor vano."

Seule compte la terre, avec ses champs et ses vignes, dans laquelle le poète s’est ancré :

"¡Aquí estoy bien clavado !

¡Aquí morir es sano !"

Tout paraît se mouvoir au rythme des fandangos :

"El viento solitario

por la marisma oscura,

Moviendo, terremoto

y real, la difusa

Huelva lejana y rosa."

Reflexion sur la vie et la mort sur un rythme de soleá, qu’allègent la percussion de Tino Di Geraldo et la guitare de Juan Carlos Romero, très présente mais non pesante, pour le poème "El viaje definitivo" ("Le voyage définitif"). Les arrangements pour les instruments à vent nous introduisent dans un univers à la fois lointain et nostalgique, et forment une toile de fond pour la voix de Carmen qui donne tout leur poids aux vers de Juan Ramón :

"( …) Y yo me iré. Y se quedarán los pájaros cantando ;

(…) Se morirán aquellos que me amaron ;

y el pueblo se hará nuevo cada año."

Les lignes mélodiques rappellent par instants le "Locura de brisa y trino" de Manolo Sanlúcar, comme d’ailleurs celles de la nana introductive de "Canción de madre", (rien d’ étonnant : Carmen Linares et Tino di Geraldo avaient collaboré à cet enregistrement, et Juan Carlos Romero est un disciple de Manolo Sánlucar). C’est aussi le cas pour "Mares y soles", une tentative réussie de "recitativo semplice flamenco", la basse continue étant assurée avec une attentive délicatesse par Juan Carlos Romero.

Interprétation magnifique de Carmen pour la berceuse "Canción de madre", qui varie les mélodies, et fait alterner les parties récitatives et les parties a compás, aidée en cela par le talent des musiciens : la guitare joue en contrechant, en intermède, ou introduit, en duo avec la percussion, le rythme "abandolao". On sent les artistes particulièrement inspirés par cet hommage émouvant de Juan Ramón Jiménez à l’amour maternel, incarné par ces femmes qui se penchent sur leur enfant et chantent pour l’endormir :

"Mediodía ; sol y rosas ;

todo el pueblo se ha dormido

rosas, cielo azul (…) Las madres

están durmiendo a los niños (..).

Las palabras de las madres

tienen fragancias y ritmos

de llanto, que nadie sabe

dónde los han aprendido."

Le programme de l’ album est complété par "Alamo blanco", (une balade) - la voix de Carmen et la guitare de Juan Carlos y dialoguent en apesanteur sur les arabesques du violoncelle de Gretchen Talbot ; "El desvelado" et "Llanto" (deux bulerías ) ; et "Con tu voz", un "cante a palo seco" qui conclut dans le recueillement cet émouvant hommage à Juan Ramón Jiménez.

Je dédie cette critique du disque "Raíces y Alas" à tous mes élèves de collège, à tous ceux qui ont commencé l’apprentissage de cette langue en ma compagnie, et qui ont savouré les délicieux extraits de "Platero y yo" de Juan Ramón Jiménez, merveilleux écrivain malheureusement un peu oublié. Un grand merci aux artistes de nous avoir fait redécouvrir ce poète qui sait si bien nous faire apprécier la vie.

Maguy Naïmi

Galerie sonore :

Soleá
Nana y cantes abandolaos

"El viaje definitivo" (soleá)

"Canción de madre" (nana y cantes abandolaos)

Rappels discographiques

Inutile d’ajouter que tous les enregistrements de Carmen Linares sont indispensables à qui aime le flamenco, ou plus généralement la bonne musique.

"Carmen Linares" - LP Movieplay S 21 292, 1971

"Su cante" - LP Hispavox 30 130 211, 1978

"Carmen Linares" - LP Hispavox 30 003, 1984

"Cantaora" - LP GASA FA-004, 1988

"La luna en el río" - CD Auvidis Ethnic B 6753, 1991

"Canciones populares antiguas" - CD Auvidis Ethnic B 6201, 1994

"Desde el alma. Cante flamenco en vivo" - CD World Network, 56 983 1994

"Carmen Linares en antología. La mujer en el cante" - 2 Cds Mercury 532 397 - 2, 1996

"Un ramito de locura" - CD Universal Music 0044001775420, 2002

"Raíces y alas" - CD Salobre SAL 01, 2008


Soleá
Nana y cantes abandolaos




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