Sergio Monroy : "Chicuco" / Un gato en la luna : "Amalgama"

lundi 9 mars 2009 par Claude Worms

Sergio Monroy : un CD Bujío BJ 179 (2008)

Un gato en la luna : un CD Luna Flamenca / Karonte LF 5504 (2008)

Si le piano flamenco s’ est d’ abord développé sur des références à la musique classique, il est actuellement nettement marqué de l’ empreinte du jazz. Il serait d’ ailleurs plus exact de parler de "jazz flamenco", plutôt que de "flamenco jazz", pour tenter de situer la production récente d’ artistes de toute façon rétifs à toute qualification trop rigide et restrictive. L’ itinéraire musical de Sergio Monroy (Cádiz - 1980) est à l’ image de cette évolution : après avoir étudié les compositions de Pepe Romero et pris des leçons auprès d’ Arturo Pavón, il se situe actuellement nettement dans la mouvance esthétique d’ un Chano Dominguez.

"Chicuco", deuxième album de Sergio Monroy, marque une nette évolution par rapport à "Monroy" (2003), produit par le même label : plus intimiste et acoustique, il fait une large place au chant (cinq titres sur huit), sur des textes signés par le compositeur (à l’ exception d’ une balade). Nous aurions d’ ailleurs apprécié que les textes soient reproduits dans le livret, leur contenu n’ étant pas anodin : références à l’ émigration, défense et illustration de l’ innovation, qui n’ est pas contradictoire avec la "pureté" - la Bulería "Puro, el aire"... On ne trouvera dans les titres du programme aucune référence explicite aux formes flamencas : un choix vraisemblablement délibéré du pianiste, qui refuse de se laisser enfermer dans un genre trop codifié : ni flamenco, ni jazz... Le titre "Chicuco" symbolise d’ ailleurs cette volonté de puiser librement dans tous les idiomes musicaux : s’ il désigne à Cádiz la profession de coursier (celle du père de Sergio), c’ es aussi le nom d’ une région du Mozambique et d’ une vallée du nord du Mexique...

Le disque frappe essentiellement par la diversité des compositions et des climats musicaux. Toutes les ressources instrumentales du piano sont mobilisées en fonction de la logique de chaque composition : exposé harmonique des thèmes, en block chords ou en arpèges largement déployés sur toute la tessiture du clavier (le Tango "Ni pa’ tí ni pa’ mí", la Bulería "Parte de mi") ; improvisation jazzy (la balade "A Cuquete y Malu") ou afro-cubaine (la Rumba "A-4", l’ autoroute Cádiz - Séville, capitale obligée de toute carrière musicale...) ; accompagnement du chant (la balade "El aire de la Plaza", un hommage à José Ordoñez, qui initia Sergio aux styles d’ Arturo Pavón et Pepe Romero) ou de la guitare ("A Cuquete y Malu") ; références "classiques" (harmonies impressionnistes des introductions de "El aire de la Plaza" et de "Chicuco" ; notes répétées à la manière d’ Albéniz, par exemple dans le Tanguillo "Chicuco") ; jeu contrapunctique ; évocation de la guitare flamenca (en particulier dans les deux Bulerías)...

La structure des compositions, outre la forme thème / chorus habituelle à cette esthétique, est souvent basée sur de forts contrastes entre des plages apaisées, en général assurées par le piano ou les voix (Toñi Nogaredo, Encarna Anillo, Raúl Obregón, Victor Carrasco, et Sergio Monroy), et des ponctuations très dynamiques confiées aux autres solistes ou à des arrangements de cuivres ("Parte de mi" : José Guillamó, trombone ; Manuel Calvo "Lipi", trompette ; et Miguel Ángel López, saxophone, auteur du solo et d’ un superbe arrangement). D’ autre part, Sergio Monroy a fait appel, pour la section rythmique, à un grand nombre de talentueux musiciens, qui assurent un permanent renouvellement des couleurs sonores : Alejandro Benitez (remarquable solo sur "Ni pa’ tí, ni pa’ mí") et Manolo Nieto à la basse ; José López à la contrebasse ; Juan Sáinz à la batterie (intro de "A-4") ; Javí et Israel Katumba au cajón et aux palmas, secondés par El Junco pour celles-ci) ; et Manuel Muñoz "Pájaro" aux percussions. On n’ oubliera pas non plus les contrechants inspirés de d’ Oscar Lago (guitare flamenca - "Chicuco") et de Bernardo Parrilla (violon - "Puro el aire").

Les trois balades du disque sont elles aussi remarquables : émouvant duo entre Encarna Anillo et Sergio Monroy ("El aire de la Plaza") ; ambiance jazzy "after hours" pour "A Cuquete y Malu", dont le guitariste André Farstadha est le principal et brillant protagoniste ; et enfin le très original "Silencio", la voix de Raúl Obregón évoquant tour à tour la soul music et le cante "por Soleá", sur un fond sonore de piano Rhodes et de guitare saturée (Selu Bastos).

L’ un des meilleurs enregistrements de piano (nous n’ osons pas écrire "flamenco", pour ne pas aller à l’ encontre de la volonté de son auteur...) de ces dernières années.


"Amalgama", premier enregistrement du groupe Un gato en la luna, est un disque de musique légère, assumé comme tel (comme l’ est aussi la démarche du chat noir et noctambule qui musarde, solitaire, dans une rue andalouse - au dos d’ une belle jaquette, signée Almudena García). Mais musique légère ne signifie pas musique facile : mélodies racées et arrangements méticuleusement peaufinés, nous tenons là une sorte d’ équivalent andalou de la pop music mélodique britannique de qualité.

Dans certaines tournures mélodiques, ou par l’ ambiance musicale, on pourra déceler ça et là quelques réminiscences d’ orfèvres du genre : Lole y Manuel ("Rimas", lente "canción por Bulería" accompagnée "por Granaína") ; La Barbería del Sur ("Quisiera", balade décontractée aux accents de Colombiana, dont l’ entame mélodique évoque le "Al fin, al fin" du groupe madrilène) ; Ray Heredía ou Pata Negra, notamment dans les Rumbas ("Desnuito")... Mais ces quelques influences, sans doute inconscientes, ne remettent pas en cause l’ originalité du groupe, qui se démarque de ses devanciers par le fréquence de ses références au jazz, plutôt qu’ à la musique afro-cubaine ou au blues-rock (quelques citations plus ou moins explicites, dont le "Take five" de Dave Brubeck - la Bulería "Chócala" ; et, plus généralement, le style des arrangements instrumentaux).

Surtout, l’ album est remarquable par sa grande unité stylistique. D’ une part, parce que le guitariste Tomás García signe toutes les musiques et tout les textes, à l’ exception d’ une reprise de "Libertango" (Astor Piazzola), honorable mais pas indispensable, tant la concurrence est ici redoutable. Surtout, parce que les arrangements sont le résultat du travail collectif de musiciens en profonde empathie : outre Tomás García, Toni Bárbara (flûte et saxophone), Mariano Pollet (contrebasse), et Manolo Trigo (percussions). Un gato en la luna n’ est certainement pas une formation de rencontre, et le groupe fait preuve d’ une grande cohésion. Sur la base des riffs du guitariste (une grande économie de moyens - jeu monodique au pouce pour l’ essentiel, au service d’ une belle finesse mélodique), les autres instruments assurent la cohérence musicale des compositions en tissant de subtils entrelacs, dans lesquels vient se lover délicatement le timbre délicieusement rauque et sensuel de Nuria Martín. La chanteuse évite soigneusement de forcer sa voix, qui prend place au sein du groupe comme un instrument supplémentaire. Sa diction, son phrasé, et son émission retenue, en voix de gorge, évoquent fréquemment le style de Bebe, une artiste trop peu connue de ce côté ci des Pyrénées (cf : l’ album "Pafuera Telarañas").

Unité stylistique ne signifie pas monotonie, même si le répertoire est presque uniquement composé de Rumbas et de Bulerías à l’ exception de "Quisiera", et du Tanguillo "Amalgama", seule plage instrumentale de l’ album. La Bulería est ainsi déclinée avec habileté en quatre styles différents, tour à tour "flamenca contemporaine" ("Lágrimas de cristal"), "jazzy" ("Chócala"), à la manière de Lole y Manuel ("Rimas"), et "flamenca traditionnelle" ("Mañanitas de San Juan" - Bulerías de Cádiz). La même démonstration vaut aussi pour les Rumbas : Rumba flamenca pour les deux premiers titres de l’ album ("Las llamas de la candela" et "El que no llora, no mama"), Tango-Rumba ("Canastera"), et Rumba latina ("Desnuito").

Si les textes (intégralement reproduits dans le livret) évoquent l’ amour, l’ appétit de vivre (mais aussi parfois la mort) avec souvent un humour désinvolte, l’ atmosphère musicale est plutôt emprunte de mélancolie nocturne. A l’ image du graphisme de la jaquette : un groupe de musiciens souriants, sous la surveillance de la lune et d’ un chat blanc, de nuit, dans la rue "con - cierto flamenco" (qui pourrait se traduire par "avec une certaine dose de flamenco", ou "concert flamenco", selon que l’ on tiendra compte, ou non, du tiret...).

Claude Worms

Galerie sonore

Sergio Monroy : "Chicuco" (Tanguillos)

Sergio Monroy : "Puro, el aire" (Bulerías)

Un gato en la luna : "El que no llora, no mama" (Rumba)

Un gato en la luna : "Chócala" (Bulerías)


"Chicuco"
"Puro, el aire"
"El que no llora, no mama"
"Chócala"




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