Carlos Martín Ballester : "Manuel Torres" / José Manuel Gamboa : "¡En er mundo !" (2)

mercredi 18 juillet 2018 par Claude Worms

Carlos Martín Ballester : "Manuel Torres" : un livre (texte en espagnol, 426 pages) + deux CDs - Colección Carlos Martín Ballester, Madrid, 2018.

José Manuel Gamboa : "¡En er mundo ! De cómo Nueva York le mangó a París la idea moderna de flamenco (2). Flamenconautas. 2da parte : El crack de la bolsa y los cracks del flamenco" : un livre (texte en espagnol, 367 pages) - Athenaica Ediciones, Séville, 2017.

Après un premier volume consacré à Antonio Chacón ( Colección Carlos Martín Ballester : Antonio Chacón), Carlos Martín Ballester puise à nouveau dans sa miraculeuse collection d’incunables pour ce monument à Manuel Torres tout aussi indispensable.

On ne pouvait imaginer deux ouvrages plus appropriés pour lancer une collection de référence à laquelle nous souhaitons longue vie - on nous annonce d’ores et déjà Tomás Pavón pour fin 2018. Antonio Chacón et Manuel Torres sont en effet les figures emblématiques des "deux flamencos", qui, comme les "deux Espagnes", se livrent une guerre sans merci depuis au moins un siècle - pour le cante depuis le fameux concours de Grenade de 1922, au moins. Avec sa pertinence coutumière, José Manuel Gamboa titre l’un des paragraphe de son étude sur la postérité de Manuel Torres "Las dos Españas cañís" ("Del idolatrado... al despistado genio eterno", page 406). Antonio Chacón, musicien génial et virtuose inégalé pour les uns, premier grand responsable de la dégénérescence du cante "gitano andaluz" pour les autres... contre Manuel Torres, magicien suprême de l’art brut flamenco pour les uns et les autres, mais pour le décrire comme le "duende" incarné ou comme un artiste très inégal et limité quant à son répertoire. Les deux camps étaient ainsi à peu près d’accord pour relativiser la valeur de son legs discographique (49 faces de 78 tours), les uns y voyant la preuve que le duende ne saurait être capturé à heures fixes dans un studio, les autres celle des limites du cantaor. Chacón et Torres furent ainsi érigés en modèles exclusifs de ce que devrait être le cante selon leurs partisans, des effets de mode successifs amplifiant les anathèmes de part et d’autre : Manuel Torres régnait sans rival à l’époque du mairenisme triomphant (années 1960 - 1970) ; quelques révisions déchirantes dans les années 1980-1990 rétablirent un équilibre salutaire et ouvrirent largement le champs des esthétiques disponibles, pour le plus grand bien des amateurs de musique de bonne foi et de bonnes oreilles ; il semble malheureusement que nous devions déplorer depuis quelques années un accès de chaconisme aigu, tout aussi réducteur.

L’identification de l’art de Manuel Torres au duende doit évidemment beaucoup aux conférences fondatrices de García Lorca, mais la mythologie n’a cessé de s’enrichir depuis. Les sectateurs du duende partageant nombre de postulats avec ceux du Crossroad diabolique, on pourra d’ailleurs sans grand effort d’adaptation rapprocher certains récits délirants concernant Manuel Torres aux fantasmes récurrents appliqués à la biographie de Robert Johnson. Sur ce thème, on lira donc avec profit "Escaping the Delta. Robert Johnson and the Invention of the Blues", d’Elijah Wald (Amistad / HarperCollins, 2004), l’étude critique de l’auteur sur l’"invention" du blues et son identification à un musicien apportant de fertiles pistes de réflexion sur l’"invention", sinon du flamenco, du moins du duende, avec Manuel Torres en grand prêtre. La longue présentation de Carlos Martín Ballester de la vie et de l’œuvre de Manuel Torres est un modèle de précision biographique et discographique ("Vida y obra", pages 17 - 184). A propos de la légende du cantaor, l’auteur y cite entre autres un témoignage d’Antonio Mairena, qui dit tenir l’anecdote d’El Tripa. Manuel Torres participe à fiesta au bar Gabrieles de Madrid, vers 1918-1920 :

"[...] Cuando entró Manuel, Chacón le dio una botella de vino amontillado, que Manuel se bebió casi de seguido en dos vasos muy grandes. Quiso Chacón que cantara Basilio, y este lo hizo por tarantos [...] luego, cuando iba a cantar Manuel Torres, Montoya le fue a tocar por seguiriyas, pero Manuel le dijo : "Sigue por ahí". Se templó Manuel de forma impresionante y se puso a cantar lo mismo que había cantado Basilio. Y daba escalofríos escucharlo : "Desde mi casa yo veo / la fragua de Tío Laureano". Nada más dijo eso y ya no se podía aguantar. Basilio agarró una botella y se la rompió en su propia cabeza, y a Chacón tuvieron que sujetarlo porque se quería tirar por el balcón" (pages 76-77).

Notons que le choix du palo dont l’interprétation par Manuel Torres provoque de tels effets dévastateurs ne doit rien au hasard. Le taranto en question, sans doute en fait la minera attribuée à Basilio, fait partie du corpus des cantes de Levante dont Chacón était le maître incontesté, alors que Torres était surtout reconnu comme un siguiriyero hors pair... et ajoutons qu’on ne compte plus les récits d’aficionados lacérant leur chemise dès le premier "temple" du cantaor.

On s’adressera à Aurelio Sellés pour une comparaison plus technique entre les deux musiciens : "En la época de Manuel Torres los cantes sin guitarra los hacía Chacón mejor que Manuel Torres mil millones de veces, to lo que hacía lo hacía mejor que Manuel Torres, lo que es que Manuel Torres tenía un grito pelao que llegaba al alma a cualquiera y que lo ponía a uno descompuesto y que se tenía que esbaratar con él ; y después no se acordaba de lo que hacía. Y Chacón sí se acordaba. Chacón era un fenómeno" (page 396).

Pour outrés qu’ils soient, la profusion des témoignages sur l’impact émotionnel des cantes de Manuel Torres, et surtout de ses siguiriyas, est sans doute révélatrice du génie singulier d’un créateur et d’un interprète d’exception. L’audition attentive de sa discographie conduit d’ailleurs à considérablement nuancer le portrait d’un artiste inconscient de ce qu’il réalise dans l’instant, et incapable de le mémoriser. Apocryphe ou bien réel, il nous semble que son jugement mainte fois cité sur "En el Generalife" (première partie des "Noches en los jardines de España" de Manuel de Falla, 1915) est significatif d’un véritable projet esthétique : "Todo lo que tiene sonidos negros tiene duende" (page 402). Tentons une exégèse : plus que tout autre cantaor à l’époque, Manuel Torres aurait eu une compréhension (intuitive ou mûrement méditée) des potentiels musical et émotionnel de la modalité, dans un contexte de langage tonal dominant, en Andalousie comme ailleurs en Europe occidentale - du mode flamenco s’entend, et de ses chromatismes "noirs" ("bleus" diraient les amateurs de blues). "Por medio" (mode flamenco sur La, usuel pour accompagner entre autres les siguiriyas), l’échelle globale inclut, outre les notes constitutives du mode (La - Sib - Do - Ré - Mi - Fa - Sol), le troisième degré augmenté (ou majeur : Do#) et le cinquième degré diminué (Mib). Ce sont ces deux derniers (surtout le troisième degré augmenté, le cinquième degré diminué sera systématisé postérieurement par Morente et Camarón), "noirs" sur noir, que Manuel Torres allonge régulièrement sur des syllabes ouvertes : au fur et à mesure de ses enregistrements "por siguiriya", ils deviennent ainsi de véritables notes clés des modèles mélodiques, et non de simples ornements.

Le laboratoire de cette "modalisation" systématique du cante sera donc la siguiriya. D’où la proportion d’enregistrements de ce palo, unique à l’époque, dans la discographie de Manuel Torres : 13 sur 49. De plus, cette proportions s’accroît au fil du temps. Si nous écartons les séances de 1922 (avec José Cuellar "Hijo de Salvador") et de 1930 (avec Javier Molina), trop atypiques parce que limitées à quatre faces (dans les deux cas, 2 siguiriyas et 2 soleares), nous obtenons l’évolution suivante : 3 siguiriyas sur 19 enregistrements en 1908 (avec Juan Gandulla "Habichuela") ; une proportion équivalente en 1928, 2 siguiriyas sur 12 enregistrements (avec Miguel Borrull Hijo), auxquelles il convient d’ajouter 4 saetas por siguiriya de même profil modal affirmé, dont il avait défini le prototype dès les séances de 1908 ;
enfin, 4 siguiriyas sur 8 enregistrements en 1929 (avec Miguel Borrull Hijo). Or, si nous suivons la chronologie déductible de la tradition orale, les siguiriyas les plus anciennes sont pour la plupart modales-tonales : mode flamenco alternant avec la tonalité majeure homonyme pour la plupart des cabales, suspensions mélodiques modulantes sur la tonalité relative majeure (Fa majeur - Tomás el Nitri par exemple) ou la tonalité relative mineure (Ré mineur - Curro Dulce ou Manuel Molina par exemple) ; sans parler de la doyenne supposée des siguiriyas, attribuée à El Planeta, intégralement en tonalité majeure. Il est révélateur que dès ses premiers enregistrements, Manuel Torres ait choisi des siguiriyas strictement modales, dont l’accompagnement peut (doit ?) se limiter aux accords des trois premiers degrés : les compositions attribuées à El Viejo de la Isla et Francisco la Perla, et leurs re-formulations par les grands siguiriyeros jérézans de la génération antérieure à celle de Manuel Torres (Manuel Molina, Paco la Luz, El Marrurro, El Loco Mateo et Joaquín La Cherna, son oncle). On ne trouvera à cette remarquable persévérance qu’une seule exception notable : la siguiriya de cambio de Manuel Molina (suspension mélodique sur Ré mineur) pour les séances de 1922. Progressivement, en "croisant" les tercios de tels ou tels modèles antérieurs (ce fécond et fréquent procédé de composition n’était pas encore sévèrement interdit par la Faculté flamencologique), en les décantant avec un art de la synthèse et de la concision exceptionnel, Manuel Torres profile ses propres modèles mélodiques, qu’il peaufine à satiété au cours des séances de 1928-1930, et dont les chefs-d’oeuvre les plus remarquables sont des précipités (au sens chimique du terme) du mode flamenco sur un bourdon de sa substantifique moelle, le balancement en demi-ton des deux premiers degrés (Sib / A). Même la seule siguiriya "de cambio" qu’il ait créée ("Era une día señalao de Santiago y Santa Ana...") est une "modalisation" d’une composition de Curro Dulce, la suspension mélodique passant de quatrième degré au troisième. Encore Manuel Torres ne l’a-t’il enregistrée qu’une fois en 1929 - sa légitime popularité doit beaucoup plus aux versions très postérieures d’El Chocolate et de Terremoto.

Contrairement à une théorie très répandue, le corpus du cante ne serait donc pas marqué par une évolution du modal vers le tonal, mais plutôt par un cheminement inverse. Soutiendra-t-on que la nette majorité des compositions modales-tonales du répertoire que nous connaissons serait due à l’action "pernicieuse" des guitaristes ? Il faudrait alors expliquer pourquoi la quasi totalité des "cantes a palo seco" (tonás, martinetes et debla, a cappella) sont en tonalité majeure, ou alternent comme les cabales mode flamenco et tonalité homonyme majeure. Dans cette hypothèse qui reste à confirmer plus solidement, Manuel Torres serait l’un des principaux artisans d’un cante "moderne" résolument modal.

On serait tenté d’en inférer que les interprétations de Manuel Torres sont d’autant moins réussies que les cantes concernés s’écartent plus d’une stricte modalité. Il nous semble à vrai dire que c’est effectivement le cas de ses uniques enregistrements des campanilleros (La mineur / Do majeur, 1929) et de la farruca (La mineur, 1908). Ces deux palos montrent d’ailleurs que, comme ses collègues, Manuel Torres ne dédaignait pas d’intégrer au répertoire du cante des chants vernaculaires - pour la farruca, avec un tel succès qu’il fut un temps annoncé comme Manolito el "Tranteiro". Ses deux peteneras (1908) ne comptent pas non plus parmi les sommets de sa discographie, pas plus que ses uniques bulerías bien peu swinguantes, même si prudemment cantonnées au modèle modal de la "corta de Jerez" et à deux estribillos ("Fiesta gitana", 1928). Le cas limite est sans doute atteint lors de cette même année par des cantiñas (curieusement sous-titrées "zambra") sur lesquelles le cantaor, fort heureusement, ne reviendra plus : il s’y entête à vouloir introduire des tournures modales dans l’accompagnement tonal canonique alternant accords de tonique et de dominante, avec les résultats légèrement déconcertants que l’on peut imaginer. Y eût-il réussi qu’il aurait sans doute redécouvert la soleá por bulería (ou vice-versa)...

Mais le reste des enregistrements montre une belle constance dans la qualité, même quand les modèles mélodiques s’éloignent nettement de l’échelle des "sonidos negros" :

_ 9 séries de soleares (2 en 1908, 2 en 1922, 1 en 1928, 2 en 1929 et 2 en 1930) : Manuel Torres y innove beaucoup moins que pour les siguiriyas, et s’en tient pour l’essentiel à des compositions de Joaquín el de la Paula, La Serneta, El Mellizo, Antonio Frijones et, en une seule occasion, Teresa Mazzantini.

_ 6 séries de tangos (nos actuels tientos) : tous gravés en 1908 (modèles d’El Mellizo, Antonio Chacón et Antonio Frijones).

_ 3 cartageneras (selon la nomenclature actuelle) : toutes enregistrées en 1908, les deux premières sous-titrées "taranta" (modèle d’Antonio Chacón) et la troisième "malagueña" (modèle d’El Rojo el Alpargatero).

_ 2 tarantos (selon la nomenclature actuelle) : il s’agit de la fameuse création de Manuel Torres, à partir sans doute de la minera attribuée à Basilio - le premier sous-titré "taranta" (1928), le second "rondeña" (1929)

_ 2 malagueñas : la première sur la composition d’El Canario (1908) ; la seconde (1928), désignée également comme media granaína, est actuellement utilisée très fréquemment par les cantaores de Jerez en introduction à la malagueña del Mellizo, et attribuée indifféremment à El Canario, Antonio Chacón, El Gayarrito, voire à Torres lui-même.

_ 2 séries de fandangos : gravées en 1928. La première commence par un fandango de Huelva, attribué à El Comía, et la seconde s’achève par un fandango d’Antonio Rengel. Les autres cantes sont les récréations par Manuel Torres, devenues classiques, d’un modèle de La Parrala ("La vida se le acababa...", "Fui y las corté del trigal...", "Me fui al nido y la cogí"). Pas si mal pour quelqu’un qui aurait déclaré à propos des fandangos : "Eso pa mí está en inglé". Son second patronyme à consonance nettement anglo-saxonne (sa mère se nommait Tomasa Leyton de Vargas) y est peut-être pour quelque chose...

_ 1 série de bulerías por soleá (selon la nomenclature actuelle) : sous-titrées "bulerías cortas" (modèles d’Antonio la Peña, 1928).

La fascination que l’on pourra ressentir à l’écoute de tel ou tel de ces enregistrements résiste à l’analyse, Manuel Torres n’ y faisant preuve ni d’une originalité frappante ni d’une virtuosité vocale impressionnante : une tessiture modeste, une longueur de souffle très moyenne et un timbre certes "natural" mais pas particulièrement accrocheur. Mais... à chaque fois, le placement des micros césures, le jeu des contrastes entre syllabes et notes prolongées et brusques "recortes", les incises de ¡Ayes ! relançant la courbe mélodique etc., bref, un sens du timing qui ne s’apprend pas sont le fait d’un grand musicien. En quelques dizaines de secondes, tout est dit. Souvent, la voix semble sortir de nulle part, sans attaque perceptible, comme l’émergence sonore d’un monologue mental préalable. Etrangement (ou pas...), l’écoute des fandangos de 1928 nous a rappelé la manière vocale d’un autre notable Johnson bluesman, Tommy cette fois, qui enregistra "Big road blues"... en 1928 (cf. "Galerie sonore").

La voix de Manuel Torres ne nous est si présente que grâce au travail de restauration sonore exceptionnel réalisé par Carlos Martín Ballester. Pour éviter de "nettoyer" une partie de l’enveloppe vocale en même temps que les bruits parasites, on imagine avec admiration le nombre d’exemplaires d’un même enregistrement qu’il aura dû traquer inlassablement pour trouver le rescapé adéquat. Si le volume Chacón nous avait révélé quelques cylindres et 78 tours inédits, celui-ci fait mieux encore en nous restituant la voix de Manuel Torres, comme si nous étions avec lui dans quelque "colmao". En ce sens, il ne serait pas exagéré d’écrire que les 49 cantes des deux CDs sont tous inédits. La même remarque vaut pour le jeu des quatre guitaristes, et en particulier pour celui de Miguel Borrull Hijo, dont nous entendons pour la première fois la dynamique et les attaques aussi claires qu’incisives (pouce et picado) qu’il avait héritées de son père, en particulier "por taranta".

En plus des chapitres déjà évoqués de Carlos Martín Ballester et José Manuel Gamboa, on trouvera une présentation générale du style et du répertoire de Manuel Torres par Ramón Soler Díaz, et un portrait des guitaristes par Norberto Torres Cortés. Ces deux spécialistes incontestables nous offrent pour chaque cante un précieux guide d’écoute : les letras et leurs antécédents éventuels, l’identification des modèles mélodiques et les principales versions antérieures ou contemporaines par d’autres artistes, et les particularités de celles de Manuel Torres (Ramón Soler Díaz) ; le mode ou la tonalité de référence, le placement du capodastre, et l’analyse des falsetas et des accompagnements (Norberto Torres Cortés).

Chaque face de 78 tours est photographiée, avec indication des numéros de catalogue et de matrice. Enfin, l’abondante iconographie (affiches, articles de journaux, catalogues discographiques, portraits d’artistes et groupes etc.) est à la hauteur de la restauration sonore, sans doute là encore parce que l’auteur a cherché patiemment le tirage ou l’exemplaire de meilleure qualité.

Bref, la Colección Carlos Martín Ballester devrait être classée au titre des Monuments Historiques.

Claude Worms

NB : on trouvera d’autres enregistrements de la collection, et beaucoup d’informations discographiques inédites, en consultant le blog de Carlos Martin Ballester. Merci encore !

El Arqueólogo Musical

Photo : Deflamenco.com

Galerie sonore

Malagueña
Fandangos
Siguiriyas
Soleares

Malagueña (El Canario) : Manuel Torres (chant), Juan Gandulla "Habichuela" (guitare) - Odeon, 1908.

Fandangos (Dolores "La Parrala" / Manuel Torres - Antonio Rengel / Manuel Torres) : Manuel Torres (chant), Miguel Borrull Hijo (guitare) - Odeon 1928.

Siguiriyas (Manuel Torres - Francisco La Perla / Manuel Torres) : Manuel Torres (chant), Miguel Borrull Hijo (guitare) - Gramófono, 1929.

Soleares (El Mellizo) : Manuel Torres (chant), Javier Molina (guitare) -
Parlophon, 1930.

"Big road blues"

"Big road blues" : Tommy Johnson (chant et guitare) - Victor, 1928

Transcriptions

Sauf découvertes improbables, la maigre discographie de Javier Molina se limite à quatre faces de 78 tours enregistrées en 1930 pour Parlophon avec Manuel Torres (deux siguiriyas et deux soleares). Nous vous proposons les transcriptions de ses falsetas.

NB : les trémolos des deux falsetas "por soleá" ne présentent que des variantes insignifiantes (basses et reprises). Pour la falseta n°2, nous nous contenterons donc des trois compases joués en attaque butée du pouce.

Siguiriya

Siguiriya 1
Siguiriya 2
Siguiriya 3
Siguiriya 4
Siguiriya / Falseta n°1
Siguiriya / Falseta n°2
Siguiriya / Falseta n°3

Soleá

Soleá 1
Soleá 2
Soleá / Falseta n°1
Soleá / Falseta n°2

Sous le titre "El crack de la bolsa y los cracks del flamenco", José Manuel Gamboa poursuit une saga new-yorkaise des "flamenconautes" qui devrait encore compter deux autres volumes - le dernier étant consacré intégralement aux annexes documentaires qui s’annoncent copieuses (bibliographie, discographie, filmographie etc.). Comme pour sa première partie (¡En er mundo ! 1), et d’ailleurs tous les ouvrages de l’auteur, la densité de l’information y est telle qu’elle décourage à l’avance toute velléité de compte-rendu en forme de synthèse. Nous nous contenterons donc d’en résumer les principaux thèmes.

La très utile chronologie qui conclut le livre (pages 353 - 367) nous emmène de 1929 (retour aux USA de La Argentinita, arrivée de Vicente Escudero, triomphe de Pilar Calvo etc.) à 1947 (Rosario et Antonio à Carnegie Hall, commercialisation des cordes en nylon Albert Augustine Ltd. etc.). Ce cadre n’empêche pas le chroniqueur de se livrer à ses digressions temporelles coutumières, avec une verve parfois légèrement surréaliste bien digne des citations de Bob Dylan qu’il continue à égrener amoureusement en exergue au fil des chapitres, et qui finiront par constituer une anthologie à part entière. On commence très fort dès la page 9 avec la dernière strophe de "Maggie’s farm" pour un coup d’envoi consacré, entre autres, à Vicente Escudero et à l’imprésario Sol Hurok : "Well, I try my best / To be just like I am / But everybody wants you / To be just like them", en traduction espagnole.

De la Grande Dépression à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la Guerre Civile espagnole et la première décennie du franquisme (la pire, si tant est qu’on puisse discerner un "pire" du franquisme), José Manuel Gamboa trouve ample matière à exercer l’un de ses grands talents, celui de la contextualisation politique, économique et sociologique des évènements musicaux, en l’occurrence flamencos.

Comme pour le volume précédent, la danse flamenca, sous la forme du "ballet" plus que du "baile", reste (aux USA comme ailleurs) la plus populaires des disciplines exercées par les "flamenconautes". Mais, si le chant reste toujours mal connu sinon mal aimé, les guitaristes opèrent des raids puis des tournées de plus en plus nombreux et médiatisés sur les grandes salles de concert (Broadway Theater, Town Hall, Carnegie Hall entre autres pour nous en tenir à New York), salués régulièrement par l’enthousiasme du public comme de la critique musicale - et de leurs confrères (Arthur Rubinstein, Igor Stavinsky ou Leopold Stokowski comme Ray Barretto ou Dizzy Gillespie). Quand ils ne prirent pas les devants, les labels discographiques, les radios et Hollywood (pour les musiques de film, pourvu que le scénario suppose quelque décor espagnol ou latino-américain) ne tardèrent pas à suivre. A tel point que José Manuel Gamboa n’hésite pas à soutenir, et à démontrer, que la guitare flamenca "de concert" est une invention essentiellement new-yorkaise et états-unienne, et secondairement parisienne (pour Amalio Cuenca, Miguel Borrull, Ramón Montoya et Luis Maravilla). "De cómo Nueva York le mangó a París la idea moderna de flamenco" : le sous-titre est donc également applicable au toque. Encore convient-il d’ajouter qu’à l’exception notable de Luis Yance, et jusqu’au sacre de Carlos Montoya (un neveu peu orthodoxe de Ramón, que même Sabicas ne parviendra pas à détrôner), les guitaristes - concertistes et compositeurs - "flamencos" appartiennent tous à la catégorie des "éclectiques" (Eusebio Rioja), en ce qu’ils cultivent un répertoire tour à tour classique et flamenco (ou dans l’entre-deux) d’une commune inspiration andalouse ou à tout le moins espagnole. Bon nombre d’entre vous découvrirons ainsi un chapitre très méconnu de l’histoire de la guitare flamenca avec les carrières et les enregistrements états-uniens de Guillermo Gómez, Francisco Salinas, Luis Yance, Jerónimo Villarino, Ángel Iglesias, Vicente Gómez (sans lien familial avec le précédent) etc.(cf. "Galerie sonore"). Ce dernier fut sans doute le propagandiste de la "sonanta" le plus actif aux Etats-Unis. On ne compte plus ses musiques de film ("The Captain from Castille", "The Kissing Bandit", "The Snows of Kilimanjaro", "Blood Wedding Suite"... et surtout "Blood and Sand", d’après Blasco Ibáñez, qui popularisa bien avant Narciso Yepes un certain "Romance anónimo", alias "Jeux interdits", qu’il avait publié en 1940 sous le titre "Romance de amor" chez Beldwin Music Ltd.). Il fonda en 1948 à Manhattan, dans la 52ème rue, "el primer tablao de la historia", La Zambra (page 155), puis en 1953 à Los Ángeles l’ "Academy of Spanish Arts" ( cours de guitare classique, guitare flamenca, baile flamenco, ballet, langue espagnole et tauromachie) et compta parmi ses élèves... Ricky Nelson, qui eut été bien inspiré de poursuivre dans cette louable voie plutôt que de servir d’ersatz présentable à Gene Vincent ou Eddie Cochran (une circonstance atténuante : sa version de "Get along home, Cindy" en duo avec Dean Martin dans "Río Bravo").

L’essor sans précédent de la guitare flamenca outre Atlantique est aussi liée à l’activisme de Vladimir Bobri (en fait Bobritsky, né en Ukraine en 1898 et mort à New York en 1986), qui fonda en 1936 la New York Society of the Classic Guitar président d’honneur : Andrés Segovia ; vice-président : Vicente Gómez), maison-mère de la vénérable Guitar Review (premier numéro en 1946). José Manuel Gamboa n’oublit pas non plus les évolutions affectant les techniques d’enregistrement (mécanique puis électrique) et les supports, de la gomme-laque au vinyle en passant par le durium - un mélange de papier et de résine permettant la fabrication de 78 tours monofaciaux très bon marché et vendus dans les kiosques à journaux, particulièrement bienvenus pendant la Grande Dépression. Jerónimo Villarino enregistra en 1932 au moins trois disques ("Soleares", "Andalusian Tango" et "Fandanguillos") pour le label Durium Records, ex "Hit of the Week" reconverti au nouveau support. Les difficultés d’importation de la gomme-laque pendant la deuxième Guerre Mondiale provoqua sa substitution par le vinyle pour les V Disc destinés aux troupes états-uniennes (huit millions d’exemplaires produits entre 1943 et 1949). Dans le catalogue des V Discs, on trouve une séance de Vicente Gómez (mars 1944) : il enregistre "El Albaicin" ("The Gypsy Village", granadina), un menuet de Sor, une mazurka de Tarrega, "Romanza de Amor", "Alegrías" et la "Gran Jota" de Tarrega - seules les trois premières pièces seront éditées (cf. discographie de Vicente Gómez, pages 169 - 174).

Ajoutons une autre innovation fondamentale, le remplacement des cordes en boyau par les cordes en nylon, un détournement de l’invention de Dupont de Nemours (1935) que nous devons à Albert Augustine, avec la complicité d’Andrés Segovia (1947). Reste enfin à évoquer l’action de quelques grands imprésarios particulièrement avisés, qui s’exerça certes prioritairement au profit des spectacles de danse, mais s’étendit rapidement aux récitals de guitare, classique ou flamenca - le plus souvent les deux au même programme et par le même artiste.

Le plus important d’entre eux fut incontestablement Solomon Izrailevich Gurkov, alias Sol Hurok (Pogar, Ukraine, 1888 - New York, USA, 1974). On compta jusqu’à 4000 artistes sous contrat avec Hurok Attractions Inc., parmi lesquels Anna Pavlova, Isadora Duncan, Mstislav Rostropovitch, Igor Stavinsky, Andrés Segovia, Pau Casals, Martha Graham, Arthur Rubinstein, Margot Fonteyn, Maria Callas, Rudolf Noureev etc. Et pour le flamenco, La Argentina, Vicente Escudero, La Argentinita et sa sœur Pilar López, Carlos Montoya, Antonio Triana, Manuel García Matos, Ana María, Mariemma, Carmen Amaya, Sabicas, Rosario et Antonio (puis Antonio el Bailarín en solo ou avec Rosita Segovia)), José Greco, Roberto Iglesias, Ximénez-Vargas, Rosa Montoya, Ciro, José Toledano, Luisillo, Manuela Vargas, Juan Serrano, Antonio Gadés et, pour faire bonne mesure, Paco de Lucía. On conçoit que José Manuel Gamboa consacre les deux premiers chapitres de son livre à un tel personnage (pages 9 - 86) et, chemin faisant, aux exploits états-uniens de ses artistes les plus renommés et de leurs nombreux disciples - danseuses, danseurs et guitaristes formés dans leurs diverses troupes, et pas toujours nés en Andalousie ni même en Espagne. Pour le baile et le ballet, l’auteur s’attarde donc longuement et rigoureusement sur les carrières de Vicente Escudero, La Argentinita (La Argentina ayant déjà fait l’objet d’une longue étude dans le volume précédent), Pilar López, Ana María, Roberto Jiménez, Rosario et Antonio ("Los chavalillos de Sevilla", ou "The kids from Seville"), Juan Martínez, José Greco et, naturellement, Carmen Amaya - entre autres, par ordre d’entrée en scène, et sans oublier nombre de second rôles pittoresques tels Soledad Miralles (bailaora et cantaora qui enregistra avec Carlos Montoya) ; Consuelo Moreno (tête d’affiche d’une foule de "latin night-clubs, en tant que "flamenco singer", mais avec danse et castagnettes en prime - elle enregistrera pour Decca des cuplés por bulería, pasodoble et guajira en 1939-1940) ; Adela Durán (nièce de Rita la Cantaora et cousine d’Antonia la Gamba, l’épouse de Manuel Torres - polyglotte et bailaora qui créa à Manhattan une "Fantasía" sur "Carmen" de Bizet et acheva sa carrière comme professeur de danse espagnole à l’école Pro-Arte de Cuba de 1953 à 1963) ; Domingo Samperio (inventeur des solos de castagnettes sur des compositions classiques hispanisantes de Scarlatti et Boccherini, selon Pilar Rioja qui poursuivit le travail au bénéfice - ou aux dépens - de Mateo Albéniz, le Padre Soler, Sarasate et, de fil en aiguille, Bach Cimarrosa, Albinoni, Corelli, Paganini, Beethoven, Debussy, Hallfter etc.) ; Laura Toledo, bailaora née dans le Val d’Oise naturalisée américaine, fille d’un poète russe et d’une mère pianiste polonaise) etc. A propos de Carmen Amaya ("Carmen Amaya. La Queen", pages 309 - 351), on trouvera également une savante synthèse, chronologie à l’appui, de l’état des connaissances sur la nébuleuse genèse du taranto.

Cette liste (fort incomplète - la lecture du livre réserve bien d’autres savoureuses découvertes) amène José Manuel Gamboa à s’intéresser à d’autres chasseurs de têtes doués d’un flair artistique et commercial aussi aiguisé que celui de Sol Hurok, très souvent issus de familles juives d’Europe Centrale émigrées aux Etats-Unis ("El asunto judío", pages 223 - 231), parmi lesquels Frederick J. Reiter (éditeur de Morro Music et Musical Heritage Society, à qui nous devons le magnifique double LP "Mario Escudero plays Classical Flamenco Music") et Sidney Siegel Parlayed, fondateur du label Seeco et donc quasiment de la salsa. Ce qui nous conduit au "Spanish Harlem" ("La gustosa penetración latina", pages 233 - 254) - nous nous attendions à y croiser par anticipation Ben E. King et Willy DeVille, mais l’auteur les aura sans doute gardés en réserve pour le prochain épisode. Le quadrilatère circonscrit par les 110ème et 120ème rue et les 5ème et 8ème avenues est un bouillon de cultures successives, entre autres et surtout yiddish, italienne et hispanophone (Espagne et Amérique Latine, singulièrement Mexique, Cuba et Puerto Rico). Pour le disque, cette dernière fait une première percée avec la création en 1927, par Gabriel Oller et Rafael Fernández, du premier commerce de musique "latina" du quartier, la Casa Fernández. Oller s’associa ensuite avec le luthier Andrés Tatay Tomás (descendant d’une lignée de guitarreros valenciens) pour fonder le Spanish Music Center, dont dépendent les labels Coda Records puis Pro-Arte Records qui virent débuter dans les années 1940 Chano Pozo, Mongo Santamaría, l’orchestre de Machito, le trio Los Panchos etc. Mais c’est Sidney Siegel qui impose définitivement la "salsa de Nueva York" qui, selon Ray Barretto, "[...] no es un estilo puro. Los músicos salseros neoyorquinos hemos aprendido del jazz y del flamenco" (pages 235-236). Son label Seeco débauche bon nombre de musiciens révélés par Oller, qui s’ajoutent au pionnier catalan Francisco de Asís Javier Cugat Mingall "Xavier Cugat" (Gerona, 1900 - Barcelona, 1990) - il engagea dans son orchestre quelques artistes plus ou moins flamencos (Ascensión Ballesteros, Miguel Albaicin ou Margarita Carmen Cansino, alias Rita Hayworth) - et à d’autres pointures du genre tels Pérez Prado, Sonora Mantecera, Tito Puente, Guillermo Portabales, Bobby Capó, Celia Cruz etc. En attendant la Fania Records de Johnny Pacheco et Jerry Masucci (une autre association entre un musicien hispanophone, dominicain en l’occurrence, et un avocat juif) à venir en 1963, Seeco essaime en étiquettes secondaires (Tropical, Dawn Records) qui éditent sous licence les enregistrements français de Manolo Leiva et Pepe de Almería, perdus il est vrai dans une avalanche de compilations salseras et de disques de jazz afro-cubain, rhythm’ and blues, folk, rock...

Dans une veine plus grave, le chapitre intitulé "No war, me tengo que marchar. Bye, bye war. Hello dollar !" (pages 87 à 105) traite des conséquences de la Guerre Civile. L’émigration temporaire ou définitive de nombreux artistes flamencos est déjà bien connue - certains par véritable choix politique, la plupart pour échapper aux tueries. On sait moins que l’engagement des artistes états-uniens en faveur des républicains consacra définitivement l’alliance entre la danse flamenca et la danse contemporaine ("modern dance" à l’époque), déjà bien engagée avec La Argentina, La Argentinita et Vicente Escudero, qui perdurera jusqu’à nos jours avec Belén Maya, Israel Galván, Rocío Molina ou Andrès Marín. L’œuvre emblématique des créations chorégraphiques motivées par le soutien aux républicains espagnols, souvent pour lever des fonds destinés au financement de l’"Abraham Lincoln Brigade", est sans doute le "Deep Song", ou "Cante Jondo", de Martha Graham (1937). Mais la liste des spectacles d’inspiration similaire, limitée en gros aux années 1936-1939, est aussi méconnue qu’édifiante (pages 91 à 93).

Enfin, pour finir sur quelques récits picaresques indissociables du flamenco, dont José Manuel Gamboa est un digne et gourmand narrateur (quelque part entre l’humour gaditan et l’humour anglo-saxon, pas si éloignés d’ailleurs), on savourera à leur juste valeur les aventures gastronomiques et linguistiques des "flamenconautes" en terres yankees. Nous nous garderons bien de vous les dévoiler ici : il vous faudra lire "¿Cuando se come aquí ?" (pages 255-283) et "Chapurreando, chapurreando "Pikinglis"" (pages 285-296).

Claude Worms

Galerie sonore

Francisco Salinas (Chignahuapan, México, 1892 - México D.F., 1979)

Columbia 1926

"Tientos" (Guillermo Gómez)
"Guajiras" (Guillermo Gómez)

Guillermo Gómez (Málaga, 1880 - México D.F., 1953)

Columbia, 1928

"Potpourri de aires españoles. 1"
"Potpourri de aires españoles. 2"
"Suite andaluza. 1ra parte. Trianerías"
"Suite andaluza. 2da parte. Bulerías"
"Suite andaluza. 3ra parte. Granadinas"
"Suite andaluza. 4ta parte. Zambra gitana"

Luis Yance (Madrid, 1890 - Madrid , 1937)

Granadinas
Fandanguillo

Brunswick Records, 1930

Jerónimo Villarino (Río Tinto, Huelva, 1889 - Los Ángeles, 1972)

Durium, 1932

"Tango andaluz"

Vicente Gómez (Madrid, 1911 - Los Ángeles, 2001)

Decca, 1939

"Soleá"
"Sevillanas y panaderos"
"Rapsodia andaluza" (Rafael Marín)
"La farruca"
"Granada arabe"
"Alegrías"

Ángel Iglesias (Badajoz, 1917 - Barcelona, 1977)

Odéon (Copenhague), 1943

"Aires regionales (Fantasia)"

Siguiriya 1
Siguiriya 2
Siguiriya 3
Siguiriya 4
Soleá 1
Soleá 2
Siguiriya / Falseta n°1
Siguiriya / Falseta n°2
Siguiriya / Falseta n°3
Soleá / Falseta n°1
Soleá / Falseta n°2
Malagueña
Fandangos
Siguiriyas
Soleares
"Big road blues"
"Potpourri de aires españoles. 1"
"Potpourri de aires españoles. 2"
"Suite andaluza. 2da parte. Bulerías"
"Suite andaluza. 3ra parte. Granadinas"
"Suite andaluza. 1ra parte. Trianerías"
"Suite andaluza. 4ta parte. Zambra gitana"
"Tango andaluz"
"Soleá"
"Sevillanas y panaderos"
"Rapsodia andaluza" (Rafael Marín)
"La farruca"
"Granada arabe"
"Alegrías"
"Aires regionales (Fantasia)"
"Tientos" (Guillermo Gómez)
"Guajiras" (Guillermo Gómez)
Granadinas
Fandanguillo




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