Oscar Herrero : "1912. Homenaje a Sabicas y Esteban de Sanlúcar" / José Luis Montón & David González : "Clavileño. Suite Clásico - Flamenca"

lundi 25 mars 2013 par Claude Worms

"1912. Homenaje a Sabicas y Esteban de Sanlúcar" : un CD Acordes Concert AC 171413 - 2013

"Clavileño. Suite Clásico - Flamenca" : un CD Cozy Time / Ata - 2012

Il fut un temps où les guitaristes flamencos n’ enregistraient que quand ils pensaient avoir quelque chose à dire. Il est réconfortant de constater que quelques artistes - artisans persistent à peaufiner des disques longuement médités, sans se soumettre aux impératifs du marketing ni au calendrier délirant qui imposerait un album par an, coûte que coûte - surtout pour l’ auditeur qui doit souvent se contenter d’ un contenu musical des plus chiches (un minutage dépassant rarement la demi-heure, moins les estribillos aussi anodins que répétitifs, les reprises shuntées interminables, les collaborations prestigieuses mais bâclées...).

Oscar Herrero et José Luis Montón prennent place parmi ces heureuses exceptions, avec une discographie régulièrement de grande qualité. Outre la rigueur et l’ inspiration constantes de leurs compositions, les deux guitaristes ont à leur actif quelques projets originaux, tels un concerto pour guitare et orchestre ou un hommage à Manuel de Falla ("Brindis de guitarra" en duo avec le guitariste classique Carlos Oramas) pour le premier, un album en duo avec le violoniste Ara Malikian ("Manatial") ou le spectacle musical pour enfants "Flamenco kids" pour le second. Pas de quoi défrayer la chronique flamenca branchée, mais nous pouvons sans grand risque parier que leurs oeuvres résisteront mieux au temps que certaines errances "celtiques" et autres "manoucheries" approximatives.

Le fait que la guitare flamenca soliste peut aussi être une musique de répertoire n’ est toujours pas passé dans les moeurs. Rares sont les guitaristes flamencos qui acceptent d’ abandonner leur statut de compositeur pour se faire les interprètes d’ oeuvres de leurs glorieux aînés. Si l’ on excepte quelques reprises isolées (et d’ ailleurs toujours les mêmes - la Rondeña de Ramón Montoya, "Impetu" de Mario Escudero, "Panaderos flamencos" et "Mantilla de feria" d’ Esteban de Sanlúcar...), ils se comptent sur les doigts d’ une main : les pionniers Manuel Cano ("Evocación de la guitarra de Ramón Montoya" - Hispavox) et Paco Peña ("Flamenco guitar music of Ramón Montoya and Niño Ricardo" - Nimbus Records) ; plus récemment, Rafael Riqueni ("Maestros" - Discos Probeticos), Javier Conde ("Homenaje a los grandes de la guitarra" - produit par José Manuel Conde) et Miguel Ochando ("Memoria" - Ambar).

Nous nous réjouissons donc de la parution de "1912. Homenaje a Sabicas y Esteban de Sanlúcar", version discographique du programme de concert conçu par Oscar Herrero pour commémorer le centenaire de la naissance des deux maîtres. Si l’ interprétation se distingue d’ abord par un respect scrupuleux des compositions originales, elle n’ en est pas moins très personnelle par la manière dont elle en éclaire le moindre détail mélodique, rythmique ou harmonique. Un travail d’ analyse de grande classe - pas très éloigné de celui qui permet aux musiciens classiques de remettre cent fois sur le métier les grandes oeuvres de leur patrimoine, servi par une technique irréprochable (entre autres, l’ art avec lequel le guitariste dynamise les lignes mélodiques par de subtiles et parfois imperceptibles accentuations, qui renouvellent à chaque fois notre perception des reprises des pièces d’ Esteban de Sanlúcar de forme rondo - "Mantilla de feria" ou "Perfil flamenco" par exemple).

La partie du programme consacrée à Esteban de Sanlúcar constitue d’ ailleurs une quasi intégrale de ses rares mais indispensables compositions : "Castillo de Xauén" (Danza mora), "Panaderos flamencos", "Mantilla de feria", "Perfil flamenco" (Zapateado), "Aromas del Puerto" (Farruca) et un inédit en premier enregistrement mondial, "Capricho flamenco".

Pour Sabicas, le choix était évidemment plus vaste. Le programme est un intelligent panorama de toutes les facettes du compositeur, mêlant "incontournables" et pièces moins célèbres : "Caña de azucar" (Guajira), "Clavel sevillano" (Campanilleros), "Punta y tacón" (Farruca), "Olé mi Cádiz" (Alegrias),
"Variaciones por Soleá" (un montage de falsetas emblématiques tirées de divers solos) et "Solera gaditana", une Alegria en duo, avec dans le rôle de Mario Escudero un jeune guitariste plutôt prometteur, Mario Herrero - digne élève de son père...

Un seul regret : le "bonus track" est une seconde version, à notre avis peu utile, des "Panaderos flamencos", traités en accelerando perpétuel et avec la coda de la version de Paco de Lucía. Nous aurions préféré une autre pièce : si le catalogue d’ Esteban de Sanlúcar est effectivement très restreint, ce n’ est pas le cas de celui de Sabicas.

Autre bonne nouvelle : Oscar Herrero annonce la publication de toutes les transcriptions de l’ album par ses propres éditions, Acordes Concert.

Il ne nous reste plus qu’ à espérer d’ autres hommages de cette qualité : à quand Ramón Montoya, Niño Ricardo, Mario Escudero, Luis Maravilla, Manuel Cano... ?

Claude Worms

Galerie sonore :

Oscar Herrero : "Variaciones por Soleá" (compositions de Sabicas)

Variaciones por Soleá

Oscar Herrero


Sous-titré "Suite Clásico - Flamenca", "Clavileño" est le fruit d’ une collaboration entre José Luis Montón et deux musiciens classiques, David González (guitare) et Juan Carlos Aracil (flûte). L’ ordre des adjectifs, "clásico" précédant "flamenca", résume bien la nature du projet : il s’ agit d’ un dialogue entre les deux genres musicaux, à partir d’ oeuvres classiques.

Le programme peut-être divisé en deux grands volets :

_ D’ abord des variations sur des oeuvres bien connues du répertoire baroque, de Gaspar Sanz (Canarios, Passacaille et Villano) et Santiago de Murcia (Gigue).
La structure des quatre pièces est identique, avec en introduction un exposé de la partition originale par David González, suivie de variations en duo ou en trio qui dérivent progressivement vers une interprétation "flamenca". David González ignore résolument les critères actuels de l’ interprétation "historiquement informée" de la musique ancienne : ornementation réduite au minimum, et pas trace des fameuses "notes inégales". Il en résulte une certaine raideur de phrasé, compensée par la limpidité et la probité de son jeu.
La caractérisation flamenca repose naturellement sur l’ usage de compases sur lesquels s’ organisent les arrangements à deux et trois voix, toujours inventifs et souvent d’ une grande élégance. Certains choix coulent de source : la Bulería pour l’ hémiole des Canarios, et le Tanguillo pour le 3/8 la Gigue. Deux sont plus inattendus, mais très efficaces : un soupçon de Colombiana pour le Villano, et surtout une Passacaille qui effleure délicatement le compás de Soleá, avec quelques citations subliminales du "cierre" caractéristique. José Luis Montón renoue ici habilement avec la veine d’ Aroma" (des albums "Sin querer", Auvidis B 6885, 2000 ; et "Manatial", Warner 5046730752, 2002 et 2004).

_ Deux longues pièces sont de (très) libres versions d’ oeuvres majeures du répertoire de la guitare de salon du XIX siècle, le troisième des "Trois rondos brillants" opus 2 (en La mineur) et le "Fandango varié pour guitare" opus 16 (en Ré mineur) de Dionisio Aguado. L’ effectif instrumental du trio est modifié : deux guitares et percussions (Odei Lizaso). Cette fois, la partition originale n’ apparaît plus en tant que telle, ce qui explique sans doute la mention "basada en..." - le nom du compositeur n’ apparaît d’ ailleurs pas sur la jaquette (ne sont mentionnés que Gaspar Sanz, Santiago de Murcia, Manuel de Falla et Esteban de Sanlúcar). La construction des pièces y gagne en cohérence, évitant le hiatus stylistique entre l’ introduction strictement classique le développement flamenco des quatre précédentes. Elle utilise brillamment la structure bipartite des oeuvres originales. La "Farruca francesa" (Rondo en La mineur) commence par des variations mélodiques sur la grille harmonique de l’ andante introductif à 4/4, avant de paraphraser le rondo proprement dit (2/4) sur une franche Farruca de tempo de plus en plus enlevé. L’ adagio du Fandango varié est traité "por Soleá" (d’ où le titre, "Soleá de la Pepa"), et repris brièvement pour la coda (ce que ne prévoit pas la partition originale), tandis que l’ allegro vivace devient logiquement un "toque abandolao" - ce qui d’ ailleurs met bien en évidence la parenté entre la Soleá et le Fandango abandolao, déjà notée par Norberto Torres à propos de la Rondéña de Francisco Rodríguez Murciano "El Murciano", telle qu’ elle a été transcrite par son fils Francisco Rodríguez "Malipieri".

En complément, le choix des "Panaderos flamencos" d’ Esteban de Sanlúcar est particulièrement judicieux. Traités comme les oeuvres d’ Aguado, ils prennent place sans rupture de ton dans le programme : entre le répertoire de la guitare baroque ibérique, les pièces inspirées de la musique populaire des guitaristes - compositeurs du XIX siècle, et les compositions des guitaristes flamencos, la continuité est évidente.

Par contre, on émettra là encore quelques réserves sur la pertinence du choix du dernier titre du disque. Si la transcription de "La vida breve" de Manuel de Falla s’ écoute comme toujours avec plaisir, elle n’ ajoute rien aux multiples versions disponibles, et n’ est musicalement pas franchement cohérente avec le reste du programme. Pourquoi ne pas avoir plutôt poursuivi la rapprochement esquissé avec les "Panaderos flamencos" ? Entre Esteban de Sanlúcar, Mario Escudero, Luis Maravilla, Pepe Martínez, Manuel Cano..., les possibilités ne manquaient pas.

Claude Worms

Galerie sonore

José Luis Montón, David González et Odei Lizaso : "Farruca francesa" (d’ après une composition de Dionisio Aguado)

Farruca francesa

Variaciones por Soleá
Farruca francesa




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