Entretien avec María Luisa Sotoca Cuesta

vendredi 30 août 2019 par Claude Worms

La Fundación SGAE présentait cette année, du 27 au 29 juin, la quatrième édition de "FlamenEñe", en collaboration avec le Museo Picasso de Málaga et l’Instituto Andaluz de Flamenco. María Luisa Sotoca Cuesta, directrice du Festival Flamenco de Toulouse, était invitée à faire partie du Comité d’ évaluation des projets en compétition. A cette occasion, elle a accepté de répondre à nos questions.

Flamencoweb : en tant que directrice du Festival Flamenco de Toulouse, vous êtes invitée aux showcases de FlamencoEñe depuis sa création. Y avez-vous rencontré des collègues français, ou non espagnols ? FlamencoEñe est-il destiné seulement à l’exportation de spectacles flamencos, ou s’adresse-t-il aussi aux organisateurs, imprésarios etc. espagnols ?

María Luisa Sotoca Cuesta : FlamencoEñe m’a permis de faire la connaissance d’un grand nombre de programmateurs internationaux (Rome, Milan, Portugal etc.) que je suis depuis leurs débuts via les réseaux sociaux. En quatre éditions, je n’ai rencontré que très peu d’acteurs culturels français. En 2017 j’ai fait la connaissance de Sami Sadack, des Dock des Suds, et cette année j’ai croisé Nicolas Bonnard, de l’agence parisienne ViaVox Productions. Comme vous l’aurez compris, FlamencoEñe ne s’adresse pas seulement aux responsables de programmation de festivals flamencos. Ces rencontres sont essentiellement organisées pour tous les professionnels internationaux du secteur culturel susceptibles d’inviter des artistes de flamenco dans leurs saisons ou leurs festivals. C’est aussi devenu une manifestation incontournable pour la filière du spectacle vivant. Depuis sa première édition en mai 2016, je n’ai rencontré que des professionnels de toute l’Europe et des États-Unis, mais je pense que certains organisateurs espagnols font aussi le déplacement pour les concerts.

FW : FlamencoEñe est-il propice aux échanges entre directeurs de festivals ? Y avez-vous initié des projets de collaboration avec d’autres festivals français ou européens ? Plus généralement, ces quatre éditions ont-elles enrichi votre longue expérience de programmatrice ?

M.L.S. : pour nous professionnels, cet évènement est une aubaine. C’est une opportunité pour nous, non seulement de voir en direct les artistes, mais aussi d’échanger avec d’autres programmateurs sur différents points (nos difficultés, sur les plans artistique, financier etc.). Ces quatre jours de travail sont aussi un moyen de tisser des liens entre nous, de nous soutenir, de nous tenir informés de nos différents projets. C’est une occasion pour moi de me familiariser avec les méthodes de travail de mes homologues étrangers, dont le modèle culturel demeure parfois différent de celui que nous pratiquons en France. Ce sont aussi des moments que nous pouvons partager entre agents, managers et artistes. Je peux les informer sur nos moyens techniques, logistique et financiers. L’échange direct est toujours plus favorable, en ce qu’il me permet de mieux sensibiliser mes interlocuteurs à l’esprit de notre festival. Ces quatre éditions nous ont également permis de réfléchir ensemble à de futures collaborations, à des co-productions - mais je ne peux pas vous donner plus de détails pour le moment.

FW : avez-vous déjà programmé à Toulouse des artistes présentés par FlamencoEñe ? Les connaissiez-vous déjà, ou s’agissait-il pour vous de découvertes ?

M.L.S : en effet, j’ai déjà programmé des artistes que j’ai découverts en direct à Málaga – par exemple le pianiste Alfonso Aroca, que je connaissais, mais que je n’avais pas eu l’occasion de voir sur scène avant sa venue à FlamencoEñe. En fait, j’avais déjà programmé au Festival Flamenco de Toulouse un grand nombre des artistes que j’ai eu le plaisir d’écouter lors de ces quatre éditions (Daniel Casares, José Enrique Morente, Laura Vital, Manuel Valencia etc).

FW : cette année, vous avez été sollicitée par la SGAE pour faire partie du Comité d’évaluation des projets, qui sélectionne sans appel les artistes qui seront admis à présenter leur spectacle lors des showcases du Musée Picasso de Málaga. Il s’agit là d’une reconnaissance bien méritée de votre travail à Toulouse. Mais nous aimerions en savoir plus : comment et pourquoi avez-vous été contactée par la SGAE ?

M.L.S. : je tiens d’abord à préciser que je suis très honorée de la confiance qu’ils m’ont témoignée. En tant que directrice du Festival Flamenco de Toulouse, cela fait plus de vingt ans que je travaille d’arrache-pied en faveur du flamenco. Le festival de Toulouse a toujours proposé une programmation très éclectique, audacieuse et originale. La musique et le chant sont deux disciplines importantes qui me tiennent à cœur. Il faut chercher, écouter beaucoup et voir le plus de spectacles possible pour innover et ne pas tomber dans la facilité. La scène flamenca est en pleine ébullition, avec un grand nombre d’artistes émergents que je souhaite faire découvrir à notre public. C’est aussi cette vision ouverte qui fait du festival une vitrine de la diversité et de la richesse du flamenco actuel. Depuis sa création, le festival accorde une place importante aux jeunes talents. Ma connaissance du travail des artistes, mes choix et bien d’autres atouts encore, tout cela explique sans doute que la Fondation m’ait contactée. De plus, ils tenaient à ce qu’une professionnelle internationale fasse partie du jury.

FW : combien de membres participaient-ils au Comité d’Evaluation ? Etiez-vous la seule "étrangère" ?

M.L.S. : oui, j’étais la seule étrangère. Nous étions trois : Juan Parrilla, du Conseil d’Administration de la Fondation SGAE ; Juan Carmona, directeur institutionnel du département Musique à la Fondation ; et moi, directrice du Festival Flamenco de Toulouse.

FW : vous avez donc vécu de l’intérieur la sélection des candidats. Pouvez-vous nous en expliquer le processus ? FlamencoEñe est-il réservé aux musiciens de flamenco espagnols ? Quelles sont les conditions à remplir pour pouvoir participer aux sélections ? De quels documents disposiez-vous pour évaluer les projets ? Combien de projets vous a-t-on présentés ? Combien deviez-vous en sélectionner ? Avez-vous disposé d’un délai suffisant pour les étudier ?

M.L.S. : FlamencoEñe est effectivement réservé aux artistes flamencos espagnols. Pour pouvoir présenter un dossier, l’une des conditions les plus importantes est d’être adhérent de la Fondation.

Concernant les choix artistiques, j’ai dû établir une pré-sélection de douze artistes sur cent treize propositions. La parité entre femmes et hommes était importante. Il fallait également que les différentes régions d’Espagne soient représentées. Le choix n’a pas été simple car y avait du beau monde ! Nous devons être impartiaux, et ne pas nous laisser influencer par nos affinités personnelles. Il est clair que la participation à ce jury représente une importante charge de travail, d’écoute et de recherche personnelle (presse, vidéo etc.). Je ne me suis pas contentée du matériel envoyé par les artistes lors de leur inscription. J’avais besoin d’en savoir plus. Une fois mon choix arrêté, je suis allée à Madrid. Nous avons débattu toute une matinée. Nous étions d’accord sur certains artistes. Pour d’autres, il y a eu plus d’échanges, mais je pense que nous sommes arrivés à proposer une magnifique programmation. J’ai disposé d’un délai suffisant, même si j’ai dû mener ce travail alors que la dernière édition du festival était en cours - quand on aime, on ne compte pas ses heures de travail.

FW : vous a-t-on donné des consignes concernant des critères généraux d’évaluation ? Quels étaient vos critères personnels ? Etaient-ils partagés par les autres membres du Comité ? Les discussions ont-elles porté sur les projets en tant que tels, ou également sur le parcours artistique des musiciens, leur plus ou moins grande expérience de la scène, leur curriculum etc. ?

M.L.S. : on ne nous a donné aucune consigne particulière. Pour moi, le parcours professionnel des artistes, leur présentation, le contenu du projet qu’il nous avaient envoyé, tout cela était important ; mais aussi leurs qualités humaines. Nous étions tous les trois d’accord sur ces critères. Comme je viens de le dire, il y a beaucoup de paramètres, et il nous faut toujours garder une part d’objectivité concernant les choix artistiques que nous faisons. Je me suis efforcée de comprendre la sensibilité de chaque artiste, de mesurer ce qu’il peut apporter au flamenco etc.. Mais croyez-moi le choix a été difficile.

FW : les décisions finales ont-elles été consensuelles ? Y-a-t-il eu des divergences d’opinion entre les membres du Comité, non sur tel ou tel artiste en particulier, mais plus généralement sur ce que "doit" ou "devrait être" un spectacle de flamenco, ou le flamenco lui-même ? Personnellement, êtes-vous satisfaite de la sélection finale ? Regrettez-vous que certains projets aient été écartés ? Si oui, les avez-vous gardés en mémoire pour une éventuelle programmation ?

M.L.S. : j’ai eu le plaisir de partager cette expérience avec deux personnes qui aiment véritablement la musique, et qui sont très ouvertes. Le sélection finale me convient donc tout à fait, même s’il y a eu cette année de très belles et intéressantes propositions artistiques qui n’ont finalement pas été retenues … mais que, bien évidemment, je n’oublierai pas pour mes projets personnels.

FW : la reconnaissance de votre travail par les institutions andalouses ou espagnoles vous a-t-elle permis d’obtenir des soutiens pour le Festival Flamenco de Toulouse ?

M.L.S. : très sincèrement, je ne sais pas si être reconnu pour son travail permet aujourd’hui d’obtenir plus de financement. Le financement de la culture est de plus en plus fragile. L’évolution du Festival Flamenco de Toulouse a toujours été continue et régulière. Mais il est vrai qu’en dix-huit ans, les plus grands artistes du genre et la quasi-totalité des artistes émergents ont été programmés par le festival. Alors oui, peut-être la qualité et la persévérance font-elles que les institutions prennent conscience que vous existez et que vous faite du bon travail. Cette année nous avons eu un appui financier de l’Espagne.

FW : pouvez-vous nous dévoiler quelques avant-premières sur la programmation du Festival de Toulouse 2020 ? Avez-vous actuellement d’autres projets ?

M.L.S. : l’année prochaine, notre public pourra découvrir de nombreux jeunes talents, entre autres le cantaor Israel Fernández, qui viendra présenter son prochain disque. Il sera accompagné par Diego Del Morao – un duo parmi les plus pointus du flamenco actuel. Israel personnifie le présent du flamenco et est appelé à laisser son empreinte dans l’histoire de cet art. Pour ce qui est des projets, je travaille en effet sur la création d’autres évènements musicaux. Mais je ne peux pas encore vous en dire plus. Lors d’une prochaine interview, si vous le voulez bien.

Propos recueillis par Claude Worms





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