"Ellas dan el cante" (Mujeres en el flamenco)

jeudi 8 novembre 2007 par Claude Worms

RTVE Música 62095 (2 CDs / collection "Actuaciones históricas")

Dans un livre passionnant ("Una histotia del flamenco" Ed. Espasa Calpe), José Manuel Gamboa fait état d’ une très instructive série de statistiques réalisées sur les 15 festivals andalous les plus représentatifs, pour les années 1975, 1985, et 1995 :

_ En 1975, sur un total de 137 artistes engagés, les femmes représentaient
17,50% (10,21 pour le baile ; 7,29 pour le cante).

_ En 1985, sur 103 artistes, le pourcentage féminin était passé à 26% (19 pour le cante ; 7 pour le baile).

_ La tendance s’ était encore accentuée en 1995, avec 36% de femmes (23 pour le cante ; 13 pour le baile), sur 102 artistes.

Même si l’on est encore loin de la "parité" (d’ autant plus que le toque, monopole masculin, au moins pour les professionnels, a été écarté des statistiques), la tendance est claire, en particulier pour le cante : les cantaoras sont enfin en passe de conquérir sur le marché professionnel la place qui leur est due. Bien que leur rôle éminent dans la création du répertoire ait été mainte fois reconnu (citons, entres autres, La Andonda, La Parrala, María Borrico, Pepa de Oro, Paca Aguilera, La Rubia de Málaga, La Trini, La Peñaranda, La Pompi, La Antequerana, Teresa Mazantinni, María La Moreno, La Mejorana, Rosario "La del Colorao", Tía Marina Habichuela, La Repompa, La Serneta, La Niña de los Peines...), les femmes ont longtemps été cantonnées à une fonction occulte : transmettre les cantes traditionnels au sein des familles gitanes, ou à l’ occasion des fêtes ("patios de vecinos"...). Exercer la profession de cantaora était synonyme de moeurs dissolues, et les carrières s’ arrêtaient prématurément avec le mariage, ou commençaient tardivement après un veuvage... (lire à ce propos l’ excellente étude de Loren Chuse : "Mujer y flamenco" ; Signatura Ediciones).

Nous n’ épiloguerons pas sur la coincidence chronologique évidente entre les statistiques précédentes et la fin du franquisme. Il est clair en tout cas que les femmes ont depuis largement comblé le lourd handicap qui leur avait été imposé. Cette heureuse évolution aura été marquée, entre autres, par la création de la "Peña Femenina de Huelva" en 1983 ; et par l’ enregistrement par Carmen Linares de l’ anthologie "La mujer en el cante" (1996). Mais ici comme ailleurs, il leur aura fallu faire preuve d’ un professionalisme nettement supérieur à celui de leurs collègues masculins : c’ est sans doute la raison pour laquelle le cante féminin se porte nettement mieux actuellement, tant sur le plan de la qualité que sur celui de l’ originalité, que le cante masculin.

Cette situation n’ ayant pas échappé aux labels discographiques, on a vu fleurir récemment une pléthore d’ anthologies sur le sujet, en général dispensables. Tel n’ est pas le cas du troisième volume de la collection "Actuaciones históricas", intitulé "Ellas dan el cante", hautement recommandable. Le principe de cette série est de puiser la matière de diverses anthologies dans le riche fond de concerts publics accumulé par la RTVE (les deux premiers volumes étaient consacrés à Antonio Mairena, et à Fosforito). Ces archives offrent des avantages qui compensent largement les imperfections de la prise de son : pas de formatage de la durée des cantes, pas d’ effets de production superfétatoires ; et le supplément d’ âme d’ une interprétation en public.

La compilation couvre une période d’ un quart de siècle (1970 - 1994), et offre un panorama d’ une diversité et d’ une qualité impressionantes. De la doyenne Tía Anica La Piriñaca ( 1899 / 1987), à la benjamine Ginesa Ortega
(1967), nous sommes ainsi conviés à une véritable histoire du cante au XXème siècle : Fernanda de Utrera (1923 / 2006), La Perla de Cádiz (1925 / 1975), Antonia La Negra (1936), Rosario López (1943), María Vargas (1947), Carmen Linares (1951), Encarnación Fernández (1951), Lole Montoya ((1954), Aurora Vargas (1956), et Mayte Martín ((1965).

Les enregistrements de Carmen Linares (Malagueña, Cartagenera, Taranta), Encarnación Fernández (Minera, Levantica), Mayte Martín (Siguiriyas, Cartagenera), et Ginesa Ortega (Liviana con cambio, Toná liviana, Soleares) avaient déjà été utilisés par la RTVE pour une série consacrée au concours de La Unión. Tous les autres sont des inédits, d’ autant plus précieux que la sélection porte, pour chaque artiste, sur ses cantes de prédilection :

_ Des Bulerías pour quatre cantaoras : Antonia La Negra, sa fille Lole Montoya, Aurora Vargas, et María Vargas (cette dernière interprétant aussi des Alegrías et Cantiñas, dans le style de La Perla de Cádiz).

_ Une série de Soleares particulièrement inspirées par Fernanda de Utrera, dans son répertoire habituel, les cantes de Jerez, Utrera, et Lebrija, pour la plupart de La Serneta (mais ne devrions-nous pas écrire "de La Fernanda", tant son interprétation est personnelle ?).

_ La Perla de Cádiz : des Alegrías "classiques" et des Cantiñas "maison" (de Rosa la Papera, sa mère) ; et surtout une extraordinaire série de cantes "por Bulería", dont on peut, pour la plupart, lui attribuer la création. En près de 12 minutes, elle nous livre la quasi totalité de son répertoire, qui rappelera sans doute un certain Camarón à nos fidèles lecteurs...

_ Tía Anica la Piriñaca : enregistrée lors du festival "Porra flamenca de Archidona", en 1975, elle provoque, à 76 ans, l’ enthousiasme du public. Bulerías cortas de Jerez ; Siguiriyas de José de Paula (avec un phrasé "parlando" d’ une extraordinaire complexité métrique, dont elle a emporté avec elle le secret) et cambio de Juanichi el Manijero ; et surtout sa meilleure version enregistrée de cantes "por Soleá", dont certains très rares et qu’ elle avait peu abordés au disque (cantes de José de Paula, de Juaniquí, de la Sierra de Grazalema, de Frijones, et de La Andonda).

_ Nous avons gardé le plus important pour la fin : cinq cantes de Rosario López, enregistrés en 1989 dans un cadre idéal, la Peña flamenca de Jaen (non que leur qualité soit supérieure à celle des enregistrements précédents, tous de très haut niveau, mais du fait de la rareté des témoignages discographiques de cette artiste). "Cantes mineros de madrugá" (style de Rafael Romero) ; Peteneras (styles de Rafael Romero et La Niña de los Peines) ; Soleá por Bulería de Jerez (version Tomás Pavón) et Soleares de Triana (version Cobitos) ; Siguiriyas de Jerez et cambio de Manuel Molina ; Tientos. La maîtrise vocale et stylistique dont fait preuve Rosario López prouve une fois de plus l’ incurie des labels discographiques. Ses derniers enregistrements (sauf quelques rares participations à des anthologies) remontent, à notre connaissance, aux années 1970 : LP Zafiro B 28537 (1975, avec José Cala "El Poeta") ; LP Zafiro ZLF 816 (1978, avec Juan Habichuela). Nous caressons l’ espoir légèrement utopique que ces références donneront des idées salutaires à quelque producteur curieux...

Saluons pour conclure les accompagnements de Moraíto "chico" (à l’ époque...), Rafael et Raimundo Amador, El Roto, Antonio Piñana, Antonio Fenández ; et surtout d’ Antonio Gómez (Rosario López), Antonio Arenas (María Vargas), Pedro Bacán (Fernanda de Utrera), et Paco Cepero (La Perla de Cádiz et La Piriñaca).

Puissent les ventes de cette anthogie inciter la RTVE à nous gratifier de quelques autres trésors sans nul doute assoupis dans ses archives.

Claude Worms

Galerie sonore

Rosario López : Soleares - guitare : Antonio Gómez

La Perla de Cádiz : Bulerías - guitare : Paco Cepero


Soleares
Bulerías




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