Raquel Meller

lundi 27 août 2012 par Nicolas Villodre

L’ exposition "Le Mythe tragique de Raquel Meller", présentée cet été à la Bibliothèque Nationale d’ Espagne par le commissaire José Luis Rubio, soigneusement scénographiée et éclairée en interne – en raison de la crise, c’ est probable – , donne l’ occasion de revenir sur cette figure de la chanson populaire espagnole...

L’ exposition Le Mythe tragique de Raquel Meller, présentée cet été à la Bibliothèque Nationale d’ Espagne par le commissaire José Luis Rubio, soigneusement scénographiée et éclairée en interne – en raison de la crise, c’ est probable – , donne l’ occasion de revenir sur cette figure de la chanson populaire espagnole qui eut son heure de gloire internationale entre les deux guerres et qui, comme le prédit en 1919 l’écrivain andalou Rafael Cansinos Assens, transforma un art mineur en « poème dramatique ».

Aux qualités vocales – parfois relativisées par la critique, mais selon nous, bien réelles – de Raquel Meller, il convient d’ ajouter le phrasé unique, la diction et même la distinction qui firent d’ elle l’ une des plus grandes vedettes de l’ industrie du disque et du 7e Art, en Espagne, en France, puis outre-Atlantique. Son timbre singulier et son économie expressive lui ont permis d’ égaler, voire de dépasser des chanteuses telles que Fornarina, La Goya, Aurora Bergès, Pilar Cohen, Mercedes Serós, La Chelito ou Pastora Imperio.

L’ art du cuplé (mot qu’ on pouvait, autour de 1900, écrire « couplet », comme en français), issu de la tradition de la tonadilla, curieusement réservé aux femmes, lui fut transmis à l’ âge adolescent dans le cadre laborieux de l’ atelier de couture barcelonais où travaillait celle qu’ on appelait encore Francisca Marqués López, native de Tarazona, dans la province de Saragosse. Autant dire que la future Raquel n’ apprit pas le solfège – par la suite, elle prit cependant des cours de chant à l’ Académie artistique de Juan Ribé et Copérnico Olver.

Après ses débuts professionnels en 1911 à Barcelone, elle se forgea assez vite une réputation – en raison de ses qualités d’ interprète mais aussi de son mauvais caractère : elle fut condamnée après avoir giflé une collègue et avoir mis en lambeaux ses partitions et s’ en prit également à Encarnacion López, dite La Argentinita, qui s’ était permis de la parodier sur scène en 1915, alors qu’ elle aurait dû en être flattée puisque ce fut aussi le cas des plus grandes vedettes d’ alors, que ce soit Pastora Imperio, Amalia Molina ou Tortola Valencia. En 1912, elle enregistre ses premiers disques, suivant le procédé acoustique, pour la firme d’ origine allemande Odéon (dont le logo se réfère au dôme du théâtre parisien). Le répertoire hésite encore entre les morceaux dramatiques, les ballades sentimentales, les bergerettes rurales, les espiègleries grivoises et les rythmes des danses de salon en vogue. Deux énormes tubes la lancent définitivement, jusqu’ à en faire un mythe de son vivant : ses versions personnelles du paso doble « El Relicario » (composé en 1914 par le génial José Padilla, écrit par Armando Oliveros et José María Castellví, créé cette même année par Mary Focela à l’ Eldorado de Barcelone, hit qu’ enregistra… Rudolph Valentino, en espagnol, en 1923) et la planétaire « Violetera » du même compositeur, avec des lyrics d’ Eduardo Montesinos, étrenné également en 14 par une certaine Carmen Flores), que Charles Chaplin utilisa dans City Lights (1931). L’ écrivain Enrique Gómez Carrillo l’ aida à se faire connaître à Paris et elle fut engagée à l’Olympia en 1919. Elle tourna cette même année son premier film, Los Arlequines de seda y oro, avant d’ enchaîner en 1920 en France avec Les Opprimés, une première version de Violettes impériales puis La Terre promise.

Jouant les femmes mystérieuses, elle tourna en 1925 La Ronde de nuit puis, l’ année suivante, la superproduction de Jacques Feyder, Carmen, remarquable pour ses prises de vue en extérieurs à Ronda et à Málaga. L’ imprésario américain Edward Ray Goetz l’ engagea cette année-là, qui coïncide avec le rachat de la maison de disques Odéon par les Anglais, à venir se produire à l’ Empire Theatre de Broadway. Le compte-rendu du New York Times de l’ époque est mitigé mais révélateur de la performance scénique de Miss Meller. Elle enchaîne une douzaine de chansons populaires et « mélancoliques », seule sur scène pendant environ une heure trente, simplement soutenue par un orchestre. Elle donne la sensation au reporter d’être une « prima donna (…) avec toutes les prérogatives de l’ être céleste que cela suppose » plus qu’ une simple « vedette de music-hall ». Sa voix est « brute » et « suraiguë ». Le journaliste note à juste titre ses dons de comédienne, est bien forcé de reconnaître qu’ il a affaire à une personnalité « extrêmement magnétique » et apporte des nuances sur son style. Raquel Meller donne selon lui des images variées de l’ Espagnole à travers ses différentes chansons, avec « toujours une note de tristesse » dans la voix. « L’amoureuse gitane pourrait être une autre phase de l’ amante perpignanaise ou de la jeune madrilène amoureuse d’ un toréro », même si la « jeune épouse qui chante une berceuse catalane à son enfant n’ a rien à voir avec la fille du geôlier qui laisse son amoureux s’ évader ». La chanteuse lui paraît à la fois « tranquille et retenue », toujours très « réservée ».

Raquel Meller par Feyder

Le film Carmen de Feyder confirme d’ ailleurs l’ impression du critique new-yorkais et prouve la modernité de son jeu tout en retenue : distante, distincte et distanciée. Et déjà épique, au sens que Brecht donnera quelques années plus tard à ce terme dans sa définition même du Verfremdungseffekt

Nicolas Villodre





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