Blues et flamenco (9)

Musique et discographie

mardi 24 mai 2016 par Patrice Champarou

Au moment où le « streaming » prend son essor, où la vente de fichiers mp3 parvient à concurrencer celle du CD, l’industrie discographique pourrait présenter ses plates excuses aux adeptes du partage en ligne [1] qui, après avoir longtemps assuré la promotion gratuite de ses produits en déclin, lui ont ouvert le marché de la musique « dématérialisée ». Quel avenir pour le livre et pour le disque, compagnons indispensables de notre plaisir et de notre culture ? La question dépasse largement le cadre de cet article, mais elle ne peut nous laisser indifférents, et peut-être trouverons-nous quelques éléments de réponse en nous penchant sur ce que le phonogramme a apporté à la musique du XXe siècle.

Le fichier numérique accomplit à la perfection deux des tâches qui ont immédiatement découlé de l’invention de l’enregistrement sonore : la préservation et la diffusion de la musique. Mais la facilité avec laquelle il peut être dupliqué, transféré d’un support à l’autre sans aucune perte, signifie également que le « phonogramme », au sens ancien du terme, a vécu : le transfert a gagné en fidélité, c’est certain, mais il a perdu la marque du temps en devenant indépendant de son support [2]. C’est en grande partie grâce au numérique que nous avons accès à une somme impressionnante d’enregistrements, anciens ou relativement récents, qui à leur manière « racontent l’histoire »… celle du blues et du flamenco en particulier, de façon bien plus éloquente, bien plus précise qu’on ne l’imagine.

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Phonographe

Le cylindre de phonographe, puis le disque qui lui a presque immédiatement succédé au début du XXe siècle, ne sont évidemment pas des témoins impartiaux puisque leur production et leur diffusion dépendent du caprice des producteurs, du projet des interprètes et des goûts du public… mais le témoignage humain est-il plus objectif ? Le message que délivrent les premiers « cilindros de cera », probablement difficile à supporter pour des auditeurs habitués au son très propre des studios actuels, témoigne de l’existence du flamenco dès les débuts de l’édition discographique (les premières gravures datent de 1897) [3], donnant enfin une dimension musicalement intelligible aux écrits de la fin du XIXe siècle ; et ce message sonore, contrairement aux évocations et aux anecdotes rapportées par la tradition orale, ne variera pas avec le temps.

Quant au fameux « blues avant le blues », soyons clair : les recherches récentes, en particulier les travaux de Tim Brooks [4], ont établi que contrairement à une légende tenace, les musiciens noirs n’avaient absolument pas été tenus à l’écart des studios entre 1900 et 1920... ce qui signifie pour un nombre croissant de spécialistes que s’ils avaient pratiqué, ou même connu avant les premières partitions une musique ressemblant de près ou de loin au blues, nous en aurions quelques traces, à défaut de témoignages écrits.

Bert Williams

Il existait, certes, une concurrence raciale souvent déloyale [5], mais d’obscurs quartettes vocaux, des instrumentistes talentueux (y compris des musiciens de la Nouvelle-Orléans, n’en déplaise aux historiens du jazz) ont précédé, avant 1900, un bon nombre de string bands afro-américains, ainsi que les vedettes noires du disque comme le très caricatural George W. Johnson ou le grand Bert Williams [6] qui, bien qu’issu du milieu quelque peu vulgaire des Minstrel shows, mettait son talent musical et son humour au service de sketches finement ciselés, abordant avec une profonde humanité des thèmes quotidiens, voire universels.

Le blues, comme nous l’avons vu précédemment, ne se manifeste sur disque qu’à partir de 1912 et sous une forme instrumentale, comme une musique de danse encore tributaire du ragtime, dont les premières traces sonores nous ont été léguées par des orchestres proches de la fanfare, comme le Victor Military Band.

George O’connor : Nigger Blues

La dimension caricaturale qui permettra au grand public de l’associer à une complainte noire apparaît dès le premier enregistrement vocal, Nigger Blues, interprété par George O’Connor en 1916, et repris par plusieurs autres chanteurs et orchestres blancs.

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Parallèlement au développement du phonographe, le piano mécanique vient attester à la même époque de la prédominance du ragtime, musique syncopée qu’à tort ou à raison, on considère comme dérivée d’une danse d’esclaves.
Ce procédé ne concerne évidemment pas le flamenco, à moins qu’on n’exhume un jour quelques falsetas pour clavier adaptées à un antique piano à rouleau, à un orgue de Barbarie ou à l’un de ces organillos très populaires à Madrid au début du siècle. Les rouleaux de papier perforé qui, actionnant un véritable instrument, permettent un rendu sonore irréprochable, ne sont pourtant pas des documents totalement fiables : non seulement leur date est souvent incertaine (on indique généralement l’année d’édition de la partition), mais beaucoup d’entre eux étaient réalisés manuellement, note par note, sans qu’intervienne un véritable instrumentiste.

Clarence Johnson : Sugar Dew Blues

L’intérêt historique de ces piano rolls, qui préfigurent davantage le fichier MIDI que l’enregistrement analogique, repose surtout sur leur nombre… et les blues apparaissent très tardivement, guère avant 1926. Evolution du ragtime pianistique, peut-être, comme le suggèrent les compositions sophistiquées de Jelly Roll Morton… ou révolution rythmique qui se traduit déjà par le boogie-woogie, incontestablement ; mais des pièces aussi audacieuses que celles de l’obscur Clarence Johnson, comportant des riffs [7] qui annoncent le swing des années 1930, sont assez rares.

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Enregistrement sur cylindre

Entre-temps, le disque avait commencé à remplacer le cylindre, sans pour autant modifier la technique de prise de son acoustique, c’est-à-dire la gravure directe des vibrations captées par de grands pavillons. Le cylindre était un support fragile, sujet à l’usure et sensible à la température, mais surtout très difficile à dupliquer : on ne pouvait le reproduire que par moulage, ou à l’aide d’un pantographe qui suivait le tracé du sillon. La méthode la plus expéditive consistait donc à installer l’interprète devant une série d’enregistreurs disposés en arc de cercle, et lui faire jouer le même morceau des journées entières. Ceci explique l’impossibilité d’établir un inventaire exhaustif : on ignore combien de cylindres ont été détruits, et chaque exemplaire est souvent un « original ». C’est peut-être pour ces raisons que le grand guitariste Ramón Montoya se rappelait avoir gravé avant-guerre des centaines de morceaux, alors que seulement 42 de ses enregistrements sont parvenus jusqu’à nous.

Ramón Montoya : Rondeña

Quoiqu’il en soit, le disco de pizarra (la poudre d’ardoise entrant effectivement dans la composition des premiers disques) s’est rapidement imposé, après avoir surmonté un problème de centrage qui rendait l’audition d’un piano insupportable. Réalisé par pressage, le 78 tours se prêtait à une véritable production en série, chaque matrice étant identifiée par un numéro unique gravé dans la cire et généralement imprimé sur l’étiquette. Outre cet intérêt incontestable pour l’historien, désormais en mesure de reconstituer les sessions dans l’ordre chronologique, le procédé ouvrait la voie à une démocratisation du disque, probablement très relative en Espagne mais effective aux États-Unis à partir des années 1920.

Nous ne disposons apparemment d’aucune statistique de vente pour l’Espagne, mais il est clair que le prix des cylindres (sans compter celui de l’appareil) était assez dissuasif par rapport aux revenus d’un ouvrier agricole d’Andalousie, gitan ou non. Ce qui signifie que le flamenco a continué de se développer localement, par transmission et par imitation, au sein de groupes relativement isolés des modes et des tendances, alors que le blues, comme nous le verrons, a été un phénomène essentiellement discographique ; non seulement du point de vue du public disséminé sur un territoire bien plus vaste, mais aussi pour les musiciens qui se sont imités et influencés les uns les autres sans nécessairement se connaître [8].

78 tours

Il est pourtant certain que le professionnalisme requis par les arts du flamenco, chant, danse et jeu instrumental, impliquait des artistes qui, vivant de leur musique, étaient exposés à diverses influences et ouverts aux évolutions. Ce que révèlent les premiers disques de flamenco n’est pas un répertoire figé par une tradition ancestrale, mais une musique en devenir, ne serait-ce que si l’on observe le caractère assez rustique de certains accompagnements. On identifie clairement plusieurs palos « de base » comme la Siguiriya, les Bulerías ou, de manière moins évidente, la Soleá, mais le terme Tango semble quelquefois désigner ce que nous appellerions aujourd’hui des Tanguillos, le Tiento avec son balancement caractéristique n’apparaitra qu’assez tard, vers 1910 [9], et les Alegrías sont plutôt rares. On rencontre en revanche, comme on pouvait s’y attendre, une multitude de Fandangos, quelques airs d’origine sud-américaine parmi lesquels la Guajira figure en première place, ainsi que la tragique Petenera qui n’avait pas attendu les autorités du concours de Grenade en 1922 pour acquérir sa légitimité. Les styles « folkloriques » et populaires (Sevillanas, Jotas etc.) sont également représentés, ainsi que des palos dont les noms s’effaceront plus ou moins avec le temps (l’énigmatique Murciana, récemment ressuscitée sans qu’on puisse décider s’il s’agissait au départ d’un fandango local ou d’une variante de Minera, ou encore la Chufla gitana au rythme proche de certains Fandanguillos mexicains).

Mamie Smith : Crazy Blues

En Amérique, en revanche, pas de blues « tel que nous le connaissons » avant ce samedi 14 février 1920 qui voit la chanteuse noire Mamie Smith remplacer au pied levé Sophie Tucker : elle enregistrera six mois plus tard un certain Crazy Blues. Cet événement historique ne s’est certainement pas traduit par le « million de ventes » revendiqué après-coup par le compositeur Perry Bradford, mais il a démontré la justesse du pronostic qu’il tentait de faire valoir auprès de la firme OKeh : il existait un marché potentiel pour une musique à laquelle la population afro-américaine pourrait identifier.

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Bientôt, chaque firme allait disposer de sa propre écurie de « blues singers », chanteuses issues de spectacles de vaudeville qui, à vrai dire, n’interprétaient pas spécifiquement des blues… mais la formule s’est avérée si porteuse dans sa simplicité novatrice, qui libérait l’expressivité vocale (et de ce fait, permettait de distinguer immédiatement une interprète noire des autres professionnelles, comme la blonde Marion Harris) que l’idiome des douze mesures allait s’imposer progressivement sur disque jusqu’à devenir la « spécialité » des chanteuses afro-américaines.

Cette période considérée comme « classique » impliquera donc principalement des chanteuses professionnelles, à peu près de la même génération que les premiers cantaores connus par le disque. La plupart des chanteurs-guitaristes de blues qui allaient se révéler par la suite, nés aux alentours, de 1900, relevaient d’une autre génération :

Robert WIlkins : That’s No Way For Me To Get Along

les Willie McTell, Bo Carter ou Robert Wilkins avaient entre vingt et trente ans lorsque Mamie Smith réalisait un "hit" avec Crazy Blues, et le jeune Robert Johnson portait encore des culottes courtes. Ils créeront une musique bien plus informelle, une musique de jeunes qui, trente ans plus tard, séduira les Rolling Stones, une musique "hip" selon l’expression d’Elijah Wald [10]

Charlie Jackson : The Sheik Of Desplaine Street
Blind Blake : Dry Bone Shuffle

Les premiers vocalistes masculins lancés par la firme Paramount à partir de 1924 pour séduire ce nouveau public étaient légèrement plus âgés, et leur talent reposait avant tout sur l’habileté instrumentale : Blind Blake et « Papa » Charlie Jackson flirtaient occasionnellement avec le jazz,

Lemon Jefferson : Rabbit Foot Blues

et leur voix était très éloignée de l’expressionnisme qu’allait bientôt illustrer le plus populaire des « blues singers », au jeu de guitare passablement erratique, « Blind » Lemon Jefferson. Mais entre-temps, une autre révolution était intervenue : l’Amérique blanche s’était découvert un folklore !

John Carson

La firme OKeh ne misait certainement pas un cent sur le titre insipide que le violoniste « Fiddlin’ » John Carson enregistrait en juin 1923… mais selon les témoignages, The Little Old Log Cabin In The Lane s’est trouvé épuisé en une journée, nécessitant un nouveau pressage. Exagération ou non, ce fut le point de départ de la musique « hillbilly », littéralement une « musique de péquenots » qui prit forme pour répondre à la demande d’un public en quête d’un style sans apprêt.

John Carson : The Little Old Log Cabin In The Lane

C’est à ce point que le type de blues identifié plus ou moins abusivement comme « rural » est timidement apparu : sous forme instrumentale avec le Guitar Blues que Sylvester Weaver, accompagnateur régulier de la chanteuse Sara Martin, joue pour la première fois avec la technique hawaïenne, ou vocale avec des reprises des compositions de W.C Handy (comme le populaire Hesitation Blues) ou des textes originaux – un petit nombre de pièces pour lesquelles les banjoïstes « Uncle » Dave Macon et « Papa » Charlie Jackson abandonneront ponctuellement leur instrument au profit d’une guitare.

Dave Macon : The Moaning Blues

Pour répondre à la demande de ce qu’on n’appelait pas encore « country music », toutes les firmes (à l’exception notable de Paramount) vont organiser des expéditions dans les principales villes du Sud, où n’existait avant-guerre aucun studio permanent, et auditionner des artistes locaux [11] afin de les enregistrer. De nombreux musiciens ou vocalistes noirs, semi professionnels ou amateurs, membres de string bands ou faisant équipe avec d’autre instrumentistes, comme Peg Leg Howell qui fut parmi les premiers en 1926, vont saisir cette opportunité et enregistrer, le plus souvent en solo, surfant sur la vague (ou plus exactement la vogue) du « blues » d’autant plus volontiers qu’on leur laissait rarement le choix : un Noir du Sud n’était pas censé chanter autre chose que des blues ou des gospel songs !

Peg Leg Howell : Skin Game Blues

Quitte à tricher un peu, en qualifiant de blues des thèmes qui n’en avaient guère la forme... mais les producteurs n’étaient pas regardants quand la qualité, ou la nouveauté, était au rendez-vous.

Les Blancs du Sud s’intéressaient tout autant au blues, mais la ghettoïsation commerciale était assurée par un étiquetage explicite : alors que les premiers disques de flamenco apparaissaient dans les séries « folkloriques », puis sous l’appellation claire de « flamenco », les disques destinés au marché afro-américain étaient, ségrégation oblige, désignés comme « race records », et les séries numérotées en conséquence.

Pubilicité Patton

Le terme « blues » est donc devenu une étiquette incontournable pour les Noirs du Sud rural qui cherchaient à faire carrière dans la musique – seule perspective de promotion sociale, avec la prédication, pour cette majorité du prolétariat afro-américain enlisée dans une activité agricole non seulement pénible, mais de moins en moins rentable. La plupart des commentateurs estiment que les milliers d’enregistrements réalisés dans le Sud (ou, bien plus souvent, en convoquant les musiciens découverts localement dans les studios de New York ou Chicago), ne représentaient que « la partie émergée de l’iceberg », une faible proportion des « blues singers » qui auraient pu être remarqués. Rien ne permet évidemment de confirmer ou d’invalider cette idée, mais on peut estimer à l’inverse, et preuves à l’appui, que ce corpus de blues donne une image déformée de la réalité musicale du Sud – celle qu’ont découverte les folkloristes des années 30, et qui démontrait que le blues n’était en rien une musique « communautaire », mais tout comme le flamenco, une affaire de professionnels. Observation à rapprocher de ce que déclarait Pepe de la Matrona : à Séville, les gens chantent des Sevillanes, oui, mais des Soleares ou d’autres cantes de ce genre, pas du tout ! Le flamenco est le fait de quelques personnes qui chantent dans des cercles fermés où les participants sont triés sur le volet [12]. »
Le blues n’avait évidemment pas ce caractère ésotérique ; bien plus facile d’accès, il allait effectivement devenir populaire dans les campagnes (malgré la totale hostilité des esprits religieux qui constituaient la majorité de la population), mais son origine rurale est plus que douteuse.

Tommy Johnson : I Want Someone To Love Me

Pour ne citer qu’un seul exemple, lors de sa première session en 1928, le légendaire Tommy Johnson considéré comme un « fondateur » du Delta blues avait d’abord enregistré comme test une valse sentimentale, I Want Someone To Love Me. Et la séance s’est limitée à quatre titres, tout simplement parce qu’il n’avait pas d’autres « blues » dans son répertoire !

Charley Patton

Le cas de Johnson et de bien d’autres « songsters » du Sud a de quoi surprendre, si on le compare aux véritables « mémoires vivantes » qu’étaient les cantaores, mais il signifie aussi que ces chanteurs interprétaient toutes sortes de musique et, dans la mesure du possible, tout ce que le public leur réclamait. Y compris des pièces religieuses, copieusement représentées par l’enregistrement… Le blues diffusé par le disque remplissait un rôle très différent de la musique locale, dans le contexte d’un exode rural qui ne cessait de s’accentuer depuis la fin de la Première Guerre mondiale : il était à la fois une marque d’identification et un lien distant entre les villes et les campagnes, évoquant d’une part les agréments et les vicissitudes de la vie urbaine, et de l’autre, sans nostalgie (ou très rarement) [13], le sort des familles restées « au pays ». On n’y trouve pas plus de message revendicatif que dans le flamenco, mais ni l’un ni l’autre ne constituent pour autant un appel à la résignation ! Ils sont, et deviennent davantage encore par le disque, l’expression inimitable d’une identité et d’une réalité, plus sociale ou régionale que strictement raciale, qui utilise les mots du peuple et conteste la hiérarchie de classe par son existence même.

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L’âge d’or du blues, à la différence de celui qu’on attribue au flamenco, correspond donc principalement à une intense production discographique, accompagnée d’une politique commerciale qui, outre la recherche systématique de nouveaux "talents", s’appuie sur la vente par correspondance, la publicité dans les gazettes, et même des promotions agressives comme celle de Paramount qui, pour quatre disques achetés, offrait le tourne-disque ! Le gramophone ne nécessitait aucune énergie électrique et l’appareil manufacturé par Victor (futur RCA), le fameux Victrola, allait bientôt pénétrer dans les foyers les plus modestes.

El Mochuelo

En était-il de même en Espagne ? Les galettes éditées « para la casa Pathé Frères » (comme l’annonçait solennellement El Mochuelo au début de ses enregistrements), disques lus à 80 tours/minute à l’aide d’un saphir (et non d’une aiguille) dont le sillon commençait par le centre, ont-elles joué un rôle moteur dans le développement du flamenco ? On peut en douter pour diverses raisons, dont la plus évidente est que le cante avait précédé le disque ; les styles locaux ont continué de se développer par transmission orale, par l’imitation et l’enseignement, sans qu’intervienne le moindre enregistrement « sur le terrain ». Il est difficile de savoir, en l’absence d’informations sur les ventes, si le disque s’était démocratisé de manière significative, mais par ailleurs, le nombre d’artistes de flamenco enregistrés avant-guerre semble nettement inférieur à celui des chanteurs de blues - impression statistique qui mériterait d’être confirmée par une discographie digne de ce nom, c’est-à-dire exhaustive pour une période donnée. Le disque n’apportait qu’un revenu d’appoint, en Amérique comme en Espagne les musiciens étaient payés « cash » en fonction de leur notoriété, et surtout du nombre de faces gravées (qu’elles soient éditées ou non, mais en contrepartie, il n’était pas question de droits d’auteur ni de pourcentage sur les ventes) [14] ; une séance d’enregistrement rapportait donc généralement bien moins qu’une prestation en public, et on ne voit guère les musiciens andalous de moindre réputation, qui pouvaient trouver dans la plupart des villes de moyenne importance une grande concentration de cafés, théâtres et autres lieux où la musique était la bienvenue, se rendre systématiquement à Madrid ou à Barcelone pour y graver une ou deux faces. Situation très différente de celle des USA, où certains états du Sud comme le Mississippi ou l’Alabama étaient de véritables « déserts » culturels en-dehors de leurs capitales respectives, et où la prohibition de l’alcool affectait gravement l’activité musicale [15].

Manuel Vallejo : Siguiriya

Une autre différence majeure révélée par le disque concerne l’importance de la production individuelle des interprètes de flamenco les plus en vue. Certes, l’œuvre discographique de Big Bill Broonzy ou de Tampa Red sera, sur le long terme, à peu près comparable à celle de Manuel Vallejo, qui couvre aujourd’hui pas moins 13 CD, mais il s’agit d’exceptions relativement tardives et nul musicien de blues, ou même de jazz [16] n’approche le record de la Niña de los peines avec 161 titres gravés entre 1910 et 1917 - et presque autant à partir de la généralisation de l’enregistrement électrique en 1927, soit après une interruption de dix ans qui signifie, là encore, que les tournées étaient certainement plus rentables.

Comme il est peu vraisemblable que la région particulièrement déshéritée de Basse-Andalousie ait constitué une réserve d’acheteurs très importante, on peut estimer qu’il existait à travers l’Espagne (et probablement au-delà) une clientèle d’amateurs éclairés ; d’authentiques aficionados qu’il importait de ne pas décevoir, et il se trouve que les artistes de flamenco, alors qu’ils étaient souvent amenés à participer à des spectacles très variés, proposaient sur disque une musique sans concession, respectant strictement la tradition. Cette rigueur, qui concerne aussi bien les Payos que les Gitans, nous empêche d’ailleurs d’entrevoir clairement ce que certains auteurs dénoncent comme la corruption du flamenco, et ne nous laisse guère de chances d’imaginer à quoi pouvait ressembler l’Ópera flamenca. L’étonnante stabilité du flamenco, son évolution très lente et presque insensible, contraste avec la versatilité du blues, influencé par toutes les modes.

Par rapport à l’évolution du blues, il est aberrant de lire encore de nos jours qu’il se serait développé dans les campagnes du Sud avant de gagner Chicago en remontant le Mississippi dans les années 1950, pour donner naissance au rock’n’roll. Le destin individuel de Muddy Waters et ses déclarations copieusement déformées ne font pas l’histoire. Chicago a été la capitale du blues depuis les années 1920, en même temps que le siège de la presse noire indépendante représentée en particulier par le Chicago Defender. Ses avatars, comme le style « hokum » (tempo assez vif agrémenté de couplets légèrement grivois, qui s’achevaient sur un vers faisant office de refrain), ont incité les « puristes » de l’époque à annoncer la mort du blues classique dès les années 1920 !

Leroy Carr

Ce qui s’est effectivement produit, c’est tout d’abord que la technologie a modifié l’approche du chant au détriment des chanteuses qui disposaient de voix puissantes – ce qui ne pouvait se produire avec le cante flamenco, qui s’est presque toujours défini comme une performance vocale. L’enregistrement électrique, c’est-à-dire essentiellement l’usage du microphone [17], a permis au blues d’évoluer vers un type de chant bien plus confidentiel, qui correspondait parfaitement au nouveau mode de vie urbain, très éloigné des hollers et autres interpellations à distance.

Leroy Carr : Mean Mistreater Mama

Le précurseur de ce style a été le pianiste Leroy Carr, infiniment plus populaire avant-guerre que les musiciens aujourd’hui auréolés par la légende, mais sous-estimé au point qu’Elijah Wald l’a baptisé ironiquement « le bluesman trop bien élevé » [18]

Il est vrai que ce style placide (imité d’ailleurs par Robert Johnson lui-même), avec le sempiternel balancement « ternaire » abusivement associé au blues des origines, a abouti à une forme de musique assez répétitive après la crise de 1929, qui avait amené une bonne partie des artistes « ruraux » à renoncer à la musique. On évoque quelquefois cette production monotone (mais heureusement réveillée par de talentueux accompagnateurs [19], sous l’appellation de « Bluebird sound »…

Jazz Gillum : Reefer Head Blues

En réalité, Bluebird n’était pas une firme mais une série économique de Victor, et les autres « majors », en particulier Columbia, produisaient le même type de musique. Musique à danser pour l‘essentiel, gravée sur des disques rapidement usés… le blues était un produit jetable !

Néanmoins, le succès et la longévité des artistes dépendaient de leur capacité à composer de nouvelles chansons, quand bien même elles reposaient sur des mélodies identiques – et l’on retrouve ici la prédominance du texte qui, bien plus que l’instrumentation, définit le blues vocal comme un « genre » distinct du jazz, délivrant un message qui, aussi simple soit-il, s’appuie sur un vocabulaire et des tournures tout aussi identifiables que celles des coplas du flamenco.

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La Niña de los Peines : Doña Mariquita

En 1936, la Guerre civile a interrompu pour trois ans les enregistrements de flamenco, qui s’étaient raréfiés depuis 1929, et prenaient quelquefois un tour festif assez proche de la musique populaire. Dans le même temps, la production de blues demeurait abondante, mais sa popularité déclinait, comme l’atteste le contenu des juke-boxes relevé vers 1938. Les enregistrements des derniers représentants du Sud rural avant la Seconde Guerre mondiale sont d’autant plus précieux, bien qu’ils représentent des « projets » réalisés à l’initiative de quelques producteurs avisés. La carrière discographique de Blind Boy Fuller, soutenu par le manager perfectionniste J.B. Long, demeure significative, mais la dernière session de Bukka White sera un échec commercial.

Sleepy John Estes : Jailhouse Blues

Techniquement, le 78 tours se rapproche de la haute fidélité, les disques de Tommy McClennan (1941-42) sont d’une qualité surprenante… et pour l’anecdote, Sleepy John Estes participera à la toute première expérience de " re-recording" [20], un an avant le "One-man Band" de Sidney Bechet.

La musique américaine connaîtra également un coup d’arrêt, sept ans après l’Espagne avec l’entrée en guerre des États-Unis, en raison de la pénurie de gomme-laque (shellac), matière première du disque principalement importée du Japon, mais également de la grève des enregistrements impulsée par le puissant syndicat de James Petrillo. Encore une fois, n’imaginons pas que le blues, musique réputée marginale, échappait à la règle ; la plupart des musiciens noirs en activité étaient syndiqués, ils avaient un numéro de sécurité sociale, et leur profession est clairement mentionnée sur les certificats de décès que les chercheurs contemporains exhument méthodiquement, alors que la légende voulait qu’ils aient disparu sans laisser de traces.

La musique a survécu à cette rupture, évidemment, mais les temps avaient changé. En Espagne, la chape de plomb du franquisme n’encourageait guère l’expression, artistique ou non ; le régime tentait très vaguement de s’approprier une forme de flamenco édulcoré comme un emblème national, et le développement du tourisme allait favoriser une musique de pacotille usurpant le nom de flamenco.

Aux États-Unis, c’est au contraire un vent de liberté qui soufflait sur la jeunesse, et qui se traduira par une diversité musicale sans précédent. Les « majors » (principalement ARC-Columbia et RCA-Victor) perdent leur quasi-monopole, et leurs producteurs vieillissants ne sont plus à l’initiative ; des labels indépendants se développent à travers tout le pays. Rythm’n’blues, rock’n’roll, et bientôt « soul music » et « Tamla-Motown » vont accentuer la désaffection qui marquait déjà le blues à l’approche des années de guerre ; il demeure présent dans les ghettos urbains, dans les bars du South Side de Chicago, mais il survit surtout parce qu’il reste une musique de danse.

John Lee Hooker

A Detroit, John Lee Hooker, guitare électrique en main et planche de bois sous le pied, alterne les blues lents et la forme très particulière de « boogie » qui le rendra célèbre. Il enregistre pour toutes les marques possibles sous divers pseudonymes, sans imaginer qu’il perpétue une tradition, ni qu’il deviendra un jour une légende vivante, mais afin « que sa famille ne manque de rien ».

John Lee Hooker : Mad Man Blues

Les enregistrements relèvent désormais d’initiatives locales, de producteurs souvent visionnaires, et le blues, de plus en plus relégué au second plan, se fond dans les tendances de l’époque.

Ray Charles : Mr Charles Blues

Il demeure un "tremplin", un genre plus ou moins dépassé, mais familier, avec lequel de futures stars comme Ray Charles feront leurs premières armes.
Le 45 tours, format adapté à cette période d’effervescence, permet à certains musiciens de blues de se retrouver brièvement en tête du hit-parade, renommée éphémère qui est loin d’assurer leur subsistance… il suffit de deux couplets pour faire le prochain « hit ».

Chocolate

La musique populaire a en effet durablement hérité des limitations du 78 tours, et la durée des titres atteint rarement deux minutes trente. Après l’amorce d’une résurrection du flamenco en Espagne, il n’était pas rare de trouver des Fandangos de moins d’une minute destinés à compléter une face de disque ! A tout le moins, les noms de Chocolate ou de Fosforito seront connus du « grand public », ne serait-ce que par l’image gominée et le décor floral qui, sur les pochettes, imitait plus ou moins les 45 tours des chanteurs maghrébins.

Le microsillon, avant de prendre la forme du 33 tours de 30 cm bien plus tolérant du point de vue de la durée, suscitera de nombreuses vocations des deux côtés de l’Atlantique. Si le flamenco demeure relativement confidentiel, la « musique noire » déferle sur les États-Unis, provoquant en retour des campagnes de dénigrement agressives. La « country music », désormais fortement édulcorée et imprégnée de religiosité lénifiante, se pose comme l’antithèse des nouvelles danses accusées de corrompre la jeunesse, et le rock’n’ roll lui-même est affecté par une autocensure « politiquement correcte » qui bannit les évocations par trop directes du blues, ou même de l’ancienne musique « hillbilly ». Le disque demeure dans une certaine mesure un îlot de résistance, comme en témoignent les morceaux frappés de la mention « not suitable for airplay » (interdits de diffusion radiophonique).

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Rafael Romero : Garrotín

La redécouverte du blues, tout comme celle du flamenco, a eu encore une fois le disque comme point de départ. La célèbre anthologie Hispavox (1954) démontrait la permanence du flamenco comme un art vivant, alors que l’anthologie de Harry Smith [21] (1958) était une collection hétéroclite, mais fascinante, d’enregistrements d’avant-guerre.
On ne saurait nier l’importance de ce retour vers le passé, mais à la différence des enregistrements relativement récents de flamenco qui ont inspiré une nouvelle génération de cantaores, l’enthousiasme de la jeunesse américaine pour les guitaristes Mississippi John Hurt ou Gary Davis a quelque peu inversé les priorités, plaçant l’aspect instrumental nettement devant le chant.

Junior Wells

Le « blues boom » a permis durant une période limitée à certains artistes « traditionnels », redécouverts ou sortis d’une totale obscurité, de graver un grand nombre de disques de qualité ; il a également propulsé sur le devant de la scène quelques musiciens fraîchement « montés » à Chicago et capables de moderniser leur style, ainsi qu’une nouvelle génération de chanteurs et instrumentistes qui survivaient plus ou moins (Buddy Guy, Junior Wells, Otis Rush…).

La résurrection du flamenco a été moins spectaculaire, mais incontestablement plus durable, alimentant par des gravures désormais historiques une musique vivante qui, au fil des générations, n’avait jamais oublié de transmettre la totalité de son héritage.

Sonny Boy Williamson : Checkin’Up On My Baby

Sans dénigrer l’ère des « guitar heroes » qui a succédé, à cette renaissance, ni les efforts de quelque traditionnalistes délivrant un message totalement déconnecté de la réalité contemporaine, on peut apprécier l’intérêt musical du blues actuel au même titre que l’anecdote de la tortue de Big Bill Broonzy qui parcourt vaillamment plusieurs centaines de mètres après qu’on lui a tranché la tête : "elle est bel et bien morte, mais elle ne le sait pas [22]" !

Ne nous cachons pas que le blues, en s’internationalisant, a perdu toute base sociologique, et que pour la jeunesse afro-américaine il évoque depuis très longtemps une ère de ségrégation heureusement révolue. Ce qui ne l’empêche pas de demeurer une source d’inspiration majeure, à condition de le considérer dans sa globalité et de ne pas le confondre avec un concours de vélocité instrumentale. La musique « pop » des années 60, ainsi que le blues britannique, n’ont cessé de rendre hommage aux musiciens des années 1930 dont les voix ont été préservées sur disque.

L’Amérique a quelques longueurs d’avance dans le domaine de la réédition, à la fois en termes de qualité sonore et de recherche documentaire. Il serait bon que l’Espagne s’engage dans la même voie et, sans aller systématiquement jusqu’à la documentation colossale (quoique difficile à consulter de manière synthétique) qui accompagne l’intégrale de la Niña de los Peines, qu’on ait l’obligeance de nous communiquer des informations aussi essentielles que la date d’enregistrement, le numéro de matrice, ou même le titre du morceau qui fait quelquefois défaut !

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Pour en revenir à notre propos initial, rappelons-nous que l’intérêt artistique et historique de l’enregistrement sonore a été contesté dès son invention, principalement en raison de ce qu’il n’était pas, et ne pouvait pas être.

Incontestablement, le disque ne remplace pas la musique jouée et écoutée en direct… nous serions tentés de dire : « heureusement » ! Mais que signifie le commentaire de l’Américain Donn E. Pohren, « le grand flamenco ne peut être écouté que dans l’intimité des comités restreints composés de véritables amateurs [23] » ? Est-ce à dire que si on lui enlève les adjuvants que sont la convivialité, la présence scénique, les bruits de chaises, les toux intempestives, les vapeurs de l’alcool et les odeurs de transpiration, la musique perd son authenticité ? Le duende, ou le feeling du blues sont-ils allergiques aux mélomanes solitaires, ou la sensibilité musicale obéit-elle aux mêmes principes que l’ « amitié » sur Facebook : « je t’aime et je te respecte… à condition que toute la communauté le sache » ?

L’enregistrement sonore n’est pas non plus la machine à remonter le temps qui hante notre imaginaire : une prise de son est réalisée dans des conditions nécessairement artificielles et dans un but précis, commercial ou documentaire ; elle ne capte pas par inadvertance la trace sonore d’une musique en devenir, d’un chant émis spontanément, dans un environnement aussi « naturel » que bruyant… la musique, le chant, la diction, la danse, le jeu théâtral sont-ils autre chose que des artifices ?

Si nous poussons ce rêve absurde jusqu’à son terme, imaginons quelques instants qu’une invention miraculeuse nous permette d’entendre les chants des esclaves du Sud ou des Gitans de Cadix tels qu’ils existaient il y a deux cents ans. Quel enthousiasme pour celui qui y décèlera des traces de blues ou de flamenco, et quelle déception pour celui qui n’entendra rien de tel… ! Mais l’un comme l’autre jugera en fonction de ses propres critères, de sa propre expérience, en bref de notre culture musicale actuelle, totalement différente de celle des musiciens de l’époque… et quelle que soit la « révélation », il se trouvera toujours quelque musicologue enthousiaste pour démontrer une filiation par de subtils arguments, et quelque esprit chagrin pour mettre en cause la fiabilité de la machine.

Nous avons le disque, compact ou non, sachons profiter du message musical qui, sans lui, aurait été perdu à jamais ; l’apprécier sans interférence, laisser notre imaginaire et notre sensibilité métamorphoser chaque fois son écoute en fonction de l’heure, du jour, de notre humeur, de notre vécu… et retrouvons les sensations visuelles et tactiles, si elles nous font à ce point défaut, aussi longtemps que le disque demeurera un "objet" indissociable de son habillage, un document digne de son contenu.

Patrice Champarou

[1Il serait très intéressant d’évaluer le prétendu « manque à gagner » attribué à la copie illégale, et de le comparer à l’incidence sur les ventes de disques du lancement de nouveaux produits (jeux vidéo, films, DVD interactifs etc.), le budget « loisirs » n’étant pas extensible à l’infini !

[2Pour être juste, avouons que cette évolution a commencé avec le microsillon, édité à partir de bandes magnétiques, généralement conservées mais en principe effaçables… le 33 tours n’en demeure pas moins un « objet » tangible et visible, que l’on peut s’approprier, montrer, prêter et même céder... tout comme une édition sur papier.

[3Antonio El Mochuelo : Jaberas y Malagueñas accompagnées par El Caro, Sevillanas y Tangos par Joaquín el Hijo del Ciego.

[4Tim Brooks : Lost Sounds – Blacks and the Birth of the Recording Industry - University of Illinois Press, 2005.

[5On peut penser au pianiste noir « Duke » Travers, éliminé d’un concours après avoir refusé de jouer le morceau imposé pour la finale « All Coons Look Alike To Me », soit littéralement « Pour moi, tous les Négros se ressemblent » (Ann Charters : The Ragtime Songbook, p. 33 – Oak, 1965).

[6Bert Williams a enregistré 81 titres entre 1901 et 1922, réédités sur Archeophone CD 5002, 5003 et 5004.

[7Motifs mélodiques répétés, et simplement transposés sur les accords successifs du morceau.

[8Il est très probable que Clifford Gibson ait vu jouer son modèle Lonnie Johnson à St. Louis (Missouri), mais certains imitateurs occasionnels de Blind Lemon comme le mystérieux Mississippi Moaner, ou le chanteur et guitariste blanc Larry Hensley, ne l’avaient jamais rencontré. Un an après le “tube” du Texan Alger Alexander, Range In My Kitchen Blues, le chanteur du Mississippi William Harris enregistrait le même titre presque à l’identique.

[9On relève évidemment les Tientos de Manuel Torre, considéré comme leur créateur (avec le légendaire El Melizzo que nous ne connaissons que par des témoignages indirects), et quatre interprétations par la Niña de los Peines.

[10Elijah Wald : correspondance privée à l’occasion de la chronique de son livre Escaping the Delta dans la Gazette de Greenwood(2004).

[11Ce caractère « régional » du blues, sur lequel Paul Oliver insiste dans son dernier ouvrage (Barrelhouse Blues, op. cit.) au point de transgresser sa propre méthodologie, doit être relativisé : les musiciens informés de ces sessions n’hésitaient pas à faire le déplacement pour tenter leur chance. C’est ainsi que le chanteur et guitariste « évangéliste » Blind Willie Johnson a été enregistré successivement à Dallas (Texas), La Nouvelle-Orléans (Louisiane) et Atlanta (Géorgie).

[12Ruiz, op. cit. p. 43.

[13Il existe évidemment des exceptions, Georgia Bound chanté par Blind Blake avait pour thème un retour vers le Sud natal et une vie agreste fortement idéalisée, comme l’était le « Vieux Sud » célébré par la première country music.

[14Le film de Wim Wenders The Soul of a Man est assez ambigu sur ce point, laissant imaginer que Skip James n’avait touché qu’un maigre pourboire sur ses enregistrements. En réalité, le musicien (qui se considérait comme un compositeur, et non comme un chanteur de blues) avait opté pour un paiement différé, au prorata des ventes… c’était en 1931, et la crise économique allaient immédiatement réduire ses espoirs à néant.

[15Toute considération hygiénique mise à part, le pianiste Count Basie se rappelait avec émotion les prix dérisoires des consommations avant la prohibition… un laxisme qui permettait à certains établissements d’engager jusqu’à quatre orchestres par soirée !

[16Nous ne parlons évidemment pas des orchestres de danse au répertoire très éclectique, comme celui du très populaire « roi du jazz » Paul Whiteman, ou de compositeurs presque totalement oubliés comme Abe Lyman, qui n’avaient avec le jazz qu’un rapport épisodique.

[17L’entraînement des platines est demeuré dans un premier temps mécanique, car la tension du courant électrique était trop instable pour assurer une rotation régulière. Le studio installé au sommet de l’église de Camden (New Jersey) utilisait un mécanisme actionné par des contrepoids.

[18Voir l’article du New York Times, The Bluesman Who Behaved Too Well. Bien que passablement alcoolique, Carr était effectivement un chanteur policé, et l’auteur de plusieurs blues repris par Count Basie.

[19Nous pensons tout particulièrement à l’excellent pianiste Josuah Altheimer, et au tout jeune George Barnes, premier à faire entendre sur disque une guitare électrique, en 1938.

[20Sur deux titres, dont le Jailhouse Blues que nous présentons, la partie de guitare de Robert Lee McCoy (Robert Nighthawk) a été pré-enregistrée, ce qui lui permet d’accompagner le chant de John Estes à l’harmonica.

[21Anthology of American Folk Music, réédité en coffret de 3 doubles CD – Folkways SWF 40090 / A 28748.

[22Big Bill Broonzy, op. cit. p. 30

[23Ruiz, op. cit. p. 43


George O’connor : Nigger Blues
Clarence Johnson : Sugar Dew Blues
Ramón Montoya : Rondeña
Manuel Torre : Tientos
Mamie Smith : Crazy Blues
Robert WIlkins : That’s No Way For Me To Get Along
Blind Blake : Dry Bone Shuffle
Charlie Jackson : The Sheik Of Desplaine Street
Lemon Jefferson : Rabbit Foot Blues
John Carson : The Little Old Log Cabin In The Lane
Dave Macon : The Moaning Blues
Peg Leg Howell : Skin Game Blues
Tommy Johnson : I Want Someone To Love Me
Manuel Vallejo : Siguiriya
Leroy Carr : Mean Mistreater Mama
Jazz Gillum : Reefer Head Blues
La Niña de los Peines : Doña Mariquita
Sleepy John Estes : Jailhouse Blues
John Lee Hooker : Mad Man Blues
Ray Charles : Mr Charles Blues
Rafael Romero : Garrotín
Sonny Boy Williamson : Checkin’Up On My Baby




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