Hommage à Tío Gregorio El Borrico

lundi 13 décembre 2010 par Claude Worms

Un dernier centenaire pour clôturer cette année 2010 fertile en commémorations… Confessons, à notre grande honte, que nous l’ aurions oublié sans le très opportun ouvrage dr José María Castaño, Alfredo Benítez et Gonzalo López (cf, ci-dessous : bibliographie).

Gregorio Manuel Fernández Vargas « Tío Gregorio El Borrico » est né le 3 avril 1910 à Jerez (Calle Nueva, au cœur du quartier de Santiago), et mort en cette même ville le 12 décembre 1983. Ses deux patronymes suffisent à résumer une généalogie qui le place au cœur de la transmission orale du patrimoine flamenco gitan de Jerez. Fernández par son père, « Tío Tati », il est le neveu de Juanichi « El Manijero » et de Parrilla el Viejo, et donc cousin de Fernando Terremoto, El Sernita, et Parrilla de Jerez. Vargas par sa mère, il prend place dans une lignée qui, sur quatre générations, compte des artistes majeurs de l’ histoire du flamenco jérézan, de Paco La Luz à José Mercé, en passant par María « de la Luz », El Sordo « de la Luz », Tío José de Paula, les Sorderas et les Moraos.

El Borrico était promis à la profession familiale (ouvrier agricole) qui se serait achevée par une promotion « à l’ ancienneté », en tant que chef d’ équipe (« manijero »), s’ il n’ avait définitivement opté pour une carrière de cantaor professionnel après son service militaire. Un professionnalisme qui restera essentiellement local, entre tournées dans les villages de la Sierra de Cádiz, participations sporadiques à de modestes cuadros programmés par les tavernes de Jerez (c’ est ainsi qu’ il participera aux premières apparitions publiques de Lola Flores), et, surtout, engagements hasardeux dans les fêtes privées organisées par l’ aristocratie et la bourgeoisie terrienne rentière de la ville. Il devrait d’ ailleurs son surnom, « El Borrico » (l’ âne), à l’ exquise délicatesse de l’ un de ces « señoritos » : revenant d’ une partie de polo, Alfonso Domecq se serait exclamé, en l’ écoutant chanter pour son oncle Juan Pedro Domecq : « mais cet homme chante comme un âne ! ». Il est souvent de bon ton de rappeler que nombre d’ artistes n’ ont survécu que grâce à la générosité de ces mécènes. Pour notre part, nous serions plutôt enclins à rappeler que les grands propriétaires terriens qui sévissaient (pas seulement, mais particulièrement) en Basse Andalousie se sont surtout enrichis grâce au labeur des ouvriers agricoles qui travaillaient « de sol a sol » pour un salaire de misère, et à ne pas confondre des aumônes négligemment jetées à la fin de nuits de beuveries, avec des cachets dignement gagnés, en bonne et due forme.

Toujours est-il qu’ on ne connaît qu’ une seule « sortie lointaine » dans la carrière d’ El Borrico : à Madrid en 1967, pour l’ enregistrement du mythique « Canta Jerez » pour Hispavox (ajoutons cependant un autre voyage presque aussi exotique, à Grenade, pour illustrer une conférence de Manuel Ríos Ruiz à l’ Université). El Borrico n’ est donc pas allé chercher fortune à Madrid, ni n’ a participé aux tournées internationales de quelque compagnie de danse, comme ses cadets El Sernita, Manuel Soto « Sordera », Terremoto, ou La Paquera. C’ est sans doute ce qui explique le relatif anonymat dans lequel il est resté longtemps confiné.

Ce n’ est donc que pendant quelques années, entre l’ enregistrement de « Canta Jerez » (1967) et le milieu des années 1970, qu’ il connut une certaine notoriété, essentiellement grâce au soutient de quelques peñas de Jerez (Los Cernícalos, La Bulería, La Buena Gente, la Peña Flamenca « El Mono de Jerez »), et à la programmation des festivals d’ été, à partir la première édition de la « Caracola » de Lebrija, en 1966. En juste reconnaissance de son rôle éminent de transmetteur du répertoire des maîtres des précédentes générations, la "Cátedra de Flamencología y Estudios Folclóricos Andaluces" lui décerne en 1967 la première "Copa Jerez de Cante", lors de son cinquième "Curso de Arte Flamenco".

Tío Gregorio El Borrico avec Gerardo Nuñez

Sa discographie restera elle aussi limitée à quelques séances, toutes, à une exception près, pour des albums collectifs :

_ Pour l’ « Archivo del Cante Flamenco » de J. M. Caballero Bonald, accompagné par son neveu Parrilla de Jerez (enregistrements de 1962, édités en 1968 par Vergara ; puis, pour les cantes non retenus pour ’ Archivo, au début des années 1970, par Ariola)

_ « Canta Jerez », avec Paco Cepero et Paco Aguilera (1967 - Hispavox). Autres cantaores : Terremoto, El Diamante Negro, El Sordera, El sernita, Romerito (un must...).

_ Profitant de sa présence à Madrid, le producteur de "Canta Jerez", José Blas Vega, enregistre le seul album qui lui sera entièrement consacré, sous le titre "Homenaje a Tío Gregorio El Borrico de Jerez" (1967, avec Paco Cepero - Hispavox)

_ Pour les albums « Fiesta en Lebrija » et « Siempre Jerez », avec Pedro Peña (1971-Polydor)

_ Pour « La nueva frontera del cante de Jerez » (RCA – 1978). Il s’ agit du dernier enregistrement « officiel » de El Borrico. Une sorte de remake de « Canta Jerez », avec de jeunes artistes de la génération postérieure (Manuel et Juan Moneo, Diego Rubichi, Mateo Soleá…). Tío Gregorio était le parrain et le garant de l’ entreprise, à laquelle il contribua avec une remarquable série de Bulerías (guitare : Niño Jero) (cf : « Galerie sonore »)

L e répertoire de El Borrico était naturellement marqué par son environnement familial : Siguiriyas, Tientos – Tangos, et surtout Soleares, Soleares por Bulería et Bulerías (il est l’ un des plus éminents spécialistes jérézans de ces trois derniers palos), dans les styles de Paco La Luz, Frijones, Juanichi, José de Paula… Il imprime à ces cantes un dramatisme très personnel, mais est aussi, pour les Soleares, un véritable créateur, grand adepte des « croisements ». « Cruzar los cantes », c’ est à dire faire œuvre originale en créant un nouveau modèle mélodique à partir d’ éléments puisés dans plusieurs cantes de divers créateurs, est encore actuellement considéré comme un péché majeur par certains spécialistes obtus. C’ est en fait le principal moteur de la création flamenca, qui exige un art raffiné de la transition pertinente, dont El Borrico fut incontestablement un maître. Vous en trouverez un excellent exemple dans les Soleares n° 1 (« Galerie sonore ») :

_ Début avec trois cantes emblématiques de la « Bulería pa’ escuchar » (Soleá por Bulería) de Jerez, dans les styles de La Moreno, La Sorda et El Gloria.

_ Quatrième cante de La Serneta.

_ Cinquième cante de Juaniquí.

_ Sixième cante original, « croisement » de modèles de Frijones et Juaniquí, avec quelques désinences à la manière d’ El Mellizo.

_ Conclusion avec une Soleá de Alcalá, dans le style de Joaquín el de la Paula

(Analyse de Alfredo Benítez Valle)

Ajoutons enfin que El Borrico a aussi écouté quelques grands maîtres classiques, jérézans (Manuel Torres, El Gloria, Juan Mojama), mais aussi sévillans (Tomás Pavón), et qu’ il savait faire preuve de plus de suavité dans ses interprétations quand le modèle l’ exigeait. C ‘est ainsi que dans nos Soleares n° 2, d’ Alcalá et de La Serneta (cf : « Galerie sonore »), il s’ inspire nettement du legato et des notes tenues chers à Tomás Pavón.

Bibliographie

José María Castaño, Alfredo Benítez, Gonzalo López : « Cien años de Tío Gregorio El Borrico. 1910 – 2010 » - Ediciones Los Caminos del Cante, 2010.

Nous devons l’ essentiel des informations de cet article à ce livre, dont nous ne saurions trop vous conseiller la lecture. D’ autant plus qu’ il est accompagné d’ un CD reproduisant sept cantes inédits de la collection de Ricardo Pachón (guitare : Pedro Bacán et Manuel Parrilla)

Discographie

"Tío Gregorio El Borrico" : collection "Grands cantaores du flamenco. Volume 12" – Le Chant du Monde LDX 274928

Réédition des séances Hispavox de 1967, augmentée de la Bulería conclusive de "Canta Jerez" ("Fiesta en el barrio Santiago")

"Canta Jerez" : EMI 7243 5 27723 22

"Nueva frontera del cante de Jerez" : RCA / El Flamenco Vive 74321 732 982

Claude Worms

Logo : photo Paco Sánchez

Galerie sonore

Soleares n° 1 : extrait du LP "Antología de las Soleares (3)" (Ariola, 1971 – enregistrements de 1962 non retenus pour l’ "Archivo del Cante Flamenco") - guitare : Parrilla de Jerez

Soleares n° 2 : extrait de "Archivo del Cante Flamenco" (Vergara, 1968 – enregistrements de 1962) – guitare : Parrilla de Jerez

Bulerías : extrait de "Nueva frontera del cante de Jerez" (RCA, 1978) – guitare : Niño Jero


Soleares n° 1
Soleares n° 2
Bulerías




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