Israel Galván au musée Picasso

jeudi 6 août 2015 par Nicolas Villodre

Israel Galván : en solo au musée Picasso, Paris, 28 juillet 2015

Il voyage en solitaire

Paris quartier d’été était ce soir-là devenu le festival d’Automne. Non seulement en raison du temps tempétueux menaçant et contrariant de fait la fête du plein air, mais de la très haute qualité de sa programmation. Rien de moins qu’ Israel Galván, en solo et en silence. Qui plus est, au musée Picasso. Côté jardin à la française.

Picasso et la danse

Nous avons déjà eu l’occasion d’analyser le style singulier du "danseur des solitudes", pour reprendre – c’est le moment ou jamais – l’expression de Georges Didi-Huberman, son évolution, sa cyber-abstraction, son accélération fulgurante, son côté taquin, laconique, et forcément déceptif, son goût des citations inattendues ou mystérieuses, son usage du collage – qui le rapproche d’un de ses inventeurs, l’andalou, comme lui, Picasso.

Plus sobre que de coutume, dans le costume, l’accompagnement et la scénographie, il est parvenu au degré zéro de sa discipline. À l’ascèse. Cette danse absolue, intégrale, comme on disait autrefois, du temps de Dada (le Cabaret Voltaire, 1916), des Ballets Russes, période Massine-Picasso (Parade, 1917), deux vrais amateurs de flamenco (cf. le court film pris par Massine de La Macarrona, sans parler de sa préparation auprès de Felix El Loco du ballet Le Tricorne, 1919) ou de celui du maestro cubo-futuriste Escudero, cette danse pure effraie paradoxalement les puristes. Les balletomanes pour qui l’art de Terpsichore requiert l’anecdote, l’ornement, l’harmonie et les aficionados, qui confondent pureté et tradition – pour eux synonyme d’ "authenticité" et d’élégance.

Le silence est d’or

De Mary Wigman (Lento, 1914) à Anne Teresa De Keersmaeker (Golden Hours / As you like it, 2015), en passant par Yvonne Sérac (Danses dans le silence, 1922), Isabel de Etchessary, Alexandre et Clotilde Sakharoff, Serge Lifar, Karin Waehner, Françoise et Dominique Dupuy (Epithalame, chorégraphie de Deryk Mendel, 1957), Trisha Brown (Glacial Decoy, 1979), Veronica Vallecillo (Le vrai-faux film muet qui vous parle, 2013), nous pourrions dresser l’historique des maintes tentatives de danser en silence, voire, comme le souhaitaient Françoise & Dominique, de “danser le silence”.

Cette exigence est aussi celle de Galván qui, en “format” solo du moins, n’a besoin que du sol, de son corps en état de marche, du bruit de la ville et de celui de ses membres en action. La percussion corporelle, un champ plus étendu que celui du simple claquement de doigts (pitos) ou du taconeo, a été donnée en première partie “unplugged” puis, vers le finale, restituée amplifiée par des micros posés au bas des marches de l’hôtel Salé – le jeu de raclage, pour ne pas dire ruginage, dos à l’ "audience” (si l’on peut dire, s’agissant d’une variation muette), à l’aide des fers de ses bottines titillant, tapotant, rapant une grille d’aération ou d’évacuation du bâtiment, constituait une belle trouvaille rythmique in situ.

Éléments déchaînés

Le cri des mouettes annonçait la tempête ; les vagues crissantes produites par les voiles en nylon des "regenponchos" Calla offerts par les ouvreuses aux spectateurs donnaient le vertige au danseur ; la pluie et le vent dictaient leur entropie, cassant l’ambiance et le rythme du danseur-chorégraphe ; la pollution sonore tolérée par la ville, en l’occurrence l’écho d’un airbus bourré de touristes en partance de, ou en arrivance à Charles-de-Gaulle contribuait, qu’on le veuille ou non, à la B.O. vespérale ; le rappel à l’ordre d’un clocher voisin sonnait le compte à rebours.

Après avoir aligné algorithmes, figures et postures, de face ou de profil – bras levé, déhanchements appuyés du corps, équilibres sur un pied et frappes simultanées sur la semelle opposée, affrontement et esquive d’un minotaure invisible, dégagement ou bref dénuement de l’épaule jusque-là protégée par le T-Shirt Hanes noir, teasing à la manière de Rita Hayworth ou d’Ava Gardner, étirement de tout le corps, génuflexion fugace, diagonale de voltes et de faces – après avoir interjecté, invectivé, tempêté à son tour, le jeune gens finit par finir, par raccourcir le set, faute de combattants.

Cela paraît tout simple, mais ne l’est pas. Comme un dessin de Picasso. Une danse en noir et blanc. Un film burlesque – une Bulería froide, elliptique, allusive. Un Guernica.

Nicolas Villodre

Photos : Nicolas Villodre





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