Antonia Contreras : "La voz vivida" / María Canet : "Flamencas"

lundi 8 mai 2017 par Claude Worms

Antonia Contreras : "La voz vivida" - un CD La Voz del Flamenco, LVF 1077, 2017

María Canet : "Flamencas" - un CD Fods Records 38478, 2016

Bien qu’elle ait déjà participé à divers projets collectifs ("Cantes de Málaga", 2012 ou un hommage à Salvador Rueda, 2007), "La voz vivida" est le premier disque personnel d’Antonia Contreras. Cette artiste est surtout connue en France pour avoir chanté en concert la version de 1915 de "El amor brujo" de Manuel de Falla avec les orchestres symphoniques de Picardie, de Pau et de Poitou-Charentes - notamment aux Folles Journées de Nantes en 2013 avec cette dernière formation, sous la direction de Jean-François Heisser.
En compagnie du guitariste Chaparro de Málaga, elle a également travaillé avec ce pianiste émérite, fin connaisseur de la littérature pour piano espagnole (comme en témoigne le coffret de six Cds "Espagne", Erato - Warner Classics France, 1996), à la création d’une "Suite Iberia" d’après Isaac Albéniz, donnée entre autres au Théâtre de la Ville (Paris - captation en DVD, 2009), en Arles et au Festival de La Roque d’Anthéron.

Si elles n’entretiennent qu’un lointain rapport avec le cante proprement dit, ces brillantes références attestent au moins de qualités vocales et musicales que le présent album confirme amplement. Avant de le réaliser, la cantaora aura pris le temps d’avoir quelque chose à dire, et de pouvoir le dire avec l’assurance et l’aisance d’une musicienne en pleine maturité. Par delà d’évidentes différences de timbre vocal et de style, la remarquable qualité de cet enregistrement est sur bien des points comparable à celle du récent "Tejiendo lunas" de Laura Vital : goût très sûr pour le choix du répertoire ; étude minutieuse des versions traditionnelles de chacun des cantes, mais soucis d’en donner des versions renouvelées par un travail créatif sur les arrangements ; interprétations impeccables, sobres et pourtant intensément habitées ; plénitude vocale mais stricte retenue dans l’usage de l’ornementation et du chant sur le souffle, qui éclairent comme de l’intérieur des lignes mélodiques au sein desquelles les textes sont très rigoureusement articulés. Ces textes sont d’ailleurs ici également originaux, signés José Javier Portillo, Salvador Pendón Muñoz, Francisco Acosta Roldán, et Antonia Contreras et Juan Ramón Caro pour un vibrant hommage à Málaga por cantiñas. Nous regrettons toutefois qu’ils ne soient pas reproduit dans le livret, qui offre par contre une recension pour une fois précise des cantes, par Lourdes Gálvez del Postigo.

Il suffit d’écouter les premiers tercios de "Soleá, tú eres mujer", entonnés a cappella, sans palmas ni nudillos, pour prendre la mesure de l’art du phrasé d’Antonia Contreras : la soleá est immédiatement identifiable, par la "simple" précision des accentuation et des césures. Cette série de cantes est le pendant por soleá du "Mujeres de sal" por bulería de Laura Vital : un hommage au cante au féminin - La Gilica de Marchena, Teresa Mazzantini, La Roezna, La Andonda et Merced La Serneta. La merveilleuse version de la composition de La Roezna (sur le modèle mélodique de "Los pajaritos y yo nos levantamos a un tiempo..." - troisième cante de la série) est l’une des meilleures que nous connaissions.

Le programme du disque offre deux surprises réjouissantes. D’une part un abrégé historique en trois parties de l’évolution musicale de la malagueña : d’une recréation du style des verdiales de La Jimena de Coín à la "malagueña nueva" ad lib. (en l’espèce, une composition de La Trini), via une variante de la malagueña "antigua" (comprendre a compás, actuellement désignée par le terme "abandolao"), le jabegote. D’autre part une adroite adaptation des cantes de El Piyayo au compás de la guajira, qui démontrera à qui en douterait encore que ces cantes sont bien des guajiras por tango. Toutes les autres pièces sont du même niveau : tangos extremeños conclus par un estribillo rappelant les tangos de La Carlota (version Gabriel Moreno) ; granaína y media granaína ; cantiñas (la Rosa, dans une version dérivée de l’enregistrement de Rafael El Tuerto - un travail de reconstitution historique mené également, de manière fort différente, par Laura Vital) / alegría classique / cantiña de la contrabandista / mirabrás) ; vidalita ; mineras (enregistrement public à La Unión, qui lui avait valu la Lámpara Minera en 2016).

On ne saurait trop souligner la qualité des musiciens qui accompagnent Antonia Contreras, à commencer par Juan Ramón Caro - écoutez par exemple la transition impeccable entre le jabegote et la malagueña de La Trini, amenée par un trémolo rallentando, ou encore les falsetas et l’harmonisation des granaínas. Ce n’est pas par hasard qu’il est souvent sollicité par des cantaoras musiciennes, telles Mayte Martín ou Rocío Bazán (cette dernière pour le festival de Toulouse). C’est avec bonheur que nous avons retrouvé Alfonso Aroca pour une vidalita en duo voix-piano. Enfin, les arrangements de Diego Magallanes varient avec bonheur la couleur sonre de l’album pour les trois palos qui s’y prêtent le mieux (canción por bulería, tangos et guajira), avec quelques discrètes touches de violon (José Gregorio Lovera).

Inutile d’ajouter que nous vous recommandons sans réserve ce disque.

Claude Worms

Galerie sonore

"Málaga de raíz"

"Málaga de raíz" (verdial / jabegote / malagueña de La Trini) : Antonia Contreras (chant), Juan Ramón Caro (guitare) et Panda Primera de Comares

Décidément, l’anthologie historique de Carmen Linares ("La mujer en el cante. Carmen Linares en antología") continue à susciter bien des vocations. "Flamencas", premier enregistrement de María Canet, s’inscrit à l’évidence dans sa postérité. Mais elle y fait plus référence à des interprètes marquantes, souvent contemporaines, qu’à des créatrices référencées dans le répertoire traditionnel, et ébauche ainsi une histoire de l’évolution du cante au féminin.

On le comprend clairement dès les tangos de Graná qui ouvrent le programme : si leur titre évoque Tía Marina Habichuela ("De Marina y el Sacromonte"), leur interprétation s’inspire surtout de Marina Heredia et d’Estrella Morente. Les soleares (Joaquín el de la Paula, Teresa Mazzantini et La Serneta) sont un bel hommage à Carmen Linares. Le titre des bulerías est lui aussi sans équivoque : "De La Paquera de Jerez". "A Pastora" évoque avec justesse le répertoire de cantiñas de La Niña de los Peines ("Díle si la ves pasar...",
"Yo le dí un duro al barquero...", "Y si no te veo doble..."). Enfin, dès le temple, les versions du taranto et de la levantica épousent étroitement le style d’Encarnación Fernández, qui remporta deux années consécutives (1979 et 1980) la Lámpara Minera de La Unión - écoutez la levantica enregistrée en public par cette dernière lors de la XXIV édition du concours, en 1984 ("Festival Nacional del Cante de las Minas" - RTVE Música 62064, 2000).

On notera également quelques belles idées (les falsetas des tangos "por granaína" ou encore l’arpège qui accompagne la première cantiña, le rituel "Tiri ti trán" étant relégué en coda) de Manuel de la Luz. La sobriété de ses arrangements et de ses accompagnements est parfaitement en phase avec le style de la cantaora.

Seule ombre au tableau : un minutage bien chiche (20’22’’...) d’autant plus incompréhensible que l’on nous annonce qu’il ne s’agit là que d’un premier volume. Quoi qu’il en soit, "Flamencas" est un album probe qui mérite d’être écouté avec attention.

Claude Worms

Galerie sonore

"A mi aire"

"A mi aire" (soleares) : María Canet (chant), Manuel de la Luz (guitare)


"Málaga de raíz"
"A mi aire"




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