Les fondateurs de la guitare flamenca soliste - Ramón Montoya

dimanche 25 mai 2008 par Claude Worms

Au cours du deuxième tiers du XXème siècle, entre la génération de Ramón Montoya er celle du "triumvirat" - Victor Monge "Serranito", Manolo Sanlúcar, Paco de Lucía -, quelques guitaristes de génie ont créé les bases formelles, harmoniques, techniques... de la guitare flamenca soliste : Ramón Montoya, Niño Ricardo, et Sabicas, bien sûr ; mais aussi Estebán de Sanlúcar, Luis Maravilla, Manolo de Huelva, Pepe Martinez, Mario Escudero, Manuel Cano... En ces temps de mémoire courte, nous avons pensé qu’ une série d’ articles, en hommage à ces artistes, ne serait pas superflue. Chacune de ces brèves monographies sera complétée par une transcription intégrale d’ une de leurs compositions.

BIOGRAPHIE

Ramón Montoya Salazar (Madrid, 3 / 11 / 1879 - Madrid, 21 / 07 / 1949) reçu ses premières leçons de guitare de José Alcantara "El maestro malagueño". Mais ce sont surtout les styles de Miguel Borrull padre (pour le "toque de Levante") et d’ "En Canito" qui l’ influencèrent durablement. Il commença sa carrière professionnelle à quatorze ans, dans des "cafés cantantes" madrilènes comme le "Naranjero" ou le "Café del Pez". Impressionné par son imitation du toque d’ "El Canito", le directeur du "Café de la Marina" (l’ un des plus prestigieux de Madrid) l’ engage comme premier guitariste. Première consécration : Montoya y restera huit ans, et accompagnera quelques grands cantaores sévillans, tels Fernando el Herrero, Manuel Escacena, Manuel Pavón, ou Bernardo el de los Lobitos. C’ est à cette époque qu’ il compose pour le bailaor Faíco des arrangements de la Farruca et du Garrotín.

Au cours de la première décade du XXème siècle, Ramón Montoya fréquente l’ atelier du luthier Manuel Ramírez, et y rencontre les guitaristes Ángel Baeza et Rafael Marín, qui introduisent les techniques de la guitare classique dans le toque flamenco. Rafael Marín vient de publier, en 1902, la première méthode "de guitarra flamenca por música y cifra", dans laquelle il développe longuement l’ apprentissage du picado, des arpèges, et du trémolo. Engagé à partir de 1906 ou 1907 (selon Pepe de la Matrona) au "Café del Gato", Montoya y fait sensation en utilisant ces techniques, dans des falsetas d’ une longueur inhabituelle à l’ époque, pour l’ accompagnement du cante. L’ émulation avec les deux autres virtuoses de l’ époque, Miguel Borrull hijo et Luis Molina (ce dernier est son collègue au "Café del Gato". Disparu prématurément, il nous a légué une série de merveilleux enregistrements avec la Niña de los Peines) conduit à un développement sans précédent de ces techniques, en particulier du picado. A trente et un ans, Montoya commence à être très sollicité par une industrie phonographique en plein développement : ses enregistrements de 1910 avec Juan Breva, El Niño de la Isla, El Niño de las Marianas, et La Niña de los Peines, témoignent certes du haut niveau technique qu ’il a déjà atteint, mais aussi de son talent de compositeur (nous retrouverons certaines des falsetas de cette période dans les solos qu’ il enregistrera vingt ans plus tard). Suivent, de 1910 à 1914, d’ autres séances avec El Garrido, Cayetano Muriel "Niño de Cabra", El Niño de Medina, El Pena, Manuel Pavón, la Niña de Jerez, et La Niña de los Peines. Avec Niño Ricardo, Ramón Montoya sera le guitariste le plus prolifique des trois décades suivantes : il enregistre avec Jacinto Almadén, Angelillo, Canarío de Colmenar, Manuel Centeno, José Cepero, El Cojo de Madrid, El Cojo de Málaga, Chaconcito, La Niña de Linares, Pepe Marchena, Juan Mojama, Niño del Museo, La Niña de la Puebla, José Rebollo, Luisa Requejo, Aurelio Sellés, Juan Valderrama, Manuel Vallejo, Juan Varea... Mais ce sont surtout les vingt quatre cantes gravés avec Antonio Chacón (1913, puis 1927) qui marqueront durablement l’ histoire du flamenco : sur les cantes libres notamment, Ramón Montoya y enrichit considérablement l’ harmonie de la guitare flamenca (renversements, accords de passage...), essentiellement sur les modes flamencos de Si ("por Granaína") et de Fa# ("por Taranta").

Antonio Chacón et Ramón Montoya

Le duo Antonio Chacón / Ramón Montoya sera, jusqu’ à la mort de Chacón (1929), la référence incontestée de tous les professionnels. Invités d’ honneur du fameux concours de Grenade (1922), les deux artistes établissent à partir de 1921 leur "quartier général" au "colmao" "Villa Rosa" de Madrid. Ramón Montoya continuera d’ assumer, après la mort de Chacón, une sorte de direction artistique officieuse du milieu flamenco madrilène : pas de consécration artistique sans son approbation... Parmi les guitaristes qui fréquentent le cercle de Montoya à cette époque, citons Pepe et Manolo de Badajoz, Manolo de Huelva, Perico el del Lunar, Luis Maravilla, Niño Perez, Sabicas, et Luis Yance.

C’ est donc un musicien en pleine maturité qui commence dans les années 1920 la première grande série d’ enregistrements solistes de l’ histoire de la guitare flamenca, en trois groupes de séances successives :

_ Disques Pathé (date incertaine, peut-être 1923, selon José Blas Vega) :

Tango, Bulería, Guajira, Seguidillas gitanas n°1, Malagueña n° 1, Granadinas n° 1, Murcianas n°1, Tarantas n°1, Seguidillas gitanas n° 2, Granadinas n° 2.

_ Disques Gramófono (1928 - 1933) :

La Caña, Soleares en Mi, Granadinas, Malagueñas, Guajiras, La Rosa, Rondeña, Tarantas, Tango, Bulerías por Soleares, Alborada, Farruca + quatre titres en duo avec le saxophoniste Fernando Vilches : "Por Fandangos", "Media Granadina", "Mi Colombiana", "Flor de Petenera".

_ Disques La Boîte à Musique (Paris, 21 et 22 octobre 1936) :

Seguiriya, Alegrías, La Rosa, Granaínas, Farruca, Tango, Rondeña, Fandangos, Taranta, Guajira, Soleares, Bulerías, Malagueñas, Minera.

La discographie solo de Montoya reste cependant incertaine. Manuel Cano fait référence à un enregistrement vers 1930 (Granadina, Malagueña) ; à quoi s’ ajoute une autre séance produite par Marius de Zayas (le responsable des enregistrements BAM), peut-être celle qu’ Arcadio de Larrea situe à Saint Sébastien pour Columbia ("Guía del flamenco" - Madrid, 1974) : Soleares (en duo avec Amalio Cuenca), Seguiriya, Malagueña (jamais rééditée - introuvable ?). Enfin, les rééditions actuelles comportent souvent une seconde Minera très proche de celle des séances BAM (autre prise ?).

Les enregistrements de 1936 constituent sans aucun doute le chef d’ oeuvre de Ramón Montoya. Ils furent édités en un luxueux coffret de six 78 tours (n° 101 à 106), intitulé "Arte clásico flamenco : Ramón Montoya", en format 30 cm, jusqu’ alors réservé aux enregistrements classiques (dans le catalogue de la BAM d’ octobre 1936, l’ album prend place, avec le numéro 32, entre l’ Orfeo et le "Clavier bien tempéré"...). S’ il n’ eu pas en Espagne le retentissement attendu (sans doute du fait de la Guerre Civile : il fallut attendre l’ enregistrement de Manuel Cano "Evocación de la guitarra de Ramón Montoya" - Hispavox 1964 -, pour que ces compositions soient connues en Espagne), l’ album assura la reconnaissance internationale de Ramón Montoya : concerts à la salle Pleyel et à l’ Opéra Comique de Paris, Londres, Bruxelles,Turin, Buenos Aires...

De retour en Espagne après la Guerre Civile, Ramón Montoya participe de 1939 à 1948 (dernière trace de sa carrière artistique) aux nombreuses tournées d’ "Opera flamenca" en vogue, notamment avec la star de l’ époque, Pepe Marchena.

Manuel Vallejo avec Ramón Montoya

LE STYLE DE RAMÓN MONTOYA

S’ il n’ a pas été le premier guitariste flamenco à jouer en solo (des concerts de guitare flamenca sont attestés dès le dernier tiers du XIXème siècle), Ramón Montoya est le premier compositeur qui ait cherché à établir pour la guitare soliste des équivalents de la quasi totalité des formes du répertoire cante / guitare. Nous lui devons essentiellement trois grandes séries d’ innovations :

1) Une structure-type des compositions qui perdurera jusqu’ à nos jours, calquée sur le développement d’ une série de cantes :

intoduction (éventuellement) - paseo (en rasgueados, ou par un cliché mélodique sur la séquence harmonique traditionnelle de la forme) - falsetas (équivalent guitaristique de la première copla du cante) - paseo - falsetas - paseo - falsetas .... - coda (éventuellement, souvent accelerando).

Les falsetas peuvent être occasionnellement précédées d’ une ou plusieurs "llamadas", et conclues par un "remate".

2) Développement des falsetas, sur plusieurs compases, avec des "cierres" internes sur des accords fondamentaux du mode ou de la tonalité, autres que celui du premier degré :

Ramón Montoya n’ était pas un très grand mélodiste. Il a par contre considérablement enrichi l’ harmonie flamenca, conséquence, sans doute, de son long partenariat avec Antonio Chacón :

_ D’ une part, par la complexification des séquences harmoniques (cadences intermédiaires V - I et IV - I ; substitution des accords des trois premiers degrés du mode flamenco par leurs relatifs mineurs). Sur ce plan, de nouvelles avancées importantes n’ interviendront qu’ avec Manolo Sanlúcar et Paco de Lucía (avec cependant quelques apports substantiels, injustement méconnus, de Mario Escudero).

_ D’ autre part, par l’ "exploration du manche au delà de la première position : renversements, et dissonances de secondes et neuvièmes mineures (cordes à vide).

Les séries de falsetas des premières compositions de Montoya sont ainsi fréquemment des variations sur des séquences harmoniques types, traitées par différentes techniques de main droite (arpèges, trémolo, alternance pouce / index...). Progressivement, on trouvera l’ alliance de plusieurs de ces techniques pour chaque falseta (arpèges + picado + "remate de pulgar"...)

3) Développement et / ou création de nouvelles transpositions du mode flamenco :

Au début de la carrière de Ramón Montoya, seuls les modes flamencos de Mi ("por arriba"), de La ("por medio"), et subsidiairement de Si ("por Granaína") étaient couramment usités. Le mode flamenco de Fa# ("por Taranta") était en cours d’ élaboration, essentiellement par les Borrull (padre et hijo). Montoya a utilisé abondamment les modes "por Granaína" et "por Taranta" pour accompagner les cantes libres d’ Antonio Chacón, sans d’ ailleurs que ces modes soient affectés automatiquement à tel ou tel cante (il accompagne indifféremment les Malagueñas, Tarantas, Cartageneras, Granaínas... avec l’ un ou l’ autre de ces modes, en fonction du registre et de l’ ambitus vocaux requis.

Il semble que Ramón Montoya ait créé le mode flamenco de Sol# ("por Minera") en cherchant une alternative au mode "por Taranta", pour accompagner certains cantes de Chaconcito, dont le registre était encore plus élevé que celui d’ Antonio Chacón (le mode "por Minera" se situe un ton au dessus du mode "por Taranta").

Enfin, le mode flamenco de Do# ("por Rondeña", avec la troisième corde en Fa# et la sixième en Ré) est une création de Ramón Montoya. Selon le témoignage d’ Alberto Vélez ( "Alberto Vélez, memoria de la guitarra flamenca" : Editorial Acordes Concert), Miguel Borrul aurait enseigné à Montoya une Rondeña en La Majeur (avec modulations vers le mode flamenco relatif, de Do#) composée par Tarrega. D’ autre part, Montoya avait eu connaissance de l’ accordage décrit ci-dessus par Miguel LLobet (il était utilisé pour réaliser des transcriptions pour la guitare du répertoire des vihuélistes). Ramón Montoya aurait donc composé une Rondeña dérivée de celle de Tarrega avec cet accordage.

C’ est sans doute à partir des enregistrements solos de Montoya que chacun de ces modes a été traditionnellement affecté au cante correspondant ("por Taranta" = cante por Taranta...). Notons cependant que les cantes de Levante (Taranta, Taranto, Minera, Cartagenera, Murciana...) sont toujours accompagnés indifféremment "por Taranta" ou "por Minera", et que le mode "por Rondeña" est resté, jusqu’ à ces dernières années, l’ apanage de la guitare solo.

Claude Worms

Discographie

Solo :

L’ anthologie "Ramón Montoya : el genio de la guitarra flamenca" (Sonifolk 20130) est indispensable. Elle regroupe une bonne partie des enregistrements Pathé, et tous les enregistrements Gramófono et Boîte à Musique.

Dans la série "Grandes figures du flamenco", le volume consacré à Ramón Montoya (Chant du Monde LDX 274 879) reprend l’ intégralité des enregistrements Boîte à Musique

Accompagnement du cante :

Parmi les innombrables rééditions, l’ intégrale des enregistrements avec Antonio Chacón est prioritaire ("Don Antonio Chacón : 1913 - 1927, la cumbre de un maestro" : Sonifolk 20093)

Autres rééditions importantes, avec :

Juan Breva : Fods Records SE 30 CD 6025

Niño de Cabra ("Arte flamenco, vol. 12") : Mandala MAN 4885

José Cepero : Sonifolk 20142

El Cojo de Málaga : Sonifolk 20162

Chaconcito : Pasarela CDP 1/ 896

Fernando el Herrero : Sonifolk 20156

Niño de la Isla : Calé Records CAL 10220

Niño de las Marianas : Pasarela CDP 1/581

Niño de Medina : Catedra del Cante CDL 5013

Juan Mojama : Sonifolk 20171

Luisa Requejo : Catedra del Cante 5034

Aurelio de Cádiz (Aurelio Sellés) : Pasarela CDP 3/656

Manuel Vallejo : Sonifolk 20174 et 20182

Les interprètes de Ramón Montoya

Miguel Ochando : "Memoria" (Soleá / Rondeña) : Ambar AMB 06018 CD

Paco Peña : "Flamenco guitar music of Ramón Montoya and Niño Ricardo" : Nimbus Records NI 5093

Bibliographie

Ángel Álvarez Caballero : "El toque flamenco" (Alianza Editorial, 2003)

José Blas Vega : "50 años de flamencología" (El Flamenco Vive, 2007)

Eusebio Rioja et Norberto Torres : "Niño Ricardo" (Signatura de Flamenco, 2006)

Norberto Torres : "Guitarra flamenca, vol. 1 : Lo Clásico" (Signatura de flamenco, 2004)

Partitions :

Alain Faucher : "Arte clásico flamenco : Ramón Montoya" (Editions Affédis, 1994)

Transcription de "Soleares en Mi"

Soleá / page 1
Soleá / page 2
Soleá / page 3
Soleá / page 4
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Soleá / page 9
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Soleá / page 12

Galerie sonore

"Soleares en Mi" (enregistrement Gramófono, 1927 ?)

NB : pour la transcription, nous avons pris la liberté de "reconstituer" quelques passages difficilement audibles, notamment au début de l’ enregistrement.


Ramón Montoya : "Soleares en Mi"




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