María José Franco au Théâtre de l’ Epée de Bois (partenariat avec Flamenco en France)

Israel Galván au Théâtre de la Ville

mercredi 2 juin 2010 par Nicolas Villodre

María José Franco

Théâtre de l’ Epée de Bois / Cartoucherie de Vincennes

29 mai 2010 à 21h / 30 mai à 18h

Danse : María José Franco

Chant : Luis Moneo Lara, Antonio Nuñez « El Pulga »

Guitare : Juan Manuel Moneo Carrasco , Pedro Pimentel

María José Franco porte deux fameux prénoms évangéliques. Et elle vient d’atteindre l’âge du Christ. Pas celui de la retraite, qui d’ailleurs n’a pas cours dans l’univers gitan. La jeune femme est resplendissante, au sommet de son art, qui est celui du zapateado et du braceo. Les docteurs ès flamenco et les spécialistes de la chose se bornent à caractériser son style, d’essence gaditane, par l’élégance. Mais il n’y a pas que cela. Les emportements de María José brisent net toute tentation de mouvement épanoui, alangui, alenti. Elle n’y va pas par quatre chemins mais plutôt (puisque nous sommes en

période de mundial de football) : droit au but. Elle ne prend, ou ne perd pas, de temps à mettre en place sa variation par des arabesques, des pirouettes ou autres fioritures. Elle y va... franco.

Accompagnée de Juan Moneo, le mari guitariste à la technique infaillible et aux qualités lyriques indiscutables, Luis, son beau-père chanteur, spécialisé dans les Alegrías et les Bulerías, « El Pulga », un choreute de la jeune génération assez coté sur la place de Jerez, et le guitariste - assistant Pedro Pimentel, dont les arpèges jazzifiés servent d’introduction à chaque nouveau morceau, la jeune femme a produit un show qui a satisfait le bon public de Flamenco en France venu très nombreux jusqu’au fin fond du bois de Vincennes, en dépit du temps maussade.

Il existe donc des « chanteurs de danse », comme il y avait, autrefois, des musiciens de bal. Pas nécessairement des virtuoses, des têtes d’affiche, mais des pros ou des semi - pros qui assurent, et qui rassurent la vedette, des ambianceurs de soirées – d’afters et plus si affinités. De véritables artistes, en somme : y a-t-il, en effet, plus beau verbe que celui d’animer ?

Le zapateado de María José est net et toujours précis. Moins bien sonorisées – c’est du moins l’impression que nous avons eue – que le chant et la guitare, ses claquettes sont puissantes, presque à l’emporte-pièce. Elle ne s’épargne pas, et c’est sans doute la raison pour laquelle chacune de ses routines est brève, expéditive, comme définitive. La jeune danseuse multiplie les apparitions, mais aussi de frustrantes sorties de scène.

La soliste lutte comme elle peut, avec ses moyens du bord, dont nous avons parlé, contre la monotonie qui menace de s’installer, non par défaut de variété

« harmonique » d’ensemble, ou de sa danse en particulier, mais, comme on tente ici de le pointer, en raison des données purement rythmiques – trop de temps forts finissent par tuer toute sensation de vivacité, comme trop de percussions atteignent l’expression, ou trop de mimiques éteignent le sens commun.

Pas évidente, cette question purement esthétique de la parfaite maîtrise des durées, de la rigueur compositionnelle, du savoir-faire en matière d’agencement de motifs, du dosage subtil des accélérés et des ralentis, bref du travail chorégraphique plutôt que de la simple démonstration familiale ou clanique, attrayante ou distrayante, exigeant de la danseuse peu, voire toujours la même chose : s’afficher et aguicher. Ne parlons pas de l’occupation du plateau : le gigantesque plancher installé pour l’occasion dans la magnifique salle du théâtre de l’Epée de Bois n’a été usé que dans sa partie centrale et un peu côté jardin.

María José n’en est pas encore là, à ce degré d’exigence où l’on voudrait la voir. Cela viendra avec le temps, avec le recul, avec l’exil et le voyage. Elle saura se mesurer aux artistes qui l’ont formée, mais pas encore suffisamment inspirée – Matilde Corral, Mario Maya, pour ne citer que deux des plus grandes figures du siècle écoulé. Son programme, pour le moment, n’est ni de révolutionner son domaine, ni de contester les lois qui régissent l’entertainment.

Pour donner le change, elle se change. Au moins cinq fois durant la soirée. Le gala se transforme en défilé de danseuse - top model. Il s’agit d’un défilé et d’une mode à l’ancienne, bien sûr : María José n’arbore encore ni du Gaultier ni du Lacroix, ni même du Adidas. Elle alterne robe rouge à pois, ensemble d’une immaculée blancheur, cotillon rouille avec un surjupon en plumet, fourreau noir à motif blanc avec des parties en tulle et en dentelle, et l’indispensable mais encombrante bata de cola de teinte claire pour le finale, comme il se doit.

On sent ici ou là que la jeune femme ne demande qu’à s’encanailler, à s’affranchir, à sortir du mainstream dans lequel on veut la maintenir. Elle a d’ailleurs eu l’occasion d’expérimenter avec Juan Manuel la fusion, le mélange de genres et le rapprochement entre des traditions arabo-andalouses aujourd’hui séparées.

Un approfondissement de ce qu’elle sait faire le mieux ( = cultiver sa différence), n’en déplaise à certains ; une méditation sur ce que danser veut dire ( = travailler le style, pas la manière), un rejet de l’ornement ( = du look, du toc, du tic) lui permettraient de progresser rapidement dans le territoire qui est le sien depuis sa plus tendre enfance. Elle a tout pour elle, et tout à y gagner.

Ceci dit, des rappels, en veux-tu en voilà, ont salué la prestation vincennoise de la danseuse.

Nicolas Villodre

Photos : Christian Bamale pour Flamenco en France


El final de este estado de cosas. Redux

Théâtre de la Ville / Paris

Du 31 mai au 5 juin 2010, à 20h30

Compagnie Israel Galván

Danse et chorégraphie : Israel Galván

Direction artistique : Pedro G. Romero

Mise en scène : Txiki Berraondo

Lumières : Ruben Camacho

Son : Félix Vázquez

Régie : Balbina Parra

Décors et accessoires : Pablo Pujol, Pepe Barea

Costumes : Soledad Molina (Mangas Verdes)

Répétiteur : Marco de Ana

Conseiller en butô : Atsushi Takenouchi

Chant : Inés Bacán, Juan José Amador

Guitare : Alfredo Lagos

Percussions : José Carrasco

Danse, palmas, compás : Bobote

Violon : Eloísa Cantón

Basse : Marco Serrato « Orthodox »

Guitare électrique : Ricardo Jiménez « Orthodox »

Batterie : Borja Díaz « Orthodox »

Saxophones : Juan Jiménez Alba « Proyecto Lorca »

Percussions : Antonio Moreno « Proyecto Lorca »

Vidéo extraite de Non - hommage à Samir Kassir (2006), image d’Alain Jacq, musique de Zad Moultaka, danse de Yalda Younes

L’événement n’est pas tant la présentation de la dernière pièce d’ Israel Galván, donnée à Avignon, découverte cet hiver, du côté de Nîmes, dont ce site a déjà rendu compte (cf. Maguy Naïmi : http://www.flamencoweb.fr/spip/spip.php?article263) mais le fait que, pour la première fois, le chorégraphe sévillan soit à l’affiche du Théâtre de la Ville, précédant de quelques jours la venue d’un autre grand réformateur de son art, le claquettiste afro-américain Savion Glover.

En effet, après avoir été plus toléré que vraiment adoubé par le petit milieu du « flamenco puro », longtemps soutenu par Pedro G. Romero, la faculté dans son ensemble, aussi bien d’ Espagne que de Navarre, la chaîne franco-germanopratine Arte, on en passe et des meilleurs, Israel Galván a franchi ce pas décisif qui lui permet de toucher le vaste public amateur de danse des habitués et des abonnés du théâtre de Sarah Bernhardt.

On avait l’impression d’avoir déjà vu El final de este estado de cosas, redux, tant la description qu’ en avait faite Maguy était objective. On en augurait les éléments essentiels (l’ampleur du jeu de guitare d’ Alfredo Lagos et de la voix de Juan José Amador) et les faiblesses : l’horreur du vide (la vidéo sentimentale nous paraît dispensable), les langueurs monotones – une heure quarante chrono, cela peut paraître un peu beaucoup pour un simple solo de danse. Les numéros de «  Proyecto Lorca », les bribes de la charmante joueuse de crincrin, la brève intervention d’ Inés Bacán, le solo de danse de Bobote ne se justifient pas artistiquement.

Redux, appliqué à une œuvre cinématographique, signifie « nouvelle version », « relecture » ou « retour » et, appliqué aux séries télé, « saison deux ». Le mot a une connotation d’allégement ou de condensation. Dans le cas présent, on a préféré l’acception d’extension à celle de « réduction ». Dommage, le redux, en version « light », gagnerait en punch.

La mise en scène de L’ Apocalypse implique une relecture du dernier livre biblique, une actualisation de sa thématique, une interrogation sur ce qu’est l’ « Apocalypse maintenant ». Coppola avait évoqué la guerre du Vietnam. Galván & Co (comme du reste la chorégraphe Odile Gheysens et le compositeur Rami Khalife avec leur pièce intitulée Chaos) inscrivent la problématique dans le contexte des bombardements du Liban par l’armée d’un pays qui porte le prénom du danseur.

On trouvera deux allusions au butô, une « danse des ténèbres » que certains ont associée au cataclysme d’ Hiroshima : le début où Galván semble porter le masque de la tragédie et où il danse sur une terre de cendres, puis le passage où il arbore des faux seins qui rappellent le travestissement de Kazuo Ôno hommageant La Argentina – ce renvoi d’ascenseur ou retour à l’envoyeur est désormais posthume.

On a tout écrit sur le style de Galván, sur ce que Maguy Naïmi appelle ses « postures anti-flamencas (bras en dedans, jambe pliée en arrière, corps « tirebouchonné ») », sur sa danse de va-nu-pieds, sa totale maîtrise du zapateado, l’usage de la moindre parcelle d’un corps de plus en plus aminci, devenu presque abstrait, dont l’interprète fait un usage plus musical que visuel, en adepte de la « human beat box », sa présence scénique forte et ses absences tout aussi remarquables, son goût pour les Katas des arts martiaux (les positions du « vol de l’hirondelle », de la « demi-lune », de la « grue sur un rocher », etc.), les points de suspension brisant la fonction phatique chère à Roman Jakobson, la raideur qui s’empare du buste, ou au contraire, son excessive cambrure, les gestes à la disgrâce assumée, la mise en question de l’élégance masculine, au sens où pouvait l’entendre Vicente Escudero, voire de la beauté en général, ses sorties et ses gels de mouvements audacieux, stupéfiants, déconcertants, ses effets ironiques de distanciation ou, pour parler comme Ferran Adrià, de « décontextualisation ». Sa danse est ainsi, vraiment paradoxale, à la fois sévillane et sibylline.

Pour ce qui est de ce show en particulier, on a apprécié quantité de trouvailles, dont certaines font déjà date : les riffs de guitare électrique du groupe « Orthodox », qui vont de la stridence à des lignes de basse de type Black Sabbath, en passant par une ligne claire assez Shadows, l’utilisation efficace du cercueil comme « caisson » péruvien par José Carrasco, la parfaite amplification du sol, les ponctuations précises du chef éclairagiste, le gimmick des sifflements intempestifs émis par le danseur ou ses acolytes, l’invention du dispositif de planches plus mouvantes que les sables du même nom, pouvant faire office de « trillo » (plate-forme tirée par une mule servant, dans le temps, à dépiquer le blé), de trampoline et, naturellement, de lit king size à tête articulée comme ceux qui sont « médicalisés », équipé d’un matelas multi-spires imaginé par un ingénieur de chez Pirelli ou de Dunlopillo. Bref, malgré la demi-heure de trop, une très bonne soirée.

Nicolas Villodre

Photos : Nicolas Villodre





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