Entretien avec Manuel Pérez Luna

A Morón de la Frontera, le 10 mai 2008

jeudi 22 mai 2008 par Manuela Papino

"Diego dans mon souvenir" (version française & espagnole)

Lorsque j’ai dit à Manuel que je ne savais pas encore quel titre j’allais donner à mon article, il m’a répondu « Et bien, Diego dans mon souvenir ! Tous mes articles s’intitulent ainsi. » Manuel partage tout, d’autant plus lorsqu’il s’agit de son ami Diego : Diego Alejandro de la Santísima Trinidad Amaya Flores. J’allais faire des recherches, comme tout le monde, sur Diego Del Gastor, à Morón de la Frontera… Et bien à Morón, ce n’est pas la chance qui m’attendait, c’était la Gloire !

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Au cas où vous ne seriez pas intéressé par la guitare flamenca, la conférence de Manuel Pérez Luna, intitulée « Le profil humain de Diego », elle, vous intéressera. C’est un entretien très singulier, puisque, seul Manuel peut parler de la sorte de Diego Del Gastor. Ami intime, Manuel fut l’un des privilégiés qui assistaient tous les samedis aux fêtes de la Casa Pepe, où Diego jouait pour ses amis, et seulement pour eux. La conférence de Manuel- (« je ne veux pas me mêler du thème des flamencologues », dit-il)- nous raconte ce que personne d’autre ne sait : comment Diego, sans sortir pratiquement de Morón, finit par devenir un mythe de la guitare flamenca, parce qu’il était non seulement un artiste exceptionnel, mais aussi un être humain joyeux, généreux, philosophe et instruit.

« Il y a des non-vérités qui ont été publiées dans des cercles importants, parce que quand tu entends une chose, tu la transmets une fois et encore une fois, et elle finit par se dénaturer. C’est vrai la relation de Diego avec les américains, ce qui n’est pas vrai c’est quand ils disent « Diego, ce grand inconnu, que les américains découvrent quand ils arrivent à Morón avec leurs rivières de dollars. Et bien dans ma conférence, j’ai un intérêt particulier à défaire ces non-vérités ! Parce que ça nous afflige, nous qui avons de l’affection pour Diego. » Ainsi débute la conférence de Manuel, par les secrets de l’époque. Il n’invente rien, car avec la générosité qui le caractérise, il nous enseigne ses propres archives, -et il y en a !- pour prouver ce qu’il commente : photos, vidéos, enregistrements de tous genres, documents écrits, Manuel a tout gardé.

1965, est marquée par la venue de Don Pohren, un écrivain américain ; après avoir écouté Diego accompagner Juan Talega et Manolito el de María, il tombe amoureux et décide de venir vivre à Morón. A cette époque, vivre et partager des moments avec les gitans était très mal vu, mais Don Pohren est intéressé par Diego, et avec lui, commence la réputation de Diego Del Gastor et de Morón de la Frontera à l’étranger. Peu à peu, de plus en plus de gens viennent de tous les coins du monde, à la recherche de « la façon de jouer de Diego ».

« Ensuite on a commencé les fêtes du samedi pour être avec Diego », dit Manuel, « il y avait peu de monde parce que dans ces fêtes flamencas il faut savoir être, et tout le monde ne sait pas se tenir, il ne faut pas faire un cómpas quand on ne sait pas…ça c’est très important dans le monde du flamenco. On s’appelait les « pleureurs » parce que dans les petits matins de Diego et de Fernanda (de Utrera) il fallait pleurer ! C’était une musique très sentimentale, très émotive. De ces fêtes privées j’ai soixante heures d’enregistrements. Moi je peux le raconter depuis mon vécu, non pas depuis ce qu’on raconte. »

Diego était un lecteur de poésie, il aimait Calderón, « El Granaíno » (Lorca) et Machado, c’était un passionné de Hernández et de Fernando Villalón - un poète de Morón qui avait une poésie courte, très andalouse, comme des petits couplets de Soleares :

« Qu’on ne me dise pas

que le chant de la cigogne

n’est pas fait pour dormir,

parce que si la cigogne chante,

en haut dans le clocher,

qu’on ne me dise pas

que ce n’est pas du ciel

que lui vient son chant. »

Diego était gitan. Né en 1908, il connut la République et reçu une éducation scolaire et musicale dans le village d’ El Gastor. Il lisait de la philosophie, venant toujours avec un livre. C’est ce Diego-là que nous raconte Manuel avec tant de tendresse et d’admiration.

« A cette époque de tant de répressions, il faut faire l’effort de se projeter pour le comprendre. Les autorités savaient que Diego faisait des interprétations qui n’étaient pas en concordance avec l’époque, mais jamais ils n’ont cherché d’histoires à Diego, simplement parce que c’était un génie ! » Manuel continue, « c’est aussi parce qu’il ne le faisait qu’avec nous, en privé, dans l’atelier de tôlerie et de peinture où l’on se retrouvait après la petite bière à la Casa Pepe. C’est lui qui doit être le protagoniste, Diego Amaya Flores. C’est lui, Diego, qui dit tout ça. Moi je mets le PowerPoint avec les archives » ajoute Manuel avec beaucoup d’humilité. « Je raconte ses idées politiques, ses relations, ses sentiments, son talent, ses passions, sa religion et ensuite je mets Diego jouant l’hymne socialiste ! Dans l’enregistrement, à la fin, on entend « Non, ne mets pas ça ! » (Manuel rit) « Je peux me permettre le luxe de le mettre ! ».

Et Manuel continue à se divertir avec Diego ! Quand arrivèrent à Morón les jeunes curés appelés prêtres ouvriers, le commentaire de Diego fut « enfin les curés vont être chrétiens ! » (Il se remet à rire).

Ensuite, je lui demande comment Diego apprit à jouer. Manuel le sait bien évidemment, mais il me répond : « Il a appris avec son frère Pepe, avec El Naranjo et Mesa. Paco de Lucena c’était bien avant, il enseigna à Naranjo et Naranjo à Diego, c’est de maître en maître, mais moi je ne me mêle pas de ça, que d’autres le fassent, que chacun marche sur ses plates bandes. Moi je parle des autres musiques qu’il jouait : arabe, hispano-américaine, classique, carnavalesque… »

Manuel continue à me raconter des anecdotes et des secrets sur la vie de Diego Del Gastor, tout en nous offrant à manger les produits de son potager et à boire le vin qu’il fait lui-même, et dit, « je conclus la conférence avec une petite poésie que j’ ai écrite pour Diego ». Une poésie très jolie, qui finit en disant avec beaucoup d’émotion, « Moi, j’ai été l’ami de Diego. »

Manuel Pérez Luna

Le « Foro Cultural flamenco de Diego Del Gastor », pour le centenaire de sa naissance, propose une série de conférences et d’activités dans toute l’Andalousie, avec l’intention- nous verrons si nous avons de la chance- de les présenter en France. Il faut donc rester vigilant, la conférence de Manuel Pérez Luna s’intitule « Le profil humain de Diego » et je vous la recommande. Non seulement on apprend à connaître Diego Del Gastor, mais aussi les coutumes d’une autre époque, les témoignages politiques, religieux, poétiques du village…et surtout on assiste à une vraie amitié, un grand dévouement, un fabuleux respect et une admiration sans limite. C’est une leçon de vie, le parfum de l’art et la caresse du cœur. Parce que Manuel est tout amour, bien que le meilleur aille à Francisca, sa femme, qu’il n’arrête de remercier de l’avoir accompagné dans cette vie, en lui disant à chaque instant, qu’il l’aime très fort. Ne perdez pas cette conférence !

Manuel et Francisca

Propos recueillis par Manuela Papino

Photos : Manuela Papino

NB :

"El Foro cultural flamenco de Morón 2004” édite une revue flamenca, “A compás”. Deux numéros sont actuellement disponibles, le troisième, dédié exclusivement à Diego Del Gastor doit sortir prochainement. Si vous êtes intéressés, vous pouvez obtenir des renseignements directement en contactant Juan Manuel Sanchez Montilla au 619214417 ou 638039609 ou encore en envoyant un e-mail à : foroflamencomoron@yahoo.es)

Galerie sonore

Siguiriyas (Manuel Molina / Paco la Luz / Manuel Cagancho) : Juan Talega et Diego del Gastor

Extrait du double CD "Alcalá de Guadaíra en la historia del flamenco" : Marita MTCD 10A114 (voir notre rubrique "Nouveautés CD)


Siguiriyas




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