La discographie d’El Cojo de Málaga (troisième partie : palos a compás et saetas)

jeudi 26 mai 2022 par Claude Worms

De l’abondante production discographique de Joaquín José Vargas Soto "el Cojo de Málaga", la postérité a surtout retenu les cantes de minas. Mais elle recèle beaucoup d’autres trésors. Aussi lui consacrons-nous trois articles.

L’audition des enregistrements de cette troisième partie ne peut que faire regretter qu’El Cojo de Málaga n’ait pas enregistré plus de cantes a compás : volonté du cantaor, ou des labels, de concentrer sa production sur les cantes qui l’avaient rendu célèbre, les cantes de minas et autres dérivés des fandangos ?

N’oublions pas que, très jeune, il a d’abord été réputé pour ses bulerías et ses marianas, et qu’il a côtoyé fréquemment au cours de sa carrière El Gloria et sa sœur, La Pompi (cf. La discographie d’El Cojo de Málaga (première partie : cantes de minas)). A plus d’un titre, ses versions des bulerías et des bulerías por soleá sont historiquement et musicalement importantes : d’une part parce qu’il en a été l’un des principaux pionniers, avec les deux cantaor(a)es susmentionné(e)s et Pastora Pavón "Niña de los Peines" ; d’autre part parce qu’elles ont fait école, notamment à Málaga et dans le Campo de Gibraltar (La Línea de la Concepción, San Roque et Algeciras). Comme de coutume à l’époque, l’appellation "bulerías" s’applique plutôt à nos actuelles bulerías por soleá — sur les quatre bulerías, seules la première et la dernière séries sont nommées ainsi, la deuxième est une "juerga gitana", et la troisième une "fiesta andaluza". Quoi qu’il en soit, bulerías ou bulerías por soleá, El Cojo de Málaga s’inscrit nettement dans la tradition jérézane. Mais il y introduit des tournures mélodiques originales empruntées aux fandangos malaguènes (verdiales et bandolás de Juan Breva).

Les tangos n° 1 appartiennent aux modalités des tangos/tientos telles que nous les avons décrites à propos de la discographie de Pastora Pavón (cf. Les tangos dans la discographie de Pastora Pavón "Niña de los Peines" (première partie)). Les tardifs tangos n° 2 (dernière session, 1929) donnent un aperçu, malheureusement unique, de sa créativité rythmique pour ce palo — divers témoignages (cafés cantantes et fiestas) indiquent qu’il en possédait un répertoire beaucoup plus étendu et foncièrement original. Qualifiés à juste titre de "cubanos", ils illustrent, après un "temple" dont la désinence est similaire à celle des tangos del Piyayo, un processus de recréation d’airs à danser afro-cubains parallèle à celui des tangos de Triana.

Les bulerías, les bulerías por soleá et les tangos d’El Cojo de Málaga ont été conservés jusqu’à nos jours par une chaîne de transmission ininterrompue. Dolores Campos Nieto "la Pirula de Málaga" (Málaga, 1915-1948) en est le maillon principal. Encore enfant, elle, chante et danse dans les rues de son quartier, El Perchel, avec Rafael Flores Nieto "el Piyayo" (Málaga, 1864-1940). Paco Roji Doña et Ramón Soler Díaz mentionnent deux tournées dans diverses bourgades de la province de Málaga pour lesquelles elle a été engagée dans des troupes dirigées par El Cojo de Málaga, en 1925 et 1929 , donc alors qu’elle n’avait que dix, puis quatorze ans (cf. bibliographie). Il est très vraisemblable qu’ils aient également chanté ensemble dans les bars et les cabarets qui pullulaient dans le centre de Málaga et sa périphérie (notamment la zone El Morlaco/Pedregalejos et El Palo). Sa fille, Dolores Campos Heredia "la Cañeta de Málaga" (Málaga, 1936) a hérité de son répertoire, et, fort heureusement pour nous, le chante toujours aujourd’hui. Elle aussi a débuté en chantant et dansant dans les rues avec d’autres gamins du quartier del Perchel (entre autres La Pollito, La Quica, El Titi et Pepito Vargas) : parmi eux, Enriqueta de la Santísima Trinidad de los Reyes Porras "la Repompa de Málaga" (Málaga, 1937-1959), autre disciple directe de La Pirula. D’autre part, les relations entre les familles gitanes de Málaga et de La Línea de la Concepción sont permanentes. Le répertoire d’El Cojo de Málaga y est transmis fondamentalement par Antonio Fernández de los Santos "el Chaqueta" (La Línea de la Concepción 1918 - Madrid, 1980), qui chante avec El Cojo lors de ses séjours dans la ville, ou lorsque lui-même se produit à Málaga. D’autre part, le père d’El Chaqueta, José Fernández Vargas "el Mono", et la tante de La Repompa, María Porras, ont une fille née en 1910 qui deviendra bailaora sous le nom d’artiste d’"Imperio de Granada" — le clan des Vargas est donc présent dans les deux villes, et y perpétue les cantes festeros et les bulerías por soleá d’El Cojo. D’autant que dans les années 1940-1950, pendant la pire période du franquisme, la contrebande est florissante à Gibraltar et offre des opportunités aux artistes flamencos, qui affluent de Málaga : La Cañeta se souvient avoir fait à pied le trajet entre les deux villes en compagnie de La Pirula, La Quica, Pepito Vargas et sa mère (la cantaora Ana Campos "Anica") pour chercher fortune avec El Chaqueta à la feria de La Línea — probablement en mai 1953. (Paco Roji Doña, Ramon Soler Díaz et Paco Fernández. Cf. bibliographie).

Les soleares n° 2 et 3 n’innovent guère et s’en tiennent à des compositions parmi les plus souvent enregistrées à l’époque, celle d’Enrique "el Mellizo". Par contre, les modèles mélodiques des soleares n° 1, attribués à La Roezna et à José Iyanda, étaient beaucoup moins fréquentés et prouvent la variété du répertoire d’El Cojo de Málaga pour ce palo — on pourra d’ailleurs s’étonner de ne pas trouver de soleares de son compatriote Juan Breva dans sa discographie (du moins dans l’état actuel de nos connaissances), alors même qu’il a enregistré abondamment ses malagueñas.

Les trois séries de siguiriyas sont décevantes, non par leur qualité musicale, mais par leur uniformité : trois fois le même diptyque siguiriya de Paco La Luz / cambio de Manuel Molina — ce dernier convenant évidemment très bien aux facultés vocales du cantaor. Cet apparent désintérêt est d’autant plus surprenant qu’ El Cojo de Málaga affectionnait particulièrement les saetas por siguiriya, dont il fut un spécialiste renommé. Quand son état de santé ne l’en empêchait pas, il revenait chaque année à Málaga pour la Semaine Sainte, pour chanter au "Santísimo Cristo Atado a la Columna", appartenant à la "Cofradia de los Gitanos de Málaga" dont il devint Hermano Mayor.

NB : la discographie d’El Cojo de Málaga couvre une période relativement brève, de 1921 à 1929. Il l’a initiée alors qu’il avait quarante et un ans. Son style est donc déjà fermement établi, et on ne décèle aucune évolution significative au cours de la décennie. D’autre part, les dates d’enregistrement et/ou de distribution de ses disques restent parfois confuses. Pour ces deux raisons, nous nous abstiendrons de les renseigner. Nous nous sommes néanmoins efforcé de les présenter, autant que possible, par ordre chronologique pour chaque palo.

Rappelons que la plupart de ses séances d’enregistrement ont été réalisés avec Miguel Borrull Padre et/ou Hijo. Nous ne mentionnerons donc les guitaristes que s’il s’agit d’autres partenaires (Ramón Montoya ou Pepe Hurtado).

I Bulerías (4)

Feria de Málaga

Bulerías 1
Bulerías 2
Bulerías 3
Bulerías 4

II Bulerías por soleá (6)

Fiesta offerte par El Cojo de Málaga, quartier de la Cruz Verde, Málaga

Bulerías por soleá 1
Bulerías por soleá 2
Bulerías por soleá 3
Bulerías por soleá 4
Bulerías por soleá 5
Bulerías por soleá 6

NB : bulerías por soleá n° 5 et 6 — guitare : Ramón Montoya.

III Siguiriyas (3)

El Cojo de Málaga et son épouse, Barcelona

Siguiriyas 1 (Paco La Luz / Manuel Molina)
Siguiriyas 2 (Paco La Luz / Manuel Molina)
Siguiriyas 3 (Paco La Luz / Manuel Molina)

IV Soleares (3)

Fiesta avec El Cojo de Málaga, Barcelona

Soleares 1 (La Roezna / José Iyanda)
Soleares 2 (Enrique "el Mellizo")
Soleares 3 (Enrique "el Mellizo")

NB : soleares n° 3 — guitare : Ramón Montoya.

V Tangos (2)

De gauche à droite : Rafael Flores Nieto "el Piyayo", Dolores Campos Nieto "la Pirula de Málaga" et le journaliste Enrique Varela "el Tranquilo". Illustration d’une interview d’El Piyayo parue dans l’hebdomadaire républicain "Eco Popular" le 28 septembre 1931 — Photo : Salas / Ayuntamiento de Málaga.

Tangos 1 (tangos/tientos)
Tangos 2 (tangos "cubanos")

VI Saetas (6)

El Cojo de Málaga chantant por saeta, Málaga

Saeta 1
Saeta 2
Saeta 3
Saeta 4
Saeta 5
Saeta 6 (+ toná del Cristo)

Claude Worms

Bibliographie

ROJI DOÑA, Paco et SOLER DÍAZ, Ramón. La Cañeta de Málaga, José Salazar, La Pirula. Málaga, autoédition, 2012.

ROJI DOÑA, Paco, SOLER DÍAZ, Ramón et FERNÁNDEZ, Paco. La Repompa de Málaga. Málaga, autoédition, 2012.


Bulerías 1
Bulerías 2
Bulerías 3
Bulerías 4
Bulerías por soleá 1
Bulerías por soleá 2
Bulerías por soleá 3
Bulerías por soleá 4
Bulerías por soleá 5
Bulerías por soleá 6
Siguiriyas 1 (Paco La Luz / Manuel Molina)
Siguiriyas 2 (Paco La Luz / Manuel Molina)
Siguiriyas 3 (Paco La Luz / Manuel Molina)
Soleares 3 (Enrique "el Mellizo")
Soleares 2 (Enrique "el Mellizo")
Soleares 1 (La Roezna / José Iyanda)
Tangos 1 (tangos/tientos)
Tangos 2 (tangos "cubanos")
Saeta 1
Saeta 2
Saeta 3
Saeta 4
Saeta 5
Saeta 6 (+ toná del Cristo)




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